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Le voyage à l’étranger

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LA SITUATION D’EXPÉRIENCE DE MOBILITÉ DANS SES DIFFÉRENTES RÉALISATIONS

3.1 Les éléments structurants de la situation d’expérience de mobilité académique d’expérience de mobilité académique

3.1.5 Le voyage à l’étranger

Cette expérience de sortie, de discontinuité réelle d’avec un quotidien et un ordinaire dans une perspective mobilitaire semble correspondre au voyage à l’étranger. Dans le domaine de la recherche, ce dernier, moment vécu qualifié de « temporo-spatial » (R. Le Huenen, cité par Berty, 2001, p. 19), apparaît d’une part dans des expressions comme « littérature de

13 Son propos s’ancre dans l’analyse de voyages d’Occidentaux en Asie (Inde et Chine).

voyage », de « récit de voyage », comme expérience d’un « voyageur », à la figure changeante au cours de siècles ou bien classé entre « l’exploration » et « le tourisme », il devient objet d’investigation, comme fait historique et social (Hanning, 2011), à la charge des sociologues, des ethnologues, des historiens.

S’il est bien « un déplacement », il n’est pas que cela comme le notent R. Christin ou J. Viard (cité par F. Michel, 2004). Pour le premier, « le voyage reste […] bien autre chose qu’un parcours anodin entre deux points différemment situés dans l’espace » (Christin, 2000, p. 11) ; pour le second, aujourd’hui, les vacances et les voyages « sont bien autre chose qu’un moment nécessaire de repos, bien autre chose qu’une source de devises et d’emplois. Ils sont sources de tensions et de vie entre le moment transhumant de nos sociétés et leur moment stable, enjeu de société et jeu de rôles de chacun d’entre nous. Le temps à soi a pris la place du temps de Dieu […] » (Michel, 2004, pp. 221–222).

Cette approche rejoint celle de J.-D. Urbain et d’autres spécialistes du tourisme qui y voient un « code de reconnaissance » : « Les sites qui le composent et les rites qui l’explorent sont les éléments constitutifs d’une vaste scène culturelle, d’une structure stable de communication  :  un système d’itinéraires et de destinations à travers lequel les cultures récapitulent, expriment, échangent et valorisent les signes emblématiques de leur identité et de leur différence » (Urbain, [1991] 2002, p. 300)14.

Dès lors, il convient d’essayer d’en dégager les traits saillants. Nous examinons donc dans les lignes qui suivent sa dimension temporelle et deux formes spécifiques de déplacement viatique dans le cadre de la société japonaise, le voyage à but diplomatique et le voyage touristique. Comme leurs contemporains d’autres régions du monde, et ce quelles que soient les époques, les Japonais ont toujours « voyagé ». Cependant, l’insularité du pays, et ce quelles que soient la réalité effective de l’extension géographique et celle de la maîtrise politico-administrative sur un milieu physique sous-entendue par ce terme (Pelletier, 1997), son positionnement à l’ombre d’un grand voisin, l’Empire du Milieu, créent un environnement spécifique pour les déplacements humains (Hérail, 1986 ; Keene, 1998 ; Wang, 2005) : ceux-ci peuvent être comme n’importe où « intérieurs » ou « extérieurs ». Dans le premier cas, ils sont donc terrestres, et dans le second obligatoirement couplés à une expédition maritime. Comme

14 La formulation sous forme d’absolutisation des cultures est évidemment discutable.

ailleurs, les raisons pour se déplacer apparaissent multiples : guerrières ou pacifiques, par exemple commerciales, éducatives à des fins profanes ou non, religieuses, contraintes ou libres…

3.1.5.1 Caractéristiques du voyage à l’étranger

Dans une définition minimaliste, le voyage à l’étranger serait d’abord un temps découpé dans le quotidien, extrait du quotidien et vécu dans un lieu non quotidien. De ce fait, J.-D. Urbain (2008) qui cherche à comprendre ce qu’est un voyage « raté »15 le considère dans son déroulement temporel et en examine les différentes étapes (et les éléments qui grippent alors)… Dans cette description, qui suggère en opposition ce que peut être un voyage réussi, il pose aussi que le voyage dépasse le simple temps du déplacement. Le voyage s’étend en amont avec sa préparation, mais aussi en aval, après le retour : partager avec d’autres des souvenirs de voyage (discours, photos, souvenirs) doit être considéré comme partie intégrante de celui-ci (Amirou, 2012, p. 175). J.-D. Urbain estime d’ailleurs que le temps et les activités d’après déplacement sont constitutifs même du voyage et nécessaires au voyage « réussi ». Il signale en particulier le rôle joué par les objets rapportés et les échanges verbaux comme permettant une activité sociale particulière (Urbain, 2008 ; Amirou, 2012).

Le voyage apparaît aussi comme ce qui est compris entre deux moments de sédentarisation (Viard, cité par Michel, 2004  ; Urbain, 2008) ; un voyageur revient pour repartir :

[…] il suffit que je regarde sur un globe terrestre ces innombrables régions où je ne suis jamais allé, pour que me saisisse à nouveau ce violent désir, inverse de la nostalgie, pour lequel notre langue n’a pas de nom […] ; je voyage moins depuis quelque temps, […] surtout j’ai besoin de digérer d’anciens voyages, je n’en suis pas encore tout à fait revenu, je n’en reviendrai jamais complètement, il s’agit pour moi de trouver un modus vivendi avec eux par le moyen de l’écriture, avant de pouvoir repartir vraiment ; c’est donc pour voyager que je voyage moins. (Butor, 1972, p. 4)

Le voyage apparaît alors comme un moment qui s’intercale, avec une densité qui lui est propre, entre deux plages de quotidienneté, elles-mêmes pleines de divers lieux, moments, relations et occupations.

15 J.-D. Urbain considère tous les cas de figure, y compris les voyages à l’intérieur du sol national.

Le déplacement géographique ouvre peut-être sur une mise en rythme différente du temps qui passe, du temps calendaire, sur des activités spécifiques.

Le voyage est une expérience qui relève d’un entre-deux spatio-temporel et d’une étendue entre deux étendues spatio-spatio-temporelles. Les possibilités de déplacement sont donc multiples.

3.1.5.2 Le voyage à l’étranger comme moment de socialisation Il convient d’examiner comment le voyage s’apparente à un moment de socialisation spécifique.

Pour P. Berger et T. Luckmann (2006), « tout processus postérieur qui permet d’incorporer un individu déjà socialisé dans des nouveaux secteurs du monde objectif de sa société » (p. 225) est une socialisation secondaire.

En se déplaçant, tout individu est obligé de – du moins incité à – rendre actif un nouveau processus d’intériorisation d’une autre réalité. C’est ce qui se passe a priori dans toute expérience sociale de mobilité qui de plus est encadrée. Pour d’autres auteurs, il existerait une catégorie spécifique de socialisation chez les jeunes adultes : « […] Louis Chauvel a proposé d’introduire le concept de socialisation transitionnelle pour rendre compte de la zone interstitielle entre socialisation primaire et socialisation secondaire. Cette période, qui correspond approximativement à la fin de la jeunesse (18–25 ans), se caractérise par la fin de la scolarité, le départ de chez les parents, et la recherche d’une autonomie financière, le plus souvent par insertion sur le marché du travail » (Trémoulinas, 2008, p. 2).

Nous utilisons cette notion de « socialisation transitionnelle » avec toutes les précautions d’usage, sachant que L.  Chauvel lui donne une signification en contexte dans le champ d’une « sociologie des générations » (Chauvel, 2003, note 5, 11), la pose comme étant « concentrée dans le temps » (ibid., p. 37) et la construit sur une approche quantitative.

Pourtant, nous notons que d’autres auteurs s’y intéressent aussi dans le champ du biographique, comme J.-L. Legrand :

Le sociologue se doit aussi de s’interroger, de manière très concrète, sur les lieux et les temps de ces socialisations en mouvement. Où et quand se gèrent ces transitions ? En quoi les modifications sont dans la logique de l’ancienne structure sociale ou dans celle de l’apparition d’une nouvelle  ? […] on peut penser qu’il y a, pour faire face au changement, un travail à la fois psychologique et social qui s’opère dans des lieux spécifiques. Autrement dit des espaces transitionnels de socialisation. Nous entendons par là des

groupes restreints ou plus larges, qui de manière transitoire favorisent une socialisation de leurs membres, quand bien même le but du groupe est ailleurs.

Certes il y a bien des lieux qui directement se donnent un tel objectif : je pense aux séminaires de formation permanente, aux multiples stages d’insertion ou d’orientation, […] etc. Mais, souvent de manière paradoxale, il existe des lieux ayant une fonction socialisatrice non affichée, dont le but, l’activité, l’orientation sont ailleurs […]. (Legrand, 1989, pp. 1–2)

C’est à partir de ces éléments (soulignés par nous) et développés sommairement dans les lignes qui suivent que nous pensons pouvoir enclencher la réflexion sur le séjour de mobilité comme lieu et temps de socialisation transitionnelle.

En effet, c’est à deux moments que la socialisation par l’internationalisation fonctionne  :  en amont, comme par procuration, avec des applications pratiques de politique éducative nationale (cursus, offres de mobilité, etc.) et, pendant, avec l’adaptation (Murphy-Lejeune, 1993, cité par Thamin, 2007) à celles de l’établissement d’accueil.

Dans le second volet en particulier, l’individu qui se déplace doit prendre l’initiative d’ajustements sociaux, endosse le rôle d’individu qui expérimente, qui « [développe] des stratégies propres où [il redéfinit] des espaces d’entre-deux » (Kohler, Lallemand et Lepez, 2008, p. 139), qui apprend « par corps » :

Les modalités d’apprentissage par le biais du séjour à l’étranger ont un caractère autre de l’apprentissage institutionnalisé. Le séjour contextualise l’apprentissage de la langue et de la culture d’accueil en tant que pratique sociale ; il met en marche un nouveau processus de socialisation ; il constitue une expérience totale qui marque profondément l’individu et enfin il est soumis à plusieurs rituels de passage (passage physique, social, symbolique et professionnel) qui le rapproche d’autres situations de mobilité sociale (le déménagement, l’internat ou le service militaire). (Murphy-Lejeune, 1998) La condition d’étranger, vécue par l’étudiant Erasmus, est « active » dans la société d’accueil. Autrement dit, l’étudiant joue un rôle bien déterminé et ce qu’il doit apprendre se superpose sur son apprentissage social préalable : il lui faut découvrir le «  jonglage  » avec les éléments déjà présents dans sa biographie personnelle et ceux qu’il découvre dans la société cible. (Dervin, 2004, p. 3)16

16 Il s’agit ici de la pagination du document PDF.

Bien que l’analyse de F. Dervin porte sur des séjours longs, nous pensons qu’elle peut aussi s’appliquer à des séjours courts, voire ultra-courts.

3.1.5.3 Le voyage à l’étranger à but diplomatique : l’exemple japonais

Les caractéristiques du voyage que nous appelons « diplomatique » et que nous dégageons ici dans le cadre de la société japonaise, s’appuient, en première ou seconde main, sur des documents de type historique :

‒ le voyage à l’étranger, dans son aspect déplacement d’un lieu à un autre, semble vécu comme difficile, comme une épreuve à surmonter, comme une aventure  ; ce ne sont pas des sinécures : « Le danger des voyages était grand et presque chaque ambassade perdit l’un ou l’autre des bateaux  » (Hérail, 1986, p. 76), est-il noté par l’historienne à propos des ambassades avec la Chine au VIIIe  siècle, par exemple. Peu de choses semblent changer ensuite : à propos d’un voyage effectué quelques siècles plus tard, Donald Keene note que « Kume Kunitake […] does not mention the seasickness that was so prominent a feature of other accounts of Japanese crossing the Pacific, but we know from other sources that many in the mission were indeed seasick  » (Keene, 1998, p. 90).

Notons que :

‒ s’il est possible de connaître un certain nombre de voyages, c’est parce qu’il en existe des traces documentaires : beaucoup correspondent en fait à des missions officielles d’autorités gouvernantes ou religieuses.

Autrement dit, les voyageurs, qui ont été sélectionnés pour leurs compétences, se déplacent avec l’aval de personnes haut classées dans leur société d’origine ;

‒ les objectifs donnés à ces missions relèvent non seulement du domaine de la représentation officielle « étatique », et éventuellement de celui du commerce, mais aussi toujours de celui de l’étude. Partir à l’étranger signifie en revenir avec de nouvelles connaissances.

Cette « tradition » viatique s’observe aussi bien pour des époques anciennes (cf. Herail, 1986, p. 62) que pour l’époque plus récente qui suit la fin de la fermeture du Japon (cf. Keene, 1998, p. 42).

Ces voyageurs appartiennent à une élite académique à qui incombe au retour une mission de transmission de savoirs.

3.1.5.4 Le voyage à l’étranger à but touristique : l’exemple japonais Bien évidemment, les voyages que peuvent effectuer les Japonais à l’étranger ne se limitent pas aux voyages de type « diplomatique ». Au début des années 1980, l’Europe a comme « découvert » le personnage du touriste japonais que de nombreux dessinateurs se sont empressés de caricaturer alors que les débuts du tourisme japonais en Europe et de discours sur la France, Paris et les Français sont bien plus anciens, datant de la période du Second Empire17. Ce phénomène qui reste concentré alors sur la capitale, considérée comme « ville fleur »18 (Himeta, 2006, p.  32), s’inscrit aussi en contraste avec celle de Londres en particulier (Hancock, 2003  ; Bernard, 2001) Ses premiers visiteurs la perçoivent comme un émerveillement («  Fuchibe obviously enjoyed his stay in Europe, especially in Paris. He not only went sightseeing but also enjoyed the amenities of life there […] » (Keene, 1998, p. 59)). Nous pensons qu’ils ont profité de discours en vogue sur Paris circulant alors dans les milieux bourgeois aisés occidentaux et se les sont en réalité appropriés (cf.

Keene, 2003, p. 65).

Parallèlement, comme ailleurs, l’augmentation du nombre de

«  touristes  » suit les évolutions de la société en général  :  croissance économique et développement d’infrastructures et des moyens de transport, sociétés de services afférents comme par exemple au Japon, le

« Japan Tourist Bureau » créé en 1912, présence d’une classe moyenne qui a accès à du temps libre (société de consommation et de loisirs et massification de la demande) (Wang, 2005)… Ces éléments ne profitent pas qu’aux voyages à l’étranger mais aussi aux voyages intérieurs qui se développent en parallèle. Pourtant, pour que les premiers deviennent un marché conséquent, il y manque encore une condition : l’autorisation donnée par le politique aux déplacements hors du pays, autrement dit la libéralisation des voyages. C’est chose faite le 1er avril 1964. Jusque-là, les déplacements à l’étranger étaient soumis à autorisation et dans les faits réservés en priorité aux diplomates, aux industriels, à des étudiants, à des chercheurs et à une élite fortunée. La France est un pays à qui profitent les mesures politiques : en quinze ans, de 1965 à 1980, le nombre de

17 Cf. Étiemble, R. (1974). « Le Japon des Jésuites et des philosophes », dans Inalco (dir.), Le Japon et la France. Images d’une découverte. Paris : Publications orientalistes de France, coll. « Les sept climats », pp. 11–20.

18 Cette chercheuse a adopté la transcription « ville fleurs » mais nous lui préférons la version au singulier.

voyageurs japonais dans l’Hexagone passe de 7 467 individus à 145 339 (Himeta, 2006, p. 68).

Yan Wang (2005, p. 69) rappelle aussi que le type de demande pour les voyages à l’étranger varie suivant les périodes : d’abord « individuelle », elle est devenue « de groupe » et après l’éclatement de la bulle financière et le succès de la formule précédente, elle s’est « personnalisée ». Ainsi, à partir du moment où le voyage à l’étranger devient un bien de consommation courant et perd de sa rareté, de nouvelles formules le concernant apparaissent pour compenser la perte en profits de « distinction ».

3.1.6 Les éléments structurants de la situation d’expérience

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