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Les formes moyennes : l’expérience comme accumulation recherchée

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LA SITUATION D’EXPÉRIENCE DE MOBILITÉ DANS SES DIFFÉRENTES RÉALISATIONS

3.2 Les diverses formes de l’expérience de mobilité académique internationaleacadémique internationale

3.2.2 Les formes moyennes : l’expérience comme accumulation recherchée

Les formes intermédiaires ne peuvent être dégagées qu’a posteriori.

Nous en abordons ici trois  :  le dépaysement, le voyage comme herméneutique et les apprentissages dans leur globalité. Les formes intermédiaires de l’expérience de mobilité académique internationale relèvent soit d’un fait arrivant à l’improviste et qui rencontre une prise en compte particulière de l’individu soit d’une volonté de celui-ci de dépasser le simple niveau d’accumulation de connaissances par les apports automatiques de l’expérience ou bien parce que cela se fait. Elles se différencieraient des formes faibles par le surgissement sous une forme ou une autre d’« une quête de sens (sens de l’objet, sens de l’expérience pour soi) et de connaissances, qui s’illustre (dans l’idéal) par une ferveur et une vénération d’objets, de signes ou de réalisations humaines susceptibles de nous faire découvrir ou de nous transporter dans une autre dimension de nous-mêmes » (Amirou, 2000a, p. 12).

3.2.2.1 Le dépaysement

V.  Cicchelli (2008) caractérise la période de mobilité académique internationale comme de « liminarité sociale et d’étrangement cognitif et émotionnel » (p. 146). L’un ou l’autre de ces termes pourraient-ils servir à catégoriser une forme intermédiaire d’expérience de mobilité académique internationale, de préférence courte, et vécue par des acteurs sociaux jeunes ? Après examen, il nous semble que celui de « dépaysement » soit plus approprié. En effet, c’est parce que le dépaysement résulte, comme état, d’un déplacement d’un cadre spatio-temporel, cognitif, psycho-affectif à un autre et qu’il ne peut être éprouvé que par un individu en propre mais mis en mots pour une restitution à d’autres qu’il nous semble adéquat pour exprimer une des formes intermédiaires prises par l’expérience de mobilité académique internationale courte (et moins courte). Le terme se rencontre fréquemment chez les chercheurs s’intéressant à la mobilité mais sans que son potentiel sémantique soit exploité (Papatsiba, 2003 ; Anquetil, 2006 ; etc.) sauf exception (De Gourcy, 2007).

Le Centre Nationale de Recherches textuelles et Lexicales en propose trois significations. C’est d’abord «  un changement de pays26, un changement de lieu », puis « un changement volontaire de mode de vie, d’occupations, d’habitudes » et le « désarroi d’une personne placée dans un cadre inhabituel, un milieu inconnu, une situation inattendue »27. Une certaine vision négative semble se dégager de la troisième signification.

Un détour par le Dictionnaire de l’Académie française (neuvième édition) indique cependant que « le dépaysement » n’implique pas obligatoirement un malaise d’ordre psychologique, comme le suggère le contenu du dernier exemple proposé : « XVIe siècle. Dérivé de dépayser. Le fait de dépayser, de se dépayser ; l’état qui en résulte. Ne s’emploie guère qu’au figuré. Changement d’horizon, d’atmosphère. Chercher le dépaysement en lisant des récits de voyage28. »

Le dépaysement apparaît alors associé à l’idée d’un choix a priori raisonné de déplacement spatial. Mais cette condition ne se vérifie pas toujours et il peut être motivé par des motifs moins réfléchis voire contradictoires quand le dépaysement est entendu comme la manifestation intérieure consécutive à un déplacement. Toutefois, dans ce cas, ce dernier n’est plus restreint à une dimension spatiale. Il intègre aussi celle liée à l’imaginaire. Cette notion peut être définie de la manière générale suivante :

L’imaginaire a sa source dans la pensée. Il est constitué de toutes les représentations que les humains se sont faites de la nature et de l’origine de l’univers qui les entoure et des êtres qui l’habitent. L’imaginaire, c’est d’abord un monde idéel, le monde des représentations. Et comme toute représentation est en même temps le produit d’une interprétation de ce qu’elle représente, l’imaginaire, c’est l’ensemble des interprétations que l’humanité a inventé pour s’expliquer l’ordre ou le désordre qui règne dans l’univers et pour en tirer des conséquences pour la manière dont les humains

26 Le « pays » compris dans le « dépaysement » ne commence pas seulement au-delà de frontières nationales et modernes mais renvoie aussi à celui plus ancien de « petit pays », de territoire restreint, l’espace vécu de référence de l’individu qui en parle, son espace significatif (Roger, 1994) (qui n’est pas obligatoirement d’un seul tenant).

Ainsi, dans les mobilités de dépaysement, ni la distance parcourue ni la durée du déplacement, ni son nombre, ni la période où il s’effectue, ne peuvent être considérés comme des normes définies à l’avance et sur lesquelles il serait possible de s’appuyer pour les catégoriser).

27 <http://www.cnrtl.fr/definition/depaysement>.

28 <http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/depaysement>.

doivent organiser leur vie sociale. Le domaine de l’imaginaire est donc un monde réel mais composé de réalités idéelles, de réalités mentales (images, idées, jugements, raisonnements, etc.) qui, tant qu’elles restent à l’intérieur de la pensée des individus, restent inconnues de ceux qui les entourent et ne peuvent donc être partagées par eux et agir sur leur existence. (Godelier, 2006, pp. 590–592)29

Plus spécifiquement, dans le cas du tourisme, R. Amirou le définit, à la suite de D. W. Winnicott, « comme [un] espace potentiel » organisé autour de « trois dimensions » : « un exotisme dans l’espace et le temps »,

« une relation aux autres » et « une relation à soi » (Amirou, 2000, p. 61).

Il précise ailleurs que le tourisme serait un « objet transitionnel », car il estime qu’« il existe une aire intermédiaire entre l’exotique et l’endotique, entre l’ici et l’ailleurs  » qui serait «  le lieu symbolique ou l’imaginaire touristique s’installe et colore nos pratiques de voyage les plus anodines ».

Elle serait une «  aire intermédiaire d’expérience  » (Amirou, 2012, p. 281)30.

L’imaginaire du tourisme ou plus largement du voyage apparaît alors comme la cause nécessaire au dépaysement. Certaines des dimensions de celui-ci semblent se confondre avec le premier, car il peut être appréhendé comme «  une situation expérimentale  » (Rosental, 1990, p.  1403)

« créatrice pour l’individu d’un différentiel spatial » (ibid.).

La mobilité produit (et est le produit d’) une situation de non-coïncidence, de disjonction d’abord et par définition entre deux espaces, qui provoque par ricochet une dynamique, voire éventuellement une tension, entre différentes dimensions constitutives d’un individu. Cet état constitue le dépaysement : « La mise à distance entre lieu du quotidien et lieu touristique est donc la condition de l’attrait qu’exerce celui-ci ; elle assure le différentiel spatial nécessaire au dépaysement, lequel est une des

29 Notons que pour ce chercheur «  imaginaire  » et «  symbolique  » se différencient.

Le second serait : « l’ensemble des moyens par lesquels des réalités idéelles revêtent des formes et des matières qui les rendent communicables et leur permettent d’agir non seulement sur les rapports déjà existants entre les individus et les groupes qui composent une société mais aussi les rendent susceptibles de produire entre eux de nouveaux rapports. Le domaine du symbolique est donc fait de la multitude des moyens par lesquels des réalités à l’origine idéelles et imaginaires s’incorporent dans un support d’existence sensibles qui les rendent visibles et communicables  » (Godelier, 2006, p. 591).

30 Notons que R.  Amirou n’établit pas de distinction entre «  imaginaire  » et

« symbolique » à la manière tranchée de M. Godelier.

modalités de la recréation que tout le monde a pu éprouver » (Knafou, 2012, p. 16).

Mais nous posons que si le dépaysement peut être « donné », il peut être aussi recherché sous l’effet d’un travail de l’imaginaire. Envisagé comme processus et non pas seulement comme résultat, le dépaysement en train de se faire oblige à arrêter son regard sur l’environnement dans lequel on se trouve, à faire naître une prise de conscience et à tenter de mettre des mots sur ce qui est observé, vécu, ressenti en l’opposant à ce qui est de l’ordre du connu avec d’autres, pour d’autres.

3.2.2.2 Le voyage comme herméneutique et comme formation de soi Antérieure ou postérieure à l’expérience de dépaysement, suivant les individus, l’expérience du voyage peut se complexifier au-delà du simple déplacement géographique ou touristique :

– acquérant des dimensions symboliques : « La signification mythique du voyage symboliserait l’interdit, la transgression, la révolte face à un ordre établi. Le symbolisme du voyage répondrait dans l’absolu à une quête de la vérité : boire à la source de la connaissance et se laver des scories de l’illusion humaine et des apories de l’existence humaine » (Fernandez, 2001, p. 2).

– devenant un temps initiatique (Fernandez, 2001, p. 3 ; Jimenez, 2010, pp. 8–10), un temps de passage (Christin, 2000, p. 120 sq. ; Amirou, 2000c, p. 70).

Dans cette perspective, la forme de l’expérience devient soit un moment de (re)centration sur soi, où la présence de l’autre n’est pas souhaitée (Amirou, 2008), soit au contraire un moment permettant de se trouver soi à la rencontre de l’autre. Dans le cas où l’individu prime (Christin, 2000  ; Michel, 2004  ; Fernandez, 2002), «  une nouvelle réalité se fait jour en fonction d’une émotion et d’un ressenti personnel » (Fernandez, 2002, p.  82)31. Les titres des chapitres et des sous-parties proposées par ce chercheur apparaissent éclairants ; ils mettent en relief la dimension personnelle du voyage mais aussi ses traits d’intensité moyenne, sauf pour le dernier d’entre eux, qui suggère le basculement dans une autre dimension expérientielle : « toucher, sentir, voir, écouter, goûter  » (p.  84  sq.)  ; «  bricoler le quotidien » (p.  99  sq.) qui s’ouvre

31 Le contraire est tout aussi bien possible… Cf. Urbain (2008, pp. 348–386).

sur « apprivoiser la réalité » (pp. 99–101) ; « de l’initiation » (p. 157) ;

« rupture et quête de soi » (p. 165), etc.

Cette perspective rappelle que le voyage est aussi formation pour soi et de soi (Christin, 2000). Son expérience s’apparente donc à une

«  herméneutique de soi  » (Amirou, 2000c, p.  67). Cette dimension apparaît très exploitée dans la recherche littéraire, surtout lorsqu’elle se focalise sur le XIXe siècle (Gannier, 2001 ; Berty, 2001).

Les déplacements actuels vers un ailleurs «  lointain  », même pour agrément, laisse entrapercevoir la forme d’une nouvelle Bildung (Moretti, (sans date), p. 18 ; Cicchelli, 2008, p. 140 sqq.). Sur ce point, la notion de « voyage » rejoint le champ du biographique via l’emprunt à la notion de Bildung (Delory-Momberger, 2004b, 2009a). Cette dernière se trouve relativement peu sollicitée par la DLC :

Bildung peut en effet se traduire par culture, mais désigne surtout un processus de formation culturelle de la personne par la pratique, l’expérience de la culture par la rencontre, le dialogue. Il s’agit, selon le modèle promu pas l’idéalisme allemand, de la formation culturelle par l’expérience de l’altérité, l’ouverture au monde qui dans un mouvement dialectique amène le sujet à atteindre l’universel (l’Esprit) pour se découvrir dans le mouvement inverse de retour sur soi. (Anquetil, 2006, pp. 15–16)

3.2.2.3 Un moment pour les apprentissages et pour l’accumulation de ressources

Les possibilités d’apprentissage trouvent directement leur source dans

« le voyage » même. Les notations se rapportant aux visites touristiques sont reconnues comme partie intégrante du séjour par les étudiants en situation de mobilité (Papatsiba, 2003, pp.  86–87) ou exploitées par l’institution (Gohard-Radenkovic et Kohler-Bally, 2005, pp. 256–257 ; Anquetil, 2006, pp. 254–255 ; Gerber 2012, pp. 326–327). En général, le voyage vaut mieux que le tourisme (Urbain, [1991] 2002 ; Boyer, 1999).

Ainsi, le premier des cinq niveaux et sept items de catégorisation des séjours de mobilité proposée par Lilli Engle et John Engle est dénommé

« study tour », soit une version améliorée du séjour touristique : « For many students, such tours constitute a first international exposure or, for those previously traveled, an experience of greater intellectual and aesthetic density than that offered by simple tourism  » (Engle et Engle, 2003, pp.  10–11). Dans un premier temps, la dimension «  apprentissages  » d’un tel séjour semble atténuée au profit de la découverte. Toutefois, ces

chercheurs écartent ensuite la dimension viatique des séjours, peut-être parce que le voyage du XXIe siècle, malgré les apparences, n’est pas un temps de récréation : il est aussi un temps pour « accomplir son devoir de vacances “culturelles” » (Amirou, 2000a, p. 139).

Concrètement, que sont ces apprentissages ?

Un peu paradoxalement au premier abord, le fait linguistique dans l’expérience de mobilité, le fait linguistique comme expérience de la mobilité, le fait linguistique comme événement dans l’expérience de mobilité, apparaissent assez peu documentés. Autant le « choc culturel » est théorisé, reconnu dans des expériences ou remis en question, autant il ne semble pas exister de « choc linguistique » qui se déploierait sur un continuum similaire au choc culturel. La raison en vient de ce que le fait linguistique

« brut » n’a pas d’existence propre dans le champ de la DLC : « Apprendre une langue, n’est-ce pas aussi en apprendre sa culture et ses codifications ? » (Kohler-Bally, 2001, p. 48). Le fait linguistique est obligatoirement couplé à une interprétation socio-culturelle de sa production et de son usage en situation d’interaction, et lui est quasiment subordonné (cf. par exemple Gohard-Radenkovic, 2004). Cette subordination paraît renforcée dans un contexte mobilitaire, et ce d’autant plus que le séjour est court : « Le signe distinctif de l’expérience à l’étranger est la discontinuité socio-culturelle à laquelle s’ajoute une discontinuité linguistique » (Thamin, 2007, p. 75).

À la manière des pièces d’un puzzle qu’on assemblerait, il est toutefois possible de reconnaître quelques formes moyennes qui nous semblent significatives dans une série de travaux très divers. Chacune souligne un axe possible de réflexion à approfondir dans un contexte d’expérience de mobilité académique internationale. Leur point commun est de partir du postulat que les apprentissages linguistiques se déroulent dans une situation exolingue, c’est-à-dire que, dans le cadre de cette dernière, sont mis en présence, dans ou en dehors de la classe, des locuteurs, dont les échanges se caractérisent par une asymétrie fondamentale : d’un côté, un

« apprenant » cherchant à améliorer ses compétences dans une langue étrangère32, de l’autre un locuteur, enseignant ou non, pensé comme

« expert », car « natif » de cette langue. À ceci s’ajoute le fait que la pratique

32 Il n’est cependant pas impossible que le statut de cet apprenant change le temps d’un exercice et qu’il devienne un apprenant-expert : Mathis, N. (2012). « Quand deux apprenantes font appel au chinois en classe de FLE  :  intercompréhension, plurilinguisme et construction identitaire en atelier d’écriture plurielle  », Actes colloque de didactique des langues, Université Stendhal Grenoble 3, 21–23 juin 2012.

d’une langue relève aussi d’un imaginaire sur elle et sur ceux qui la parlent (Meunier, 2010) et qui, lorsqu’ils produisent des « effets de réduction de la distance » sont qualifiés de « cruciaux pour l’apprentissage » (Castellotti, Coste et Moore, 2005, p. 107), l’inverse étant tout aussi important. Ces postures d’apprenants sont déjà en elles-mêmes des éléments facilitateurs ou handicapants lors du franchissement des frontières (Cain, 1994). Il y aurait « trois profils » d’apprenants adultes face à une langue variant suivant les situations : « un point de vue descriptif, caractérisant l’objet langue », « un point de vue d’usager » ou « un point de vue d’apprenant » (Castellotti, Coste et Moore, 2005 : pp. 110–111). Ce qui caractérise ces trois points de vue, c’est, au final, le grand degré d’affectivité auquel ils renvoient.

À côté du fait linguistique qui est perçu comme objectif à atteindre, et par l’expérience de mobilité encadrée à l’étranger comme occasion de développement de ressources, via des mises en place de stratégies de la part de l’individu, se rencontre un second versant de l’ensemble des apprentissages, celui des faits culturels ou interculturels.

3.2.3 Les formes intenses : l’expérience comme

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