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Les formes intenses : l’expérience comme événement unique

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LA SITUATION D’EXPÉRIENCE DE MOBILITÉ DANS SES DIFFÉRENTES RÉALISATIONS

3.2 Les diverses formes de l’expérience de mobilité académique internationaleacadémique internationale

3.2.3 Les formes intenses : l’expérience comme événement unique

Il convient d’envisager un troisième degré dans les formes d’expérience de mobilité, qui se caractérise non plus par l’accumulation mais par une rupture. Cette rupture, c’est l’événement. Dans une situation d’expérience de mobilité, sa nature est diverse. En nous appuyant sur la notion d’événement, nous essayons de dégager les différents éléments dont elle se compose. Au contraire des formes faibles et moyennes, les formes intenses focalisent sur les relations et les liens existant, se créant ou se délitant entre soi et les autres. Elles relèvent souvent du registre de l’émotionnel, et quelquefois de celui de la prise de conscience.

Intercompréhension  :  compétences plurielles, corpus, intégration  <http://ic2012.u-grenoble3.fr/OpenConf/papers/56.pdf>.

3.2.3.1 L’événement ou la rupture du quotidien et de l’ordinaire intriqués

Nous appuyant sur le travail de F. Dosse, nous reprendrons le principe d’une distinction entre « fait/acte » et « événement » telle qu’il la propose à partir de la réflexion phénoménologique de C. Romano :

Romano distingue deux types d’événements : d’une part les événements non assignables à un support ontique qu’il dénomme «  faits intra-mondains  » du type  :  il pleut, l’éclair, l’arrivée d’un train en gare…

autant d’événements qui n’arrivent à personne en particulier. D’autre part, il y a les événements assignables à titre personnel, «  dont le sujet d’assignation est univoquement déterminable  ». Il importe alors que l’événement en question intervienne pour quelqu’un, l’advenant. Cette distinction fonde une différence de nature entre l’événement et le fait.

Autant le fait renvoie à la chose objectivable, autant l’événement au sens événemential est « toujours adressé, de sorte que celui à qui il advient est impliqué lui-même dans ce qui lui arrive ». Il résulte de cette conception que l’événement ne peut jamais être pleinement objectivé, car il ne se prête qu’à une observation partielle et partiale, impliquant celui qui le comprend dans l’acte même de la compréhension. […] [La] réalité de l’événement est indissociable de son interprétation. (Dosse, 2010, p. 90) Il y a donc entre un fait « objectivé » et celui qui devient événement, l’écart d’une observation, d’une implication et d’une interprétation.

Il nous paraît alors possible d’envisager la multitude de faits comme pouvant se confondre avec un quotidien. Or l’événement s’y observe dans des situations qui en relèvent parce que celui-ci n’est rien sans son opposé dialectique. A. Ciccarelli se demande d’ailleurs s’il n’est pas « plus facile de définir a contrario le quotidien en exposant ce qu’il n’est pas » (Ciccarelli, 2004, p. 72). Ce quelque chose qui n’est pas le quotidien mais qui ne peut surgir que de lui (Ciccarelli, 2004, p. 72 ; Boisset, 2006, p. 17 ; Lalive d’Épinay, 1983b, p. 17), Mireille Prestini-Christophe le compare à la trace de la pliure d’une feuille en deux (Prestini-Christophe, 2006, pp. 87–88). Il est ce qui devient remarquable, « ce qui se produit, avec une idée d’“effet”, de “suite”, de “résultat” » (Boisset, 2006, p. 17), il est

« l’événement », « ce qui vient rompre le quotidien. Mais il s’agit là d’une rupture qui procède à partir du quotidien même, car c’est à l’intérieur du quotidien que l’événement se produit, il ne le brise pas définitivement, il le perturbe, le suspend. L’événement introduit de la dynamique dans le cadre statique du quotidien, il crée une tension, une torsion » (Ciccarelli, 2004, p. 73).

La lecture de son surgissement (Alexandre et al., 2004, p. 11) se fait en général suivant deux axes : contingence et unicité. Par ailleurs, Alain Bensa et Éric Fassin insistent sur le fait que « ce n’est pas seulement dans le rapport au temps qu’avec l’événement les sciences sociales retrouvent d’abord l’expérience des acteurs  :  c’est l’action elle-même qui doit prendre place dans l’analyse (Bazin, 2000) » (Bensa et Fassin, 2002, non paginé). Et de renchérir : « L’action qui fait advenir l’événement fend le glacis des routines » (ibid.). Autrement dit, si l’événement peut être provoqué par le quotidien lui-même et « conçu comme le résultat tout au moins partiel d’un travail, c’est-à-dire d’un ensemble de pratiques consciemment finalisées » (Lalive d’Épinay, 1983b, p. 27), il peut être poursuivi, « être quelque chose d’extérieur vers quoi l’on tend » (ibid., p. 27) et non pas seulement redouté comme un « risque » concret (ibid., p. 28) ou philosophique (Crespi, 1983) : l’événement est donc synonyme de dynamique.

Nous pouvons dès lors considérer qu’il se retrouve potentiellement inscrit dans toutes les facettes d’une expérience de mobilité académique internationale.

3.2.3.2 Les conditions de surgissement de l’événement

Intrinsèquement, le déplacement à l’étranger s’inscrit en faux par rapport au principe d’un monde prédonné, celui où la pratique d’un individu à un moment M ressemble à la restitution au monde d’une disposition ou de plusieurs dispositions incorporées d’un habitus donné ou de plusieurs habitus donnés, ce monde où « […] il suffit pour cela de se situer dans “l’activité réelle comme telle”, c’est-à-dire dans le rapport pratique au monde, cette présence pré-occupée et active au monde par où le monde impose sa présence, avec ses urgences, ses choses à faire ou à dire, ses choses faites pour être dites, qui commandent directement les gestes ou les paroles sans jamais se déployer comme un spectacle » (Bourdieu, 1980, p. 87).

Le changement de centre du système de coordonnées, le passage de l’ici à l’ailleurs, crée quasi inévitablement une oscillation des pratiques.

Le cours des choses, que P. Bourdieu décrit comme le courant d’un fleuve tranquille de répétitions de gestes et de paroles, de rites, est rompu : « [les rites] peuvent n’avoir à proprement parler ni sens ni fonction, sinon la fonction qu’implique leur existence même, et le sens objectivement inscrit dans la logique des gestes ou des paroles que l’on fait ou dit “pour

dire ou faire quelque chose” (lorsqu’il n’y a “rien d’autre à faire”) ou plus exactement dans les structures génératives dont ces gestes ou ces mots sont le produit – ou, cas limite, dans l’espace orienté où ils s’accomplissent » (ibid., p. 36).

Le déplacement spatial produit ainsi quelquefois un différentiel de nature cognitive. P. Berger et T. Luckmann estiment que « dans la mesure où je me déplace d’une réalité à l’autre, je ressens la transition comme une forme de choc. Ce choc doit être compris comme le résultat du changement d’attention que la transition implique », car « la réalité de la vie quotidienne apparaît elle-même objectivée, c’est-à-dire constituée d’un ensemble ordonné d’objets qui ont été désignés comme tels avant même que j’apparaisse sur la scène  » (Berger et Luckmann, 2006, pp. 72–73).

Le différentiel cognitif s’ouvre sur un différentiel de nature sociale : la capacité à disposer dans mon « ici et maintenant », mon quotidien, grâce à ce stock social de connaissances d’une « “localisation” des individus dans la société » et de pouvoir leur administrer un « “traitement” approprié » (Berger et Luckmann, 2006, p.  99), de comprendre ce qui assure la position d’un individu dans la société.

Une prise de conscience aiguë de ces différentiels permet la venue de l’événement pour un individu au cœur d’une expérience de mobilité.

3.2.3.3 Le voyage comme mise en danger de soi, comme rupture de liens sociaux

L’approche phénoménologique de l’expérience viatique voit dans l’étymologie du terme voyage autant que dans celui d’Erfahrung l’idée d’une «  traversée, ce qui suppose une distance intervallaire et un franchissement, de soi à soi par lequel seulement nous pouvons accueillir ce qui nous advient, en nous advenant à nous-mêmes comme autre » (Romano, [1998] 1999, p.  195) et celle de «  péril  » (ibid., p.  196).

Ainsi «  l’idée d’expérience comme traversée se sépare mal, au niveau étymologique et sémantique, de celle de risque. L’expérience est au départ, et fondamentalement sans doute une mise en danger » (Munier, cité par Romano, [1998] 1999, p. 196).

D’autres chercheurs analysent le voyage comme un moment de quête qui peut être double, quête de soi et/ou quête d’authenticité :

Dans l’épreuve voyageuse se joue un désir d’authenticité du vécu. Le voyageur recherche l’immédiateté conférée par l’exotisme, une présence de l’espace affirmée par la rupture d’avec cet ordinaire où l’on ne remarque plus rien, tant il se donne à travers le filtre des représentations acquises et du déjà-vu. En cela, le voyage se veut expérience authentique d’une réalité exotique, un contact fondé sur le mouvement physique tout autant que sur ses retentissements sur la conscience. (Christin, 2000, p. 26)

É. Le Breton décrit aussi le processus de socialisation spécialement en jeu dans l’expérience de mobilité viatique de jeunes comme double et fonctionnant à partir d’un moment de rupture. La rupture est à la fois un renoncement à un processus de socialisation « donné d’avance », donc une « mise en danger » d’un soi social, et en même temps par la réalisation de ce moment de rupture, qui a une fin programmée d’avance, un temps de socialisation différent, par des expériences et des rencontres diverses, des mises à l’épreuve de soi.

L’expérience de mobilité par le voyage peut se lire à la fois comme un temps de socialisation par dépouillement et comme un temps de socialisation par cristallisation autour de principes fondamentaux :

Puisque les logiques de l’identité sont relationnelles, rompre le lien d’intégration, c’est indissociablement rompre avec soi. Le voyage relève alors du sacrifice d’une partie, d’une image de soi-même et s’accompagne de la perte, au moins ponctuelle, du confort de l’appartenance et de l’identité bien établies. S’émanciper des collectifs d’appartenance entraîne la privation de son identité, le temps qu’une autre émerge. Ce type de mobilité est organisé autour d’une (relative) « mise en risque » de soi, consciente et volontaire. (Le Breton, 2004, p. 89)

Cette ambivalence existant aussi dans l’expérience de mobilité académique internationale se retrouve à notre avis dans le choix fait par Elisabeth Murphy (1993, cité par Thamin, 2007) et repris par Nathalie Thamin (2007), par exemple, d’attribuer au capital de mobilité une composante dite «  expérience d’adaptation  », à savoir

«  toute expérience au cours de laquelle le jeune a vécu une transition entre deux mondes différents et a été contraint à s’adapter à un nouvel environnement : déplacement à l’étranger ou expérience dans son propre pays (mobilité interne) » (Thamin, 2007, p. 75)33.

33 Les termes sont soulignés par nous.

3.2.3.4 L’événement émotionnel

Le caractère imprévisible de l’événement fait que «  [peut-être] ne peut-on le caractériser d’emblée que comme ce à quoi on ne s’attend pas, ce qui sur-vient et vient ainsi sur nous par surprise, ce qui nous « tombe dessus », l’accident au sens propre » (Dosse, citant F. Dastur, dans Dosse, 2010, p. 131)34, autrement dit, il vaut aussi pour sa nature émotionnelle, qui « n’est pas cet enduit mièvre dont on recouvre bien des choses : elle est une des composantes de l’intelligence, celle qui appréhende ce qui survient à l’intérieur d’une nébuleuse rationnelle où les affects tiennent place » (Farge, 2002, p. 72). F. Dosse reprend cette perspective et considère que l’événement est « indissociable de sa charge émotive, de ses impacts sur les corps […]. Les modes de perception, d’appropriation des événements par les individus ne renvoient pas seulement à leur intelligibilité mais à leurs affects, aux multiples sentiments possibles entre la passion, l’effroi ou l’indifférence avec laquelle les acteurs peuvent réagir à ce qui leur arrive » (Dosse, 2010, p. 135).

Ainsi, il est possible d’affirmer qu’« [un] événement ne peut être qu’un événement pour quelqu’un » (Dosse, 2010, p. 91) et par conséquent, en même temps, que « [ce] qui est événement pour les uns peut ne pas l’être pour les autres » (ibid., p. 173). L’événement est a priori singulier. Dans cette perspective, son surgissement dans un contexte d’apprentissage linguistique en séjour de mobilité est alors relativement courant.

3.2.3.5 La langue des autres comme événement d’apprentissage négatif

Nous établissons un lien entre événement et apprentissages linguistiques en nous appuyant sur le fait que, quelle que soit l’origine géographique et culturelle de la cohorte examinée, les chercheurs qui décrivent les seconds, effectués en situation de mobilité académique, utilisent tous le lexique relevant de la difficulté, du choc, de l’épreuve.

Il y a, dans le déroulement de l’apprentissage in vivo (Gohard-Radenkovic, 2004, p. 198), un moment initial dans les apprentissages via

34 C. Romano note aussi qu’« [événement] au sens “propre” puisque, étymologiquement,

“événement” vient du latin evenire, qui ne signifie pas seulement “arriver”, “se produire”, “se réaliser”, “s’accomplir”, mais également “échoir” alicui, à quelqu’un » (Romano, [1998] 1999, pp. 44–45).

des interactions réelles avec des natifs en contexte homoglotte qui relève de la prise de conscience d’un décalage et de lacunes :

La découverte du milieu d’accueil ne s’effectue pas sans difficultés : découvrir autre chose que l’image figée et stéréotypée avec laquelle l’apprenant est arrivé, déconstruire pour reconstruire un monde au moyen de la langue-cible. Parler la langue dans le pays d’accueil, c’est découvrir qu’il faut intégrer les registres d’une langue qui n’a plus rien à voir avec la représentation d’un apprentissage fondé sur le dictionnaire et les règles fixes d’une grammaire acceptable […]. Tous ces aspects de la nouvelle réalité dans laquelle l’étudiant mobile va se trouver immergé, participent au sentiment de sa déstabilisation.

(Kohler-Bally, 2001, p. 50)

Au mieux, la rencontre avec cette réalité oblige à des stratégies de réassurance, au pire elle peut se transformer en sentiment d’insuffisance personnelle :

La difficulté de communiquer en français avec le co-locuteur provoque une réaction perceptuelle d’étonnement. Donc, l’attitude métacognitive exprimée est très affective et traduit l’incompétence d’action située dans le contexte de la communication en français. […] dans ces situations, la prise de position est très subjective et les émotions exprimées sont pour la plupart négatives.

Or, ce qui varie, c’est la prise de position face à l’incapacité actionnelle. Pour certains, c’est une difficulté surmontable […]. Pour d’autres, l’expérience suscite une émotion difficile à gérer. Plusieurs scripteurs évoquent le stress, la «  timidité  » ou même la «  peur  » […]. Face à cette prise de position émotionnelle, les apprenants sont obligés de trouver des stratégies et des moyens langagiers pour s’en sortir dans les situations de communication en français et également ils sont tenus de gérer leurs émotions. (Johansson, 2010, p. 41)

Dans l’apprentissage linguistique en contexte mobilitaire, c’est aussi la prise de conscience que l’interlocuteur existe aussi sous la figure de

« l’altérité de l’autre », de sa diversité dans les interactions au quotidien, de sa versatilité dans l’humeur, de sa non-coïncidence avec un schéma pré-pensé. Tous ces aspects provoquent quelquefois des malaises comme le relate l’exemple suivant qui a trait à la perception des Parisiens par des Brésiliens en situation d’expérience de mobilité :

[…] dans la majorité des cas, le décalage entre la connaissance livresque ou le français soutenu qu’ils ont étudié au Brésil et le français usuel, provoque un choc linguistique. La difficulté à comprendre et à se faire comprendre, par les commerçants, les guichetiers, les garçons de café est très déstabilisante.

L’impatience de ces interlocuteurs pressés qui font répéter et témoignent

d’une certaine agressivité est source de souffrance. Avec les Parisiens, les relations sont dures. La réaction première de défiance, voire d’hostilité face à celui qu’ils identifient par son accent comme étranger, va changer avec le dévoilement de la nationalité : les Brésiliens jouissent d’une image positive entretenue par les stéréotypes associés au football, à Copacabana, au Carnaval, à la samba, etc. Le manque de cordialité ou même de civilité dans les rapports entre les Français, surprend les arrivants et les choquent parfois.

La réalité ne correspond pas à la vision romantique ou « glamour » de la France et des Français. (Muñoz, 2010, pp. 53–54)

3.2.3.6 La langue des autres comme événement d’apprentissage positif

Cette période de turbulences se calmant, l’étudiant peut accéder à une nouvelle image de lui, à un nouveau profil de lui en tant que locuteur plurilingue : « L’étudiant en séjour d’études à l’étranger découvre sa triple identité linguistique : “locuteur natif de sa langue d’origine, apprenant de la langue d’accueil et bilingue” » (Kohler-Bally, 2001, p. 50). Ce passage et cette mobilité dans la représentation de soi parlant sont facilités par les échanges avec « des pairs », d’autres étudiants en situations d’apprentissages linguistiques mobilitaires (« formelles ou informelles » (ibid., p. 81)) : « Cette égalité de statut devant la langue seconde va participer au développement de stratégies de collaboration entre les interlocuteurs ; ces stratégies se mettent ainsi en place à l’intérieur de ce qui apparaît comme un nouveau réseau d’amitiés par le partage d’une expérience et d’une langue communes » (ibid., p. 81).

Dans ce cas de figure analysé par P.  Kohler-Bally, l’expérience d’apprentissage linguistique sert à deux choses  :  d’une part, elle s’inscrit intimement dans le vécu biographique, d’autre part elle favorise un processus de socialisation dans la mobilité, même si celle-ci se fait à l’intérieur d’une communauté limitée en nombre.

3.2.3.7 Le surgissement de sentiments d’appartenances identitaires collectives

Une situation de mobilité peut déstabiliser un individu en le détachant pour une période plus ou moins longue de l’environnement où il a ses marques  :  «  La migration35 entraîne le relâchement ou la rupture de

35 Le terme est à prendre ici comme un équivalent de mobilité internationale dans quelque cas que ce soit : volontaire ou non.

certains liens sociaux affectifs et professionnels et la perte de repères géographiques, sociaux, culturels » (Guilbert, 2005, p. 6).

Il semblerait alors que le travail d’identification se manifeste d’autant plus fortement que l’environnement dans lequel se meut un individu lui paraît instable. Ce processus serait conscientisé36, et il est analysé comme relevant de la notion d’«  appartenance  », terme qui «  est régulièrement employé comme un substitut synonyme de celui d’identité, consciemment ou non, par de nombreux auteurs lorsqu’il s’agit d’identité collective […] » (Ferréol et Jucquois, 2003, p. 19).

L’introduction de cette notion déplace automatiquement le niveau de discussion dans le champ des sentiments, de la dimension affective37  :  l’appartenance est assimilée à un processus «  [impliquant]

une identification personnelle par référence au groupe (identité sociale), des attaches affectives, l’adoption de ses valeurs, de ses normes, de ses habitudes, le sentiment de solidarité avec ceux qui en font partie, leur considération sympathique » (Mucchielli, 1980, p. 99, cité par Guilbert, 2005, p. 6)38.

L’absence de repères serait compensée par l’activation d’un sentiment d’appartenance à un groupe, à une nation. C’est en rapport avec ce genre de contexte que l’affirmation suivante de J.-C. Kaufmann doit être comprise  :  «  L’identité est ce qui ferme le sens, et crée les conditions de l’action » (Kaufmann, 2006, p. 586). Ainsi, le processus identitaire

36 « À la limite la culture peut aller sans conscience identitaire, tandis que les stratégies identitaires peuvent manipuler et même modifier une culture qui n’aura alors plus grand-chose en commun avec ce qu’elle était auparavant. La culture relève en partie de processus inconscients. L’identité, elle renvoie à une norme d’appartenance, nécessairement consciente, car fondée sur des oppositions symboliques  » (Cuche, [1996] 2004, p. 82) (souligné par nous).

37 La description qui suit rejoint sur le fond d’autres manières d’appréhender les définitions identitaires en sociologie qui privilégient aussi le sentiment comme mesure du phénomène identitaire : « Sur le plan sociologique, l’identité d’un individu ou d’un groupe est constituée par l’ensemble des caractéristiques et représentations qui font que cet individu ou ce groupe se perçoit en tant qu’entité spécifique et qu’il est perçu comme tel par les autres » (Alpe et al., 2007, p. 147). Dans la perspective décrite ici, c’est le sentiment (« se percevoir ») de la possession d’une singularité qui fonde la capacité d’un individu ou d’un groupe à parler comme si cette image de soi, pas forcément « construite sur du vent », valait comme réalité et comme vérité absolue et intemporelle (c’est nous qui soulignons).

38 Souligné par nous.

renverrait bien à une dynamique, celle-ci « [n’existant] que par le sentiment que l’on en a » ou bien comme « expérience vécue par l’individu » (Ferréol et Jucquois, [2003] 2004, p. 19). L. Guilbert propose même de « définir le sentiment d’appartenance comme l’émotion de se considérer comme partie intégrante d’une famille, d’un groupe ou d’un réseau » (Guilbert, 2005, pp. 6–7).

Par ailleurs, les différentiels dont il a été question précédemment peuvent provoquer des prises de conscience, des moments de réflexivité intenses mais il n’en reste pas moins qu’« une réflexivité totale et permanente est strictement impossible » sous peine de voir «  la vie [devenir] un enfer d’interrogations sans fin ruinant la capacité d’agir  » (Kaufmann, 2006, p. 586 ; cf. aussi Kaufmann, 2004, p. 173 sqq.). Un je a besoin de stabilité, de « fermeture ». Ego n’étant pas toujours un héros, « plus les questions se

Par ailleurs, les différentiels dont il a été question précédemment peuvent provoquer des prises de conscience, des moments de réflexivité intenses mais il n’en reste pas moins qu’« une réflexivité totale et permanente est strictement impossible » sous peine de voir «  la vie [devenir] un enfer d’interrogations sans fin ruinant la capacité d’agir  » (Kaufmann, 2006, p. 586 ; cf. aussi Kaufmann, 2004, p. 173 sqq.). Un je a besoin de stabilité, de « fermeture ». Ego n’étant pas toujours un héros, « plus les questions se

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