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Considérations préliminaires

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D’ÉCRITURE ET MATÉRIAU NARRATIF

4.1 Considérations préliminaires

À quelles conditions nous est-il possible de restituer «  la réalité  » qui nous entoure, quand cette réalité-là même est appréhendée comme une construction « sociale » permanente (Berger et Luckmann, 2006) ? Quelles formes prennent les matérialisations d’un fragment de vie, d’une expérience vécue de mobilité académique internationale, autrement dit sa restitution ?

Dans une situation de mise en mots, quatre lieux de non-coïncidence entre expériences vécues et expériences restituées, cumulatives, accumulées ou uniques, directes ou indirectes, se dégagent  :  la première concerne la langue et les mises en représentation qu’elle implique ; la deuxième rappelle que différentes temporalités sont sollicitées ; la troisième pose la question du passage vu/vécu/ressenti aux mots, et éventuellement de celui de l’oral à l’écrit ; le quatrième de la différence scripteur/lecteur.

Abandonnant le domaine de l’image qui n’est que « représentation du réel » (Barthes, 1964 ; Bourdieu, 1965 ; Arabayan, 2000 ; Augé, Didi-Huberman et Eco, 2011 ; Alvir, 2013 ; etc.)2, la question des conditions de la restitution d’une expérience demeure car la langue aussi est posée comme « représentation du réel », et ce à double titre : dans le mouvement du signifiant au signifié3 et dans la structuration de la réalité sociale, qui s’ensuit, pour et par une communauté linguistique donnée4. À en croire certains linguistes, la mise en mots de la réalité la structurerait déjà : « La langue d’une société humaine donnée organise l’expérience des membres de cette société et par conséquent façonne son monde et sa réalité  » (hypothèse Sapir-Whorf).

La béance ouverte entre « une réalité » donnée (non pas qu’elle soit un « déjà-là » mais plutôt un vécu) et sa restitution s’amplifie lorsque l’expérience à restituer l’a été dans le cadre d’une mobilité académique internationale alors que, justement, elle est souvent appréhendée et

2 Arabayan, M.  (2000). Lire l’image. Émission, réception, interprétation des messages visuels. Paris  :  L’Harmattan  ; Augé, M., Didi-Huberman, G.  et Eco, U.  (2011).

L’expérience des images. Bry-sur-Marne  :  INA Éditions, coll. «  Les entretiens de MédiaMorphoses » ; Barthes, R. (1964). « Rhétorique de l’image », Communications, n° 4, pp. 40–51.

3 Il n’est pas de notre ressort de pénétrer plus avant dans les chemins ouverts par ce principe qui peut aussi être lu comme essentialisant.

4 Il s’agit ici d’une communauté idéale.

souhaitée, à tort ou à raison, comme distanciation d’avec un quotidien (Balandier, 1983) et que les instruments langagiers pour dire cette situation sont peut-être inadaptés, décalés (Lenclud, 1995  ; Bonoli, 2008). Les recherches spécifiques menées dans le champ de la DLC posent la question de l’ignorance ou du moins d’une méconnaissance par l’apprenant de « la » réalité sociale dans laquelle il vit (Byram, Zarate et Neuner, 1997, p. 19). Elles explorent aussi des entre-deux d’ensembles nationaux via la notion de « représentation sociale »5 qui vient troubler encore un peu plus la relation d’accès à un vécu.

À la non-coïncidence langagière entre chose vécue et chose restituée s’ajoute le décalage de la temporalité  :  temps du vécu et temps de la restitution sont distincts. Cette dernière fonctionne sur le mode du différé, en faisant appel à la mémoire. Elle se situe d’abord, en tant que vécu brut, hors champ. C’est le temps de l’appréhension (superficielle ou approfondie) d’une certaine situation « hors quotidien » (dans une durée pouvant varier, volontaire ou provoquée, avec ou non intégration d’autrui dans l’approche), suivant des modalités propres à chaque individu, et en même temps partagées en commun avec d’autres (cette configuration lui conférant une identité collective via certains liens affectifs, certains objets, un imaginaire, des temporalités spécifiques, des discours, etc.).

Dans un deuxième temps, il y a restitution de l’expérience de mobilité de manière quasi automatique comme si la raconter était consubstantiel au retour (Christin, 2000, pp. 18–19 ; Urbain, 2008). La « mise en mots » se fait tentative de « transmission » de ce moment vécu à un ou plusieurs individus de sa communauté d’appartenance identitaire (revendiquée, attribuée, reconnue, etc.), de sa communauté d’appartenance linguistique, donc aussi culturelle. Cependant, il ne peut pas y avoir de coïncidence entre les modes d’expérience et de (re)formulation de celle-ci. En effet, il faut convertir « le vu » en « dit » (Laplantine, [1996] 2005, p. 10) : or tout visible est-il repérable ? Tout visible est-il dicible ? Et à quelles conditions ? Dans le travail ethnologique, il y a nécessité de vigilance à au moins deux niveaux : au niveau de « l’attention du chercheur » et au niveau de l’usage

5 Développée par S.  Moscovici au début des années 1960, retravaillée ensuite par un certain nombre de chercheurs en psychologie sociale dont J.-C. Abric ([1994]

2008) et utilisée par des didacticiens tels M. Byram, G. Neuner, L. Porcher (1994), G.  Zarate (1986, 1995 et Les représentations en didactique des langues et cultures.

Paris  :  Didier Érudition, coll. «  Notions en questions  », 1997, non consulté) en Europe ou M. Himeta au Japon (2005).

du langage (ibid., p. 10). Voir n’est pas naturel, donc par conséquent pas non plus un acte anodin : « Nous sommes tous en effet tributaires des conventions de notre époque, de notre culture et de notre milieu social, qui à notre insu, nous désigne : 1° ce qu’il faut regarder, 2° comment il faut regarder » (ibid., p. 14). De plus, quoi qu’il arrive, la restitution va se faire sur un mode fragmentaire.

Reste la différence entre une restitution d’expérience par oral ou par écrit. Il n’y pas de coïncidence parfaite entre les figures de l’orateur et du scripteur et de l’auditeur et du lecteur. Le rapport de l’orateur à l’auditeur, au-delà de sa dimension physique prenante, se construit sur le mode de la proximité6  :  la parole dite est aussitôt captée, créant le lien entre individus7. De même, dans le cas d’entretiens biographiques, le chercheur peut intervenir à tout moment s’il le souhaite : suivant son protocole de recueil d’entretiens, suivant son besoin de précisions, etc.

Entre le scripteur et le lecteur, rien de tout cela8. Les relations se jouent sur le mode de la distance, et sur la quasi-impossibilité pour le lecteur de faire part de ses pensées, de ses réactions, de ses questions à la lecture du récit d’expérience fait par le scripteur.

La prise de conscience de ces non-coïncidences doit orienter l’accès aux restitutions d’expérience de mobilité courte qui se déploient dans un cadre où coexistent deux niveaux d’approche du phénomène de restitution : l’approche discursivo-textuelle9, c’est-à-dire une focalisation

6 Bien entendu, les nouvelles technologies permettent à l’orateur et à l’auditeur de ne pas être systématiquement en présence. Dans ce cas, les relations entre orateur et auditeur se trouvent rapprochées de celles du scripteur et du lecteur.

7 Malgré le sentiment d’une situation un peu idéalisée du retour du voyageur, les termes « attraction » et « cercle » tentent de rendre la particularité de cette relation en présence : « Nous avons tous constaté déjà le phénomène d’attraction qui se crée autour d’un voyageur qui revient ; un cercle se constitue, qu’il soit cercle de lectures, d’audiences attentives ou admirations passionnées. Un rêve se tisse et unit le voyageur à un public, c’est ce dernier qui socialement le consacre à son retour, et c’est à ce niveau-ci qu’on peut parler pour partie de la socialité du récit de voyage » (Christin, 2000, pp. 18–19).

8 Rappelons que nous ne prenons pas en compte ici les clavardages.

9 En nous appuyant, dans un premier temps, sur la lecture des entrées des termes texte, discours, séquence, genre dans des dictionnaires de disciplines (Charaudeau et Maingueneau, 2002 ; Mesure et Savidan, 2006 ; Maingueneau, [1996] 2009 ; Ferréol, 2010), puis sur la consultation d’articles ou d’ouvrages de spécialistes de la question (Adam, 2001a, 2001b, 2005, 2006 ; Bishop, 2010 ; Bronckart, 2006 ; Cislaru et Sitri, 2009 ; Guillemette et Lévesque, 2006 ; Halté, 1988 ; Rastier, 2005 ; Rastier et Pincemin, 1999 ; Ricœur, 1983~1985, 2000), sur celle de sites d’articles

sur le matériau référentiel en lui-même, système de production cohérent et organisé suivant des règles, ou comme expression d’une relation au monde social d’appartenance, c’est-à-dire expression d’une position dans un champ à un moment donné ; l’approche typologisante et générique10, c’est-à-dire une focalisation sur des options de structures reproductibles, en partie parce que transmissibles (configuration narrative, arrangements descriptifs, formats, etc.).

4.2 La restitution de l’expérience de mobilité entre

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