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Les formes faibles : l’accumulation automatique .1 L’inscription spatiale de l’ici et de l’ailleurs

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LA SITUATION D’EXPÉRIENCE DE MOBILITÉ DANS SES DIFFÉRENTES RÉALISATIONS

3.2 Les diverses formes de l’expérience de mobilité académique internationaleacadémique internationale

3.2.1 Les formes faibles : l’accumulation automatique .1 L’inscription spatiale de l’ici et de l’ailleurs

L’expérience de mobilité académique internationale pose la question du positionnement géographique d’un individu de manière extrêmement concrète car «  [il] est évident qu’une locomotion, quelle qu’elle soit, transforme tout le système du “monde à ma portée” ; en déplaçant mon corps, je déplace le centre de mon système de coordonnées, et cela suffit à changer toutes les positions (coordonnées) relevant de ce système » (Schütz, [1971/1987] 2008, p. 122).

Celui qui se déplace est toujours dans l’espace du « hic », et il ne lui semble pas que cet espace ressortisse encore de l’ordinaire. Il oppose l’agir dans l’ici, c’est-à-dire évoluer dans des environnements incorporés par des pratiques quotidiennes et des paysages visuels, sonores familiers, à l’agir dans le second, l’ailleurs, qui implique le contraire. Entre ces deux instances spatiales existerait une coupure ontologique.

Pourtant, les choses sont beaucoup plus complexes  :  ici et ailleurs sont pensés à partir d’un point unique d’observation où le premier terme est lié intimement au locuteur pour les raisons évoquées ci-dessus et à partir duquel s’ouvre une ligne de fuite débouchant sur le second. Ici et ailleurs, dialectiquement unis, suggèrent la distance. D’un strict point de vue linguistique, le déplacement de l’individu vers l’ailleurs devrait transformer celui-ci en un ici et vice-versa. Mais l’ici d’origine devient-il un ailleurs dans une perspective de mobilité académique ? Et l’ailleurs devient-il un ici ?

En effet, ce nouveau « centre de système de coordonnées » a d’abord été « une anticipation du futur ». Il a été « à portée » « à travers une idéalisation » (Schütz, [1971/1987] 2008, p. 123). De l’ici à l’ailleurs, il y a donc tout à la fois une différence matérielle et imaginée. D’ailleurs, si

21 Entrée « expert » : <http://www.cnrtl.fr/definition/expert>.

ce qui sépare les deux éléments du couple éloignement/proximité ou non-familiarité/familiarité s’exprime en termes de « distance » ou d’« écart », alors il est possible de se déplacer par glissement entre ces deux pôles (Jullien, 2012). Ainsi, l’ailleurs n’est peut-être qu’une projection imaginée d’une portion de l’ici. Ils peuvent donc aussi s’inscrire dans une perspective de continuité lorsqu’il y a déplacement dans les cas de situations de mobilités internationales académiques. Pour l’individu qui se déplace, l’ailleurs est peut-être moins différent qu’il ne le voudrait. Par contre, il est certain que la dimension spatiale sert le jeu des stratégies et des appartenances identitaires (Di Méo, 2004).

3.2.1.2 Le voyage comme projection

Le voyage prend forme avant de « se mettre en chemin »22, avant de prendre la route, au sens propre (Michel, 2004) ou au sens figuré. Il n’existe que par la possibilité d’une alternative entre deux « mondes » : c’est de ce mouvement temporel de balancier entre « déplacement » et « installation » que surgit «  l’idée du voyage  », ou «  voyage imaginé  » (Boyer, 1999, p. 167). Pour J.-D. Urbain, cette idée-là peut être assimilée au projet :

Le nomade, qui naît et meurt dans la mobilité, qui vit dans la mobilité comme on respire, dont le voyage est sans début ni fin, n’est pas un voyageur ; pas plus, me semble-t-il, qu’un sédentaire qui n’aurait pas l’idée de l’ailleurs et l’envie (le projet) de s’y rendre un jour ou, au contraire, casanier volontaire, de n’y aller jamais, ne serait véritablement un sédentaire. L’un et l’autre, ce nomade et ce sédentaire, sont dans des univers homogènes, des mondes sans contre-mondes, sans alternative ou sans contraire ; or c’est de cette alternative, de ce contraire, vagabondage du séjour dans l’ailleurs s’opposant à la mobilité ou à l’installation dans l’ici, que le voyage naît, c’est-à-dire son concept – son idée. On peut circuler ou se déplacer et ne pas voyager. L’important est donc dans l’idée, c’est-à-dire le projet. (Urbain, 2001, p. 6)

Ce chercheur insiste ailleurs sur la nécessité de l’existence d’un désir de voyage pour voyager, pour sauter le pas, se déplacer. Cette approche permet, dans un autre contexte, à R. Christin de déclarer que « le voyage est un “fait d’imagination” » mais « pas un vecteur d’illusions situé aux antipodes du “réel” » (Christin, 2000, p. 11). Le voyage est quelque chose qui doit être saisi « dans [un] entrelacement » entre « imaginaire », « réel »

22 Ce qui correspond au sens originel de « voyage ». Cf. étymologie « voyage » : <http://

www.cnrtl.fr/etymologie/voyage>.

et « vécu » » (ibid., p. 11). Cette description contient en germe la notion de dépaysement.

Il convient de rappeler alors que l’avant voyage, ou l’amont du voyage, se matérialise dans une série d’actions de programmation (Urbain, 2008, pp. 164–235), car le voyage a ses rituels (Michel, 2011, p. 11 sqq.), et dans des objets tels les guides de voyage (Urbain, [1999] 2002, p. 117 ; Urbain, 2008, pp.  266–268)23. L’écrit et l’écriture, l’écrit et la lecture sont indissociables du voyage dès cette étape (Courant, 2012). Mais il ne s’agit pas seulement de livres : G. Fontaines inclut, dans ces objets de la première étape, « le bagage », dont le matériau, la forme, la taille évoluent, et « l’habit ».

3.2.1.3 Le voyage comme réalisation

Il est difficile de dégager les caractéristiques du déroulement du voyage ou « voyage vécu » (Boyer, 1999, p. 168) car elles dépendent finalement de sa nature première : est-il seulement d’agrément et équivalent d’un moment touristique  ? Est-il à vocation académique  ? Aurait-il une inspiration spirituelle  ? Correspondrait-il à un moment d’expatriation professionnelle ?

Pour s’en tenir aux deux premiers cas qui concernent la mobilité académique courte – le « study tour » (Engle et Engle, 2003, p. 10) –, notons que des objectifs à réaliser sont assignés au déplacement. La réflexion à partir du tourisme menée par R.  Amirou (1995, 2000a, 2000b, 2000c, 2012) par exemple, qui pense ce phénomène comme

«  un fait social total au sens du sociologue Marcel Mauss  » (Amirou, 2000a, p.  44), débouche sur l’idée que des vacances peuvent être qualifiées de « réussies » si elles sont « laborieuses, actives, harassantes, productives, culturelles  » (Amirou, 2000b, p.  18). Par ailleurs, son analyse de l’imaginaire culturel lié au tourisme le mène à rapprocher le temps du voyage d’un temps d’apprentissage (Brougère, 2012 ; Brougère et Fabbiano, p.  2014) didactique  :  «  Les attentes et (les dimensions) d’éducation, d’apprentissage, de délectation, d’initiation et de gains intellectuels ou spirituels constituent les composantes principales de la pérégrination à visée culturelle. Une visée pédagogique émerge aussi

23 Par ailleurs, le guide constitue un matériau textuel particulier (cf. Adam, 2001b, p. 11).

[…]. L’École, à savoir la dimension d’apprentissage, reste aussi un point d’ancrage de l’imaginaire culturel et touristique » (Amirou, 2000a, p. 12).

Rappelons encore que cette deuxième étape du temps du voyage trouve à s’incarner dans une série d’objets  :  les souvenirs qui sont achetés, les photos qui sont prises, les épisodes qui sont sélectionnés (en prévision des rencontres qui se produiront au retour avec les membres d’un réseau de sociabilité). Le voyage comme réalisation apparaît alors comme un moment d’accumulation de biens matériels (les objets du voyage) mais aussi immatériels, des connaissances et des savoirs (souvent bruts et décontextualisés), des «  expériences  », donc un moment de constitution d’un capital spécifiquement lié au déplacement dans l’ailleurs.

3.2.1.4 Le voyage comme mise en récit

Toutefois, après être parti et avoir fait l’expérience de soi et des autres, d’un autre quotidien vécu comme extraordinaire, le voyage n’est pas encore fini : c’est « le voyage prolongé » (Boyer, 1999, p. 169) dans une troisième étape, le retour, qui constitue d’ailleurs pour la plupart des chercheurs en sociologie, ethnologie, anthropologie, l’essence même du voyage. Pour le dire autrement, le retour fait le voyage : « Déplacements avec terme double : l’aller et le retour. Ici le terme d’arrivée coïncide avec le terme de départ. On est vraiment fixé. On part mais on laisse ses possessions, ses attaches, on conserve des droits. Il est bien entendu depuis le début qu’on va revenir » (Butor, 1972, p. 10). Mieux : M. Augé soupçonne même quelques écrivains du XIXe siècle d’être partis pour le simple fait de pouvoir revenir et d’en tirer profit : « Lorsque Chateaubriand rédige la première préface de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, il se défend d’avoir fait son voyage “pour l’écrire”, mais reconnaît qu’il voulait y chercher des images pour Les Martyrs. […] Certains auteurs sont plus francs et plus directs pour dire que l’enjeu du voyage, c’est le retour et le récit qui peut être fait du voyage passé » (Augé, 1999, p. 12).

S’intéresser aux écrivains permet à ce chercheur de mettre en lumière la temporalité dans laquelle ces derniers se placent et de dégager des analogies avec ses contemporains :

[…] l’écrivain-voyageur vit déjà au futur antérieur : ce qui l’attire dans le voyage, c’est le récit qu’il pourra en faire plus tard, récit qui s’ordonne autour de quelques images emblématiques semblables aux « instantanés » de nos albums de photos ou de nos boîtes de diapositives.

Le futur antérieur : telle serait donc la perspective commune à l’écrivain et au touriste, une sorte de précipitation qui les conduirait à vivre au plus vite pour revivre plus lentement, plus savoureusement. (Augé, 1999, p. 13)

Certes, il établit ensuite des différences entre l’écrivain et le touriste à partir de leur rapport au récit ou à l’image mais il les rapproche à nouveau dans le sens qu’ils peuvent donner au voyage et qui passe par la mise en place d’« un récit qui a besoin d’auditeurs. Ce récit permet une recomposition du passé qui est aussi une recomposition de celui, celle ou ceux qui l’ont vécu : c’est une affirmation de soi qui passe par la parole » (Augé, 1999, p. 15). R. Amirou, de son côté, note aussi « l’importance de l’écrit dans le voyage (journaux intimes, cartes postales, lettres, mémoires, récits de voyage) » (Amirou, 2012, p. 132) et souligne que « la relation à l’écrit (lecture ou écriture) est suffisamment répandue parmi les touristes pour ne pas représenter un caractère collectif » (ibid., pp. 132–133).

À côté du récit24 se placent tous les objets dont il a été question dans la deuxième étape. Pour J.-D. Urbain, leur absence peut être vécue comme un «  drame  », comme le «  comble de l’invalidation de l’expérience  » car le voyage devient alors «  sans traces  » et donc «  condamné […] à l’inexistence » (Urbain, 2008, p. 399). La valeur des objets rapportés ne tient pas à leur coût réel mais à leur dimension symbolique : « C’est un butin sans lequel manque toujours quelque chose au voyage pour être réellement réussi, puisque cet objet, relique parmi d’autres empreintes relevées et ramenées (cartes postales, cendriers volés ou tampons de douane), plus qu’un vestige, qu’un document ou un vénérable résidu probatoire de l’expérience destinés à la mémoriser, fait exister un voyage… » (ibid., p. 399).

Ce chercheur attribue à ces objets25 la capacité de signifier «  une résistance symbolique à l’effacement social du moi voyageur » (Urbain, [1991] 2002, p. 332). Pour Rachid Amirou, ils participent à la nécessaire célébration de « rites de souvenances » (Amirou, 2012, p. 175). À travers un certain nombre d’éléments finis et limités (le programme effectué, les événements réellement vécus, les objets rapportés, etc.), le voyage, dont on pourrait penser qu’il est terminé, ne l’est en fait jamais totalement, tant que la mémoire le convoque. Tous les éléments en rapport peuvent

24 Pour les formes, contenus, fonctions des productions écrites issues du voyage, voir ci-après.

25 Il faut entendre ici la chose au sens large puisque le bronzage même y est inclus.

être continuellement réagencés de manière nouvelle afin de produire de nouveaux effets. En particulier, le voyage se prolonge grâce aux mises en mots de l’individu qui l’a vécu.

3.2.2 Les formes moyennes : l’expérience comme

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