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Le quotidien et l’ordinaire « intriqués »

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LA SITUATION D’EXPÉRIENCE DE MOBILITÉ DANS SES DIFFÉRENTES RÉALISATIONS

3.1 Les éléments structurants de la situation d’expérience de mobilité académique d’expérience de mobilité académique

3.1.4 Le quotidien et l’ordinaire « intriqués »

Ce qu’É. Le Breton désigne par « territoires connus » doit être entendu dans un sens plus large que le strict sens spatial, qui peut aussi être concentré en un ici. Ce qu’il faut considérer dans cette expression, c’est son extension phénoménologique, c’est-à-dire l’existence d’un « monde à ma portée » (Schütz, [1971/1987] 2008, p. 122 ; Bégout, 2010). Or ce monde à ma portée tire ses caractéristiques d’un « rythme [de] régularités, [de] cycles, [de] répétitions » (Balandier, 1983, p. 13). Ces dernières s’inscrivent dans un « jour banal [qui] obéit à un partage du temps relativement stable » (ibid.). « […] [Dans] la sphère naturelle : je puis continuer à agir comme

je l’ai fait jusqu’à présent et je puis encore et toujours recommencer la même action sous les mêmes conditions », renchérit A. Schütz pour sa part (Schütz, [1971/1987] 2008, pp. 122–123).

3.1.4.1 Caractéristiques du quotidien et de l’ordinaire

Ici se double d’équivalents d’ordre temporel et d’ordre actionnel, quotidien et ordinaire, qui manifestent un rapport ambigu au temps.

En eux-mêmes, ils ne peuvent le représenter directement. Le temps ne surgit dans l’ordinaire et le quotidien qu’à travers un ensemble d’activités, d’actions, de pratiques, effectuées par tel ou tel individu en interrelation avec tels ou tels autres dans tel ou tel lieu, qui est rejoint, parcouru, investi (Certeau, Giard et Mayol, 1990, 1994). Du point de vue de la sociologie,

« le temps et l’espace entités constituées par les pratiques sociales » en représentent «  des révélateurs de la totalité  » (Lalive d’Épinay, 1983b, p. 22). Du point de vue de la phénoménologie, l’ordinaire et le quotidien se distinguent comme émanations particulières dans le temps cosmique et dans le temps calendaire (Ricœur, 1985) sous forme d’une scansion en faits, en mouvements et en dires. L’ordinaire est « ce qui ne s’écarte pas de l’usage, de la règle, de l’ordre commun ; ce qui arrive ou se fait habituellement »10, il relève de l’habitude, du familier, de ce qui se fait, se dit, se voit, etc., sans qu’on le remarque comme étant spécifiquement dit, fait, vu, etc. (Bégout, 2010). Il peut être l’écrin de l’habitus (Bourdieu, 1980, pp. 88–89). Le quotidien qui « s’oppose à rêve, idéal, imaginaire, fantastique » rappelle « ce qui appartient à la vie de tous les jours ; [la]

réalité de tous les jours  », la «  vie, [l’]activité, [les] tâches de tous les jours »11 : il renvoie à la régularité, à la répétitivité. Ordinaire et quotidien forment le substrat du temps vécu (Ricœur, 1985).

3.1.4.2 Le quotidien et l’ordinaire comme scansion spatio-temporelle

À première vue, quotidien et ordinaire fonctionnent sur le mode de la non-rupture, de la continuité en ce qui concerne leur dimension temporelle et sur un sentiment de proximité en ce qui concerne la socio-spatialité, ce que Brice Bégout repère sous la forme d’une incorporation régulière de l’étrangeté par familiarisation (Bégout, 2010, p.  29), les

10 <http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/ordinaire/substantif>.

11 <http://www.cnrtl.fr/definition/quotidien/substantif>.

réseaux relationnels, et ce quel que soit l’emplacement géographique où ils se matérialisent.

Pourtant, à l’intérieur de ces deux dimensions, il semblerait que nous puissions y lire des marques de différenciation d’intensité. Pour un observateur extérieur, certaines plages horaires, certains espaces s’y marquent en plein, d’autres en creux :

Au cours de tout essai d’identification du quotidien, ce qui s’impose d’abord à l’attention, c’est la dispersion des espaces où il se trouve en jeu. (Balandier, 1983, p. 11)

Nous vivons dans une société dispersée, c’est-à-dire que les activités quotidiennes, les appartenances sociales et les dimensions de l’identité des individus sont localisées dans des territoires distants les uns des autres.

Cette fragmentation est observable dans la vie de tous les jours. (Le Breton, 2004, p. 5)

Mais, pour celui qui expérimente ces occupations différées d’un territoire, la perception de la fragmentation du quotidien, la perception de l’entre-deux qui correspond à la fois à l’étendue géographique et au temps du déplacement, peuvent être solidifiées, assimilées à un espace plein, ou mises entre parenthèses et comme effacées de la conscience de manière à rétablir une cohérence au niveau de l’individu :

Dans la société dispersée, les individus ont une identité territoriale fragmentée mais ils parviennent néanmoins à se construire dans une identité sociale globalement cohérente. (Le Breton, 2004, p. 5)

Michel Maffesoli attire l’attention sur le fait que la quotidienneté n’est pas qu’une relation au temps, elle est toujours aussi une relation à l’espace, ce qui permet d’affirmer que la proximité est véritablement la dimension spatiale du quotidien. Le marchand de journaux, le trajet pour aller travailler, le parc où l’on va se promener… l’ensemble de ces lieux ordinaires dessinent un territoire du quotidien pour tout un chacun. (Ciccarelli, 2004, pp. 74–75) G. Balandier remarque en outre que les conditions d’occupation d’un espace influent sur les manières de s’y sentir relié et sur celles de l’investir physiquement, affectivement, émotionnellement :

Depuis les espaces les plus privés (le chez-soi), les espaces les plus électifs (l’entre-soi), jusqu’aux espaces les plus ouverts et/ou les plus contraignants (les lieux publics, les lieux où s’effectue une activité collective régulière). Le

sujet individuel n’est situé en chacun d’eux ni de la même manière ni avec la même durée de présence quotidienne. Les deux premiers espaces mentionnés sont ceux qui, généralement, suscitent son insertion la plus intense en termes d’adhésion volontaire et d’initiative. Ce qui conduit logiquement, en prenant ce point de vue de l’insertion individuelle, à différencier un centre et une périphérie du quotidien.

Le centre se définit comme lieu des relations de forte intensité, quotidiennement vécues ou de grande fréquence, à caractère privé et électif prédominant. Ce sont celles établies durablement avec les « proches » : par le lien familial, le voisinage, l’amitié, l’affiliation, la camaraderie. Elles sont évidemment personnelles, directes, en interaction régulière; par nature, elles sont peu ouvertes ou fermées. (Balandier, 1983, pp. 11–12)

Le quotidien, l’ordinaire apparaissent donc comme des ensembles qui se cristallisent en plein ou en creux suivant leur degré de maillage avec un réseau humain privilégié, « les relations », dont chacun des représentants entretient des liens uniques avec celui qui construit/a construit son monde à sa portée. Ainsi, de points en points familiers, le quotidien favorise les sentiments d’ancrage. Par opposition, la périphérie définie par G. Balandier (1983), c’est-à-dire les lieux, faits, gestes non habituels, renvoie à l’idée d’une non-stabilité. De ce fait, ce chercheur attribue encore deux dimensions au quotidien  :  une «  fonction sécurisante  » (p. 12) via « une routinisation » de pratiques et une fonction mémorielle (p. 13).

3.1.4.3 Le quotidien et l’ordinaire orientés

Ce quotidien est alors souvent vu comme présentant des qualités et transformé en une donnée axiologique. Il devient par exemple :

la vie quotidienne dans toute sa grisaille et dans son aspect le plus banal.

(M. Mafessoli, cité par Ciccarelli, 2004, p. 74)12

[Le quotidien se trouve] au croisement des deux modalités de la répétition : le cyclique, dominant dans la nature, et le linéaire, dominant dans les processus rationnels. […] Dans la modernité, le second aspect [la répétition]

12 Notons toutefois que ces deux auteurs sont opposés dans l’étude suivante : Carretero Pasín, A. E. (2002). « La quotidienneté comme objet : Henri Lefebvre et Michel Maffesoli. Deux lectures opposées », Sociétés, vol. 78, n° 4, pp. 5–16 : <http://www.

cairn.info/revue-societes-2002-4-page-5.htm> ; les mots soulignés le sont par nous.

tend à masquer, à écraser le premier. Le quotidien impose sa monotonie.

(H. Lefebvre, cité par Ciccarelli, 2004, p. 71).

L’acception courante du mot ou la lecture pessimiste qu’en proposent certains chercheurs (Ciccarelli, 2004) laisse penser que le quotidien serait presque inintéressant du fait de sa répétitivité, du fait de sa banalité. Or il n’est pas un tout amorphe, « plat », sans aspérités et sans tensions, sans vitalité. En réalité, il s’agit d’un objet complexe. Il possède en lui-même une dynamique et « oblige » (de Certeau, 1994, p. 26). Ainsi, pour la phénoménologie, « [le] “monde de la vie quotidienne” recouvre le monde intersubjectif qui existait bien avant que nous soyons nés, le monde que d’autres, nos prédécesseurs, ont expérimenté et interprété comme un monde organisé. Il est maintenant donné à notre expérience et à notre interprétation. […] Le monde de la vie quotidienne est la scène et l’objet de nos actions et interactions » (Schütz, [1971/1987] 2008, p. 105).

Cette approche du quotidien et de l’ordinaire, comme lieu d’accumulation d’expériences, invite à penser qu’il est le terreau nécessaire au surgissement d’une expérience particulière, voire unique.

Quotidien et ordinaire ont à voir avec l’extraordinaire mais ne lui sont pas forcément opposés (Devanne et Le Floch, 2008  ; Bégout, 2010).

Pour Bernard Fernandez13, la non-opposition sémantique entre les deux termes trouve aussi sa source dans le fait que ce qui peut être vécu comme extraordinaire par certains (les voyageurs) « ne relève pas forcément d’un fait insolite pour le local » (Fernandez, 2002, p. 155) ; d’où sa proposition de l’existence d’un « quotidien extra-ordinaire » (ibid., p. 153) qui serait suivant les cas accessible et « aux touristes » et « aux locaux » ou bien qui serait « au détour d’une scène de vie », un moment où « l’altérité radicale resurgit dans son irréductibilité qui est aussi un mouvement dynamique non statique » (ibid., p. 153 sq.).

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