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Qu’est-ce qu’une expérience ? .1 L’expérience en sociologie

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DES MOBILITÉS MULTIPLES :  UN NOUVEAU PARADIGME ?

2.4 Une ouverture notionnelle de la mobilité dans le champ de la DLC : l’expérience

2.4.2 Qu’est-ce qu’une expérience ? .1 L’expérience en sociologie

Très souvent considérée comme une notion relevant du champ des sciences de l’éducation (à partir des réflexions pédagogiques de J.  Dewey), elle se rencontre aussi ailleurs. Les travaux de F.  Dubet (1994, 2013) permettent d’éclairer la piste sociologique. Ce chercheur part de la «  notion courante d’expérience  », qu’il considère toutefois comme « ambiguë et vague », pour en retenir deux caractéristiques : un certain «  état émotionnel  » déroutant et une «  façon de construire le monde  »  :  « Dans un premier sens, l’expérience est une manière d’éprouver, d’être envahi par un état émotionnel suffisamment fort pour que l’acteur ne s’appartienne pas vraiment tout en découvrant une subjectivité personnelle. […] » (Dubet, 1994, p. 92). Il n’est pas besoin

66 Sans oublier toutes les recherches et applications propres à la DLC qui allient enseignement/apprentissage d’une langue et culture étrangère aux nouvelles technologies.

d’invoquer le «  choc culturel  » pour comprendre que toute situation de mobilité internationale peut devenir une situation en surcharge émotive (Urbain, [1991] 2002). Dans ce petit maelstrom, l’individu cherche alors non seulement à donner du sens, pour lui-même, à ce qu’il est en train de vivre mais il en fait un moment et d’appropriation de connaissances et d’exploration du monde où il est impliqué. Il en tire

« des leçons », effectuant par exemple un classement de ces moments, suivant des échelles de valeurs propres à lui-même et à un (ou plusieurs) de ses groupes de référence. À travers ces vécus, c’est son rapport au réel et le réel lui-même qu’il construit : « À cette représentation émotionnelle de l’expérience, se juxtapose une seconde signification : l’expérience est une activité cognitive, c’est une manière de construire le réel et surtout de le “vérifier”, de l’expérimenter  » (Dubet, 1994, pp.  92–93). Mais pour le sociologue qui tente de la définir, il reste encore à insister sur l’inscription dans un environnement social donné de l’individu qui

«  fait  » une expérience. Elle se produit dans un système, quelquefois complexe, de relations intersubjectives : « Même si l’expérience se veut, le plus souvent, purement individuelle, il n’empêche qu’elle n’existe vraiment, aux yeux de l’individu, que dans la mesure où elle est reconnue par d’autres, éventuellement partagée et confirmée par d’autres » (ibid., p. 101). Ici, c’est la dimension centrifuge de l’expérience qui se distingue car elle élargit le « monde à portée » (Schütz, [1971/1987] 2008, p. 122) d’un individu. Elle sert alors à tisser du lien ; elle est comme un moyen d’inclusion au sein d’une communauté élargie. En ce sens, l’expérience peut s’appréhender comme un produit du social auquel est attribuée une certaine valeur. L’expérience se transmue en « capitaux » : « Ainsi considère-t-on que, forgée au sein des situations concrètes et historiques auxquelles le sujet se trouve confronté, en relation avec les autres, elle constitue un enrichissement ou un élargissement du rapport au monde » (Jodelet, 2006, p. 8)67.

2.4.2.2 L’expérience pour la phénoménologie

La remarque précédente de Denise Jodelet implique aussi que, pour advenir dans le monde social, l’expérience nécessite une instance porteuse et que fondamentalement, l’expérience possède deux dimensions : « une

67 Les références de pagination du texte de D. Jodelet données ici correspondent à celle de l’édition électronique.

dimension de connaissance et une dimension qui est de l’ordre de l’éprouvé, de l’implication psychologique du sujet  » (Jodelet, 2006, p.  8). La phénoménologie traduit ce postulat sous forme de deux interrogations qui s’articulent entre elles : « Qui expérimente ? Qu’est-ce qui est expérimenté  ?  » (Romano, 1999, p.  194). La réponse s’ouvre sur un constat linguistique qui met en valeur la distinction nécessaire à l’intérieur du phénomène et de la notion d’expérience :

Faire une expérience. Avoir des expériences. En français, comme dans d’autres langues (Erfahrung machen/Erfahrung haben), c’est sous le régime de ces deux verbes que l’expérience se laisse tout d’abord penser. Le verbe « avoir », dans la seconde formulation, traduit l’idée d’une accumulation possible, comme si les expériences, à force de s’ajouter les unes aux autres, pouvaient engendrer un acquis, une possession, un fonds stable disponible à l’advenant que nous sommes. (Romano, 1999, p. 194)

En français, ce phénomène de capitalisation de savoirs, d’habiletés, de compétences, permettant d’agir dans le monde  – cette suite d’« [expérimentations] sur le monde » (Jodelet, 2006, p. 8) – et rapporté sur la longue durée est aussi désigné par le terme d’« expérience » que l’allemand désigne par le terme d’Erfahrung, ou somme d’expériences :

Qu’elle désigne « la connaissance ou l’expérience dans un domaine », « une expérience par laquelle on devient plus intelligent » ou encore « l’acquisition d’un savoir fondamental par la perception ou l’intuition  », nous retrouvons toujours ces deux traits fondamentaux que sont l’effort et l’orientation vers un but, en l’occurrence une connaissance vraie. En outre, elle circonscrit le domaine du personnel : ce que l’on vit ou bien ce que l’on acquiert soi-même dans la pratique. L’Erfahrung est par excellence l’expérience personnelle caractérisée par un effort, un développement vers un savoir, c’est-à-dire vers la possibilité toujours plus grande de s’adapter à son environnement. (Mayzaud, 2005, pp. 4–5)

Mais la langue allemande possède un second mot pour désigner l’«  expérience vécue dont le contenu est indissociable des affects qu’il suscite » (Jodelet, 2006, p. 9) : « L’expérience est d’abord connaissance, qui s’accroît avec le temps ; celui qui “a” des expériences est celui qui s’y entend, en telle ou telle affaire donnée. Expérimenté est celui qui a vécu : l’expérience vécue se dit en allemand Erlebnis (de leben : vivre) » (Romano, 1999, p.  194). Cette première partie de l’approche

phénoménologique68 insiste sur la dimension centripète de l’expérience qui devient ce phénomène qui « m’ » apporte quelque chose et qui donne de l’étoffe à mon existence.

2.4.2.3 L’expérience pour le biographique69

La distinction entre l’expérience liée à « l’idée d’acquis » et l’expérience

« comme épreuve nécessairement unique, irrépétable, en laquelle je suis en jeu moi-même et dont je ressors, à chaque fois changé » (Romano, 1999, pp.  194–195) est aussi invoquée par le biographique. Même si les termes en différent un peu, comme dans les cas précédents, il est fait appel à un ensemble d’apprentissages qui se cumulent et à un recours à la langue allemande. C. Delory-Momberger estime que tout moment vécu se prête automatiquement à des apprentissages qui sont «  consignés  » suivant deux modes d’expérience :

Les expressions empruntées à la sagesse populaire […] (on apprend dans la vie, la vie est une école, la vie est un apprentissage) reconnaissent qu’au fil de notre existence nous tirons des leçons des expériences que nous vivons et que nous constituons quelque chose qui est de l’ordre d’un savoir. De quel enseignement s’agit-il, et quel type de savoir acquérons-nous au cours de notre existence  ? Autrement dit, qu’apprenons-nous dans la vie  ? […]

Dans la vie, nous apprenons à vivre. […]. Que signifie ici apprendre, en quoi consiste cet apprentissage de la vie ? À transformer l’expérience qui advient – autrement dit les circonstances, les situations les événements qu’apporte le vécu –, à transformer donc ce que le vécu semble apporter « par hasard » en expérience acquise, c’est-à-dire en un savoir de la vie et en une connaissance de soi-même et des autres dans les situations de la vie. La langue allemande a l’avantage sur le français de disposer de deux termes distincts pour désigner ces deux niveaux d’expérience : Erlebnis désigne l’expérience vécue, celle qui advient lorsqu’on fait une expérience, Erfahrung l’expérience que l’on a, celle

68 Chez C. Romano (1999) ensuite, ce sont le caractère non reproductible de l’expérience et son « incomparabilité » qui sont examinés (p. 198 sq.).

69 « […] le biographique pourrait être défini, au côté d’autres formes de perception du vécu (cognitives, sensibles, affectives), comme une catégorie de l’expérience qui permet à l’individu, dans les conditions de son inscription sociohistorique, d’intégrer, de structurer, d’interpréter les situations et les événements de son vécu. Cette activité de biographisation apparaît ainsi comme une herméneutique pratique, un cadre de structuration et de signification de l’expérience par lequel l’individu se donne une figure dans le temps, c’est-à-dire une histoire, qu’il rapporte à un soi-même » (Delory-Momberger, 2004a, p. 3, /pagination du document électronique).

que l’on a tirée des expériences que l’on a faites. (Delory-Momberger, 2009b, pp. 22–23)

Pour le biographique, l’expérience se pense comme un fait possédant une dimension temporelle  :  il est situé dans le continuum de la vie.

En même temps, il est confondu avec une capacité à se comprendre et à comprendre l’environnement où un individu agit, c’est-à-dire une capacité à lire du sens dans ce qui s’est produit et dans les situations qui en résultent.

2.4.2.4 Les mots en japonais pour l’expérience

Il est intéressant de noter ici que la langue japonaise possède aussi deux termes pour parler de l’expérience, keiken (

経験

) et taiken (

体験

).

S’il arrive que leurs significations se confondent avec celles d’Erfahrung ou d’Erlebnis, cela n’est pas systématique : le premier, keiken, est considéré comme «  le fait d’aller [quelque part], d’entendre et de voir [quelque chose] en réalité70. Ou, techniques et savoirs acquis en résultant » et le second, taiken, comme « le fait d’expérimenter (keiken) soi-même et en réalité. Ou, cette expérience même (keiken) »71. D’un mot à l’autre, il y a l’épaisseur d’un corps. En effet, taiken s’écrit avec le caractère pour le

« corps ». Taiken est donc une expérience par « corps », une incorporation de connaissances ou de techniques, l’expérience dans sa dimension physique, émotionnelle, sensitive. Taiken fait référence à ce qui est directement expérimenté par un individu. Il correspond à une expérience subjective que seul un individu peut éprouver : la spécificité du terme se lit dans cette capacité qu’il a de laisser une impression sur celui qui la vit (et non pas une connaissance, un savoir). C’est ce mot qui a été retenu comme synonyme d’Erlebnis.

Keiken et taiken sont des notions qui apparaissent en particulier dans des études concernant la formation des infirmières. Plus remarquable encore est l’association faite dans ces articles avec le terme

生活

(« seikatsu ») soit la vie dans son déroulement quotidien72 (Nakaki et al., 2007 ; Kurosu et al., 2008). C’est par ce biais, c’est-à-dire une inscription dans un temps

70 Le sens du terme en japonais est proche d’un « en vrai/pour de vrai » de l’enfant.

71 Cf. les définitions des termes keiken et taiken dans le dictionnaire Daijisen.

72 «  Part de l’activité humaine, de l’existence d’une personne ou d’une collectivité envisagée du point de vue de l’activité exercée, des occupations » : <http://www.cnrtl.

fr/definition/vie/substantif>.

long et rempli, dans un temps qui se conçoit comme une projection en avant, que finalement keiken et taiken finissent par se distinguer et le premier se présenter comme la somme de tous les seconds, c’est-à-dire qu’il arrive qu’il soit donné alors comme équivalent d’Erfahrung.

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