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De la situation d’expérience

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DES MOBILITÉS MULTIPLES :  UN NOUVEAU PARADIGME ?

2.4 Une ouverture notionnelle de la mobilité dans le champ de la DLC : l’expérience

2.4.3 De la situation d’expérience

Ce premier examen de la notion met en relief l’appréhension de l’expérience comme articulation entre des mondes sociaux prédonnés et leurs représentations, transmis sous forme d’héritages, dans lesquels un individu va être inséré, va apprendre à s’insérer, va le faire, via des instances de socialisation qui vont lui permettre d’influer sur ces mondes sociaux et de participer à leur transformation, et sa capacité à donner sens et direction cognitifs et « biographiques » à ce qui l’entoure, à ce qu’il y réalise (Delory-Momberger, 2004a).

2.4.3.1 L’expérience entre ordre collectif et vécu

Ainsi, D. Jodelet estime que « la notion d’expérience et de vécu nous permet de passer du collectif au singulier, du social à l’individuel, sans perdre de vue la place qui revient aux représentations sociales73 ni les différentes formes de leur fonctionnement » (Jodelet, 2006, p. 28).

L’expérience possède donc des dimensions qui se développent suivant deux modes opposés. D’un côté, elle permet de « cadrer » le phénomène de nature sociale qu’elle exprime et, bien qu’il ne soit pas question d’«  interactions  » dans les lignes qui suivent qui nous permettraient de cerner des «  cadres d’expérience  » tels que Goffman les conçoit (Goffman, 1991 ; Joseph, 2009, pp. 26–27), nous posons que certaines de ces dimensions donnent la mesure d’« un environnement dans lequel opère [un] système et avec lequel [peuvent avoir] lieu des échanges systématiques » (Joseph, 2009, p. 27) ou encore qu’elles permettent de cerner un « contexte »74 (ibid., p. 102 sq.). Aux cadres sociaux et aux

73 Nous adoptons la définition suivante de l’expérience sociale  :  «  ensemble d’informations, de croyances, d’opinions et d’attitudes à propos d’un objet donné » qui « est organisé et structuré » ; « toute représentation est organisée autour d’un noyau central, constitué d’un ou de quelques éléments qui donnent à la représentation sa signification » (Albric, [1994] 2008, p. 19).

74 À partir de maintenant, les sens que nous donnons aux termes contexte et situation (ou encore celui d’expérience) s’éloignent de ceux habituellement rencontrés (cf. par

processus de socialisation qui y prennent corps, c’est-à-dire à un ordre du collectif qui, d’extériorisé, devient intériorisé, répond celui du vécu, du biographique (sachant que l’un dépend de l’autre et vice versa).

2.4.3.2 De l’expérience à la situation d’expérience

Les approches précédentes de la notion d’expérience mettent en valeur une dichotomie dimensionnelle sur les modes externe et interne. La médiation par le biais de l’individu permet de resserrer l’espace qui semble les tenir à distance. En effet, le lieu de déploiement d’une expérience peut être rapporté à l’aune de ce dernier (pour d’autres à l’aune d’un sujet). Les portions de temps, d’espaces, d’activités, de relations, toutes intriquées et qui sont investies, vécues, appréhendées par un seul et auxquelles celui-ci donne sens, en lui conférant une direction (Quéré, 1997, p. 183), doivent être considérées comme des situations, c’est-à-dire des lieux75 ou encore des entités spatio-temporelles (Quéré, 1997) de confluence de

« différents cercles contextuels » et d’un « ici et maintenant » (Lenoir et Tupin, 2011, p. 6), des lieux dont « la double dimension […] assume la fonction de contexte “extérieur” à l’action individuelle et celle d’espace d’interdépendance qui relie les individus en délimitant les opportunités de jeu de chacun et en construisant les modes de composition de ces jeux » (Tupin et Dolz, 2008, p. 148)76.

exemple Leimdorfer, 2010, p. 147 sqq. ; Bornand et Leguy, 2013, p. 23 sqq.). Ces chercheurs envisagent toujours la réflexion à partir d’une situation d’interaction en présence, ce qui n’est pas notre cas. De fait, A. Ogien et L. Quéré (2005) estiment que «  E.  Goffman s’est efforcé de donner la place qu’elle méritait [à la situation]

dans la microanalyse de l’interaction sociale et dans l’enquête sur l’organisation de l’expérience ». Ils reconnaissent son influence dans les évolutions ultérieures de la notion car il a lié « étroitement situation, coprésence corporelle et perceptibilité mutuelle » et a insisté « sur le rôle médiateur de l’environnement dans la détermination du comportement » (pp. 121–122).

75 «  À l’origine du terme on trouve l’emprunt au dérivé latin médiéval situatio qui signifie, au sens concret de l’expression, “être placé dans un lieu” » (Lenoir et Tupin, 2011, p. 4).

76 Dans le strict cadre d’une situation « d’enseignement-apprentissage » en présentiel, c’est-à-dire dans la perspective d’un examen de la notion de situation dans le champ des sciences de l’éducation, Y.  Lenoir et F.  Tupin estiment qu’elle peut être appréhendée  :  «  comme la résultante des rapports dialectiques entre “l’ici et maintenant” de la classe – habitée par la micro-société constituée par l’enseignant et les apprenants – et “les différents cercles contextuels” qui marquent de leur empreinte les conditions d’expression du sens pratique qui relèvent d’une hybridation entre

Dans le cas de la classe, qui en constitue une variante particulière, mais qui oriente l’appréhension de toute situation dans le champ de la DLC, F. Tupin conçoit « “les différents cercles contextuels” qui marquent de leur empreinte les conditions d’expression du sens pratique » comme

« [relevant] d’une hybridation entre habitus individuel, habitus de classe et habitus professionnel » (Tupin, 2008, p. 45), c’est-à-dire qu’il fait jouer aussi une notion d’échelle dans sa conception de la notion de contexte et partant de celle de situation.

Nous devons noter que l’amplitude de ce terme donnée par F. Tupin ne coïncide pas avec celle que lui confère L.  Quéré. Pour ce dernier, c’est l’absence de « structure temporelle » et celle de « l’implication dans l’expérience » qui distinguent en particulier la situation du contexte (Quéré, 1997, p.  184) et que «  même si un contexte se transforme, évolue en fonction de ce qui est fait et de ce qui arrive, il reste que de cette succession de contextes n’émerge pas une configuration d’ensemble dont les éléments seraient intégrés dans une totalité orientée » (Quéré, 1997, p. 184). Mais les contextes n’apparaissent pas ex nihilo chez ce sociologue : ils sont en fait le résultat « d’opérations de sélection, de totalisation et d’insertion […] commandées par une visée de production […] ou de réception […] » (ibid., p. 184) qui se produisent dans un environnement.

Ainsi, il semblerait qu’il faille concevoir le contexte non seulement comme le résultat d’un changement d’échelle d’un «  fond  » donné (Quéré, 1997, p. 184) mais aussi comme une portion d’environnement sélectionnée dans une intention précise. L’agencement de plusieurs d’entre eux suivant une perspective signifiante en modifie leur nature première et crée des effets de dissolution, de cristallisation, de dilatation, d’expansion, de réduction et une nouvelle totalité, la situation : cette transformation implique de fait la présence d’un ou de plusieurs individus.

2.4.3.3 La situation d’expérience comme entité dynamique

Cette proposition de définition de la situation77, comme une « totalité orientée » et « évolutive » à la fois sous les effets du temps qui passe, les modifications internes des rapports entre les différents éléments qui la composent, et les effets de l’implication d’un individu, est inscrite dans

habitus individuel, habitus de classe et habitus professionnel  » (Lenoir et Tupin, 2011, p. 6).

77 Et indirectement du contexte.

le champ des sciences de l’éducation et plus spécialement dans celui de la didactique des langues. Il en ressort une conception de la situation comme étant une totalité dynamique, non pas seulement parce qu’elle est saisie, parce qu’investie et orientée, par un individu mais du fait de sa définition même. La sociologie de l’action permet de mieux cerner les nouvelles pistes de compréhension de ce que peut être une situation d’expérience, à notre avis78. En effet, dans ce domaine, l’attention épistémologique n’est pas uniquement focalisée sur les interactions verbales et autres entre individus ou interactants (Cicurel, 2002), comme le plus souvent dans le champ de la DLC, mais porte sur un panorama élargi des conditions matérielles de constitution et d’émergence de l’expérience :

Les choses, les personnes, les événements, les situations acquièrent leurs déterminations singulières localement et à toutes fins pratiques, dans un processus d’orientation de l’activité, d’organisation des perspectives, de structuration de l’environnement et d’ordonnancement des processus qui mobilise différents savoirs ainsi qu’un savoir-faire ou un «  savoir-s’y-prendre », dont relève la connaissance que nous avons des situations et des possibilités qu’elles offrent. (Quéré, 1997, p. 167)

Dès lors, même des dimensions classiques comme l’espace et le temps, que nous pensons connaître, doivent être réexaminées pour en dégager le potentiel narratif dont elles sont porteuses.

2.4.3.4 La situation d’expérience comme possibilité configurée La dynamique et le mouvement pressentis dans les définitions de l’expérience, telles que nous les avons abordées précédemment, s’y redéploient quasi de manière fractale. Ainsi, la dimension temporelle de la situation peut être abordée comme un ensemble tripartite, c’est-à-dire un ensemble interrelié «  début-milieu-fin  ». Or cette perspective, pour L. Quéré, n’est autre que le signe d’une essence configurative de la situation :

78 Il nous semble que l’approche de P. Pastré (2011), dont la réflexion se situe dans le champ des sciences de l’éducation, et pour qui la notion de situation fonctionne de concert avec celle d’«  activité  » et d’«  apprentissage  », malgré des promesses d’ouverture épistémologique, reste en deçà de ce que la réflexion de L. Quéré peut apporter à la notion de situation d’expérience : « 1) Une situation, quelle qu’elle soit, est toujours singulière, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne porte pas en elle une part de généralisation potentielle. 2) Une situation est événementielle, en ce sens que la dimension de temporalité lui est essentielle. 3) Une situation est expérientielle, en ce sens qu’elle ne trouve sa véritable assise que par le sens que lui donne le sujet qui est confronté à elle » (p. 12).

Une situation ne se réduit pas au hic et nunc des circonstances spatiales et temporelles de l’accomplissement de l’action. […] Une situation (je ne considère ici que les situations dynamiques) est d’abord et avant tout une entité temporelle : elle a une durée ; elle a un début, un milieu et une fin ; elle évolue, se développe, se transforme ; elle peut se développer rapidement, lentement, etc. ; et il arrive qu’il faille attendre son aboutissement pour savoir exactement quelle elle était […]

Mais une situation n’est pas n’importe quelle totalité temporelle. On peut dire d’elle qu’elle a une structure d’intrigue. En effet, une situation émerge quand quelque chose se noue  ; son développement, qui est imprévisible, correspond alors à l’enchaînement des péripéties, des contingences et des initiatives qui conduisent à son dénouement. L’ensemble formé par ces péripéties, contingences et initiatives forme une configuration  :  elles sont intégrées dans une totalité où elles trouvent une unité, une identité et un sens. Une sorte de téléologie est ainsi inhérente à la situation : non seulement se crée une attente d’un point final ; mais, de plus, la résolution de la situation correspond à un aboutissement, à un achèvement qui est fonction de ce qui y a conduit. Le dénouement de la situation n’est donc pas une simple cessation ; il n’est pas non plus une conclusion séparée et indépendante ; il est l’aboutissement d’un mouvement continu, le moment où celui-ci culmine dans une résolution. Précisément c’est ce mouvement qui est source de l’intérêt accordé aux différentes choses et événements rencontrés dans le développement de la situation ainsi qu’aux conditions qui le facilitent ou l’entravent. (Quéré, 1997, p. 182).

Or nous considérons que dans la situation d’expérience, ce sont aussi les relations créées par un individu (un sujet) entre différentes situations vécues, elles-mêmes configurées, y compris les ruptures et discontinuités, les sauts entre elles, qui créent la colonne vertébrale d’une trajectoire biographique, les possibilités d’une mise en récit de celle-ci.

Pour conclure

Le déclin des institutions, ou le temps du « système » qui « se lézarde » (Dubet, 1994), sensible à partir des années 1960 dans les sociétés occidentales, crée, et à « l’extérieur » d’un individu et à « l’intérieur » de lui79, les conditions favorables pour limiter temporellement les statuts et rôles qu’il endosse dans la société, le laissant « libre » de faire

79 Nous comprenons les termes extérieur/intérieur ici comme des moments où d’une part les relations et interactions avec les autres sont activées et observables et d’autre part les moments où elles ne le sont pas.

des expériences sociales, autrement dit pour que la variation devienne une modalité obligée d’être au monde social  :  «  Un nouveau type de rôles se forme de plus en plus. Des rôles souples, changeants, autodéfinis collectivement, ne socialisant l’individu que pour des durées brèves  » (Kaufmann, 2004, p. 65).

Sans aller jusqu’à nous inscrire dans le courant socio-didactique qui reconnaît et entérine le phénomène de dissolution de l’individu dans la société moderne (Dervin, 2008a), nous adoptons une position qui prend acte du passage de l’un au multiple (Anquetil, 2012), que seule autorise la perspective d’une inscription dans le monde social, et qui résulterait de tensions « internes », travaillant l’individu et faisant de lui non pas « un bloc, stable et homogène, [mais] au contraire un mouvement continuel.

Mouvement intime de pensées […]. Mais mouvement relié à un jeu de forces extérieures, qui mettent l’individu en tension. Nous ne sommes rien sans les institutions qui nous portent et les contextes qui nous entourent » (Kaufmann, 2008, p. 7).

Par exemple, dans le cadre des mobilités académiques, qui s’effectuent dans un contexte mondial structuré autour de la nation, «  celui qui expérimente  » est un individu qui est inévitablement renvoyé à ses déclarations et sentiments d’appartenance identitaires (identités sociales, linguistiques, «  culturelles  », etc.). Par ailleurs, la translation physique d’un espace géographique à un autre, dans une société autre, dans un lieu d’apprentissage différent, représente un moment complexe, à la fois moment spécifique d’interprétation et d’intériorisation de normes d’un environnement social donné, autrement dit un moment de socialisation, et moment vécu spécifique, un moment dans une trajectoire biographique.

Dans le cas de la DLC, l’expérience serait un phénomène exprimable, en amont, en termes d’attentes générales, dont des attentes de changements, et en aval, en termes de transformations effectives, sous forme de compétences linguistiques, relationnelles, culturelles, interculturelles, etc., soit encore de capitaux (Murphy-Lejeune, 2000, 2003 ; Zarate, 2005), de même nature ou non, réinvestissables.

C’est donc cet individu80 en prise avec une altérité aux formes multiples (collectives : nationales, sociétales ; individuelles : culturelles,

80 Nous privilégions les références issues de la sociologie et de l’anthropologie, mais nous n’oublions pas qu’individu et identité sont des notions traversant le champ de la philosophie, de la phénoménologie, de la linguistique, de l’histoire, de la psychologie, etc.

linguistiques, etc.) qui est interrogé ici dans une situation d’expérience de mobilité qu’il crée et constitue en revivifiant certains héritages collectifs, en la vivant au jour le jour et qu’il partage avec d’autres.

Avant de nous intéresser plus avant à cette dernière notion ainsi qu’aux formes d’expérience qui peuvent s’y inscrire et s’y développer, nous voudrions rappeler que le sens commun attribue à la notion de mobilité une nuance de rupture d’équilibre, de déséquilibre. C’est ce point de rupture d’équilibre qui provoque le mouvement, qui fait bouger – qu’on songe aux balançoires à bascule  –, et qui donne une amplitude dans l’espace. Telle est la situation d’expérience dans le cadre d’une mobilité académique internationale : de nature à trouver, sous l’impulsion d’un individu, une nouvelle extension dans chaque moment suivant. Nous y retrouvons alors aussi cette autre nuance d’aptitude de la définition de sens commun, de potentiel d’action, peut-être pour revenir au point d’équilibre.

LA SITUATION D’EXPÉRIENCE DE MOBILITÉ

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