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Entre encyclopédisme et polémique

Aussi anecdotique qu’elle puisse paraître, la polémique créée par Beuchot n’en trahit pas moins un attrait particulier, et répété nous le verrons, pour la dispute. Surtout si celle-ci se déroule par imprimés interposés. Ses travaux même les plus sérieux ne sont jamais complètement exempts de petites piques à l’encontre de ses concurrents ou adversaires ou de toute personne qui aurait eu le malheur de s’en prendre à lui. Cette tendance au recours à l’imprimé polémique trouve dans les années  1814-1815, soit au moment de la transition mouvementée entre l’Empire et la Restauration, un contexte favorable. C’est une période d’instabilité de la vie politique française, qui voit Napoléon, renversé par la première Restauration, revenir durant les Cent-Jours, avant d’être à nouveau chassé lors de la seconde Restauration laquelle installe pour une quinzaine d’années la monarchie des Bourbons avec Louis XVIII puis Charles X. Beuchot approche de ses 40 ans. Il jouit d’un revenu stable autant que d’une position privilégiée au sein de l’administration du livre. C’est donc un homme public qui défend autant sa réputation que son gagne-pain quand il se mêle de la politique de son temps.

Nous avons déjà mentionné l’un des pamphlets écrit par Beuchot, l’Oraison funèbre de Buonaparte, prétendument rédigée par une société de gens de lettres et prononcée au Luxembourg, au Palais-Bourbon, au Palais-Royal et aux Tuileries. Cet opuscule paraît tout d’abord dans Le Moniteur ainsi que dans différents journaux en 1814. Il a connu un franc succès, puisqu’il est réédité à quatre reprises au cours de cette même année. Beuchot y dresse, sur un peu moins de quarante pages, une compilation de louanges adressées à l’Empereur par des hommes qui ont, depuis la première Restauration, retourné leur veste. Beuchot cache sa voix derrière celles de ces girouettes. Le plus fameux, qui est aussi celui que Beuchot épargne le moins, reste, sans surprise au vu de ce contexte, Louis de Fontanes, cité à dix-neuf reprises. C’est lui d’ailleurs qui ouvre cette suite de louanges fictives, où tout ce qui a trait au règne de l’Empire est dénoncé par la plume

acérée de Beuchot : la légitimité dynastique et divine de l’Empereur s’y trouve contestée, la grandeur de son règne tournée en dérision, sa politique intérieure et extérieure ramenée à celle d’un tyran sangui-naire. Quant aux personnalités citées, elles sont présentées sous un jour bien sombre : l’accent est mis sur ce que peut accomplir de vil un homme qui cherche à tout prix à obtenir les faveurs d’un homme de pouvoir. En l’occurrence, les flatteries à l’égard de Napoléon se succèdent sans lien apparent, donnant l’idée d’une dévotion méca-nique. Beuchot prend en outre bien soin de marquer l’ironie, et de remplacer toutes les références à l’Empereur par la désignation avilis-sante de « Buonaparte ». Mais au fait, n’était-il pas lui-même employé de l’administration napoléonienne ? La mauvaise foi évidente de ce pamphlet démontre-t-elle plutôt le courage d’un auteur qui ne craint pas d’attaquer la probité de personnalités influentes, ou au contraire masque-t-elle une certaine ambivalence chez Beuchot ?

Ah ! le ciel m’en est témoin ; c’était avec un plaisir mêlé d’amer-tume que je voyais construire ces ponts utiles, ces quais magnifiques, ces salubres établissements, ces arcs de triomphe, ces nombreuses fontaines, et s’achever ce vieux Louvre. Je maudissais celui qui les faisait élever, et je pleurais de dépit en songeant que la postérité (à laquelle on ne peut cacher le nom de Napoléon) croirait lui avoir quelqu’obligation, et saurait peut-être quelque gré à un tel homme110.

Ne risque-t-on pas, au fond, d’éprouver pareil sentiment lorsque l’on contemple le parcours de quelques-uns des plus grands tyrans de l’histoire ? Beuchot montre à la fois sa fascination devant le dyna-misme du gouvernement de Napoléon, ses réussites matérielles, ou sa capacité de mobiliser des moyens en vue de leur réalisation, en même temps que son dégoût devant la personnalité ombrageuse, les pulsions sanguinaires ainsi que le souvenir d’un règne aussi puissant que mortifère légué à la postérité. Plus personnellement, il y a là une vraie difficulté pour Beuchot  : comment reconnaître du mérite à celui qui lui fournit un statut, du prestige et un revenu, alors qu’il le considère comme un tyran ? Au-delà de cette position humainement

110. Beuchot, Dictionnaire des immobiles, Paris, Rue du Roi-de-Sicile, ci-devant des droits de l’homme, n° 89, 1815, p. 36.

compréhensible et délicate, c’est plus généralement la probité qui définit l’attitude de Beuchot, comme en témoigne sa position ferme au moment des Cent-Jours111. Il ne paraît en tout cas pas corres-pondre au portrait de l’une de ces individus versatiles qu’il dénonce dans son Oraison fictive. Il ne semble pas plus devoir être rattaché à l’un de ceux mentionnés dans un ouvrage beaucoup plus illustre, contemporain du pamphlet de Beuchot : le Dictionnaire des girouettes.

Ce n’est en effet pas par hasard si cette publication fait surface ici. Beuchot a pendant longtemps été soupçonné d’en être l’un des auteurs. Si l’on semble aujourd’hui savoir avec certitude que celui qui se cache derrière la publication du Dictionnaire des girouettes serait en réalité le comte César de Proisy d’Eppe, un doute subsiste quant au fait qu’il en soit le seul rédacteur112. Aussi anonyme et piquant que l’Oraison funèbre de Buonaparte, ce « who’s who de la médiocrité civique113 », comme le présente Pierre Serna, ne se trouve-t-il pas à l’intersection de l’attrait manifesté par Beuchot pour la notice bio-graphique, et de son goût pour la polémique publique ? Il rappelle dans tous les cas une autre de ses publications : le Dictionnaire des immobiles.

D’ailleurs, si le doute quant à sa participation a pu naître, n’est-ce pas aussi un peu par la faute de Beuchot ? Comment en effet ne pas comprendre, ne serait-ce qu’au niveau du titre, le Dictionnaire des immobiles comme un prolongement, ou tout du moins une réponse au Dictionnaire des girouettes ? Sans compter que ce rapprochement apparaît bien explicitement sous la plume de Beuchot : « On a fait le Dictionnaire des athées, le Dictionnaire des girouettes (qui a rappelé l’Oraison funèbre de Buonaparte […] qu’on trouve aux mêmes adresses

111. Voir infra, p. 75-76.

112. Pierre Serna n’écarte pas une participation de Beuchot. Il le mentionne sim-plement comme l’un des auteurs parmi une liste nombreuse et incomplète. Voir Pierre Serna, La République des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Paris, Champ Vallon, 2005, p. 223-224, n.  4. Quant à la Biographie nouvelle des contemporains, ou dictionnaire historique et raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution française, ont acquis de la célébrité par leurs actions, leurs écrits, leurs erreurs ou leurs crimes, soit en France, soit dans les pays étrangers, A.V. Arnault, A. Jay, E. Jouy, J. Norvins (éd.), Paris, 1821, t.  II, p.  463, elle se contente de dire que Beuchot « réclama contre la première [supposition d’attribution], et fit insérer sa lettre dans les journaux ».

113. Ibid.

que le Dictionnaire des immobiles114) », nous dit en effet l’auteur dans sa préface. Cet « homme qui jusqu’à présent n’a rien juré et n’ose jurer de rien115 » affirme dès la page de titre une indépendance d’esprit qui nous rappelle l’attitude de Beuchot. De fait, celui-ci est identifié par les rédacteurs du Journal des débats comme l’auteur de ce petit dictionnaire de dix-neuf entrées.

L’auteur de ce nouveau pamphlet passe pour avoir beaucoup d’érudition dans les petites choses, et dans les minuties littéraires, et il s’efforce de mettre beaucoup de gaîté dans de graves questions, et dans ses arrêts ou jugements politiques : telles sont ses prétentions dans l’Oraison funèbre de Buonaparte, dans le Dictionnaire des girouettes, dans le Dictionnaire des immobiles. Ces trois écrits sont évidemment de la même main ; c’est la même idée étendue, retournée, considérée sous des aspects différents ; c’est le même esprit, si par esprit vous entendez opinion, sentiment, façon de voir et de penser ; c’est la même absence d’esprit, si par esprit vous entendez autre chose116.

La critique du Journal des débats donne une définition périphras-tique qui confirme que l’anonymat de ce genre de pamphlet n’est qu’une façade. La sévérité du propos et les attaques personnelles à l’encontre de Beuchot –  d’ailleurs réitérées à la fin de l’article  :

« “GODDAM ! l’esprit humain ne rétrograde jamais.” Je ne pense pas que l’esprit de l’auteur puisse rétrograder : je le crois fort à l’abri de ce malheur117 » – évoquent certes bien l’envers de la « malice » que lui prête son ami Musset-Pathay. Elles sont toutefois d’autant plus surprenantes qu’elles paraissent dans une feuille qui n’a jamais transigé sur son attachement à la monarchie constitutionnelle118. Sans doute les journaux de l’époque ne sont-ils pas avares de ce genre d’amabilités.

Il se peut aussi que le rédacteur voue une haine toute personnelle au voltairien Beuchot. Ou peut-être les réacteurs du Journal des débats

114. Beuchot, Dictionnaire des immobiles, op. cit., p. vii.

115. Ibid., page de titre.

116. Journal des débats, 3 octobre 1815, p. 3.

117. Ibid., p. 4.

118. Nicolas Morel, « La lettre à “M. Pasquier”, de Voltaire à Beuchot : les affaires judiciaires entre réaction et canonisation », Revue Voltaire, Paris, PUPS, n°  17, 2017, p. 167-178.

manifestent-ils là une certaine susceptibilité, eux qui ne figurent pas parmi les « immobiles » cités dans le Dictionnaire ? Toujours est-il que Beuchot juge utile de donner un démenti public, quoique anonyme, dans son propre journal.

À MM. les rédacteurs de la Bibliographie de la France. On a bien voulu dans le Journal des débats du 3 octobre s’occuper du Dictionnaire des immobiles. On s’est en même temps occupé de ma personne ; mais les renseignements qu’on donne sur mon compte sont loin d’être exacts.

Peu importe au public en quel lieu je sois né ; mais M. A. me fait naître à cent lieues de la ville où j’ai reçu le jour. Il est lui-même à cent lieues de la vérité quand il m’attribue le Dictionnaire des girouettes. Je n’ai ni conçu ni exécuté cet ouvrage. Je suis également étranger à l’article contre M. L. inséré dans le même journal du 15 décembre, quoique l’auteur de cet article ait employé le pronom possessif notre en parlant de ma brochure119.

En effet, hormis les attaques sur l’esprit soi-disant étriqué de Beuchot, c’est surtout le contenu de ce Dictionnaire qui pose pro-blème : on lui reproche pêle-mêle d’avoir introduit plusieurs entrées chez les « immobiles » pour des personnalités déjà présentes dans le Dictionnaire des girouettes ; d’avoir cité des déclarations inappropriées ; de n’avoir parlé des journaux qu’avec l’exemple discutable du Courrier, sans doute moins « immobile » que le Journal des débats ne l’est aux yeux de ses propres rédacteurs ; ou encore d’avoir donné une place trop importante aux personnalités militaires. De fait, ces critiques sont recevables, mais elles sont inhérentes au projet de Beuchot, qui n’est en aucun cas celui de faire un Dictionnaire. Les dix-neuf entrées réparties sur trente-huit pages ont une vocation avant tout polémique.

Elles laissent du moins deviner certaines des affinités politiques de leur auteur.

Doit-on aller jusqu’à comprendre le Dictionnaire des immobiles comme un manifeste libéral, opposé au retour au pouvoir d’un pou-voir royal inspiré de l’Ancien Régime ? Dès la page de titre, l’épi-graphe, « Libertas, quae sera tamen120… », soit l’un des premiers vers

119. Bibliographie de la France, 1815, p. 545.

120. Beuchot, Dictionnaire des immobiles, op. cit., p. iii.

de la première églogue des Bucoliques de Virgile, donne du crédit à cette idée puisqu’il y est explicitement, et au premier chef, fait réfé-rence à la liberté. En outre, le rapport à une forme d’indépendance politique des citoyens qui forment la « nation et l’armée » françaises est revendiqué sans équivoque par le signataire de la dédicace, qui signe fièrement « Gallus Liberalis121 ». Dédicacé à « Messieurs les éteignoirs de tous les partis », soit tous ceux qui « au milieu d’un océan de lumières, dans le siècle qui suit le dix-huitième siècle, [en sont] encore au treizième », l’ouvrage se présente bien comme un rappel de l’idéal des Lumières. Surtout, le terme « éteignoir » évoque une autre publication d’obédience libérale  : Le Nain jaune, lequel s’en prend également à ces fameux « éteignoirs122 ». Les rédacteurs de cette feuille satirique y ont en effet dressé une liste de ces person-nalités nostalgiques de l’Ancien Régime, auxquelles ils s’amusent à faire parvenir un brevet de « Chevaliers de l’éteignoir ». Le rapport au Nain jaune n’explique pas uniquement le lexique employé par Beuchot. Il se comprend également dans le prolongement des ques-tions quant à l’appartenance supposée de ce dernier à la rédaction du Dictionnaire des girouettes. Vu sous cet angle, il est difficile de ne pas faire de Beuchot un authentique libéral, dans la lignée de ses publications. S’agit-il toutefois de libéralisme au sens d’un ralliement à une doctrine politique précise et qu’il faudrait alors définir, ou plutôt d’un attachement idéologique à la notion de liberté incarnée dans la défense des principes de 1789 ? La distinction est légère, et la question de ce qu’est le libéralisme semble en vérité aussi difficile à résoudre dans le cas de Beuchot qu’elle l’est d’une manière plus générale123.

Rapportée au cas du Nain jaune, feuille qui, bien qu’elle soit reconnue comme libérale, ne se serait pas moins montrée plus clé-mente envers Napoléon sous les Cent-Jours, la position de Beuchot reste emblématique de la confusion qui règne à cette période. Qui sont

121. Ibid., p. v-vi.

122. Voir notamment la « Biographie des chevaliers de l’éteignoir », Le Nain jaune réfugié, par une société d’anti-éteignoirs, vol. 4, Bruxelles, juin-décembre 1816, p. 151-152.

123. Francis Démier, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour du passé, Paris, Folio histoire, 2015, p. 267. « Difficile, au tournant de 1817, de trancher clairement sur le sens du mot “libéralisme”. »

les girouettes ? Doit-on penser comme Louis-Eugène Hatin que « Le Nain jaune, à partir du 20 mars, se borna modestement et platement au métier d’approbateur officiel et de dénonciateur officieux124 » ? Ou ce revirement d’opinion marque-t-il plutôt une position tactique par défaut, mue par la crainte de voir revenir une monarchie du type de celle de l’Ancien Régime ? Si l’on continue de penser que la position de Beuchot n’est pas éloignée de celle des rédacteurs du Nain jaune, ce que tendent à confirmer le style de rédaction satirique, ainsi que les références communes, alors le contenu du Dictionnaire des immobiles présente un intérêt évident et nous permet de rattacher Beuchot au camp libéral. Mais il faut d’emblée nuancer cette affirmation : il ne tombe jamais dans la défense de Napoléon, même au moment de la Restauration. La position politique de Beuchot ne se laisse décidément que difficilement saisir à partir des sources disponibles.

Que penser enfin, à ce sujet, du nom d’auteur que Beuchot s’est choisi, de cet « homme qui jusqu’à présent n’a rien juré et n’ose jurer de rien » ? Doit-on comprendre cet anonymat, tout comme celui qu’il conserve au moins formellement lorsqu’il commente le fait qu’on lui attribue le Dictionnaire des immobiles, comme une forme de prudence, voire de lâcheté ? Il devrait alors être compris comme un homme qui ne veut pas se mettre mal avec un régime. Autre approche : on peut le trouver au contraire très affirmatif. Cette absence manifeste et répétée de parti pris démontrerait une vision politique plus rela-tiviste : au fond, peu importe le système, tant que celui-ci s’accorde avec les besoins de la « nation ». Cette hypothèse rattacherait Beuchot au camp des libéraux doctrinaires125.

124. Louis-Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse française, Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1866, p. 323.

125. Cette position le rapprocherait notamment de celle de Charles de Rémusat.

« La question si vaine et si débattue quel est le meilleur gouvernement ? doit être remplacée par celle-ci : quel est le gouvernement le mieux en harmonie avec la raison humaine dans un pays et dans un temps donné ? Ou, en d’autres termes, quel est le gouvernement rationnel relatif ? » Le rapprochement avec Rémusat peut sembler audacieux. Il tient si l’on se souvient que Beuchot entretient de bons rapports avec Le Globe (voir supra note 102), dont Rémusat est le rédacteur. Il tient également, si on suit Dario Roldan (éd.), La Pensée politique doctrinaire sous la Restauration. Charles de Rémusat. Textes choisis, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 20-21. « Pour Rémusat l’idée de “déploiement” de l’esprit des Lumières, péné-trant d’abord les esprits pour finalement s’imposer dans le gouvernement, ne suffit pas pour expliquer l’ensemble du mouvement révolutionnaire. Pour lui, ce

Parmi les dix-neuf entrées que compte le Dictionnaire des immo-biles, dix seulement présentent une biographie courte et idéologi-quement orientée de personnalités d’horizons divers. La première entrée comporte une forte dimension symbolique. Elle est consacrée à Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron, membre de l’Institut, lequel mourut dans la pauvreté après avoir refusé de prêter serment à Bonaparte lors de son élévation au rang d’Empereur. L’auteur montre ici, d’une part, sa fidélité au monde des Lettres, mais aussi une résistance au moins morale à l’Empereur. Or si deux autres personnalités permettent à l’auteur de revenir sur ce moment du passage du Directoire à l’Empire, il est bien plus frappant de consta-ter que l’essentiel des biographies proposées s’intègre dans un cadre légèrement ultérieur, en 1793, où elles traitent notamment de la confiscation des biens du clergé. Cette dernière position participe d’ailleurs de l’ambiguïté du positionnement politique de Beuchot.

N’est-elle pas plus généralement défendue par les ultras, intéressés à l’idée de voir le clergé retrouver l’accès à la propriété126 ? La cri-tique camouflée par Beuchot dans son Dictionnaire partage un lien complexe avec l’héritage de la Révolution, ainsi qu’en témoigne le dernier article consacré à la « nation française ». Renvoyant dos à dos conventionnaires et royalistes, entre lesquels « il y a […] plus de rapports qu’on ne pense127 », dans un court article intitulé « Les Jacobins rouges et les Jacobins blancs », Beuchot prône un retour à l’idéal des Lumières. En parlant de la France, il peut alors affirmer :

« Depuis vingt-cinq ans on a fait en son nom beaucoup d’actes et de discours sur lesquels on ne l’avait pas consultée. C’est de son nom qu’on s’est servi pour opprimer l’Europe et la France elle-même128. » Cette position, on la retrouve également dans Le Nain jaune qui fait aussi de la nation française une « immobile », victime des tyrans qui l’ont asservie.

mouvement de l’esprit doit-être enrichi d’une déchirure qui traverse le xviiie siècle et qui s’exprime par un double mouvement. D’abord par une fissure entre la conviction et les actes, entre les idées et la réalité, qui avait vidé de sens les pratiques sociales […]. Ensuite par un fossé entre le gouvernement et la société, produit du refus opiniâtre du gouvernement de prendre part au mouvement de l’esprit du siècle […]. »

126. Francis Démier, La France de la Restauration, op. cit., p. 207-209.

127. Beuchot, Dictionnaire des immobiles, op. cit., p. 25.

128. Ibid., p. 33.

La nation française ne peut être traitée d’inconstance et de légè-reté… C’est elle qui, au contraire, a été trompée depuis vingt ans.

La nation française ne peut être traitée d’inconstance et de légè-reté… C’est elle qui, au contraire, a été trompée depuis vingt ans.