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Un autre indice qui tend à prouver la reconnaissance dont bénéfi-cie Beuchot se trouve dans la forme du contrat qu’il négobénéfi-cie. Celui-ci n’annule en effet pas tous ses droits sur son travail. Précisons : il existe deux formes de contrats entre un auteur (ou un éditeur savant, au sens où nous comprenons le travail de Beuchot) et un éditeur commercial, un imprimeur ou un libraire qui publie ce travail. Soit l’auteur cède contre un certain montant son travail à l’éditeur, perdant tout droit de regard par rapport à celui-ci, soit il parvient à conserver une pré-rogative sur son travail et ne fait qu’en autoriser une reproduction.

C’est la différence entre un contrat de cession, dans lequel l’éditeur achète le manuscrit en même temps que les droits de le reproduire pour toujours, et un contrat de concession. Ce dernier contrat signale l’importance d’un auteur. En effet, il faut premièrement être habile négociateur, conscient de son pouvoir et de la valeur de son travail pour se ménager une telle place dans le circuit de l’édition. En d’autres termes, il faut que l’éditeur craigne de ne pas pouvoir éditer le travail en question pour accepter de ne pas en avoir la propriété exclusive. Si l’on recoupe l’exemple romanesque de Lucien dans les Illusions perdues, qui refuse de céder son manuscrit à Doguereau contre une somme qu’il estime ridicule, et l’exemple d’Hugo, qui sous la Restauration, négocie des contrats de concession avec plusieurs de ses éditeurs332,

332. Robert Bied, « Le monde des auteurs », art. cit., p. 592.

on peut se faire une idée relativement correcte de la différence de condition entre un auteur en devenir et un autre à la réputation déjà établie. Quel est le type de contrat que signe Beuchot ? Reprenons les différentes étapes de son contrat :

L’article premier mentionne que Beuchot s’engage à « fournir aux sieurs Lequien père, Lefèvre, Werdet et Lequien fils qui veulent faire une nouvelle édition des Œuvres de Voltaire toute la copie pour les 70  vol. in-8° dont doit se composer cette édition ». Ce à quoi Beuchot ajoute la nuance suivante  : « s’engagent à prendre de M.  Beuchot333… ». Le second document reprend pratiquement la même formulation, en substituant au verbe « s’engage » celui de

« promet334 ». Dans chacune de ces deux formulations, ce premier article suggère quelque chose comme un rapport de force qui se met en place entre Beuchot et ses éditeurs. Ce rapport se modélise autour d’une question que l’on pourrait formuler, de façon minimale comme « qui doit quoi à qui ? ». La formulation initiale présente des éditeurs qui émettent le souhait de publier une édition des Œuvres de Voltaire, et qui, dans ce cadre, engagent Beuchot à leur fournir son travail. Beuchot, quant à lui, tente de rétablir sa position en cherchant à faire accepter l’idée selon laquelle les éditeurs se trouvent, dès la signature de ce contrat, également engagés auprès de lui. Ce point ne semble pas être discuté, si l’on en croit le commentateur.

Ainsi, et même si l’on ne sait pas quel contrat Beuchot a fini par signer, on voit tout de suite qu’il se sait en position de force dans une négociation qu’il ne subit pas, au contraire, puisqu’il tente d’y instaurer une certaine réciprocité.

Le deuxième point à relever se trouve à l’article  3, dans lequel il est question de la rémunération de Beuchot : il y est en effet fait mention du terme « honoraires », versés pour son « travail sur les Œuvres de Voltaire ». En soi, ce mot ne dit pas s’il s’agit d’un contrat de cession ou de concession335. D’ailleurs, Werdet ne déclare-t-il pas, dans son ouvrage De la librairie française, avoir « [acheté] pour

333. Beuchot, manuscrit autographe avec corrections autographes, [août  1828], BnF, n.a.fr. 25136, f° 129.

334. Rappelons que l’on ne sait toujours pas dans quel ordre se lisent ces documents qui sont tous deux des brouillons.

335. Trésor de la langue française en ligne, « honoraires » : « Honoraires d’un auteur.

“Sommes que l’on convient de remettre à un auteur, pour cession soit de la propriété

30 000 Fr. les Commentaires de Voltaire par feu Beuchot336 » ? C’est donc vers le commentaire qui concerne cet article qu’il faut se tour-ner pour préciser l’acception à dontour-ner à cette notion d’honoraires :

« La fin de l’article 3 et l’article 4 prouvent que M. B. ne vend que l’édition. Néanmoins au lieu de mettre les honoraires de M. B. pour son travail, vaudrait-il mieux mettre pour l’édition de son travail » Cela signifie que Beuchot ne cède pas l’intégralité de ses droits, mais qu’il accomplit un travail défini, pour l’édition duquel il est payé. Il en reste pourtant le propriétaire.

Jusque-là, on peut pourtant se demander s’il s’agit bien d’un contrat d’auteur. En effet, la notion d’« honoraires » renvoie égale-ment à l’idée de l’honnête homme exerçant une profession libérale.

Les éditeurs auraient offert à Beuchot une rémunération fixée en échange d’un service dont il détient l’expertise, au même titre qu’un médecin ou qu’un avocat. Encore une fois, c’est Beuchot qui insiste pour bénéficier du traitement qui doit être celui d’un auteur lorsqu’il est question de la défense de ses droits sur son travail :

Art.  4. M.  Beuchot s’engage sous peine de dommages-intérêts envers les sieurs à ne pas autoriser ni même tolérer avant le 1er janvier 1834 la publication ou l’annonce d’une autre édition de Voltaire avec tout ou partie de son travail ; et pour la poursuite devant les tribunaux, des |B. comme| contrefacteurs, des entrepreneurs ou vendeurs, il s’engage à passer procuration à celui de MM qui lui sera désigné.

|B.[en marge] Les poursuites seront signifiées à M. Beuchot qui aura le droit d’intervenir dans l’instance.| Si dans les six mois de l’apparition de la réimpression ou de la contrefaçon MM.…

N’avaient pas demandé la procuration et commencé les poursuites,

|B[en marge] ou s’ils interrompaient les poursuites| M.  Beuchot pourra les faire |B. commencer ou les suivre| personnellement.

Les dommages-intérêts prononcés par les tribunaux appartiendront au fondé de pouvoir et à ses associés s’ils sont poursuivants ; et à M. Beuchot seul si c’est lui qui poursuit337.

d’un ouvrage, soit du droit d’en publier des éditions moyennant une redevance par exemplaire vendu ou tiré” » (éd. 1913).

336. Edmond Werdet, De la librairie française, op. cit., Paris, 1860, p. 318.

337. Beuchot, msc. autographe avec corrections autographes, [août 1828], BnF, n.a.fr. 25136, f° 132.

Encore une fois, Beuchot défend face à ses libraires-éditeurs une relation qui se caractérise par une recherche de la plus grande hori-zontalité possible. C’est bien un contrat de concession que celui de Beuchot. Il concède l’exploitation de son travail, mais même dans ce cadre, il cherche à en conserver, au moins en partie, la propriété. C’est ce dont témoignait déjà, en termes juridiques, le fait qu’il touche un salaire. Beuchot cède l’utilisation de son travail et non son travail, dont il reste en dernier lieu le propriétaire338. De façon amusante au regard de sa biographie, c’est aussi ce qu’indique son ajout visant à pouvoir engager lui-même des poursuites face aux contrefacteurs éventuels. Cet article lui permet enfin de s’assurer que ses libraires ne vont pas vendre le Voltaire de Beuchot à un autre éditeur, libraire ou imprimeur, qui pourrait produire à moindre coût et vendre moins cher le même travail. Le préjudice qui touche Clogenson, engagé par Delangle mais publié par les frères Baudouin, est ici anticipé. Les éditeurs n’auront pas la possibilité de débaucher des souscripteurs à Beuchot, de diminuer son revenu dans le cas de rééditions, voire d’anéantir ses travaux dans une édition qui ferait faillite. Pour parer à cela, ce sont, à nouveau, les deux parties qui se trouvent mutuellement engagées jusqu’au terme de l’entreprise. En conclusion, le contrat que cherche à signer Beuchot tourne autour de ces trois mots-clés : auctorialité, concession et réciprocité.