• Keine Ergebnisse gefunden

Bibliographe et bibliophile

« On naît bibliographe ; mais c’est à force d’études qu’on le devient59. » Au centre de son attention se trouve bien un goût qu’il cultive ensuite, pour une discipline qui exige rigueur et travail  : la bibliographie, matière ô combien sérieuse. Cette assertion pourrait presque résumer à elle seule l’approche littéraire de Beuchot  : elle explique du moins l’intérêt pour Voltaire de celui qui n’en est pas encore le scrupuleux éditeur. Rien d’étonnant en effet que Beuchot, qui avoue un penchant inné pour le catalogage des livres, se distingue par son classement inédit des textes de Voltaire et son tri des diffé-rentes variantes – particulièrement nombreuses dans les cas des œuvres du patriarche de Ferney – comme si son intérêt pour Voltaire était

57. Maria Pia Casalena, « L’homme, la nation, le siècle », Cahiers de narratologie [en ligne], 15, 2008, mis en ligne le 20 décembre 2008, consulté le 23 novembre 2016.

58. Louis-Gabriel Michaud, Biographie des hommes vivants ou Histoire par ordre alphabétique de la vie publique de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs actions ou leurs écrits, Paris, chez L.-G. Michaud, 1816, t. 1, p. 335.

59. Beuchot, « Répertoire de bibliographies spéciales, curieuses et instructives, par M. Gabriel Peignot […] », compte rendu, Mercure de France, 1811, p. 489.

essentiellement porté par sa vocation de bibliographe. L’édition de Voltaire lui apparaîtrait alors comme un défi. Le volume du corpus, le nombre de variantes, les inédits découverts ne satisfont-ils pas ce goût pour la bibliographie mieux que ne pourrait le faire le travail sur n’importe quel autre auteur ? Cette approche n’entretient-elle pas, dans ce cas, un rapport à l’œuvre du philosophe de Ferney loin des préoccupations velléitaires propres à l’époque de Beuchot60 ?

Décrit de son vivant dans un article que lui consacre le Dictionnaire des conversations et de la lecture, Beuchot y est dépeint comme un

« savant et scrupuleux bibliographe61 ». À cela s’ajoute le fait qu’il se trouve, au cours de son existence, immergé dans un milieu d’hommes de lettres. Il grandit à Lyon et y fréquente le collège de la Trinité, où il a comme condisciples des hommes tels que Dugas-Montbel, Casimir Périer et Pierre-Simon Ballanche, avec lequel il envisage d’édi-ter les œuvres de Chateaubriand62. Il se lie également avec

André-60. Voir à ce propos François Bessire, « “Un vaste incendie qui va dévorer des cités et des provinces” : les éditions d’œuvres complètes de Voltaire sous la Restauration », dans Jean-Yves  Mollier, Martine Reid et Jean-Claude Yon (dir.), Repenser la Restauration, Paris, Nouveau Monde, 2005, p. 185-196. Et infra, ch. 2.

61. Dictionnaire des conversations et de la lecture, Paris, Garnier Frères, t. LV (3du supplément), 1844, p. 162.

62. Voir notamment l’impressionnante correspondance que Beuchot entretient avec Ballanche. Celle-ci fait ressortir le rôle d’intermédiaire à Paris que joue Beuchot pour les imprimeurs lyonnais. Il donne des ouvrages, les soumet à la censure, négocie avec les libraires. « Quant à l’Atala, je t’avais déjà donné carte blanche. La seule chose qui pourrait nous contrarier, ce serait si cette édition d’Atala pouvait être un sujet d’attaque dans les journaux. Ainsi il faut avant tout que cette petite spéculation ne contrarie point l’auteur. Il faut donc le consulter […]. Les libraires détaillants ont une telle habitude de s’approvisionner à Paris, que même le peu d’exemplaires de l’abrégé qui se vendent à Lyon ne sont pas pris chez nous. […]

ce que je préférerais ce serait un petit marché à forfait par lequel on stipulerait une somme quelconque  : on fixerait un temps déterminé pour l’écoulement de l’édition : enfin on expliquerait que cette édition d’Atala-René ne pourrait apporter aucune entrave pour des dispositions ultérieures relatives au Génie du christianisme.

Il ne faut enchaîner notre liberté, que pour l’impression séparée des deux épisodes en question, et pour un temps seulement. M. de Chateaubriand a deux nouvelles qu’il pourrait joindre aux deux épisodes, ou en faire un volume séparé, du même format, et avec gravure. Je crois que ce serait assez bien vu pour lui et pour nous.

Cette édition des deux nouvelles ne contrarierait point le projet relatif aux Œuvres complètes au cas où on y songeât. Je crois que dans le cas où nos deux épisodes seraient unis d’une manière inséparable aux deux nouvelles, il serait juste que M. de Chateaubriand eût une portion plus grosse que celle qui serait indiquée par la proportion de ce que nous aurions mutuellement fourni pour cette édition. La

Marie Ampère63, dont il aurait même été le secrétaire à ses débuts comme clerc de notaire à Lyon, dans les toutes dernières années du xviiie siècle. C’est sans doute en partie à cette activité qu’il doit l’essentiel de ses relations dans le monde littéraire lyonnais, puisqu’il fréquente avec Ampère la société littéraire de cette ville64. Pour ce qui concerne sa famille, relevons que son beau-fils, avec lequel il entretient des rapports conflictuels jusqu’à la fin de sa vie65, n’est autre que Louis-Nicolas Barbier, lui aussi bibliographe et sous-bibliothécaire du roi au Louvre. Ce dernier est enfin le fils d’Antoine-Alexandre Barbier, célèbre bibliothécaire sous l’Empire. Quant à la femme de Beuchot, Françoise-Félicité Morel, son nom évoquerait-il, par hasard, celui de Frédéric Morel, imprimeur du roi à la fin du xvie siècle, et connu pour avoir publié les Œuvres de Joachim du Bellay ? Quoi qu’il en soit, si l’on en croit son entourage, Beuchot semble s’être bien intégré dans le monde du livre.

Un rapide coup d’œil à la liste des correspondants de Beuchot le confirme : on y trouve tout ce que Paris surtout, mais la France plus généralement, compte comme bibliographes, bibliothécaires, biblio-philes ou hommes de lettres à cette époque. Ces relations ne sont pas sans importance pour comprendre comment se construit le Voltaire de Beuchot. L’éditeur n’a de cesse en effet, dans ses lettres, de jouer de ses relations pour obtenir des inédits ou des variantes du philo-sophe. Loin de l’image du savant reclus dans sa bibliothèque, Beuchot participe au contraire pleinement à la vie du monde de la librairie du Paris du premier tiers du xixe siècle. À l’image de ses lettres avec Cayrol, jalonnées de listes d’ouvrages commandés par ce dernier66, sa correspondance le montre volontiers en passeur de livres, négociant des rabais ou donnant son avis sur tel ou tel écrit. Enfin, à partir du

raison en est toute simple, c’est que ses deux nouvelles feraient valoir deux épisodes » (Ballanche, l.a.s. à Beuchot, BnF, n.a.fr. 5197, f° 9-50).

63. La correspondance d’Ampère, et notamment les lettres de Beuchot, à Beuchot, ou qui le mentionnent, est retranscrite sur le site www.ampere.cnrs.fr/?lang=fr 64. Michel Dürr, « Ampère et les milieux scientifiques et littéraires de son temps », Bulletin de la Sabix [en ligne], 37, 2004, mis en ligne le 2 novembre 2010, consulté le 15 décembre 2016. URL : http://sabix.revues.org/480

65. Ce dernier conserve et classe pourtant les archives de Beuchot. C’est en effet à la « collection Barbier » de la BnF qu’appartient une grande partie des lettres conservées de Beuchot.

66. Par exemple Beuchot, l.a.s. à Cayrol, 16 décembre 1827, IMV, MS 34-10.

moment où il occupe le poste de bibliothécaire à la Chambre des députés, l’essentiel des lettres qui nous restent de Beuchot concerne des échanges de livres dans le cadre de sa fonction.

Bibliographe avant tout, bibliothécaire jusqu’au terme de sa car-rière, Beuchot est, du moins le temps que dure son travail éditorial sur Voltaire, un infatigable voltairiste67. Il commence son travail sur l’édi-tion des Œuvres du philosophe dès 1802, collectant toutes les édil’édi-tions originales, les critiques, les défenses, les apologies, les pièces détachées et éparpillées de Voltaire jusqu’au terme de son entreprise en 1834.

Son impressionnante bibliothèque, qu’il nomme, non sans fierté, ses

« cent pieds68 », comportait près de 10 000 ouvrages selon ses dires69. De cette collection, il ne reste aujourd’hui que les 2 000 volumes de ou sur Voltaire vendus à la Bibliothèque impériale par son gendre, après sa mort. Ils sont conservés à la Bibliothèque nationale de France sous la cote  Z Beuchot. Un Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. *** précise la mise en vente de 352 autres titres entre le 10 et le 12 novembre 1851. L’étude de ce catalogue révèle peu de chose relativement aux lectures de Beuchot, hormis qu’il possède ses classiques. Ce sont en réalité les ouvrages de grammaire, d’histoire de la langue, de biographie, de bibliographie et d’histoire littéraire qui constituent l’essentiel de sa collection. Il semble donc bien que l’on doive comprendre Beuchot comme un bibliophile avant tout.

Il délaissera d’ailleurs Voltaire et ses œuvres à la fin de sa carrière, pour mieux se consacrer à sa charge de bibliothécaire de la Chambre des députés70.

67. « Est voltairien ce qui se rattache à Voltaire (exemple : “l’héritage voltairien”,

“l’écriture voltairienne”) ou ce qui se réclame de lui (“la monarchie de Juillet, la IIIe République étaient voltairiennes”). Est voltairiste celle ou celui qui s’affirme, à tort ou à raison, spécialiste de Voltaire. » Voir le débat enflammé entre Christophe Paillard et Alex Décotte, résumé par François Jacob dans La Gazette des délices, n° 41, printemps 2014, en ligne.

68. Il est tout de suite question de ces fameux « cent pieds » dans la correspon-dance entre Beuchot et Cayrol. Voir Beuchot à Cayrol, 12 octobre 18[26], IMV, MS 34-01.

69. Le chiffre est de Beuchot  : il nous dit en effet qu’il possède « environ 8 à 10 000 volumes » (Beuchot, l.a.s. à Cayrol, 30 mars [18]28, IMV, MS 34-16). Le fonds que lui consacre la BnF sous la cote Z Beuchot ne comporte en revanche

« que » 2 000 volumes.

70. C’est ce qu’indique Christophe Paillard dans son article : « Que signifie être

“voltairien” », art. cit., p. 139-140.

Les « cent pieds » : collection voltairienne ou