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Le V ol ta ire d e B eu ch ot Le Voltaire de Beuchot

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Entre histoire de l’édition, herméneutique et sociologie de la littéra- ture, cet ouvrage exploite des correspondances inédites entre éditeurs de la Restauration pour comprendre le contexte qui a fait naître l’édi- tion Beuchot des Œuvres de Voltaire (Lefèvre, 1828-1834).

Si l’on a souvent eu tendance à relier l’édition frénétique des Œuvres de Voltaire aux troubles politiques qui marquent les années qui mènent de l’Empire à la Monarchie de Juillet, les jeux économiques, les pratiques commerciales, la découverte d’archives qui font rêver collectionneurs et amateurs de littérature sont aussi à envisager. Bibliographe, biblio- thécaire, bibliophile, et surtout voltairiste reconnu, Beuchot s’inscrit dans cette évolution du métier d’éditeur. Ce dernier affirme une in- tention éditoriale complexe, dans laquelle il dévoile une réflexion sur le texte qui se conçoit en amont de toute considération économique ou politique, et que l’on ne doit pas hésiter à déjà qualifier de savante.

Il contribue aussi, par sa méthodologie comme par ses choix éditoriaux, à façonner la postérité du patriarche telle qu’elle nous est parvenue.

Ainsi, derrière ces questions techniques, c’est aussi le processus d’his- toricisation de Voltaire et de ses œuvres dès le début du XIXe  siècle qui se dessine.

Nicolas Morel est Docteur et assistant de l’Université de Berne.

Ses recherches portent notamment sur l’édition et la réception des œuvres de Voltaire et de la philosophie des Lumières, en collaboration avec le CELLF (Sorbonne Université) et l’IHRIM (Université Lu- mières-Lyon 2).

Le V ol ta ire d e B eu ch ot Le Voltaire de Beuchot

N ic ol as Mo re l Une édition savante sous la Restauration

Nicolas Morel

G EOR G

GEORG

9 782825 711231

242

Trimmed: (242H × 335.9W) Untrimmed: (252H × 345.9W) mm

Untitled-1 All Pages 2.12.19 11:27

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Le Voltaire de Beuchot

Une édition savante sous la Restauration

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Illustration de couverture

Portrait de Voltaire, gravure anonyme, d’après une découpure de papier noir de Jean Huber, s.d., Bibliothèque de Genève (CIG)

Maquette

Hans Christian Weidmann, Versoix

Cet ouvrage est publié sous la licence Creative Commons CC BY-NC-ND (Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification).

ISBN 9782825711231

ISBN électronique 9782825711255 DOI 10.32551/GEORG.11255

© 2020 Georg Editeur

Chemin de la Mousse 46 | CH-1225 Chêne-Bourg | Tél. +41 (22) 702 93 11 | www.georg.ch

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’est tout d’abord à Michèle Crogiez Labarthe, directrice de ce travail de thèse, que s’adressent ces quelques mots  : merci à elle pour son aide, ses relectures et surtout la confiance qu’elle me témoigne depuis le début de notre collaboration. Je remercie aussi chaleureusement Nicholas Cronk, premier relecteur, jamais avare de conseils, et qui m’a généreusement ouvert les portes de la Voltaire Foundation à Oxford.

L’Université de Berne et la Conférence universitaire de Suisse Occidentale (CUSO) m’ont apporté un soutien institutionnel plus que bienvenu, et permis de rencontrer de nombreux collègues, professeurs et doctorants. Je souhaite ici les remercier pour leurs conseils et leur sou- tien moral. Merci aussi à toutes celles et tous ceux, voltairiens confirmés ou amateurs éclairés, qui m’ont fait l’amabilité de me transmettre leurs conseils et de me relire : Stéphanie Géhanne-Gavoty, Pierre Leufflen, Flávio Borda d’Água, Catherine Walser, Josiane et Alain Deriaz.

Sans les encouragements, les conseils et le soutien de François Jacob, ancien conservateur de l’Institut et Musée Voltaire et aujourd’hui maître de conférences à l’Université de Franche-Comté, cette thèse n’aurait jamais vu le jour. Je tiens, cela va sans dire, à le remercier tout spécialement.

Géraldine, merci à toi surtout pour m’avoir toujours encouragé avec la bonne humeur et la générosité qui te caractérisent. Enfin, Antoine, merci à toi d’avoir illuminé ces mois de travail de tes pre- miers sourires.

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u croisement de l’histoire littéraire, de l’histoire de l’édition, des études biographiques et des études voltairistes, cet ouvrage se donne pour objectif de comprendre les enjeux qui entourent l’édition de Beuchot des Œuvres de Voltaire. Parue en 70 volumes in-8° chez le libraire Lefèvre entre 1828 et 1834, cette édition marque une étape importante de l’histoire de l’édition posthume des Œuvres complètes de Voltaire : d’un côté, elle introduit des nouveautés méthodologiques qui seront amenées à perdurer, une fois réinvesties par Louis Moland à la fin du xixe siècle, jusqu’à notre époque. D’un autre côté, le travail de Beuchot s’inscrit nécessairement dans une trajectoire éditoriale qui part de Voltaire et qui transite par les éditeurs de Kehl. Comment l’éditeur se positionne-t-il par rapport à ses devanciers ? Comment envisage-t-il la postérité de son propre travail ? Ces deux interroga- tions reviennent de façon récurrente dans notre étude. Par ailleurs, contrairement à ses devanciers – notamment Condorcet et Decroix –, Beuchot est le premier éditeur à n’avoir pas personnellement connu le patriarche de Ferney. Comment cela influence-t-il son mode d’édi- tion ? Le renouveau d’une méthodologie éditoriale produit en outre des effets durables sur le sens et la définition de Voltaire et de son œuvre, même de façon posthume. Il s’agit alors d’une véritable hermé- neutique liée aux textes voltairiens. À cette herméneutique, le Voltaire de Beuchot déborde aussi sur un geste programmatique. Le travail réalisé par Beuchot répond en effet à une intention éditoriale claire- ment affichée, présentée et documentée. Hypothèse fondamentale de

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cette étude, la caractérisation de ce travail comme constitutif d’une éditorialité savante doit donc être à la fois précisée et contextualisée par rapport aux projets qui l’encadrent.

L’analyse de l’édition de Beuchot suivra trois mouvements.

Premièrement, il s’agit de questionner le sens d’une formule comme Le « Voltaire de Beuchot » dans une partie à la tonalité biographique et sociologique. Qui est Beuchot, comment s’intègre-t-il dans la société dans laquelle il évolue, quel est son rôle dans le milieu de l’édition parisienne de la Restauration ? L’approche biographique d’un éditeur des Œuvres complètes de Voltaire est-elle de nature à éclairer la récep- tion1 du patriarche, pendant la Restauration, sous un jour nouveau ? Au reste, est-on bien sûr de savoir ce qu’est un éditeur, en particulier à cette époque ? Ce sont autant de préalables nécessaires à la recherche d’une approche de Voltaire qui soit propre à Beuchot.

Deuxièmement, ce Voltaire de Beuchot n’est-il qu’un « Voltaire parmi d’autres » ? Il s’agit de replacer cette édition dans la perspective d’une histoire littéraire et d’une histoire des éditions de Voltaire  : Comment ce projet parvient-il à s’intégrer dans son contexte ? Souvent analysée à l’aune des luttes politiques et des polémiques publiques qui jalonnent les quinze années qui mènent de l’Empire à la monarchie de Juillet, l’étude de l’édition des Œuvres complètes de Voltaire sous la Restauration doit gagner en précision. Troisièmement, il s’agira de revenir à une approche plus synthétique pour, d’abord, analyser le contenu de l’édition de Beuchot et, ensuite, en décrypter la structure. Quelles sont les nouveautés qu’il intègre à son édition ? D’où proviennent-elles essentiellement ? Quels sens ces innovations produisent-elles sur la définition de Voltaire et de son œuvre ? Si l’analyse retrouve, en dernier lieu, le chemin de l’histoire de l’édition, cela signifie-t-il que le geste de Beuchot ne peut trouver de réponses hors des conditions sociales, historiques et culturelles qui l’ont vu naître ? S’il est bien le résultat d’un travail personnel, mené au sein

1. Le terme « réception » doit être entendu dans une optique plus large que celle soulevée par le travail de Jauss (H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, rééd. 2015). D’une part, l’époque et, en conséquence, les enjeux soulevés par l’édition de Beuchot ne sont pas les mêmes que ceux dont traite Jauss.

D’autre part parce que le terme « esthétique de la réception » paraît laisser peu de place à des explorations sociologiques, politiques ou économiques telles que nous avons voulu les présenter dans ce travail.

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d’une société de savants et d’imprimeurs, dans un contexte de crise politique précis, qu’est-ce qui explique en fin de compte sa longévité ?

La construction d’une image de Voltaire sous la Restauration à travers l’étude du monument édité par Beuchot se fonde essen- tiellement sur des correspondances manuscrites. Diverses sources imprimées, littéraires ou érudites, qui vont de romans de Balzac à des pamphlets imprimés en passant par le paratexte éditorial, tous considérés comme sources, viennent compléter le propos. Ce travail prolonge une série d’études qui ont abordé, de près ou de loin, la question de la réception posthume de Voltaire et de son édition sous la Restauration. Une reconsidération des principaux travaux s’avère ici nécessaire. Les deux ouvrages de Raymond Trousson, Visages de Voltaire2 et Voltaire. Mémoire de la critique3, ou encore Les Vies de Voltaire : discours et représentations biographiques réunies par Christophe Cave et Simon Davies4 abordent bien la question de la postérité de Voltaire et de son œuvre, mais ni la Restauration ni les  questions liées à l’édition des Œuvres complètes ne sont au centre de ces travaux. Ils présentent une juxtaposition d’études de cas, sorte de catalogue chronologique de différentes réceptions successives.

Cette approche fragmentée, individualisée même, de ce qu’on pourrait un peu rapidement appeler « la réception de Voltaire au xixe siècle », enrichit pourtant notre questionnement : en écho, en outre, au titre choisi par André Magnan pour l’un de ses articles –  dans lequel il évoque un Voltaire de Kehl5 –, existe-t-il un Voltaire de Beuchot ?

D’ailleurs, à l’exception des premières questions posées par Christophe Paillard, dans deux articles de la Revue Voltaire6, sur le rapport entre les savants voltairiens du xixe  siècle et l’édition des

2. Raymond Trousson, Visages de Voltaire (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, Honoré Champion ; Genève, diff. Slatkine, 2001.

3. Raymond Trousson Voltaire. Mémoire de la critique. 1778-1878, Paris, PUPS, 2008.

4. Christophe Cave et Simon Davies (éd.), Les Vies de Voltaire : discours et représen- tations biographiques, XVIIIe-XXIe siècles, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC, 2008/4.

5. André Magnan, « Le Voltaire de l’édition de Kehl », Europe, Paris, n° 781, 1994, p. 6-15.

6. Christophe Paillard, « Que signifie être “voltairien” au xixe siècle ? Beuchot et Cayrol, éditeurs de Voltaire », Revue Voltaire, Paris, PUPS, n° 10, 2010, p. 121-143.

Et « Les “cailloux pétrifiés” de Voltaire : corrections auctoriales ou modifications éditoriales ? Le traitement de L’A. B. C. dans les éditions de Kehl et de Beuchot », Revue Voltaire, Paris, PUPS, n° 11, 2011, p. 373-385.

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Œuvres de Voltaire, l’intérêt des chercheurs, François Bessire en tête7, s’est surtout porté soit sur la dimension polémique attribuée à Voltaire sous la Restauration, soit sur le phénomène d’édition massive de ses Œuvres complètes. Ces deux aspects excluent de fait une approche centrée spécifiquement sur le travail éditorial de Beuchot. D’ailleurs, le champ de la recherche voltairiste délaisse fréquemment son édition. Il n’existe pour l’heure aucune étude approfondie du travail de Beuchot, alors qu’une thèse (publiée par Linda Gil8) et plusieurs articles ont été consacrés, par André Magnan et Andrew Brown notamment, à l’édition de Kehl9. On préfère régulièrement à Beuchot ses glorieux prédécesseurs de Kehl –  Beaumarchais, Condorcet et Decroix en tête – et leur édition militante qui parachève la gloire du patriarche de Ferney, grand homme des Lumières. Ce qui est vrai au niveau de la recherche l’est également au niveau de la référence bibliographique.

On préfère généralement à l’édition de Beuchot celle de Moland, du moins tant que n’est pas achevée l’édition d’Oxford. Plus complète sur le plan de la Correspondance, l’édition de Moland n’est pourtant, fondamentalement, qu’une réimpression du travail de Beuchot. Son succès est-il dû, là aussi, au contexte ? Parue au moment du centenaire de la mort de Voltaire, en plein renouveau de l’histoire littéraire, à une époque sans doute plus à même d’apprécier la nature historiogra- phique, bibliographique et philologique de ses travaux, la réédition par Moland du travail de Beuchot suggère-t-elle que notre éditeur n’ait eu comme seul tort, pour assurer sa postérité, que de venir trop tôt ? Au-delà de cette question, il s’agit avant tout de souligner le caractère novateur du geste éditorial mené par Beuchot.

Si le travail de Beuchot reste, aujourd’hui encore, souvent sous- estimé ou, du moins, relégué au second plan des études voltairistes, que dire de son auteur ? Grand absent de toutes les histoires de l’édi- tion française du xixe siècle, négligé jusqu’à son activité de rédacteur de la Bibliographie de la France, pour laquelle il référence toutes les

7. François Bessire, « “Un vaste incendie qui va dévorer des cités et des provinces” », art. cit.

8. Linda Gil, L’Édition Kehl de Voltaire. une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2 tomes, 2018.

9. Andrew Brown et André Magnan, « Aux origines de l’édition de Kehl. Le Plan Decroix-Panckoucke de 1777 », Cahiers Voltaire, Ferney-Voltaire, Centre interna- tional d’étude du xviiie siècle, n° 4, 2005, p. 83-124.

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publications parues en France et qui en fait, pourtant, un fondateur d’une science bibliographique nationale, Beuchot occupe un rôle cen- tral dans le monde du livre entre l’Empire et la seconde République.

Au-delà de ses travaux sur Voltaire, connus et même attendus par ses contemporains, il a publié le Dictionnaire de Bayle10 avec un succès certain. Collaborateur, également, de Michaud pour sa Biographie universelle, n’est-il pas, lui aussi, un de ces anonymes dont il s’agirait, finalement, aujourd’hui, de brosser le portrait ? L’intérêt d’abord bio- graphique pour Beuchot vaut en dehors de son travail sur Voltaire.

N’est-il pas déjà commandé par une époque où l’influence de l’in- dividu, même en apparence le moins connu, sur la collectivité dans laquelle il s’inscrit, est repensée ? Apporter des précisions sur l’identité de Beuchot, sur certains de ses positionnements, sur ses relations, et sur sa carrière permet de lever le flou qui entoure encore aujourd’hui ce personnage, mais aussi de préciser le climat social, politique et intellectuel dans lequel il évolue.

Bibliothécaire, bibliographe et bibliophile  : la carrière de cet homme présente d’emblée quelque chose de paradoxal. Comment concilier ce goût pour les livres bien rangés, pour le classement des ouvrages, pour tout ce qui, autrement dit, forme le fond de son tra- vail quotidien, avec le caractère exceptionnel, frénétique, maniaque même que prend sa quête d’inédits voltairiens entre 1802 et 1834 ? Comment accorder le caractère fondamentalement savant de son édi- tion avec son activité de collectionneur forcené ? À l’inverse, est-ce vraiment un hasard si l’auteur le plus prolifique du xviiie  siècle se trouve édité par un homme qui cumule une approche rigoureuse du classement des œuvres avec un goût prononcé pour l’inédit, qui plus est à une période où s’ouvrent les archives et où ressortent, en nombre, des pièces non éditées de Voltaire ? Doit-on comprendre le renouveau méthodologique, le nouveau classement des œuvres et le tri opéré par Beuchot comme un défi bibliographique ? À l’inverse, les précisions historiographiques, bibliographiques et philologiques qu’il intègre ne sont-elles pas justement le fruit de ses recherches fréné- tiques ? La bibliophilie de Beuchot se comprend, on s’en doute, à part

10. Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle. Nouvelle édition, augmentée de notes extraites de Chaufepié, Joly, La Monnoie, Leduchat, L.-J. Leclerc, Prosper Marchand, publié par A.-J.-Q. Beuchot, Paris, Desoër, 1820, 16 vol. in-8°.

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celle d’un Nodier, par exemple. Elle mêle au goût exclusif, presque aristocratique, pour les traces manuscrites et inédites de Voltaire un travail de mise à plat – peut-on parler, par opposition, de démocra- tisation ? – de ses œuvres.

La question biographique est même abordée sous deux angles différents : d’abord au travers de la question de l’image de Voltaire que livre Beuchot en publiant, comme de coutume depuis l’introduc- tion de cette pratique par les éditeurs de Kehl, les lettres de Voltaire.

L’étude de la correspondance de Beuchot possède également un carac- tère autobiographique, dans ce qu’elle révèle de Beuchot lui-même.

Les sources mises au jour dans cette étude présentent d’ailleurs un caractère foncièrement original. Tout d’abord, les correspondances choisies sont, pour la plupart, inédites. Ensuite, si le recours aux correspondances n’est en soi pas nouveau, il était, jusque-là, plutôt réservé aux grands hommes, et non aux artisans du livre comme c’est le cas de Beuchot et de ses correspondants. À ce titre, si Beuchot, on l’a dit, est un personnage trop peu connu hors de quelques rares voltai- ristes, que peut-il en être d’éditeurs bibliophiles comme Nicolas-Jean- Joachim de Cayrol, Louis Dubois ou Jean Clogenson ? Que sait-on d’éditeurs commerciaux comme Antoine-Augustin Renouard, Auguste Hunout, ou Nicolas Delangle ? Qui s’est déjà penché sur les archives de Georges-Adrien Crapelet, imprimeur, entre autres, de plusieurs éditions de Voltaire sous la Restauration ? Ce sont pourtant autant d’acteurs qui ont participé de près à l’édition des Œuvres de Voltaire par Beuchot. La reconstitution des échanges entre ces personnages et leur réunion en un réseau ont bien sûr quelque chose de factice.

Outre qu’il nous manque évidemment des lettres, nous n’avons pas de traces des rencontres effectives entre ces acteurs du livre. Au reste, leur relation influence-t-elle de façon identique le travail de Beuchot ? La description d’un réseau d’éditeurs signifie-t-elle que Beuchot, s’il est celui qui appose son nom à l’édition de Voltaire qui fait date sous la Restauration, n’est pas le seul à la concevoir ? Ce serait d’autant plus probable que la Restauration voit naître plus de vingt éditions des Œuvres complètes de Voltaire. La concurrence est féroce, mais le climat d’effervescence paraît aussi, à l’inverse, devoir pousser les édi- teurs à se démarquer non seulement au niveau matériel, mais aussi au niveau du contenu des Œuvres. Comment, entre émulation et jeux de dupes, se répartissent les améliorations éditoriales ? Peut-on

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même parler, sans exagération, sinon d’un travail en commun, du moins d’un mouvement éditorial que conclut le travail de Beuchot ?

Partie des Lettres à Cayrol, conservées à la Bibliothèque de Genève, Musée Voltaire, notre enquête a permis de mettre au jour, entre les fonds de la Bibliothèque nationale de France et ceux de la Voltaire Foundation à Oxford, une activité épistolaire nourrie chez Beuchot.

Définir un monde autour de Beuchot possède toutefois quelque chose d’artificiel. Cette constellation ne tient que par le simple fait des archives que nous avons, provisoirement dépouillées. Le travail mériterait assurément d’être poursuivi, notamment pour les nom- breuses lettres échangées avec Ballanche, Michaud ou Charles Weiss.

En outre, il va de soi que l’étude des correspondances et documents privés pose un certain nombre de problèmes : incomplétude des fonds, archivage défaillant, documents perdus ou détruits, postures d’auteurs qui modifient le sens des lettres, silences sur certains sujets, références devenues obscures, la lettre comme source n’est fiable qu’à condi- tion qu’on tienne compte de ces précautions. Remettre en question, si possible par des axes de questionnement différents, ou adjoindre aux lettres d’autres sources, imprimées cette fois-ci, pour valider leur contenu, vaut comme principe de prudence autant que comme préalable méthodologique nécessaire. L’étude d’une correspondance, même incomplète, permet toutefois de s’immerger dans un contexte et de le présenter d’une façon réaliste. C’est justement par le cumul de détails qu’elles laissent deviner que les correspondances livrent, on ne le répétera jamais assez, des indications précieuses pour tout historien de la littérature. Les correspondances de Beuchot offrent une immersion privilégiée dans les coulisses de son édition. Elles nous plongent également au cœur de cette période tout aussi charnière dans la formation d’un espace national après le choc révolutionnaire qu’elle est riche en enseignements quant à l’assimilation des événe- ments de 1789. Le cumul des lettres –  près de 1  000  documents ont été dépouillés  – donne encore accès à l’atmosphère du monde de l’édition sous la Restauration. Ces lettres nous permettent-elles également d’opérer un tri parmi les nombreuses éditions des Œuvres complètes de Voltaire ?

La Restauration est une période difficile à caractériser à tous les niveaux. Politiquement, les ministères se succèdent, les lois et les arrêtés modifient chaque année les rapports de force. Peut-elle

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être grossièrement ramenée à un espace de tensions entre libéraux et royalistes, autour de la définition à donner à la Charte ? Entre nou- veautés romantiques, réédition et redéfinitions d’un corpus classique, la complexité du champ de la littérature au xixe siècle est également à prendre en considération  : ne s’agit-il pas d’autant de façons de considérer Voltaire ? Ce champ littéraire de la Restauration nous est bien connu, entre autres depuis les travaux de Paul Bénichou11. Mais le Sacre de l’écrivain qu’il décrit concerne-t-il vraiment jusqu’aux rééditions d’auteurs du xviiie siècle, comme Voltaire ou Rousseau ? Largement centrés sur la pratique littéraire qui suit la Révolution et en assimile les conséquences, ses travaux montrent surtout comment la littérature s’émancipe de la religion, jusqu’à modifier les paradigmes du sacré pour mieux les incarner. C’est le mouvement romantique, couronnement du « poète-penseur ». Cette sacralisation du rôle de l’écrivain correspond-elle bien à Voltaire, du moins tel que le pré- sente l’édition de ses Œuvres par Beuchot ? Lui-même, en sa qualité d’éditeur bourgeois, a-t-il quelque chose à voir avec cet aristocratisme littéraire que décrit Bénichou ? Son édition semble devoir se com- prendre, au contraire, en dehors du champ d’action des romantiques.

Il en va de même pour la thèse d’André Billaz, parue en 1974, Les Écrivains romantiques et Voltaire12, centrée elle aussi sur le mouve- ment romantique, même si elle a le mérite d’éclairer une large part du contexte politique et culturel de la Restauration.

La complexité du champ éditorial paraît en revanche beaucoup plus fondamentale. Qu’est-ce qu’un éditeur sous la Restauration, à une époque où la technique s’améliore, où le lectorat croît et où la censure mise en place par Napoléon s’effrite ? Le terme repose déjà sur une ambiguïté fondamentale : la distinction entre publisher et editor que connaît l’anglais n’est pas immédiatement rendue en français.

C’est pourquoi nous avons choisi de parler d’éditeur commercial et d’éditeur savant. Le xixe siècle connaît l’essor de l’éditeur commercial, incarné par le célèbre éditeur des romantiques, Ladvocat, caricaturé par Balzac et critiqué par Regnault. Son travail est-il comparable à

11. Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Paris, José Corti, 1973.

12. André Billaz, Les Écrivains romantiques et Voltaire, Lille, service de reproduction des thèses, 1974, 2 vol.

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celui de Beuchot ? Notre distinction force-t-elle le trait d’une diffé- renciation avant tout théorique ? Elle permet, au contraire, d’affirmer l’originalité de l’éditeur de Voltaire. C’est supposer que, en parallèle à l’éditorialité exclusivement commerciale, se distinguent, déjà, certaines personnalités qui brillent en raison d’un rapport documenté aux œuvres qu’elles éditent.

La définition d’un travail propre à l’éditeur savant pose une autre question. Si le rapport de Ladvocat avec les auteurs qu’il édite est clair – il reçoit un manuscrit qu’il achète et publie dans l’espoir non seu- lement de rentrer dans ses frais, mais aussi de dégager un bénéfice –, qu’en est-il de Beuchot ? Le cas est complexe : l’éditeur savant fait éditer commercialement un travail qui n’est pas le sien, mais dont l’originalité dépend de lui. Sous quelle catégorie juridique doit-on comprendre son travail ? La question intervient surtout dans le cadre de la publication d’œuvres posthumes : Quelle est la responsabilité de l’éditeur ? D’un point de vue juridique, moral et intellectuel, récupère- t-il une part de l’auctorialité ? Et si les faiseurs de livres n’étaient pas toujours ceux qui les écrivent ? Les travaux de Roger Chartier s’avèrent nécessaires ici à double titre : d’une part pour comprendre la répar- tition des différents métiers du livre, dans le temps de l’impression et l’espace de l’atelier, ainsi que leur évolution historique13. D’autre part pour mettre en avant l’importance du retour aux manuscrits opéré par Beuchot. En définitive, derrière l’ambition de l’éditeur de se tourner vers un instant primitif de la création et la reconstruction d’un geste décrit comme original, ne s’agit-il pas de passer outre la volonté manifestée de l’auteur au travers de ses publications ? L’éditeur se détourne-t-il de la volonté de l’auteur alors même qu’il affirme vouloir revenir au plus près de son geste initial ?

Les sources, et en particulier certaines pièces manuscrites comme le contrat signé entre Beuchot et ses éditeurs commerciaux ou les notes qu’il prend en vue des procès qu’il engage pour défendre ses droits d’auteur, éclairent bien notre compréhension d’une approche de l’édition en train d’évoluer sous la Restauration. Ces documents sou- lignent, en outre, l’importance d’une prise en compte des aspects juri- diques dans ce travail. Liberté de la presse, dépôt légal, responsabilité

13. C’est le sens, notamment, de son ouvrage La Main de l’auteur et l’Esprit de l’imprimeur, Paris, Gallimard, 2015.

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auctoriale, droits posthumes : n’est-ce pas entre la Révolution et la fin de la Restauration que se jouent, en effet, la plupart des lois qui régissent la propriété littéraire, au moins jusqu’à la fin du xixe siècle ?

Des travaux plus récents, notamment ceux menés par Jean- Claude Bonnet14 et par Antoine Lilti15, ont prolongé cette réflexion sur la constitution d’un champ culturel au cours du xixe siècle, lequel prendrait place au croisement de la constitution d’un culte laïc, de l’appa rition du succès populaire et de la création d’un espace mémo- riel national. Ne retrouve-t-on pas là les enjeux liés à l’édition des Œuvres complètes de Voltaire sous la Restauration ? Comment faire le tri entre les intérêts des libraires et le goût des acheteurs ? Une édition peut-elle s’envisager uniquement au gré des tensions politiques, et son succès répond-il nécessairement à une actualité polémique qui façonne le goût du public16 ? Éditer Voltaire sous un régime monar- chique dominé par les ultras peut effectivement apparaître comme une forme de défi à l’encontre du pouvoir. Mais l’éditer de façon complète et référencée permet aussi, au contraire, d’en adoucir un peu les aspérités les plus manifestes. Le problème soulève la dimension à la fois transhistorique et hétérogène des conditions qui poussent un éditeur commercial à publier ou non un ouvrage, laquelle se résume finalement à une question simple : à quel public s’adresse une édition ? Dans le cas du Voltaire édité par Beuchot, qui possède les moyens financiers pour s’offrir 70 volumes in-8°, soit une collection à plus de 300 francs ? Et, surtout, qui possède la bibliothèque pour entreposer une telle collection ? Peut-on, une fois cette question résolue, encore parler des nombreuses éditions d’Œuvres complètes sous la Restauration comme d’autant de brûlots polémiques ?

Jean-Claude Bonnet parle d’un « panthéon de papier », auquel se substitue un véritable culte de la personnalité à partir de 1791,

14. Jean-Claude Bonnet, Naissance du Panthéon : essai sur le culte des grands hommes, Paris, Fayard, 1998.

15. Antoine Lilti, Figures publiques : l’invention de la célébrité 1750-1850, Paris, Fayard, 2014.

16. La question possède encore une actualité récente, au xxie  siècle  : quand les éditions Fayard annoncent leur volonté de publier une édition critique, documentée et largement contextualisée de Mein Kampf, le font-elles plutôt par intérêt historique ou par opportunisme commercial, pour tirer profit d’une actualité polémique ? Il ne s’agit évidemment pas de comparer du point de vue littéraire les deux publications, mais de soulever la question de l’intérêt de l’éditeur.

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symbolisé par le transfert des cendres de Voltaire au Panthéon.

Beuchot et les éditeurs de la Restauration parlent, quant à eux, des éditions des Œuvres complètes comme d’un « monument littéraire » dressé en hommage à Voltaire. L’effervescence de l’édition de ces collections se comprend-elle comme un retour à ce « panthéon de papier » dont parle Bonnet, où Voltaire, soit dit en passant, partage également son succès avec Rousseau ? Cette notion de monument est- elle pourtant claire, et toutes les éditions se valent-elles dans l’image qu’elles donnent de Voltaire ? Quant à Lilti, il fonde sa définition du culte des grands hommes sur la lettre de Voltaire à Thieriot du 15  juillet  173517  : le « grand homme [est un] héros humanisé des Lumières18 », rappelle-t-il. L’humanisation dont il parle vaut-elle comme une actualisation ? N’est-ce pas le travail fondamental réalisé par Beuchot dans son édition, que de remettre Voltaire au goût du jour ? Dans les deux cas, l’accent est mis sur le caractère exceptionnel de la carrière posthume de Voltaire. Culte du grand homme et pan- théonisation chez Bonnet répondent au vedettariat analysé par Lilti, où la gloire de Voltaire est pourtant moins ostensiblement laïque, et possède déjà quelque chose de commercial.

N’y aurait-il pas toute une réflexion encore à faire sur le trans- fert symbolique de ces grands hommes du Panthéon sur les étals de libraires, et sur les bibliothèques des bourgeois et négociants pari- siens ? On touche là à un enjeu fondamental de ce travail, lequel déborde du cadre strictement défini de la Restauration : comment la figure d’un grand homme est-elle convoquée, retravaillée, aménagée en période de crise politique et institutionnelle ? La description de ces deux modalités de dévotion à Voltaire, dont le devenir lui échappait en réalité déjà de son vivant, renvoie-t-elle, d’une certaine manière, à notre travail ? L’importance de l’iconographie, où coexistent des portraits aussi variés que les caricatures de Jean Huber ou la statue de Houdon dans la constitution d’un culte de la personnalité voué à Voltaire, laisse-t-elle augurer une réception hétérogène dans le champ de l’édition également ? Peut-on d’ailleurs envisager les Œuvres com- plètes de Voltaire comme une statue posthume dressée à la gloire du patriarche de Ferney ? Il faudrait alors définir le sens de ce monument.

17. D893.

18. Antoine Lilti, Figures publiques, op. cit., p. 119-126.

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La transition entre ces prémices bibliographiques, méthodolo- giques et contextuelles vers le cœur de notre problématique est toute trouvée : le lien entre les correspondances, la science biographique et l’histoire de la construction de ce monument à Voltaire qu’est une édition de ses Œuvres complètes forme le fond de cette étude. Peut-on faire du Voltaire de Beuchot l’une des Vies de Voltaire présentée dans le volume de Christophe Cave et Simon Davies ? Autrement dit, le geste éditorial de Beuchot a-t-il une valeur biographique ? Déplacer La Vie de Voltaire de Condorcet en tête de la collection, lui adjoindre d’autres éloges et pièces biographiques, classer la Correspondance non plus en distinguant les correspondances avec les personnalités du xviiie siècle et la correspondance générale, mais en une seule série chronologique, et la présenter parallèlement au classement chronologique de chacun des genres dans lesquels il s’est illustré, semble bien suivre une voca- tion biographique, mais laquelle ? L’image du patriarche de Ferney valorisée par les éditeurs de Kehl s’en trouve, en tout cas, nécessai- rement modifiée. Beuchot parvient-il à donner une seule image de Voltaire, et celle-ci est-elle prédéfinie ? Ou fait-il coïncider plusieurs approches en dressant un catalogue de Voltaires ?

Bien plus, les éléments biographiques liés à Voltaire tels qu’ils sont dressés par Beuchot, influencent-ils jusqu’au sens de son œuvre, mise désormais en parallèle à sa vie ? Il s’agit de « faire voir la marche de l’esprit de Voltaire », dans ses œuvres et dans sa biographie. La méthodologie éditoriale soutiendrait bien une herméneutique voltai- rienne. Mais remettre au même niveau toutes les productions tex- tuelles de Voltaire, même les plus anodines, est-ce vraiment servir l’image du grand homme ? Ou, au contraire, l’édition de Beuchot contribue-t-elle à la domestication de son propos, jusqu’au contenu le plus philosophique et le plus sulfureux ? À la croisée de deux direc- tions divergentes de la réception de Voltaire – celle combative, mili- tante de Condorcet et Decroix, et celle minimaliste et bourgeoise que présente ultérieurement Homais, le personnage de Flaubert –, de quel côté regarde le Voltaire de Beuchot ?

Le contexte de la publication sous la Restauration est unanime- ment décrit comme conflictuel : combats politiques, discours publics et éditions des Œuvres de Voltaire atteignent par le jeu des amélio- rations de la presse une ampleur inédite. N’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir concevoir, dans cette période agitée, une édition décrite

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comme savante ? Une remise en question sur les plans historiogra- phique, philologique et bibliographique est-elle possible en période de crise politique ? Intérêts économiques, climat de reconstruction politique, résurgence d’un pouvoir appuyé sur la religion catholique, retour de l’influence de Voltaire, puissance de la presse, développe- ment technique et bibliophilie : s’agit-il d’autant d’éléments à même de se superposer ? Quelle est la place de Beuchot et de son travail dans ce cadre, lui qui ne parle jamais de politique, et qui annonce, en parallèle, une intention éditoriale que nous qualifions volontiers de scientifique avant l’heure ? Doit-il se comprendre comme une exception ? Ou existe-t-il un mouvement de fond de l’édition qui soit plus vaste et dans lequel s’inscrirait Beuchot ? C’est toute la période de 1817 et 1830 qu’il nous faut chercher à reconsidérer.

C’est aussi grâce à son édition que Voltaire accède définitivement au statut de « classique de la littérature française ». Comment com- prendre ce terme « classique » ? D’un point de vue historique, tire-t-il Voltaire vers une forme d’atemporalité, notion voisine de son acces- sion à un panthéon littéraire ? Ce serait comprendre Voltaire parmi les grands hommes de l’Antiquité dite « classique ». Mais que faire encore de la référence nationale ? Toujours au niveau historique, ne s’agit-il pas plutôt de le rapporter au xviie siècle, comme le rappelle Stéphane Zékian19, où il intègre un panthéon littéraire français cette fois-ci ? Ce serait le sens d’une collection de classiques spécifiquement dédiée à la « littérature française ». D’ailleurs, dans cette même col- lection du libraire Lefèvre, le Voltaire de Beuchot ne côtoie-t-il pas La Fontaine, Racine, Corneille ou Pascal ? L’assimilation de Voltaire et, par extension, de la philosophie des Lumières aux auteurs du Grand Siècle pose toutefois un problème. Doit-il se comprendre comme une forme de continuité du xviie  siècle ? Rapprocher Voltaire des auteurs chers à Louis  XIV, n’est-ce pas aussi le rapprocher d’idées monarchiques ? S’agit-il dans ce cas de légitimer une œuvre en mettant l’accent sur ce qu’elle a de consensuel avant tout ? Quoi qu’il en soit, Voltaire incarne toujours l’exemple des beautés littéraires. Il est plus que jamais amené à faire briller la France dans le concert des nations européennes en construction. C’est le sens d’un monument national, français, dressé à la gloire de Voltaire, tel que le revendiquent les

19. Stéphane Zékian, L’Invention des classiques, Paris, CNRS Éditions, 2012.

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éditeurs de la Restauration dans les prospectus des Œuvres complètes, qui reste également à interroger.

Une autre difficulté, tout aussi essentielle, est toujours d’actualité : faut-il publier toute l’œuvre d’un auteur ? Faut-il la trier, voire la cen- surer ? Au nom de quels principes ? Doit-on pieusement respecter une volonté exprimée par l’auteur à sa mort ? Doit-on se baser sur l’œuvre en fin de carrière, ou sur le texte le plus proche d’un geste original d’écriture ? Si aujourd’hui les polémiques autour des Œuvres de Voltaire paraissent restreintes à quelques cas marginaux, tel n’était pourtant pas le cas sous la Restauration20. Dénoncées par l’Église, critiquées par les romantiques, attaquées dans la presse par les légitimistes, les Œuvres complètes de Voltaire sont le reflet des divisions profondes de la société du début du xixe siècle. Que faire de l’auteur de La Henriade, quand celui-ci est aussi responsable de La Pucelle ou de Saül ? Que faire de l’hétérogénéité de son œuvre ? Peut-on toujours distinguer théâtre, poésie, contes au niveau du fond et de la forme ? « L’édition vraiment complète d’un écrivain célèbre est celle qui ne renferme rien d’indigne de lui21 », affirme à ce propos Palissot, dans le prospectus de l’édition des Œuvres choisies qu’il oppose, au tournant des années 1790, au projet de Beaumarchais qu’il considère comme un « outrage à sa réputation ».

D’ailleurs, Beuchot lui-même n’avoue-t-il pas avoir d’abord souhaité publier, en 1802, une édition d’Œuvres choisies, avec La Harpe ? S’il publie bien une édition dont le contenu s’apparente à celui des Œuvres complètes, n’est-il pas le seul des éditeurs de la Restauration à assu- mer l’incomplétude du corpus qu’il édite, en publiant des Œuvres de Voltaire ? Doit-on chercher dans ce geste une volonté politique chez Beuchot ? S’agit-il au contraire d’une preuve d’humilité de la part d’un savant, déjà conscient qu’il est amené à être dépassé ?

20. De plus, les éditions des Œuvres complètes de Voltaire posent, au niveau de la dimension polémique attribuée à leur contenu, des problèmes en partie analogues à ceux qui, au xxie siècle, surgissent autour des œuvres de Louis-Ferdinand Céline, dont le projet de publication des Pamphlets cause, à la fois pour des raisons morales et par respect de la volonté de l’auteur, de vives tensions. À ce propos, nous ren- voyons aux polémiques suscitées par l’ouvrage d’Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff, Céline. La race, le Juif. Légende littéraire et vérité historique, Paris, Fayard, 2017.

21. Palissot, « Œuvres de M. de Voltaire avec des notes sur ses différents ouvrages,

&  principalement sur les ouvrages dramatiques. Nouvelle édition, rédigée par M. Palissot, 40 vol. in-8° », p. 12. « Papiers Beuchot » BnF, n.a.fr. 14300, f° 204v.

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S’agit-il de pouvoir tout éditer, ou de devoir tout éditer ? Le problème de la complétude de la collection n’est en tout cas pas uniquement politique ou moral. Il déborde aussi, parfois, sur la res- ponsabilité de l’éditeur. La question se pose, là aussi, nécessairement de façon différente sous la Restauration, où l’on découvre de nou- velles archives, et où de nombreuses pièces tombent dans le domaine public. L’un des correspondants de Beuchot ne parle-t-il pas de sa

« chétive édition de Kehl22 » ? Cela signifie que le cadre défini par les éditeurs de Kehl ne suffit plus à contenir toutes les œuvres et qu’il faut en repenser l’agencement. C’est le signe d’un profond chan- gement de paradigme, et désormais d’autres questions se posent  : L’éditeur possède-t-il tout ce que l’auteur a écrit ? À l’opposé, tout ce qu’il possède est-il bien de Voltaire ? Tout ce qu’il édite, Voltaire aurait-il effectivement souhaité l’intégrer à sa collection ? Tout cela contribue à transposer la question de la complétude d’une édition vers une approche essentiellement scientifique. Que faire d’un côté de cette liberté laissée à l’éditeur ? Toute édition est-elle nécessairement arbitraire ? Que faire d’un autre côté des problèmes de censure et des critiques publiques adressées à l’encontre des éditeurs des Œuvres com- plètes de Voltaire ? Doit-on les comprendre comme secondaires ? Sans compter que le problème déborde aussi sur des questions matérielles : Comment intégrer tous ces matériaux dans un cadre prédéfini, de 70 volumes in-8° ? L’équation prend, en fin de compte, une tournure économique : Comment augmenter le corpus sans augmenter le coût de la publication ?

Parler de Beuchot comme d’un éditeur savant implique une étude de ce qui constitue le fond de ce travail : la structure et le contenu des Œuvres de Voltaire. Il faut s’attaquer à ce monument littéraire, le faire éclater pour distinguer ce qui provient de Beuchot, ce qui relève des autres éditeurs et ce qui subsiste du patriarche. C’est d’abord tout ce que Gérard Genette appelle le « seuil » de l’œuvre23, ou son paratexte, qui va nous intéresser, jusqu’aux limites de l’auctorialité voltairienne : comment se superposent les différents paratextes ? Que contiennent les préfaces et notes de bas de page ? Si Beuchot se vante de procé- der à un travail historiographique et bibliographique, celui-ci est-il

22. Cayrol, l.a.s. à Beuchot, Moulins, 4 octobre 1826, BnF, n.a.fr. 25134, f° 52r.

23. Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987.

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effectivement dépourvu de questions politiques ? Cette réactualisation n’est-elle pas déjà, en soi, un acte politique ? Après tout, devoir pré- ciser les références évidentes aux yeux de Voltaire, c’est admettre que son discours ne possède plus la même clarté sous la Restauration  : cela correspond-il à un acte de décès du grand homme des Lumières ? Transposé au niveau historique, cela signifie-t-il que le xviiie siècle est, lui aussi, compris comme révolu ? À l’inverse, l’origine du geste savant et rationnel de notre éditeur n’est-elle pas à chercher dans une mise en acte du discours des Lumières ? Peut-on alors concevoir le Voltaire de Beuchot à la fois comme exemple d’une éditorialité savante en train de se constituer chez certains bibliothécaires et bibliographes de la Restauration, comme un manifeste historique qui ferait entrer Voltaire dans une dimension mémorielle, et comme un acte idéolo- gique en faveur du progrès de la civilisation ?

C’est ensuite le problème du nouveau choix de classement des œuvres au sein des Œuvres complètes qui se pose de façon d’autant plus impérieuse qu’existe un plan validé par Voltaire lui-même. Celui-ci a-t-il lui-même figé son œuvre dans le temps ? C’est ce que défend Decroix, concepteur du plan qui, preuve de son éternelle validité, fut même gravé par Moreau. Que faire dans ce cas-ci, par exemple, des inédits retrouvés à titre posthume ? Peut-on modifier ce plan sans attaquer la cohérence que Voltaire a voulu donner à son œuvre ? Sur quels critères fonder un nouvel ordre ? Il y a deux choses à distinguer dans l’originalité du travail de Beuchot. La première a trait aux rap- ports qu’il entretient avec l’édition de Kehl. La seconde se rapporte à son travail éditorial. Collectionneur et catalogueur, il accomplit sur chacune des œuvres de Voltaire un travail de recollement et de reclassement qui s’étend d’un côté jusqu’aux variantes contempo- raines des textes. De l’autre côté, il n’hésite pas à retourner jusqu’à une version manuscrite, ou du moins jusqu’à la première version publiée. En ce sens, peut-on qualifier sans anachronisme son travail de philologique ? Ce travail de retour au texte originel, certes encore embryonnaire chez Beuchot, contraste avec la méthodologie éditoriale qui était celle des éditeurs de Kehl : ceux-ci se basent sur le plan des Œuvres complètes que Decroix et Panckoucke ont présenté à Voltaire en 1777 et que celui-ci a validé. Beaumarchais, Condorcet et ce même Decroix annoncent même dans leur prospectus posséder une partie des œuvres telles qu’elles avaient été corrigées par leur auteur lui-même,

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dans les derniers moments de sa vie. S’il avoue sobrement vouloir faire « autrement » que Kehl, Beuchot affirme, là aussi, en réalité, un changement radical des paradigmes éditoriaux.

Parmi les correspondances étudiées, il en reste une dont nous n’avons pas encore parlé. C’est sans doute la plus importante du point de vue tant de son contenu que de la symbolique qui lui est attachée.

Il s’agit pourtant d’une correspondance largement asymétrique : les lettres que Jacques-Joseph-Marie Decroix adresse à Beuchot ont été conservées par ce dernier, avec seulement quelques minutes de ses propres lettres. Il s’agit pourtant d’un fonds essentiel pour comprendre la transition qui se joue non seulement au niveau de la postérité de Voltaire sur le plan littéraire, mais aussi d’un renouveau de l’approche éditoriale. Il témoigne enfin d’une transition entre deux périodes : le siècle des Lumières et l’Ancien Régime auxquels appartient Decroix, et le xixe siècle de Beuchot, lequel marche vers la monarchie consti- tutionnelle. Ces lettres présentent plusieurs intérêts  : d’abord, elles révèlent les inédits que Decroix offre à Beuchot. La Correspondance avec d’Alembert ou une comédie, L’Échange, en sont les pièces les plus considérables. Decroix fournit également la correction manuscrite qu’il a patiemment dressée de l’édition de Kehl, le « Supplément à l’Errata de Kehl », conservé intégralement à la Bibliothèque nationale de France. Ce document suggère-t-il que l’implication de Decroix est commandée par l’objectif de figurer, lui aussi, parmi les acteurs de cette période de réédition des Œuvres de Voltaire ? Cela modifie-t-il notre compréhension de la nature de sa relation avec Beuchot ? Son inlassable labeur sur une édition vieille de plus de 40 ans ne prouve-t-il pas davantage la nécessaire imperfection de toutes les éditions, aussi

« complètes » soient-elles ?

Tant par ses dons que par la correspondance régulière et amicale qu’il entretient avec son collègue, Decroix semble se choisir Beuchot comme successeur. Lui-même ne se positionne-t-il pas en héritier légitime de Voltaire ? Le passage de témoin prend valeur d’acte symbo- lique, lié à un transfert de légitimité sur les textes de Voltaire. Les deux hommes débattent ainsi régulièrement de l’oppor tunité de publier ou non certains textes. Il s’agit parfois de trouver la bonne façon de les éditer, comme pour les Lettres philosophiques, que Beuchot extrait du Dictionnaire philosophique pour les rééditer en tant qu’œuvre à part entière. Beuchot fait-il violence au travail de Kehl ? S’émancipe-t-il

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de l’influence de Voltaire ? La chose semble plus complexe : il paraît plutôt construire son édition de façon dialectique, c’est-à-dire dans un débat avec Decroix avant tout guidé par la volonté d’améliorer le texte édité. Ne s’agit-il pas au fond de faire la synthèse entre deux moments différents de la réception de Voltaire ? Derrière le passage de témoin qui se joue entre les deux savants, ces lettres témoigne- raient, avant tout, de l’écart irrémédiable entre deux approches de l’édition, écart qu’il s’agirait de combler. D’ailleurs, Beuchot manifeste systématiquement le besoin de se positionner face à Kehl. Malgré les progrès à la fois biographiques, herméneutiques et philologiques amenés par son édition, son attitude confie à l’édition de Kehl un caractère inévitable. Même les commentaires critiques de Beuchot sont suivis d’incessants rappels de ce qu’il doit au modèle de Kehl.

Ainsi les mentions des dons de Decroix, comme le fait d’intégrer le paratexte de ce premier jalon posthume des Œuvres complètes de Voltaire, trahissent surtout une recherche de consensus chez Beuchot.

Plus que des inédits, Decroix, dernier éditeur vivant à avoir connu le patriarche, lui offrirait en retour une légitimité morale. Il peut faire office de pont entre Voltaire et Beuchot.

Qu’est-ce qui, en définitive, distingue l’édition de Beuchot des Œuvres de Voltaire parmi tous les projets qui lui sont contemporains ? Et qu’est-ce qui explique, ensuite, sa longévité ? Le statut exception- nellement documenté de son travail, sa volonté de rester hors des querelles de partis, en passant par le renouveau de sa méthodologie éditoriale, l’autorité qu’il parvient à faire reconnaître sur son édi- tion ou la relation privilégiée qu’il noue avec Decroix, font bien de Beuchot un éditeur à part. Au croisement de deux époques, son travail éclaire ce moment de transition qu’est la Restauration, entre résurgence d’un ordre ancien et marche vers la monarchie de Juillet qui se construit.

Bien plus qu’un « Voltaire parmi d’autres », le Voltaire de Beuchot contribue, pour toutes ces raisons, à faire de l’œuvre du patriarche de Ferney davantage qu’un symbole des seules Lumières, un classique de la littérature française.

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Autour du Voltaire de Beuchot

Ce qu’il y a de plus étrange,

c’est que ces grands mystificateurs du public et de l’art finissent par se mystifier eux-mêmes, et se prennent pour des artistes.

Regnault, Les Français peints par eux-mêmes, « Éditeur ».

P

arler du Voltaire de Beuchot, c’est d’emblée faire face à deux difficultés. Tout d’abord, existe-t-il une approche de Voltaire qui soit propre à un éditeur ? Ensuite, dans un monde du livre en pleine restructuration comme l’est celui de la Restauration, quelle est la place de Beuchot, éditeur de Voltaire ? Son travail prend en effet place alors que la France se remet des guerres napoléoniennes et des restrictions imposées à l’imprimerie par l’Empereur. Si on réédite largement Voltaire à cette époque, on assiste surtout, d’une manière générale, à une prolifération de l’imprimé sans précédent : les tech- niques d’impression se développent et, avec elles, le lectorat s’accroît.

Les enjeux financiers prennent également de plus en plus d’impor- tance et le rôle de l’éditeur évolue vers une approche commerciale de la pratique. Entre programmatique et herméneutique, le travail de Beuchot sur un corpus qui présente la particularité d’être à la fois posthume et incomplet s’en distingue et présente un renouvellement assumé des pratiques éditoriales en vogue : sur quelle édition préalable faut-il se baser, ou éventuellement sur quel manuscrit ? dans quel ordre les textes sont-ils agencés ? selon quels principes ? avec quels paratextes ? Les questions de méthodologie éditoriale que Beuchot se pose rapprochent son travail de celui de l’éditeur critique que nous connaissons encore aujourd’hui. Dans le même temps la mise en livre d’une telle collection ne va pas sans proposer une interprétation de Voltaire et de son œuvre. Celle-ci est même amenée à durer, dans la mesure où le modèle de Beuchot est reproduit jusqu’au xxe siècle.

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et éditeur de Voltaire

B

ibliographe officiel sous l’Empire, virulent pamphlétaire dès la première Restauration, éditeur du Dictionnaire de Bayle et, surtout, de deux éditions des Œuvres de Voltaire sous la seconde Restauration24, bibliothécaire à la Chambre des députés sous la monarchie de Juillet, Adrien-Jean-Quentin Beuchot reste pour- tant un homme méconnu aujourd’hui. Un rapide coup d’œil dans l’Index nominum de la plupart des ouvrages consacrés à l’époque de la Restauration, à l’histoire de l’édition, à la bibliophilie en général ou même à l’histoire de l’édition posthume de Voltaire suffit à confirmer l’anonymat global dans lequel se trouve relégué Beuchot. La récente étude de Jean-Yves Mollier, Une autre histoire de l’édition française, est à ce titre symptomatique. L’auteur y décrit minutieusement les mécanismes qui participent à l’évolution du monde de l’édition du début du xixe siècle, mais ne mentionne pas une seule fois le nom de Beuchot. Plus significatif, son activité de rédacteur du Journal de la librairie est complètement passée sous silence, alors même que le périodique fait l’objet, sous la plume de Mollier, d’un développement détaillé. Ironie du sort, c’est vers un autre éditeur voltairiste que se tourne le regard de l’historien du livre, lorsqu’il retrace l’origine de ce journal : Panckoucke en

24. Par commodité, nous utiliserons dans la suite de ce travail le terme

« Restauration » pour caractériser cette période, qui est celle qui intéresse vérita- blement notre étude.

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l’occurrence, fondateur du périodique en question à la fin du xviiie siècle25.

Oublié par l’histoire du livre, Beuchot bénéficie tout de même d’une reconnaissance du milieu des éditeurs de Voltaire depuis la Restauration. « Révérend père en Voltaire26 », comme le nomme son ami Jean Clogenson, juge à Alençon avant d’être député sous la monarchie de Juillet et collègue éditeur de Voltaire ; héritier spirituel de Joseph-Marie Decroix, ce Lillois, auxiliaire zélé de Condorcet et Beaumarchais, Beuchot reste de toute évidence un nom qui n’est pas complètement inconnu aux amateurs de Voltaire aujourd’hui, encore moins de ceux qui l’étudient. On se souvient en effet de sa

« belle et bonne édition des œuvres du patriarche27 », à laquelle on préfère régulièrement celle plus tardive –  et plus complète pour la Correspondance – de Louis Moland. Pourtant, si l’on prend la peine de se rappeler que l’édition de Moland, qui sert de référence aux voltairistes depuis la fin du xixe siècle, n’est en réalité qu’une copie augmentée du travail de Beuchot, on est forcé de mesurer l’impor- tance et la modernité de son travail. Par son renouvellement de la forme du corpus, son geste éditorial – lequel consiste à collationner un grand nombre de versions imprimées et manuscrites des textes – ou encore son paratexte inédit, Beuchot a marqué une étape majeure dans la réception posthume de Voltaire. Jamais dépassé, du moins tant que l’édition préparée par la Voltaire Foundation à Oxford n’est pas terminée, ni égalé, ne serait-ce que par l’ampleur des innovations que son travail a instituées, Beuchot a largement contribué à façonner l’image littéraire du patriarche que nous connaissons aujourd’hui.

Pour comprendre le Voltaire de Beuchot, il paraît nécessaire de com- mencer par se demander qui est Beuchot.

L’exercice de la biographie d’un homme en grande partie méconnu est un exercice risqué. Il faut affronter des limites épistémologiques d’une part, puisque nous ne possédons qu’un nombre limité de docu- ments de première main qui présentent Beuchot. De plus, ceux-ci sont tirés de correspondances personnelles parfois influencées par des

25. Jean-Yves Mollier, Une autre histoire de l’édition française, Paris, La Fabrique, 2015, p. 113-114 pour cette question.

26. Clogenson, lettre autographe signée [désormais l.a.s.] à Beuchot, Alençon, 31 août 1822, BnF, n.a.fr. 25134 f° 255.

27. Cayrol, l.a.s. à Beuchot, Moulins, 4 octobre 1826, BnF, n.a.fr. 25134 f° 52.

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éléments extérieurs et souvent remplies de références qui nous sont, aujourd’hui, difficiles à décrypter. La plupart des quelques notices biographiques qui lui sont consacrées au cours du xixe  siècle sont en outre le fait de personnalités amies ou ennemies, mais assuré- ment connues de Beuchot. C’est le cas par exemple de Quérard, avec lequel Beuchot entretient une relation compliquée. Quant aux autres, elles surviennent au cœur d’une époque où l’évolution des techniques d’impression et l’accroissement du lectorat permettent à l’écrit d’accéder à une dimension politique inégalée jusqu’alors. Le genre biographique se voit lui aussi embrigadé  : faire ce que nous pourrions appeler une « petite histoire des petits hommes » participe d’un mouvement historiographique plus large qui, dans la lignée du Dictionnaire des anonymes de Michaud, repense l’influence de l’indi- vidu dans la collectivité. Une réserve se situe d’autre part dans la validité de la biographie sur le plan historique  : ne connaissant de Beuchot presque que ce qui tourne autour de son édition des Œuvres de Voltaire, le risque existe d’interpréter les différents moments de sa vie uniquement en fonction de ce magnum opus, lequel occupe, peu ou prou, trente ans de sa vie. Il ne s’agit pas, au contraire, de magnifier le rôle de Beuchot, d’en faire le grand oublié de l’histoire et de tomber dans une louange qui serait excessive. Reste qu’un silence aussi durable interpelle. Surtout si l’on considère la verve certaine du personnage, les activités publiques qu’il mène à une époque de grands bouleversements sociaux, politiques et culturels, et les travaux savants qu’il nous a légués.

Entre l’écueil du finalisme et celui de la tentation hagiographique, la construction d’une partie biographique doit en outre s’accommoder d’un objectif épistémologique particulier : il s’agit de relever et d’agen- cer certains éléments du parcours de Beuchot qui seraient révélateurs d’un climat social, politique et intellectuel. Cette construction permet- elle de relever une influence directe des circonstances et de la vie de Beuchot dans son travail éditorial autour des Œuvres de Voltaire ? Doit-on déjà conclure à l’arbitraire de l’éditeur, même le plus savant ? L’approche se veut finalement extensive : on part d’un individu singu- lier, peu connu, mais construit comme idéal type de l’éditeur savant, voltairien, bourgeois et libéral sous la Restauration, exemplaire d’une approche de Voltaire, propre à une période historique donnée. On présuppose que ce qui caractérise cet homme se retrouve dans sa façon

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d’aborder et d’éditer le texte. On se demande enfin si les particularités de cette biographie sont au service d’une approche herméneutique : l’étude de la vie de Beuchot ouvre sur la question de la construction d’une image posthume de Voltaire, dont les tensions rendent indirec- tement compte du climat de la Restauration, et à laquelle participe son édition28. La biographie amplifie de ce fait judicieusement cette étude, pour autant qu’elle s’en tienne à préciser certaines des tensions à l’œuvre au moment où Beuchot fige, pour un temps, la réception éditoriale des textes de Voltaire.

Biographie littéraire

Né en mars 1773, selon Quérard, ou plus vraisemblablement le 13 mars 1777 si l’on en croit sa correspondance29, Beuchot est mort à Paris le 8 avril 1851. Il a traversé tous les soubresauts de l’histoire politique et sociale qui caractérisent cette période qui va de la fin de l’Ancien Régime à la Deuxième République. L’absence de certitude quant à l’exactitude de sa date de naissance, tout comme l’annonce prématurée de sa mort dans les journaux30, permettent de tirer un parallèle amusant avec Voltaire. Elles nous confirment surtout que Beuchot est un homme largement méconnu. D’ailleurs, en l’absence d’une biographie qui lui soit spécialement consacrée, c’est à partir des quelques pages que lui dédie Joseph-Marie Quérard, dans sa Littérature française contemporaine31, que nous pouvons nous faire une idée du parcours de notre éditeur. Seule approche globale de sa carrière, ou du moins la plus complète, la notice de Quérard sert de base commune à la plupart de ceux qui ont écrit sur Beuchot. Elle

28. Voir François Dosse, Le Pari biographique, Paris, La Découverte, 2005.

29. Sur les erreurs comises par Quérard dans sa notice sur Beuchot, voir l’article de Christophe Paillard, « Que signifie être “voltairien” au xixe siècle ? Beuchot et Cayrol, éditeurs de Voltaire », Revue Voltaire, Paris, PUPS, n° 10, 2010, p. 139.

30. « Je ne suis pas mort comme le disent Le Constitutionnel et La Gazette, et La Quotidienne et L’Écho français et peut-être d’autres. Je suis souffrant, faible du cerveau, trop fatigué, mais je ne me crois pas près du trépas » (Beuchot, l.a.s.

à Cayrol, « mercredi » [1846], IMV [sic pour Bibliothèque de Genève, Musée Voltaire], MS 34-175).

31. Quérard, Littérature française contemporaine : XIXe siècle, Paris, Daguin frères, 1842, t. I, p. 435-442.

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est pourtant forcément partiale et partielle : Quérard et Beuchot se connaissent, collaborent et correspondent. Beuchot est même encore vivant au moment de la rédaction :

[…] faisant remettre trois des ouvrages que vous avez eu l’obli- geance de me prêter (un 4e me reste encore, c’est la notice sur Voltaire, Par M. Bertille), recevez je vous en prie la VIe livraison de ma littérature contemporaine qui renferme l’article qui vous concerne, article rédigé lourdement, sans esprit, comme je puis faire enfin, mais non sans impartialité, je pense, car je l’ai fait la [main] sur la confiance. […]

Manque de contenance, c’est un tort de l’esprit, médire, c’est un vice du cœur. Si dans l’article qui vous concerne, Monsieur, vous trouvez quelques passages qui vous importunent, rappelez-vous je vous prie, que je ne suis ni méchant, ni ambitieux et que par conséquent je ne puis avoir eu l’idée de faire un pamphlet sur vous qui m’avez toujours traité avec une bienveillance toute particulière32.

La nature de leur relation saurait-elle se résumer à cette lettre, laquelle ressemble plutôt à une marque de déférence de Quérard envers Beuchot ? Ces excuses sonnent-elles comme un rappel de la présence ombrageuse de Beuchot sur le monde de l’imprimerie du début du xixe siècle ? On peut dans tous les cas se demander quels sont les éléments qui poussent Quérard à s’excuser avant même la parution de la notice. Derrière des éléments factuels, que nous tenterons de nuancer ou de préciser, il faut noter que la notice de Quérard pré- sente la particularité de rattacher Beuchot – et Voltaire par la même occasion – au domaine de la littérature contemporaine.

Un Beuchot-Voltaire

Parmi les correspondances entretenues par Beuchot, celle qui le lie à Victor-Donatien de Musset-Pathay est sans doute l’une des plus amicales, mais c’est aussi, malheureusement, l’une des moins complètes. Nous n’en possédons qu’une dizaine de lettres. Pourtant, le père d’Alfred de Musset passe pour l’une des personnalités les

32. Quérard, l.a.s. à Beuchot, Paris, 22 octobre 1841, BnF, MF 20797.

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plus proches de Beuchot. Malgré l’absence de documents, soit pour cause de perte, soit parce qu’il est parfois tout aussi commode de se rencontrer, il est certain que les deux hommes ont discuté de métho- dologie éditoriale. C’est même Musset-Pathay qui reprend l’édition de Rousseau (Paris, Dupont, 1823-1825, 24 vol.), que Beuchot aban- donne33. Ils fréquentent en outre un même cercle de lettrés (Ballanche, Dugas-Montbel34, Cayrol…). C’est d’ailleurs Musset-Pathay qui met en relation Beuchot et Cayrol :

Mon ami Beuchot doit vous écrire pour voltairiser. C’est un homme d’esprit, d’un caractère estimable par sa grande véracité (en cela nous marchons du même pied car j’appelle toujours un chat un chat) et qui fait et sait mieux que son journal35.

Sous cette plume sans doute un peu flatteuse – il s’agit de nouer une correspondance, chose nécessairement chronophage, faut-il le rappeler, à l’époque – Beuchot se distingue avant tout par une per- sonnalité probe, intelligente, ainsi que par son extrême franchise.

Ces traits de caractère sont en outre doublés par un intérêt marqué pour Voltaire. Il aime « voltairiser », pour être plus précis. Ce terme est d’ailleurs amusant ; connu des lecteurs des Voltairiana ou éloges amphigouriques de Fr. Marie Arouet parus à Paris en 1748, il s’agit d’un rappel cinglant de ce qui peut arriver à un poète qui aurait le tort de se montrer trop audacieux : « Pour une épigramme indiscrète, / on voltairisait un poète, etc. », nous prévient-on. Pas de bastonnade ici, le terme indique plutôt un désir d’imiter le style ou les attitudes de Voltaire. La correspondance entre Beuchot et Cayrol, et surtout les lettres de ce dernier, suggèrent bien cette dimension d’imitation avec tout ce qu’elle peut comporter d’excessif, parfois même de ridicule : langage fleuri, vers latins un peu pompeux (on peut parler de latin de

33. Voir également « Le siècle de Musset-Pathay (1817-1900) », dans Philip Stewart, Éditer Rousseau. Enjeux d’un corpus (1750-2012), Lyon, ENS Éditions, 2012, p. 153-196.

34. « Je vous prie de me rappeler au souvenir de vos amis Montbel et Ballanche », Musset-Pathay, l.a.s. à Beuchot, Cognes, 24 septembre 1825, BnF, n.a.fr. 5203, f° 52.

35. Cayrol, l.a.s. à Beuchot, Moulins, 4 octobre 1826, BnF, n.a.fr. 25134, f° 6.

Cayrol rapporte ici des propos que Musset-Pathay lui aurait tenus.

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