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Une population difficilement quantifiable

4 Les descendants des immigrés en France et en Allemagne

4.3 Les descendants des immigrés aujourd’hui : qui sont-ils ?

4.3.2 Une population difficilement quantifiable

S’il est aisé de quantifier le nombre d’immigrés vivant en France et en Allemagne au moyen de la statistique publique, l’évaluation du nombre de descendants d’immigrés reste difficile.

D’un point de vue méthodologique, l’histoire migratoire parentale est une information indispensable pour ceux qui sont nés en France ou en Allemagne. En Allemagne, sur les 4,3 millions de personnes qui n’ont pas immigré mais qui sont issues de l’immigration, 1,7 million de personnes sont nées en Allemagne et sont étrangères. Les 2,6 millions restants comprennent les enfants des rapatriés allemands ou des immigrés et les personnes nées en Allemagne qui ont été naturalisées (455 000 au total).2

1 Cf. Catherine Wihtol de Wenden, « Zur Situation der Nordafrikaner in Frankreich », Informationen zur Raumentwicklung 7/8, 1991, p. 459-468 et Dominique Rouault et Suzanne Thave, L'estimation du nombre d'immigrés et d'enfants d'immigrés, Insee méthode, n° 66, 1997

2 Cf. Statistisches Bundesamt, Bevölkerung und Erwerbstätigkeit..., op. cit.

Diagramme 2 Les cinq premières nationalités étrangères en Allemagne selon le pays de naissance au 31 décembre 2003

0 300.000 600.000 900.000 1.200.000 1.500.000 1.800.000

Turquie Italie Ex-Yougoslavie Grèce Pologne

Né en Allemagne Né à l'étranger

Source : BAMF 2005

Le poids des jeunes descendants des immigrés au sein de la population d’origine immigrée est donc sous-évalué lorsque seul le critère de la nationalité est pris en compte. Parmi les étrangers, le groupe des Turcs est le plus important et plus du tiers d’entre eux sont nés en Allemagne (un peu plus de 600 000). Parmi les étrangers de nationalité italienne, environ 29 % sont nés en Allemagne.

Si on réunit les groupes d’origine italienne et grecque, un peu plus de 270 000 sont nés en Allemagne. Les descendants des immigrés d’Europe du Sud sont par conséquent le deuxième plus grand groupe de descendants d’immigrés. Les chiffres présentés dans le diagramme ci-dessus se rapportent à la nationalité comme critère de distinction et ne prennent donc pas en compte les personnes qui ont acquis la nationalité allemande. Entre 1980 et 2005, près de 700 000 personnes d’origine turque ont été naturalisées.1 Les résultats par origine géographique ne sont pas disponibles pour le moment à partir du Mikrozensus, mais il est possible de dire avec certitude que les descendants des immigrés provenant des différentes régions de recrutement de la main d’œuvre étrangère, Turquie et Europe du Sud, constituent aujourd’hui la majeure partie des descendants des immigrés d’origine étrangère en Allemagne.

Aujourd’hui, environ 3 millions de Maghrébins, immigrés et descendants des immigrés, vivent en France. Ils représentent ainsi, avec les Turcs, le groupe de religion musulmane le plus important dans l’Union Européenne. Le nombre total de descendants d’immigrés est estimé à 4,6 millions :

1 Cf. Statistisches Bundesamt, Strukturdaten und Integrationsindikatoren über die ausländische Bevölkerung in Deutschland 2002, Wiesbaden, 2004.

29 % sont d’origine maghrébine, 21 % d’origine italienne et 11 % d’origine espagnole.1 Les jeunes d’origine nord-africaine représentent donc le groupe le plus important quantitativement parmi les descendants des immigrés en France. Au total, en comptant les personnes dont les grands-parents sont maghrébins (la troisième génération), leur nombre est estimé à un peu moins de 1,7 million.2 Diagramme 3 Les descendants des immigrés en France selon l’origine des parents

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Deux parents immigrés du même pays Un parent non immigré

Total

Source : Patrick Simon, « France and the unknown second generation », International Migration Review 37(4), 2003, p. 1091-1119.

Une « spécificité » française réside dans la diversité de l’origine des parents des jeunes d’origine immigrée. Le degré de mixité culturelle parentale varie considérablement selon la communauté mais aussi selon la « société d’accueil ». A l’heure actuelle, il n’existe pas de données détaillées et représentatives sur l’origine parentale (mixte ou non) des descendants des immigrés pour l’Allemagne. On sait uniquement qu’environ 1,1 millions de personnes de nationalité allemande ont un parent seulement issu de l’immigration.3 En France, les descendants des immigrés ont dans plus d’un cas sur deux des parents qui n’ont pas la même origine (58 % d’entre eux, environ 2,7 millions).4 On retrouve souvent les enfants nés de couples mixtes parmi ceux dont un parent est d’origine nord-africaine ou africaine (diagramme ci-dessus). En revanche, près de 70 % des enfants « d’origine portugaise » et de 60 % des enfants « d’origine turque » ont deux parents immigrés respectivement du Portugal et de Turquie. Ainsi, ce résultat montre clairement qu’il est

1 Cf. Patrick Simon, « France and the Unknown Second Generation », International Migration Review 37(4), 2003, p. 1091-1119.

2 Cf. Michèle Tribalat, « Une estimation des population d’origine étrangère en 1999 », in Christophe Bergouignan et al. (dir.), La population de la France. Evolutions démographiques depuis 1946, tome 2, CUDEP/INED, Paris, 2005, p. 671-684.

3 La dernière enquête du Mikrozensus n’a pas encore fait l’objet d’analyses approfondies sur la mixité culturelle parentale.

4 Cf. Patrick Simon, « France and the Unknown Second Generation »…, op. cit.

trop facile d’établir un lien entre un faible taux d’exogamie et une forte distance culturelle entre certaines communautés et la société d’accueil.1

Même si, depuis le milieu des années 1970, l’exogamie masculine et féminine a augmenté en Allemagne parmi les Turcs, comme en France parmi les Maghrébins2, elle reste nettement supérieure en France. De plus, l’exogamie féminine au sein du groupe d’origine turque en Allemagne se distingue de l’exogamie féminine au sein du groupe d’origine maghrébine en France. Les femmes d’origine maghrébine renoncent plus souvent que les femmes d’origine turque à l’endogamie, bien que le système patrilinéaire soit défavorable au mariage mixte entre une femme maghrébine musulmane et un homme non-musulman. Une explication peut résider dans la force des liens qui caractérise la communauté turque, si on la compare à la communauté maghrébine en Europe.3 Par ailleurs, le colonialisme peut aussi être une des causes de cette différence qui existe en ce domaine entre ces deux communautés. En raison de l’histoire coloniale, les Maghrébins ont été en contact avec la langue française dans leur pays d’origine. L’intégration cognitive ou culturelle a donc été plus facile pour ces derniers que pour les immigrés turcs qui sont arrivés en Allemagne sans avoir aucune connaissance de la langue allemande.

Finalement, le faible pourcentage de personnes nées d’un seul parent immigré turc en France rappelle le faible taux d’exogamie au sein de la communauté turque en Allemagne.4 Le fait que les Turcs aient un comportement similaire en France et en Allemagne peut être interprété comme une résistance à l’intégration. Todd donne une autre explication à ce phénomène : étant donné que les immigrés turcs installés en France n’ont pas en grande partie immigré directement de Turquie mais

1 En ce qui concerne les parents d’origine portugaise, une étude montre que près des trois quarts d’entre eux n’ont fait aucune démarche pour se faire naturaliser et qu’un grand nombre d’entre eux souhaitent être enterrés dans le pays d’origine. Ceci témoigne d’un lien fort à la communauté et au pays d’origine au sein de cette population, cf. Mirna Safi, « Le processus d'intégration des

immigrés en France : inégalités et segmentation », Revue française de sociologie 47(1), 2006, p. 3 - 48.

2 Pour l’exogamie masculine : en Allemagne, 1 % des nouveaux-nés de pères turcs ont une mère allemande en 1975, contre 4 % en 1990. En France, 13 % des naissance de père algérien ont une mère française en 1975 contre 19 % en 1990, cf. Emmanuel Todd, Le destin des immigrés, Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Seuil, Paris, 1994, p. 363. Il faut néanmoins aborder ces chiffres avec précaution puisqu’ils se basent sur la nationalité, ce qui n’exclut pas que l’époux qui est de nationalité allemande appartienne en réalité à la même communauté ethnique que son conjoint. Ceci montre bien que la nationalité est encore un critère imprécis lorsqu’il s’agit d’analyser les mariages mixtes dans un pays. Une hausse des mariages mixtes avec des conjoints de même origine « ethnique » mais de nationalité différente peut d’ailleurs être observée en Allemagne. Cf. Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend, Sechster Familienbericht : Familien ausländischer Herkunft in Deutschland, 2000.

3 Cf. Emmanuel Todd, Le destin des immigrés, op. cit., p. 398-399.

4 Cf. Julia H. Schroedter, « Binationale Ehen in Deutschland. Der Einfluss der strukturellen auf die soziale Integration », Wirtschaft und Statistik 4, 2006, p. 419-431. Pour la France, Safi a également montré que, quel que soit leur sexe, les immigrés venus de Turquie (ainsi que ceux venus d’Asie du Sud-Est et d’Afrique subsaharienne) ont une probabilité plus faible de contracter un mariage exogame français que les immigrés maghrébins. Cf. Mirna Safi, Le devenir des immigrés en France. Barrières et inégalités. Thèse de doctorat en sociologie, EHESS, 2007, p. 339-355.

d’Allemagne, ils ont intégré le caractère différentialiste de la Nation allemande et l’ont importé en quelque sorte vers la France :

« Ce mouvement de diffusion partant du Rhin signifie que le groupe turc de France ne provient pas, sur le plan idéologique et anthropologique, de Turquie mais d’Allemagne, et qu’il véhicule inconsciemment les valeurs différentialistes du monde germanique, qui continuent de s’imposer à lui dans un environnement français. »1

S’il est plausible que le caractère différentialiste de la conception allemande de l’intégration se répercute sur le comportement des immigrés turcs au point que ceux qui émigrent de ce pays

« importent » ce comportement vers la France, le peu d’études consacrées aux mariages mixtes en Allemagne soulignent la faiblesse de l’exogamie au sein de la communauté turque.

Ainsi, la difficulté de quantifier la population des descendants des immigrés vient de l’existence d’une multitude de situations qui ne sont plus uniquement identifiables par le critère de la nationalité ni par le critère de l’immigration. On peut garder en mémoire, à partir de ces chiffres, que les descendants des immigrés turcs et maghrébins constituent respectivement les groupes les plus importants en Allemagne et en France. Ils ont en commun leur « origine musulmane », du moins l’origine musulmane d’un de leurs parents, mais les premiers sont nettement moins caractérisés par la mixité culturelle parentale que les seconds, ce qui renforce l’idée d’une communauté turque particulièrement soudée en Allemagne et cherchant un entre-soi, à la façon des communautés turque et portugaise en France.