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Inégalités d’accès à l’enseignement supérieur

7 Inégalités dans les systèmes éducatifs allemand et francais

7.1 Des inégalités plus prononcées en Allemagne

7.1.2 Inégalités d’accès à l’enseignement supérieur

Une objectif de la démocratisation scolaire dans les deux pays a été d’aider les enfants issus des classes ouvrières à accéder à l’enseignement général et d’augmenter le nombre de diplômés du tertiaire. L’accès aux diplômes de l’enseignement supérieur est conditionné en France par l’obtention du baccalauréat, et en Allemagne par son équivalent, das Abitur. Dans les années 1980, le Ministre français de l’éducation, Jean-Pierre Chevènement, se donne comme objectif de mener

« 80 % d’une génération au bac ». Cette phrase, que l’on peut qualifier d’emblématique, ne traduit pas uniquement le souhait de respecter le principe d’égalité des chances mais aussi la nécessité croissante, du fait de l’évolution des moyens de production, de former une génération capable d’occuper des emplois plus qualifiés. L’avancement du progrès technique et scientifique rend nécessaire l’acquisition de compétences de plus en plus pointues. Même si l’Allemagne a elle aussi tenté de réformer son système d’éducation, entre 1991 et 2002 la proportion de ceux qui ont un diplôme de niveau tertiaire parmi les 25 à 34 ans a stagné à environ 22 % alors qu’elle a augmenté en France, passant de 20 % à 37 %.1

Le diagramme ci-dessous présente la part des jeunes adultes qui ont un diplôme du tertiaire, selon le groupe d’origine et l’origine sociale. Le degré d’exclusion des descendants des immigrés turcs de l’enseignement supérieur est frappant, d’autant plus que l’écart entre ces derniers, les descendants des immigrés européens et les natifs allemands, persiste même à origine sociale égale.

Au total, les descendants des immigrés turcs sont presque trois fois moins nombreux à avoir un diplôme du supérieur que les natifs allemands.

1 Cf. OECD, Regards sur l’éducation, Paris, 2004 et 2005.

Diagramme 14 Part des jeunes adultes qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur1 en France et en Allemagne, selon l’origine sociale

0 5 10 15 20 25 30

DIM européens DIM maghrébins DIM maghrébins*

Natifs français DIM européens DIM turcs Natifs allemands

%

Père ouvrier Ensemble

Source : SOEP 2002 et Enquête « Histoire Familiale » 1999, données pondérées. Les enquêtés en cours d’études ou de formation sont exclus. * enquêtés dont les deux parents sont nés dans un pays du Maghreb.

Des inégalités entre les groupes peuvent être observées en France également. En particulier, seulement 18 % des jeunes adultes dont les deux parents sont nés au Maghreb ont un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 28 % des natifs français, 24 % des jeunes adultes dont un parent seulement est né au Maghreb et 20 % des descendants des immigrés européens. Comme cela a été montré auparavant, ces derniers privilégient en effet les cursus d’enseignement technique ou professionnel. En revanche, et c’est là une différence considérable avec l’Allemagne, les chances d’accès à l’enseignement supérieur des jeunes adultes d’origine immigrée semble plus lié à leur origine sociale qu’à leur origine « immigrée ». En effet, si on contrôle l’origine sociale, les écarts s’estompent et il y a un nivellement de la part de ceux qui ont un diplôme du tertiaire à 15 % environ.

En tenant compte des caractéristiques socio-démographiques des populations concernées, les résultats descriptifs relatifs à la France doivent être nuancés au regard des résultats issus des modèles logistiques présentés dans le tableau ci-après. Lorsque seules les variables démographiques sont prises en compte, des différences entre les groupes d’origine apparaissent en France : les descendants d’immigrés, quelle que soit leur origine, ont moins de chance d’avoir un diplôme de l’enseignement supérieur que les Français d’origine (modèle Ia). Néanmoins, après contrôle de l’origine sociale, le degré de significativité disparaît pour les descendants des immigrés maghrébins, et ce quel que soit leur pays de naissance (modèle IIa). Il reste significatif pour les

1 La catégorie « études supérieures » comprend l’enseignement supérieur général et l’enseignement technique supérieur (Fachhochschule).

descendants des immigrés européens. Il faut relativiser en revanche cette conclusion positive pour les descendants des immigrés maghrébins, puisque, lorsqu’on distingue entre ceux qui ont au moins un parent maghrébin et ceux qui ont deux parents maghrébins (modèle Ib), ces derniers sont ont moins souvent un diplôme du tertiaire.

Tableau 14 Probabilité de quitter le système éducatif avec un diplôme de l’enseignement supérieur (régression logistique – Odds ratios)

France Allemagne Ia IIb Ib I II

Sexe (Réf. : hommes) 1.368** 1.397** 1.301** 0.858* 0.866*

Age 0.999* 0.995** 1.023** 1.110** 1.119**

Taille du ménage 0.755** 0.774** 0.773** 0.775** 0.784**

En couple (Réf. : non) 1.289** 1.274** 1.268** 1.353** 1.340**

Groupe

(Réf. : Français/Allemands d’origine) DIM maghrébins nés en France/DIM

turcs nés en Allemagne 0.945* 0.967 0.195** 0.311*

DIM maghrébins/turcs nés à l’étranger 0.536** 0.877 0.359** 0.569*

DIM européens nés en

France/Allemagne 0.679** 0.916* 1.168** 1.560*

DIM européens nés à l’étranger 0.388** 0.636** 0.491* 0.675

Deux parents nés au Maghreb 0.755**

CS du père (Réf. : Prof. non ouvrière)

Ouvrier 0.275** 0.332** 0.394**

Entrepreneur 0.619** 0.622** 1.246*

Inactif 0.211** 0.113** 0.515**

Pas d’information 0.293** 0.301** 0.483**

Constante -0.719** -0.161** -0.877** -3.721** -3.670**

Observations 98400 98400 6819 6960 6960

0.03 0.08 0.09 0.09 0.13

Source : SOEP 2002 et Enquête « Histoire Familiale » 1999, + : P<0.1, * : P<0.05, ** : P<0.01. Les enquêtés en cours d’études ou de formation sont exclus. Modèle Ib : uniquement les descendants des immigrés maghrébins.

Pour l’Allemagne, les descendants des immigrés européens ont plus de chance d’avoir un diplôme du supérieur que les natifs allemands. En revanche, les descendants des immigrés turcs sont dans une situation similaire à celle des jeunes adultes nés de deux parents d’immigrés maghrébins en France. Cependant, le désavantage qui caractérise ces derniers est moins fort puisque le coefficient pour les jeunes adultes nés de deux parents maghrébins est plus proche de 1. Dans les deux pays, l’origine sociale explique le désavantage des jeunes puisque une fois introduite dans les modèles, l’effet de l’origine diminue et, pour certains, disparaît entièrement.1

1 Il faut cependant être prudent ici dans l’interprétation étant donné que, dans la majorité des cas, les descendants des immigrés ont un père ouvrier (cf. annexe). Ainsi, une partie de l’effet de l’origine « immigrée » est absorbée une fois introduite la variable de contrôle de l’origine sociale.

Le même modèle a été estimé avec les données de l’enquête « Histoire de Vie » dans laquelle l’information recueillie concerne le niveau d’études et non le niveau de diplôme atteint. Les résultats, qui ne sont pas présentés ici, montrent que les descendants des immigrés, quelle que soit l’origine, ne se distinguent pas des natifs ce qui signifierait qu’ils ont des chances d’accéder à l’université mais que les chances de réussite, c’est-à-dire avec diplôme en mains, sont moins bonnes si on les compare aux natifs. Ceci vient d’ailleurs confirmer ce que Beaud a montré dans son enquête qualitative portant sur les parcours scolaires de quatre jeunes, enfants d’ouvriers immigrés.1 Ces jeunes, et leurs parents, placent tous leurs espoirs dans les chances offertes par la démocratisation de l’école mais, à l’université, cet espoir laisse la place à la désillusion. Les jeunes étudiants sont pourtant dépassés, ne trouvent pas leurs repères et échouent, souvent, au cours de leur cursus universitaire.

Une grande partie des descendants des immigrés turcs peuvent même pas croire à leur accès au monde universitaire puisque leur relégation dans les filières les moins prometteuses est pratiquement immédiate. Il faut répéter ici qu’il s’agit de la majeure partie des descendants des immigrés turcs et que par conséquent la réussite scolaire existe aussi chez ces jeunes mais qu’elle est jusqu’à aujourd’hui moins courante que parmi les descendants des immigrés maghrébins. Le fait que les descendants des immigrés en France aient plus facilement accès aux diplômes universitaires, par rapport à l’Allemagne, ne doit pas faire oublier les inégalités qui existent au sein même de l’univers académique français. Les études comparatives sur l’éducation dans les pays de l’OECD montrent clairement que le taux de réussite dans le tertiaire est nettement moins élevé en France (59 %) qu’Allemagne (70 %) bien que la part de ceux qui font des études supérieures soit plus élevée en France qu’en Allemagne.2 En France en particulier, la sélection à l’entrée des Grandes Ecoles est très rude. Les données utilisées ne permettent pas de faire cette distinction qui est en réalité déterminante puisque les titres distribués par les Grandes Ecoles sont plus valorisés sur le marché du travail que les titres universitaires. Il est certain que la prise en compte de la distinction Grandes Ecoles/Universités dans un modèle similaire dévoilerait un désavantage aussi fort que celui qui caractérise les descendants des immigrés turcs en Allemagne en ce qui concerne l’accès à l’université.3 Donc, même si les résultats présentés dans ce travail penchent en faveur du système d’éducation français, il est nécessaire de tenir compte de cette particularité française qui tient à l’établissement et à la reproduction d’une élite dont les portes sont fermées à ceux qui sont issus des milieux sociaux les moins privilégiés.

1 Cf. Stéphane Beaud, 80 % au Bac, op. cit.

2 Cf. Bundesministerium für Bildung und Forschung, Bildung in Deutschland. Ein Indikatorengestützter Bericht mit einer Analyse zu Bildung und Migration, 2006, p. 276.

3 La convention d’éducation prioritaire (CEP) mise en place en 2001 et que les établissements situés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) peuvent signer avec Sciences Po illustre d’ailleurs la nécessité actuelle d’ouvrir les portes des Grandes Ecoles aux jeunes issus de familles défavorisées.

7.2 Eléments d’explication des inégalités en terme