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5 Deux espaces d’opportunités et de contraintes

5.1 Les conceptions française et allemande de l’intégration nationale

5.1.1 Traditions nationales

Malgré cette nécessité d’harmonisation des politiques d’intégration et des réglementations en matière d’immigration, chaque société reste marquée par une conception de l’intégration nationale qui lui est propre. En effet, les états membres continuent à être souverains dans le domaine de la citoyenneté politique3 mais aussi dans leur façon d’appréhender les relations interculturelles ou intercommunautaires. Grand nombre de typologies ont été développées dans l’objectif de procéder

1 Cf. Conseil de l’Europe, Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, L16, Journal Officiel de l’Union Européenne, 2003, p. 44.

2 Cf. Adrian Favell, « Integration nations : the nation-state and research on immigrants in western Europe », Comparative social research 22, 2003, p. 18.

3 Alors que le projet européen implique une extension de la citoyenneté sociale et économique au niveau européen, la citoyenneté politique reste l’affaire des états membres.

à une classification des différents « modèles d’intégration » ou « régimes d’incorporation ».1 Dans la plupart, le modèle français est opposé au modèle allemand. Alors que Brubaker2 analyse les conceptions de la citoyenneté et fait une distinction entre les fondements ethno-culturels de la Nation allemande et les fondements civiques et territoriaux de la Nation française, Castles et Miller3 considèrent le modèle français comme étant assimilationniste alors que le modèle allemand serait un modèle d’exclusion différentielle. Dans le premier cas, les immigrés sont considérés comme des futurs citoyens et abandonnent leur culture pour adopter la culture dominante. Dans le second, les immigrés sont inclus dans l’Etat-providence tout en étant exclus de la culture et de la politique. Dans L’Europe des immigrés, Schnapper développe une typologie des politiques d’immigration et distingue deux types idéaux : la politique de contrats de travail et la politique d’intégration. Le premier type idéal consiste à imposer un séjour provisoire aux immigrés, en fonction des besoins de l’économie. Dans le second type, la présence des immigrés n’est pas forcément combinée à l’obtention d’un contrat de travail.4 Mais pour Schnapper, la politique d’intégration est inévitable puisque seule une politique d’intégration est compatible avec les principes et les pratiques démocratiques :

« La politique de contrats de travail ne peut être adoptée longtemps dans les pays démocratiques. Le processus d’acculturation que connaissent les immigrés aboutit à former, pendant une ou deux générations, une population étrangère […], une minorité stabilisée mais privée de droits politiques. »5

Même si l’Allemagne a privilégié une politique de contrats de travail jusqu’au milieu des années 1970, elle s’est donc tournée vers une politique d’intégration. Ce changement de politique en Allemagne, n’empêche pas que les différences entre les pays européens portent aujourd’hui sur

1 Les notions de « modèles d’intégration » et de « régimes d’incorporation » désignent la façon dont les Etats gèrent la présence des communautés au sein de la nation en mettant plus ou moins l’accent sur les droits culturels, sur l’accès à la citoyenneté et sur les possibilités de participation politique. Pour Soysal, l’incorporation représente l’ensemble des processus qui se déroulent au niveau macro et par lesquels les travailleurs immigrés deviennent partie intégrante de la communauté nationale du pays d’accueil. Les régimes d’incorporation se réfèrent ainsi aux schèmes du discours politique et de l’organisation autour desquels le système d’incorporation est construit, cf. Yasemin Nuhoglu Soyzal, Limits of citizenship. Migrants and postnational

membership in Europe, University of Chicago Press, Chicago, 1997, p. 29-32. Les différents

« régimes d’incorporation » sont le produit de processus historiques et de ce fait ils sont le reflet de la conception de l’intégration nationale. C’est ce dernier concept qui sera utilisé dans ce travail parce qu’il est plus abstrait, et plus général dans le sens où il ne se rapporte pas uniquement aux populations immigrées.

2 Cf. Rogers Brubaker, Citizenship and nationhood in France and Germany. Harvard University Press, Cambridge, 1992.

3 Cf. Stephen Castles et Mark J. Miller, The Age of Migration. Macmillian, London, 1993.

4 Les indicateurs qui permettent d’élaborer cette typologie sont (1) le droit au séjour (contrôle des flux), (2) le droit à l’emploi et au logement, (3) le droit au séjour de la famille et à l’enseignement des enfants et (4) les droits civils, sociaux et politiques, cf. Dominique Schnapper, L’Europe des immigrés, op. cit., p. 46.

5 Ibid., p. 143.

« les rythmes et les modalités de l’intégration » 1 ; la tradition politique et les caractéristiques de l’Etat-providence sont deux variables qui déterminent alors les politiques d’intégration.

Développé plus récemment, le modèle multidimensionnel développé par Entzinger2 permet de classifier les politiques d’intégration à partir de deux dimensions. La première se rapporte aux trois domaines auxquels l’intégration se réfère : le domaine politique et juridique (l’Etat), le domaine culturel (la nation) et le domaine socio-économique (le marché). Ces domaines correspondent d’ailleurs à des dimensions de l’intégration dans la sociologie de l’immigration.3 La deuxième dimension concerne la perception des immigrés : se réfère-t-on aux immigrés en tant que membres d’une communauté culturelle ou en tant qu’individus ? Sur cette dimension la France et l’Allemagne se distinguent dans leur approche de la diversité culturelle et de l’expression politique de cette diversité. L’intégration en France est conçue comme le lien direct entre l’Etat et l’individu et il s’agit d’un modèle ancré sur les droits individuels alors que, dans le cas de l’Allemagne, il s’agit d’un modèle plus différentialiste dans le sens où les communautés ethniques ou culturelles sont considérées comme des interlocuteurs.4 Par conséquent, dans le modèle allemand, la formation de communautés « ethnico-culturelles » est plus facile et plus légitime alors que le modèle français favorise l’identification aux valeurs nationales qui unissent les individus dans la nation et ne considère pas, au départ, les groupes ethniques, religieux ou culturels comme des acteurs politiques.

Le mythe fondateur de la nation est au cœur de la plupart de ces typologies et, malgré un rapprochement de leurs politiques d’immigration et d’intégration, la France et l’Allemagne sont analysées comme ayant une approche différente de l’intégration des immigrés et de leurs familles.

Plusieurs études ont montré l’impact de ces conceptions nationales sur les modes d’intégration des descendants des immigrés. Les chercheurs ayant travaillé sur l’enquête « Effnatis »5 portant sur les enfants d’immigrés dans différents pays européens ont montré notamment que les variables de contexte national contribuent, plus que les variables individuelles, à expliquer les variations du succès scolaire des descendants des immigrés. Les études qui se basent sur l’enquête PISA (Programme for International Student Assessment) indiquent également que les descendants des immigrés dans différents pays n’ont pas des résultats scolaires similaires.6 L’organisation du système scolaire peut donc être plus ou moins favorable à l’intégration des descendants des

1 Ibid., p. 86.

2 Cf. Han Entzinger, « The Dynamics of Integration Policies : A Multidimensional Model », in Ruud Koopmans and Paul Statham (eds.), Challenging Immigration and Ethnic Relations

Politics : Comparative European Perspectives, Oxford University Press, Oxford, 2000, p. 97-118.

3 Dimension sociale, dimension culturelle et d’identification et dimension structurelle.

4 Cf. Han Entzinger, « Immigrants’ political and social participation in the integration process », in Conseil de l’Europe, Political and social participation of immigrants through consultative bodies, Strasbourg, 1999, p. 9-40.

5 Voir détails sur l’enquête dans l’annexe.

6 Cf. Silke Viola Schnepf, How different are immigrants? A cross-country and cross-survey analysis of educational achievement, IZA Discussion Paper 1398, 2004.

immigrés. C’est notamment aux Pays-bas et en Allemagne qu’ils ont les plus mauvais résultats dans le domaine de la lecture et des mathématiques alors que leurs résultats sont meilleurs en Grande-Bretagne et en France.

Les modèles qui favorisent le multiculturalisme, comme le Canada, les Pays-Bas, ou la Grande-Bretagne, sont également souvent opposées à ceux qui favorisent l’ « assimilation », comme la France. La question politique est ici de savoir quelle conception est la plus favorable pour garantir la cohésion sociale. Dans une étude récente, Koopmans montre que la philosophie multiculturaliste de l’intégration que l’on retrouve aux Pays-Bas a des effets négatifs sur le degré de participation culturelle, économique et sociale des immigrés dans ces pays.1 Selon lui, le multiculturalisme tel qu’il est pratiqué aux Pays-Bas influe de manière négative sur la façon dont les immigrés et leurs descendants participent à la société parce qu’il est combiné à un Etat-providence fort qui ne pousse pas les individus à investir dans les ressources nécessaires au sein du pays d’immigration (langue, pratiques culturelles, contacts entre les communautés).

Par conséquent, l’ensemble de ces études comparatives supportent la thèse selon laquelle il existe des interactions entre les régulations institutionnelles et politiques, les traditions nationales, et le degré de participation socio-économique, politique et culturelle des immigrés et de leurs descendants. Deux instances sont révélatrices des variations des conceptions française et allemande : la citoyenneté et l’école. Ces institutions peuvent en effet être considérées comme des instruments de promotion de l’intégration de tous les individus dans la société. Elles ont une fonction intégrative et sont susceptibles d’expliquer les variations franco-nationales des modes de participation des descendants des immigrés.