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Quelles inégalités sur les marchés du travail français et allemand?

8 Les descendants des immigrés sur les marchés du travail français et allemand

8.2 Quelles inégalités sur les marchés du travail français et allemand?

Après avoir constaté à la fois l’existence d’inégalités plus ou moins fortes entre les groupes d’origine dans l’accès à l’emploi, cette section aborde la question du type de participation des descendants des immigrés au marché du travail, à savoir dans quels segments de la stratification sociale les

1 Même en tenant compte du lieu d’habitation des enquêtés (région) dans les modèles prédisant le risque de chômage, les jeunes nés de parents maghrébins continent à être fortement pénalisés dans l’accès à l’emploi. Cependant, les régions sont probablement des unités géographiques trop larges ce qui ne permet pas de capter l’effet de contexte qui correspond plus à un effet de quartier ou de voisinage.

descendants des immigrés sont incorporés et dans quelle mesure la segmentation « ethnique » du marché du travail qui caractérisait la situation de leurs parents est reproduite aux générations suivantes. Pour traiter ces questions, trois domaines sont étudiés : la répartition des jeunes dans les différents secteurs de l’économie et leur distribution sur l’échelle des catégories socioprofessionnelles. Le troisième domaine aborde la signification du secteur public et de la Fonction Publique comme espace offrant des opportunités d’emploi.

8.2.1 Des concentrations sectorielles contrastées

Alors que la concentration des immigrés dans le secteur de l’industrie demeure relativement forte en Allemagne, les mutations de l'économie ont entraîné en France un déclin de la présence des immigrés et de leurs descendants dans ce secteur.1 La situation sur les marchés du travail français et allemand est en quelque sorte inversée. En Allemagne, près de 60 % des étrangers travaillent dans le secteur industriel alors que la même proportion est embauchée dans les services en France.

Quelles sont donc les conséquences de ces structures du marché du travail sur les opportunités d'emploi des descendants des immigrés dans ces différents secteurs de l'économie ?

Dans ce contexte de fort déclin des branches industrielles traditionnelles (industrie du textile, industrie automobile, industrie minière) en France et de montée en puissance du secteur tertiaire, l’hypothèse d’une concentration des descendants des immigrés en France dans le secteur des services similaire à celle des descendants des Français peut être formulée. La confirmation de cette hypothèse signifierait une résorption des inégalités liées à l’origine en terme de distribution sectorielle. Pour les descendants des immigrés en Allemagne, l’hypothèse quasiment inverse de la perpétuation de la concentration des descendants des immigrés dans le secteur industriel peut être formulée. Non seulement les immigrés continuent à être concentrés dans l’industrie, ce qui ouvre aux enfants des opportunités d’emploi dans ce secteur, mais aussi, le faible niveau de diplôme des jeunes nés de parents immigrés ne permet pas à ces derniers de se tourner vers les emplois des services. Une confirmation de cette hypothèse serait l’indice d’une segmentation « ethnique » persistante sur le marché du travail allemand.

La répartition des jeunes dans les différents secteurs de l’économie est représentée dans le diagramme ci-dessous. Au début des années 1990, le secteur manufacturier était l’employeur principal des descendants des immigrés en Allemagne, en particulier des immigrés d’origine turque : près de 72 % d’entre eux étaient employés dans l’industrie.2 Douze ans plus tard, les choses ont certes changé mais le secteur industriel reste le secteur dans lequel les descendants des immigrés turcs restent concentrés : 40 % des descendants des immigrés turcs travaillent dans

1 Cf. supra, chapitre 5.

2 Cf. Wolfgang Seifert, « Die zweite Ausländergeneration in der Bundesrepublik », Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie 44(4), 1992, p. 677-696.

l’industrie. Cette proportion est deux fois plus élevée que parmi les natifs allemands (20 %) et un peu plus élevée que parmi les descendants des immigrés européens (30 %).

Diagramme 18 Distribution sectorielle des personnes en emploi selon l’origine

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100

% Ensemble

Français d'origine DIM maghrébins DIM maghrébins*

DIM européens Ensemble Allemands d'origine DIM turcs

DIM européens Agriculture

Industrie Construction Commerce

Hôtellerie/Gastronomie Services

Source : SOEP 2002 et Enquête « Histoire Familiale » 1999, données pondérées. * Enquêtés dont les deux parents sont nés au Maghreb. Sont exclus les enquêtés en cours d’études ou de formation.

En France, les groupes sont distribués de manière plus égale dans les différents secteurs. Les descendants des immigrés européens travaillent plus souvent dans l’industrie (20 %), le commerce (18 %) et la construction (8 %). En revanche, plus de 60 % des descendants des immigrés maghrébins sont employés dans le secteur des services. L’importance du secteur de l’agriculture se reflète également dans les résultats puisque les enquêtés, quelle que soit leur origine, y travaillent plus souvent qu’en Allemagne. Ainsi, ces résultats soulignent d’une part la force relative des emplois du tertiaire en France comme secteur d’emploi des enfants d’immigrés et, d’autre part, le maintien relatif de ces derniers dans l’industrie en Allemagne : alors qu’un jeune adulte sur quatre en moyenne travaille dans l’industrie en Allemagne, c’est le cas pour seulement un jeune adulte sur six en France.

Pour analyser de plus près le degré de concentration des jeunes dans les différents secteurs de l’économie, le rapport entre la distribution sectorielle propre à chaque groupe d’origine et la distribution sectorielle de l’ensemble des jeunes adultes en emploi a été calculé. Ce ratio permet de constater, entre autres, dans quels secteurs les groupes d’origine sont sur-représentés ou sous-représentés (tableau ci-après).

Tableau 21 Degré de concentration sectorielle selon l’origine (ratio)

Agriculture Industrie Construction Commerce Hôtellerie

Gastronomie Services Ens.

Services Français d’origine 120 103 90 98 88 100 99 DIM maghrébins 29 74 82 102 117 113 111 DIM maghrébins* 19 77 91 93 131 113 110

DIM européens 39 112 149 118 108 89 96

Allemands d’origine 105 95 100 97 91 103 101

DIM turcs 4 163 67 80 301 68 83

DIM européens 0 130 108 74 66 97 90

Source : SOEP 2002 et Enquête « Histoire Familiale » 1999, données pondérées. * Enquêtés dont les deux parents sont nés au Maghreb. Sont exclus les enquêtés en cours d’études ou de formation.

En France, les descendants des immigrés maghrébins sont légèrement sur-représentés dans le secteur des services et de la gastronomie alors que les descendants des immigrés européens sont nettement sur-représentés dans le secteur de la construction en particulier, mais aussi de l’industrie. En ce qui concerne l’Allemagne, les descendants des immigrés turcs sont fortement sur-représentés dans l’industrie et la gastronomie. Leur proportion dans l’industrie est une fois et demi plus forte que la part de l’ensemble de la population ; dans la gastronomie, elle est trois fois plus forte. Le secteur de la gastronomie est caractérisé par des emplois souvent mal payés et avec des heures de travail difficiles. Alors que les immigrés turcs effectuaient souvent les travaux les plus difficiles dans l’industrie, une partie de leurs enfants se retrouvent dans un secteur caractérisé également par des conditions de travail difficiles. Parallèlement, ce résultat suggère une tendance forte à l’exercice d’activités entreprenariales.

Ces résultats sont des indices de la perpétuation d’une segmentation « ethnique » du marché du travail allemand. Mais les concentrations sectorielles observées sont-elles robustes à caractéristiques sociales et démographiques égales ? Pour tester cela, des modèles logistiques ont été estimés en introduisant des variables de contrôle tels que l’âge, le genre, le niveau d’études, l’origine sociale et la catégorie socioprofessionnelle de l’enquêté. Les résultats concernant la France, présentés dans le tableau ci-dessus, indiquent que les descendants des immigrés maghrébins, même après contrôle des autres variables, ont une probabilité supérieure de travailler dans le secteur des services par rapport aux jeunes d’origine française ce qui confirme leur forte concentration dans ce secteur. Ceci est à la fois le signe d’un rejet de la condition ouvrière et,

parallèlement, une conséquence de leur spécialisation professionnelle. Lainé et Okba1 montrent en effet que les descendants des immigrés maghrébins se spécialisent souvent dans les domaines du transport, du tourisme, des services aux particuliers, de la santé et de l’action sociale.

Tableau 22 Probabilité de travailler dans les services et dans l’industrie en France (régression logistique – Odds ratios) Niveau de diplôme (Réf. : sans diplôme)

Moyen

Source : enquête « Histoire Familiale » 1999. + : P<0.1, * : P<0.05, ** : P<0.01. Uniquement la population en emploi. Variables de contrôle : origine sociale (CS du père), pays de naissance.

Tableau 23 Probabilité de travailler dans les services et dans l’industrie en Allemagne (régression logistique – Odds ratios)

Source : SOEP 2002. + : P<0.1, * : P<0.05, ** : P<0.01. Uniquement la population en emploi. Variables de contrôle : origine sociale (CS du père) et pays de naissance.

La sur-représentation des descendants des immigrés turcs et européens dans l’industrie persiste également « toutes choses égales par ailleurs » (tableau ci-après). Les premiers sont, à niveau de diplôme, origine sociale, pays de naissance et genre et catégorie socioprofessionnelle égaux, deux fois plus souvent employés dans l’industrie que les natifs allemands. Il en est de même des descendants des immigrés européens en Allemagne. Parallèlement, ces deux groupes, à

1 Cf. Mahrez Okba et Frédéric Lainé, L’insertion des jeunes issus de l’immigration : métiers occupés, trajectoires scolaires et professionnelles. Colloque « Le devenir des enfants des familles défavorisées en France », 1er avril 2004.

caractéristiques sociales et démographiques égales, ne se distinguent pas des jeunes adultes d’origine allemande quant à leur probabilité d’être employés dans les services, le coefficient n’étant pas significatif. L’origine sociale est ici prépondérante puisque c’est lorsqu’elle est introduite dans le modèle que l’effet pour les descendants des immigrés disparaît.

L’hypothèse d’une succession intergénérationnelle au sein de l’industrie pour une grande partie de la communauté turque en particulier est confirmée pour l’Allemagne. Ce résultat est d’autant plus important puisque, même si l’Allemagne reste une forte puissance industrielle, les emplois dans l’industrie sont aujourd’hui en danger face aux phénomènes de délocalisation. En France, la situation est inversée puisque les descendants des immigrés maghrébins, se sont fait leur place dans le secteur des services. De plus, les résultats soulignent la force relative du système scolaire français par rapport au système d’éducation allemand. Pour l’Allemagne, il y a certes des signes de transition vers le tertiaire parmi les descendants des immigrés mais compte tenu de leur faible niveau de qualification, l’évolution vers le tertiaire de ces jeunes pourrait se traduire, à l’avenir, par une concentration dans les emplois les moins prestigieux des services. Des efforts considérables, partant à la fois des parents mais aussi de l’institution scolaire allemande (notamment en élevant le nombre de places d’apprentissage), sont donc nécessaires pour éviter que les descendants des immigrés turcs n’occupent à l’avenir les emplois les moins qualifiés dans les services.

8.2.2 Entre monde des ouvriers et monde des employés

Partant de l’approche de Gans1 concernant le destin des « secondes générations », l’hypothèse d’une succession intergénérationnelle au sein de la classe ouvrière en Allemagne a été formulée.

Les différences en terme de concentration sectorielle entre les groupes d’origine et entre les deux pays sont un premier indice de cette succession au sein du monde ouvrier mais il est tout de même intéressant d’examiner le statut professionnel des descendants des immigrés afin de pouvoir confirmer entièrement cette hypothèse.

La comparaison des professions et catégories socioprofessionnelles est confrontée à des limites liées aux différentes nomenclatures nationales. Le concept d’« employés » est particulier à la France dans le sens où il n’inclut pas les professions pour lesquelles le niveau de qualification est élevé et qui impliquent une fonction de direction et un certain degré de responsabilité. Les professions intermédiaires et les cadres se distinguent donc des « employés » dans la nomenclature française. Parmi les « employés », cinq catégories peuvent être distinguées :

 les employés civils et agents des services de la Fonction Publique,

 les policiers et militaires,

 les employés administratifs d’entreprise

1 Cf. Herbert J. Gans, « Second-generation decline… », op. cit.