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Déclin de la classe ouvrière en France et en Allemagne et mutations sur le marché du travail

6 Les descendants des immigrés au cœur des mutations economiques et sociales

6.1 Les évolutions économiques : toile de fond du devenir des descendants des immigrés

6.1.1 Déclin de la classe ouvrière en France et en Allemagne et mutations sur le marché du travail

Une analyse de l’évolution du secteur industriel en France et en Allemagne met en lumière l’ampleur du déclin de l’emploi dans ce secteur dans les deux pays. Le pic industriel qui correspond à l’année au cours de laquelle la part de l’emploi industriel est la plus élevée a été enregistré en 1970 en République Fédérale d’Allemagne et en 1973 en France. Entre cette année et 1998, la France a perdu 36 % de ses emplois industriels et l’Allemagne 29 %.2 Le diagramme ci-dessous qui reprend les chiffres de l’OECD3 illustre l’évolution de l’emploi industriel en France et Allemagne ces quarante dernières années.

Le déclin de l’emploi industriel en France est plus tardif puisque c’est seulement à partir des années 1980 que le nombre d’emploi dans le secteur industriel est inférieur au nombre d’emplois comptabilisés en 1965, mais paradoxalement le choc a été plus grand en France qu’en Allemagne.

En effet, alors que l’Allemagne compte plus de 12,5 millions d’emplois dans ce secteur en 1965, elle n’en compte plus que 11 millions en 2004, ce qui correspond à une perte de 14 %. Pour la France, l’emploi industriel passe de 7 à 5 millions de postes entre ces deux dates et enregistre ainsi une perte de 25 % des emplois dans ce secteur de l’économie. Ces chiffres confirment l’hypothèse d’un plus grand choc industriel en France qu’en Allemagne et soutiennent la thèse selon laquelle la

1 Cf. Herbert J. Gans, « Second-generation decline… », op. cit.

2 Cf. Charles Feinstein, « Structural change in the developed countries during the twentieth century », Oxford Review of Economic Policy 15(4), 1999, p. 35-55.

3 Cf. OECD, Statistiques trimestrielles de la population active, Vol 2004 édition 04, 2004.

succession intergénérationnelle au sein du secteur industriel et de la classe ouvrière est plus difficile en France qu’en Allemagne.1

Diagramme 5 Evolution de l'emploi industriel en France et en Allemagne (ancienne RFA) entre 1970 et 2004 par rapport au nombre d’emplois dans ce secteur en 1965

-30,00 -24,00 -18,00 -12,00 -6,00 0,00 6,00

1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2004

% FRANCE

ALLEMAGNE

Source : OECD, Statistiques trimestrielles de la population active, 2004.

Les travailleurs immigrés étant en moyenne moins qualifiés que les natifs, ils ont souvent été les premiers à être licenciés. Selon l’étude de Lebon2, en France, l’emploi salarié étranger dans l’industrie a baissé de 43 % entre 1973 et 1985. Au total, environ un demi-million de travailleurs de nationalité étrangère ont été licenciés en France dans ce secteur entre 1975 et 1990, ce qui correspond à environ 40 % des postes de travail occupés par les étrangers.3 Les immigrés ont donc subi fortement les répercussions du déclin de l’emploi ouvrier.

1 Le choc de la désindustrialisation a cependant été particulièrement fort en ex-Allemagne de l’Est puisqu’à la chute du mur de Berlin et à la réunification une véritable césure a eu lieu au sein du milieu ouvrier, accompagnée d’une dévalorisation du statut professionnel et social des ouvriers des usines de l’Est. Cf. Berthold Vogel, « Wenn der Wert der Arbeit zerfällt... », Mitbestimmung 1/2, 2006, p. 59-61. Le choc de la désindustrialisation en ex-Allemagne de l’Est a favorisé d’une part l’émergence du chômage, en particulier de longue durée, et la création d’emplois subalternes dans le secteur des services, emplois souvent précaires et mal payés. Une étude souligne d’ailleurs l’augmentation dramatique du taux de pauvreté des personnes travaillant dans les emplois routiniers des services, cf. Olaf Groh-Samberg, « Die Aktualität der sozialen Frage... », op. cit.

2 Cf. André Lebon, « L’emploi salarié à la fin de 1985 », Revue Européenne des Migrations Internationales 4(1/2), 1988, p. 85-105.

3 Cf. Claude-Valentin Marie, « A quoi sert l'emploi des étrangers ? », in Didier Fassin, Alain Morice et Catherine Quiminal, Les lois de l'inhospitalité. Les politiques d'immigration à l'épreuve des sans-papiers, La Découverte/Essais, 1997.

Parallèlement, l’emploi s’est fortement tertiarisé, entraînant en particulier en France une transition de l’emploi étrangers vers les emplois des services.

Tableau 3 Répartition de la population active française/allemande et étrangère ayant un emploi selon l'activité économique en 1982

France Allemagne

Etrangers Français Etrangers Allemands

Effectif en Source : INSEE, Les étrangers en France, Contours et caractères, Insee, Paris, 1994, p. 73 et Stephen Castles, Migration und Rassismus in Westeuropa. EXpress Edition, Berlin. 1987, p. 123.

Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessus indiquent notamment qu’en 1982, c’est-à-dire dix ans après le pic industriel en France, le nombre d’emplois occupés par les étrangers dans les services dépasse le nombre d’emplois occupés par ces derniers dans l’industrie. Ce n’est pas le cas en Allemagne puisque l’industrie emploie, en 1982, plus de la moitié (57 %) et les services environ le quart (26 %) des étrangers. Mais il ne faut pas oublier ici l’importance du bâtiment et de la construction pour les travailleurs étrangers, secteur dans lequel les étrangers sont trois fois plus présents que les Français. Les Portugais et les Maghrébins sont y fortement représentés. Ces chiffres témoignent également de l’importance du secteur agricole en France puisque 4 % des étrangers1 et 8 % des autochtones en emploi travaillent dans l’agriculture, contre seulement 1 % en Allemagne pour les deux groupes.

Même si les étrangers et les natifs continuent à travailler dans des secteurs différents, on dénote une nette transition vers le secteur des services parmi les populations d’origine étrangère au début du 21ème siècle. En effet, alors qu’en 1982 40 % des étrangers étaient employés en France dans ce secteur, la part s’élève à 60 % vingt ans plus tard. L’évolution est identique pour l’Allemagne où 56 % des étrangers occupent un emploi dans les services en 2000/2001, contre 30 % en 1982.

Alors que les étrangers sont plus nombreux en Allemagne qu’en France dans l’hôtellerie et la

1 En 1990 environ 10 % des Marocains sont employés dans ce secteur, contre 3 % de l’ensemble des actifs étrangers dans ce secteur. Entre 1982 et 1990, le nombre d’emplois occupés dans l’agriculture a baissé de 25 %. Cf. INSEE, Les étrangers en France, Contours et caractères, Insee, Paris, 1994, p72-73.

gastronomie, ce qui peut être un indice de leur propension à l’entreprenariat, les étrangers se retrouvent nettement plus souvent en France dans les services directs aux particuliers.

Diagramme 6 Emploi des étrangers par secteurs, moyenne 2000/2001

0 5 10 15 20 25 30 35

Agriculture et Pêche Mines, industries manufacturières Construction Commerce de gros et de détail Hôtellerie et gastronomie Education Santé et services sociaux Services aux ménages Administration publique Autres services

France Allemagne

Source : Jean-Pierre Garson et Anaïs Loizillon, L’Europe et les migrations de 1950 à nos jours : mutations et enjeux, 2003.

Diagramme 7 Distribution sectorielle en France et en Allemagne selon l’origine nationale

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Francais /

Allemands Etrangers UE Etrangers hors UE Ensemble

%

France: Industrie France: Services Allemagne: Industrie Allemagne: Services

Source : Panel Européen des ménages (ECHP) 2001, données pondérées.

Néanmoins, le maintien des immigrés dans l’industrie en Allemagne reste fort : en 2000/2001, la part des étrangers dans le secteur industriel en Allemagne est presque deux fois plus élevée qu’en

France. Ici, les étrangers continuent à être plus souvent employés dans le secteur de la construction, secteur qui emploie d’ailleurs autant d’étrangers que le secteur industriel. Le graphique ci-dessus confirme à nouveau cette différence structurelle entre les deux pays : alors que la distribution sectorielle des étrangers en France est assez similaire à celle des natifs, le marché du travail est segmenté en Allemagne en fonction du critère d’appartenance nationale. Quelle que soit leur origine nationale, les étrangers occupent toujours plus souvent des emplois de l’industrie.

Quelles sont donc les implications de ces mutations structurelles et de ces différences franco-allemandes pour le positionnement des enfants d’immigrés sur le marché du travail ? Le fait que les étrangers continuent à être concentrés dans le secteur industriel en Allemagne, suggère une possibilité de succession intergénérationnelle au sein de la classe ouvrière pour les descendants des immigrés.1 En ce qui concerne la France, la question est de savoir dans quelle mesure les descendants des immigrés connaissent une transition vers des emplois du tertiaire étant donné que les chances d’emploi dans le secondaire sont aujourd’hui restreintes.