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Des immigrés à leurs descendants

4 Les descendants des immigrés en France et en Allemagne

4.1 Des immigrés à leurs descendants

Bien que la France et l’Allemagne soient des pays ayant connu des vagues d’immigration importantes, contrairement à la France qui a connu l’immigration dès le milieu du XIXème siècle, l’Allemagne est restée un pays d’émigration jusqu’à la période qui suivit la Seconde Guerre mondiale. De plus, les fondements historiques de l’immigration vers ces deux pays diffèrent. En tant que puissance coloniale, la France est allée chercher dans ses anciennes colonies d’Afrique du Nord une grande partie de la main d’œuvre nécessaire à la relance de son industrie après la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne, de son côté, mit en place des accords bilatéraux à partir du milieu des années 1950 dans le but de recruter des travailleurs étrangers. Dans les deux pays, l’immigration de la main d’œuvre étrangère a une fonction avant tout économique, mais elle a aussi une fonction sociale. En engageant une politique de recrutement de travailleurs étrangers, les organisations représentantes du patronat tentent de maintenir les salaires à un niveau peu élevé. Par ailleurs, l’immigration de travailleurs dont le niveau de qualification est très faible entraîne une mobilité sociale ascendante des autochtones qui ont alors la possibilité d’occuper des positions plus favorables dans la hiérarchie socioprofessionnelle.1

Alors que des milliers de colons quittent leur pays à la première période de l’époque coloniale, leur émigration s’affaiblit à partir de la seconde moitié du 19ème siècle et la France devient un grand pays d’immigration. Il s’agit alors d’une immigration frontalière ; les ouvriers viennent de Belgique, d’Italie ou encore d’Allemagne. En 1901 déjà, un peu plus d’un million d’étrangers sont recensés en France.2 A cette époque, les relations entre immigrés et autochtones sont marquées par des tensions. Les immigrés italiens, dont beaucoup sont localisés dans le Midi, sont considérés comme les immigrés les moins désirables et les plus difficilement « intégrables ». Un racisme

1 Cf. Friedrich Heckmann, « Einwanderung und die Struktur sozialer Ungleichheit in der

Bundesrepublik », in Reinhard Kreckel (Hrsg.), Soziale Ungleichheiten, Soziale Welt, Sonderband, Editions Otto Schwartz & Co, Göttingen, 1983, p. 369-388, Bernard Granotier, « Les travailleurs immigrés en France », François Maspero, Paris, 3ème édition, 1976.

2 Gérard Noiriel, Atlas de l’immigration en France, Editions Autrement, Paris, 2002, p. 12-13.

virulent se développe à leur encontre. A partir de 1920, l’immigration s’appuie sur une main d’œuvre étrangère de plus en plus éloignée géographiquement et, en 1931, la Pologne fournit, après l’Italie, le plus grand nombre de travailleurs étrangers. A cette époque, la plupart d’entre eux sont employés comme ouvriers dans les régions minières françaises du Nord de la France et dans le secteur agricole, deux secteurs caractérisés par des conditions de travail particulièrement difficiles. Les « Trente Glorieuses » donneront à l’immigration vers la France un élan considérable. Faisant face à un déficit démographique sérieux et à la nécessité de relancer son économie et son industrie, la France met en place un système de recrutement de la main d’œuvre étrangère qui lui permet de contrôler l’immigration tout en étant assurée de son bienfait économique. Les immigrés originaires des trois pays du Maghreb (Maroc, Tunisie et Algérie) forment alors ensemble, à côté des immigrés de la péninsule ibérique, le groupe de travailleurs immigrés le plus important. Même si l’immigration algérienne débute au début du XXème siècle, c’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’elle prend de l’ampleur. Les immigrations marocaine et tunisienne, quant à elles, se développent plus tard et dans le cadre de contrats de recrutement signés avec la France en 1963.

L’Allemagne resta un pays d’émigration jusqu’à la première moitié du XXème siècle ; de 1750 à 1950, environ 7 millions de personnes émigrèrent et s’installèrent de l’autre côté de l’Atlantique, et de 1945 à 1948 environ 12 millions d’Allemands furent déplacés vers les territoires de l’Europe centrale et orientale. Après la Seconde Guerre mondiale, la relance de l’économie apparaît comme un objectif prioritaire également en l’Allemagne qui devient alors un grand pays d’immigration.

En 1955, le premier contrat de recrutement de main d’œuvre est signé avec l’Italie, suivirent l’Espagne et la Grèce en 1960, la Turquie en 1961 et, enfin, la Yougoslavie en 1968. Des accords furent également signés avec le Maroc en 1963, le Portugal en 1964 et la Tunisie en 1965, mais ils eurent moins d’impact, puisque la majorité de l’émigration de ces trois pays était dirigée vers la France.1 L’ensemble de ces accords de recrutement fut fructueux et entraîna l’immigration de milliers de personnes qui furent alors appelées des « travailleurs invités » (Gastarbeiter). Même si cette désignation est aujourd’hui de moins en moins courante, compte tenu du fait que cette immigration s’est transformée en une immigration de peuplement, elle est restée gravée dans les représentations collectives de l’immigration. Le principe de rotation mis en place au départ par le gouvernement allemand, et qui prévoyait un retour quasi automatique des travailleurs immigrés dans leur pays à l’expiration de leur permis de séjour, s’avéra en réalité obsolète. En effet, pour les entreprises, il était plus avantageux de garder les travailleurs immigrés qu’elles avaient elles-mêmes formés.

Le choc pétrolier de 1973 va changer la donne dans les deux pays. En novembre 1973, l’Allemagne déclare l’arrêt de l’immigration. La suspension de l’immigration par la France, qui

1 Cf. Simon, Gildas , « France : A land of long-time yet unrecognized immigration », Regional Development Dialogue 12(3), 1991, p. 115-126.

intervient en juillet 1974, quelques mois après la proclamation de l’arrêt de l’émigration par le gouvernement algérien1, suivra celle de l’Allemagne. Avec le déclin de l’industrie et l’apparition des problèmes du chômage, l’immigration devient désormais un « problème social ». Les deux pays mettent alors en avant les coûts engendrés par la gestion de la main d’œuvre étrangère.

L’arrêt de l’immigration et les primes d’aide au retour proposées par les gouvernements ne stopperont pas l’immigration puisque, parallèlement, la France et l’Allemagne mènent une politique ambiguë de regroupement familial. Cependant, alors que l’Allemagne envisage clairement l’immigration des Gastarbeiter comme provisoire, la France favorise le regroupement familial, même si la mise en place de l’enseignement de la langue d’origine à l’école est clairement une des mesures d’incitation au retour.2 De plus, l’entrée de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal dans la Communauté Européenne, et le fait que le regroupement familial soit devenu un droit, favorisent l’implantation des immigrés provenant de ces pays.3

Les populations issues de l’immigration du travail en France et en Allemagne ont des caractéristiques similaires. Les immigrés turcs, par exemple, qui émigrèrent dans le cadre des accords de recrutement proviennent, pour la majorité, des régions rurales de l’Anatolie, éloignées des centres de production industrielle et essentiellement dédiées à l’agriculture. Les immigrés maghrébins proviennent souvent, eux aussi, des régions rurales de l’Afrique du Nord. Ces populations connaissent donc un déracinement du monde rural et se retrouvent rapidement immergées dans le monde industriel. De plus, les immigrés turcs et maghrébins sont également caractérisés par un faible taux de scolarisation.4 De ce fait, des deux côtés du Rhin, les travailleurs immigrés sont assignés aux positions les plus basses sur le marché du travail dans la « société d’accueil ». Les immigrés turcs se concentrent en Allemagne dans l’industrie lourde (notamment l’industrie de l’acier et du fer), les femmes immigrées étant, elles, souvent employées dans le secteur de l’industrie légère. En France, la hausse de la productivité dans les secteurs du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) et de l’industrie entraîne une forte concentration des immigrés dans ces secteurs de l’économie ; entre 1954 et 1975, le pourcentage des étrangers parmi les ouvriers double, passant de 6 % à 14 %.5

Le phénomène migratoire ne se limite pas à l’immigration du travail6, même si c’est cette forme d’immigration qui a fourni le nombre le plus important d’immigrés dans les deux pays.

1 A cette époque, on assiste à une vague d’attentats xénophobes, dont les Algériens sont la cible.

2 Cf. Rosemarie Sackmann, Zuwanderung und Integration, op. cit., p. 178.

3 Cf. Dominique Schnapper, L’Europe des immigrés, op. cit., p. 75. Cf. Dominique Schnapper, La France de l’intégration, op. cit., p. 103.

4 En particulier pour les immigrés venus d’Algérie, du Maroc et de Turquie, cf. Michèle Tribalat,

« Chronique de l’immigration : Les populations d’origine étrangère en France métropolitaine », Population (French Edition) 1, 1997, p. 163-219.

5 Cf. Jean-Luc Richard et Maryse Tripier, « Les travailleurs immigrés en France, des trente glorieuses à la crise », in Philippe Dewitte (dir.), Immigration et intégration. L’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1999, p. 173-184.

6 Voir en annexe l’aperçu historique de l’immigration en France et en Allemagne.

L’Allemagne connaît à partir des années 1990 deux nouvelles vagues migratoires relativement fortes. La guerre civile en ex-Yougoslavie conduit des milliers de familles à fuir leurs régions et, en 1992, près de 440 000 demandes d’asile sont enregistrées. D’autre part, l’Allemagne connaît, dès la chute du mur de Berlin, une ré-migration massive des (Spät-)aussiedler, i.e. des personnes d’origine allemande qui ont vécu pendant des années dans les pays de l’ancien bloc de l’Est1 et qui, à leur retour, bénéficient d’une « réintégration » quasi-automatique dans la nationalité allemande, conformément à l’article 116 de la Constitution. Les rapatriés allemands sont confrontés, eux aussi, à des problèmes sur le marché du travail, même si une partie d’entre eux sont hautement qualifiés et ont une bonne connaissance de l’allemand.2 Cette immigration plus récente vers l’Allemagne n’a pas d’équivalent en France. Même si le rôle de la France en matière d’accueil des immigrés politiques est plutôt modeste quand on le compare à d’autres pays, notamment à l’Allemagne, la France a reçu environ 800 000 demandes d’asile entre 1982 et 2004.

L’Afrique (Algérie, Congo) et l’Europe (Turquie) sont les continents d’où les demandeurs d’asile proviennent le plus souvent.3

Le tableau ci-dessous donne quelques chiffres de cadrage concernant la population immigrée et étrangère présente actuellement sur les territoires français et allemand. Avec la dernière enquête du Mikrozensus, dont les résultats ont été rendus publics à la fin de l’année 2006, il est enfin possible de distinguer entre immigrés et personnes nées en Allemagne « d’origine immigrée ». Les responsables du Mikrozensus ont en effet développé une typologie partant du lieu de naissance, du

« statut » de la nationalité (de naissance ou par naturalisation) et de l’origine des parents.4 A partir de cela, il est à présent possible de comparer, de manière plus précise, les populations étrangères et immigrées des deux pays.

1 Les pays de provenance les plus importants sont l’ancienne Union Soviétique, la Roumanie, la Pologne, cf. Bundesamt für Migration und Flüchtlinge, Migration, Asyl und Integration in Zahlen, Nürnberg, 2005.

2 Il s’agit notamment de ceux qui proviennent de Pologne et de Roumanie. Pour ceux qui

proviennent de l’ex-Union Soviétique, la langue allemande était « interdite » après la guerre et les minorités allemandes subirent une forte discrimination dans le domaine de l’éducation. Ils ont donc plus de difficultés à s’intégrer à leur installation en Allemagne.

3 Cf. Forum Réfugiés, L’asile en France et en Europe -Etat des lieux 2005, Vème rapport annuel de Forum réfugiés, 2005, p. 13-19.

4 Cf. Statistisches Bundesamt, Bevölkerung und Erwerbstätigkeit. Ergebnisse der Mikrozensus 2005, Fachserie 1, Reihe 2.2, 2007, Wiesbaden.

Tableau 2 Quelques chiffres de cadrage

Origines principales Algérie, Maroc, Tunisie (1,5 millions),

Source : pour la France (métropolitaine), données du recensement 2004-2005, INSEE. Pour l’Allemagne, données du Mikrozensus 2005, Statistisches Bundesamt Deutschland.

Dans le cas de la France, les immigrés sont les personnes nées à l’étranger qui avaient une autre nationalité que la nationalité française à leur naissance. Dans le cas de l’Allemagne, les immigrés incluent les rapatriés allemands (Spätaussiedler).

†† Pour la France la catégorie des naturalisés comprend également les personnes qui sont devenues Françaises par mariage. Pour l’Allemagne, les rapatriés allemands sont pris en compte.

Selon les données du Mikrozensus, 15,3 millions de personnes immigrées ou issues de l’immigration vivent actuellement en Allemagne, ce qui correspond à environ un cinquième de la population totale de ce pays. Le nombre de personnes immigrées ou issues de l’immigration est donc deux fois plus élevé que le nombre d’étrangers (7 millions environ).1 La part des immigrés dans la population totale atteint 12,6 % en Allemagne et est donc supérieure à celle de la France avec 8,1 %. Cette différence est liée au grand nombre de rapatriés allemands qui ont immigré en masse vers l’Allemagne après la chute du mur de Berlin ; en effet, depuis 1950, environ 4 millions de rapatriés se sont installés en Allemagne. La part des étrangers nés en Allemagne dans la population totale est deux fois plus élevée qu’en France, ce qui reflète les différences en matière de politique de naturalisation et d’ouverture de la citoyenneté à ceux qui sont nés dans le « pays d’accueil ». Ces chiffres témoignent également de l’importance de l’immigration pour ces deux pays et du poids quantitatif de certains groupes d’origine au sein des populations respectives : les immigrés maghrébins et turcs représentent, en France et en Allemagne respectivement, les groupes

1 On peut dire que la publication de ces nouveaux chiffres en 2006 a détruit l’image d’une Allemagne homogène dans sa population.

de population d’origine étrangère les plus importants. Un grand nombre d’immigrés d’Europe du Sud se sont aussi installés durablement dans ces deux pays.

L’Allemagne et la France sont donc deux pays d’immigration caractérisés par une grande diversité culturelle. Parler de l’immigration, des immigrés et de leurs descendants implique de désigner des individus selon certains critères. Ces catégorisations et ces modes de désignation sont le produit des traditions nationales et on peut observer aujourd’hui un changement de perspective en l’Allemagne et en France, aussi bien au niveau scientifique qu’au niveau politique.

4.2 Evolution des catégories de désignation : des