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Clivages sociaux et clivages « ethnico-culturels »

le concept d’integration

2.2 Des conceptions sociologiques de l’intégration spécifiquement nationales

2.2.3 Clivages sociaux et clivages « ethnico-culturels »

L’association du travailleur immigré à la condition ouvrière, conséquence de l’immigration du travail, a doté les descendants des d’immigrés de deux types d’héritage : l’héritage de l’immigration et l’héritage ouvrier.2 Si l’on admet que ce double héritage influe sur la position des enfants des immigrés dans la structure sociale, il convient alors d’expliquer comment la dimension liée à l’immigration, dimension qui peut revêtir un caractère « ethnico-culturel », et la dimension sociale s’articulent. La tradition sociologique française n’a guère traité des relations entre immigrés et autochtones en termes culturels ou ethniques. Il y a en fait dans la sociologie française un « refus de l’ethnique »3 qui se traduit par une approche des relations interethniques orientée sur les concepts de citoyenneté et de nation. Cette approche que l’on peut qualifier de typiquement française est liée à la fois à la tradition républicaine de la France qui ne reconnaît pas les groupes ethniques, culturels et religieux, dans l’espace public, et à sa tradition jacobine qui fait de l’individu, avant tout, un individu-citoyen, détaché de ses références communautaires. De ce fait, les études portant sur les immigrés et leurs descendants sont en général englobées dans un cadre plus large d’analyse des pratiques d’exclusion. Il faut tout de même noter ici que la question de la race dans la société française ou de l’ « ethnicisation » des rapports sociaux est de plus en plus le sujet de débats scientifiques, notamment depuis les émeutes de novembre 2005.4

1 Cf. Victor Nee et Jimy M. Sanders, « Limits of ethnic solidarity in the enclave economy », American Sociological Review 52(6), 1987, p. 745-773.

2 Cf. Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière. Enquête sur les usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Fayard Editions de poche, Paris, 2ème édition, 2004.

3 Cf. Dominique Schnapper, La relation à l’Autre, op. cit., p. 395 et suivantes.

4 Voir, entre autres, Nacira Guenif-Souilamas (dir.), La République mise à nu par son immigration.

Editions La fabrique, Paris, 2006 et Didier Fassin et Eric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, La Découverte, Paris, 2006.

Côté allemand, pour Esser, dont la théorie de l’assimilation a été évoquée dans une partie précédente, les stratifications ethniques peuvent être considérées comme un cas particulier des relations interethniques.1 Les stratifications ethniques combinent de manière systématique une condition matérielle de classe avec une appartenance culturelle ou « ethnique » déterminée. Elles ne sont pas stables par nature mais le deviennent lorsque la distance sociale s’institutionnalise sous la forme d’un système d’actions normatif et contrôlé, lorsqu’il y a ségrégation résidentielle sous la forme de ghettos, ou encore lorsque la stratification ethnique obtient une légitimation qui peut être religieuse, comme c’est le cas par exemple dans les systèmes de castes.2 Dans ses analyses sur le positionnement des travailleurs immigrés, Hoffmann-Nowotny utilise quant à lui le concept de

« sous-stratification » ou de « stratification par le bas », Unterschichtung, pour décrire le processus par lequel les travailleurs immigrés prennent la place des autochtones dans les emplois subalternes sur le marché du travail.3 La sous-stratification de la structure sociale par les immigrés va de pair avec une relégation qu’Hoffmann-Nowotny qualifie de néo-féodale dans le sens où le statut attribué aux immigrés (du fait de leur origine, de leur nationalité, etc.) sert de critère pour leur assignation aux positions les plus basses dans la structure sociale.

Parmi les sociologues de langue anglaise, Gordon4 s’est penché sur la relation entre classe sociale et ethnicité. Outre ses travaux portant sur le processus d’assimilation, il a introduit le concept

« ethclass » qui combine les inégalités de classe avec des inégalités ethniques tout en privilégiant le rôle de la classe sociale. Selon lui, l’appartenance à différentes classes sociales a plus d’influence sur les comportements que l’appartenance à différents sous-groupes ethniques. Les individus issus de la même classe sociale agiront de manière similaire même s’ils n’ont pas la même origine culturelle.5 Cette idée de la suprématie de l’appartenance à une couche sociale déterminée est encore plus importante lorsqu’il s’agit des descendants des immigrés. Même s’ils continuent à appartenir à une communauté marquée par l’immigration et le déracinement, ils sont confrontés dès leur plus jeune âge à la culture du pays dans lequel ils grandissent et ils se construisent une appartenance souvent hybride, axée à la fois sur la communauté d’origine et sur la société d’accueil. Bien qu’ils se distinguent des enfants de natifs par leur héritage lié à l’immigration de leur famille, ils partagent les mêmes conditions sociales que les enfants de natifs

1 Cf. Harmut Esser, « Ethnische Differenzierung und moderne Gesellschaft », Zeitschrift für Soziologie 17(4), 1988, p. 235-248.

2 Ibid., p. 241.

3 Cf. Hans-Joachim Hoffmann-Nowotny, Soziologie des Fremdarbeiterproblems. Eine theoretische und empirische Analyse am Beispiel der Schweiz. Enke, Stuttgart, 1973, p. 52.

4 Cf. Milton M. Gordon, Human nature, class, and ethnicity, Oxford University Press, New York, 1978.

5 Les émeutes régulières qui ont lieu dans les banlieues françaises ne sont pas le fait des enfants d’immigrés uniquement. L’ensemble des jeunes vivant dans ces quartiers ont en commun une condition sociale difficile et une existence marquée par l’exclusion et la relégation sociale. C’est avant tout cette condition qui les unit et les amène à exprimer leur désarroi face à des institutions et un marché du travail qui ne leur offrent que de maigres perspectives.

issus de la classe ouvrière et agissent par conséquent selon des logiques similaires. Les enfants des travailleurs immigrés issus de la classe ouvrière pourraient donc, selon le concept de Gordon, être considérés comme une « ethclass », puisqu’ils appartiennent à la fois à un sous-groupe culturel et à une classe sociale déterminée, la classe ouvrière. On peut ajouter ici qu’il est possible que la conception nationale de l’intégration et la façon dont l’intégration des immigrés et de leurs descendants est pensée favorisent plus ou moins l’émergence d’une « ethclass » au sens de Gordon.

On peut déplorer que ces concepts (ethnische Schichtungen, ethnische Unterschichtung, ethclass) décrivent la réalité plus qu’ils ne fournissent des éléments de compréhension des mécanismes qui sous-tendent cette dernière. Schnapper reproche d’ailleurs au concept de Gordon de ne pas expliquer dans quelle mesure et selon quels mécanismes l’appartenance de classe sociale et la référence ethnique se combinent pour former la stratification sociale. C’est donc un concept statique. Toutefois, il a l’avantage de combiner deux dimensions essentielles lorsque l’on étudie l’intégration (position sociale et appartenance à un groupe culturel) et de souligner la diversité des conditions sociales des individus et le dépassement de la dimension culturelle par la dimension sociale.1 Ces concepts mettent l’accent sur le fait que la classe sociale et l’ethnicité forment un nexus qui doit être au centre des analyses sociologiques portant sur les immigrés et leurs descendants. Ils insistent également sur les processus de stratification et de différenciation sociales qui sont au cœur des évolutions sociales et économiques de nos sociétés. Pour Shibutani et Kwan, la stratification ethnique est un type d’organisation des sociétés selon lequel les individus ne sont pas placés dans un ordre hiérarchique en fonction de leurs aptitudes mais en fonction de leur origine ou descendance supposée. Tant que la « ligne de couleur », color line,2 persiste, c’est-à-dire tant que les individus, de chaque côté de cette ligne, agissent les uns envers les autres en fonction du sens commun et des principes de classement imposés, la stratification ethnique perdure. Seule une amélioration de la communication entre les individus, passant par l’accès des minorités ethniques aux canaux de communication de la majorité, permet aux individus de partager leurs expériences, de s’identifier les uns aux autres et, ainsi, de réduire la distance sociale qui les sépare :

« As individuals seek a better life for themselves and those with whom they identify, they fight, cooperate, negotiate, and do things that they regret but feel are necessary. The results of these human endeavors include the formation, perpetuation and desintegration of color lines. »3

La réduction de la distance sociale va de pair avec un affaiblissement de la dimension « ethnico-culturelle » comme critère sur lequel se fonde la stratification sociale.

1 Cf. Dominique Schnapper, La relation à l’Autre…, op. cit., p. 281.

2 Cf. Tamotsu Shibutani et Kian M. Kwan, Ethnic stratification : A comparative approach…op. cit.

Voir un peu plus haut dans ce chapitre la définition du concept de color line.

3 Cf. Tamotsu Shibutani et Kian M. Kwan, Ethnic stratification : A comparative approach…op.

cit., p. 590.

2.3 Conclusion

Ce chapitre a permis de poser les premières bases théoriques du présent travail. L’intégration, dans sa dimension individuelle, renvoie à des processus de participation des individus aux différentes sphères de la société et à la vie collective. Ces processus ne sont pas unidirectionnels. Ils sont bien plus le produit d’interactions sociales dans lesquelles les différents acteurs, appartenant aussi bien aux groupes minoritaires qu’au groupe majoritaire, sont impliqués. Si l’objectif, au niveau sociétal, est de construire une histoire et un projet politique communs à tous, les pratiques de mise à distance sociale qui conduisent, entre autres, à l’assignation des immigrés à des positions subalternes, représentent un défi pour les sociétés modernes qui n’ont plus la même capacité intégrative qu’autrefois. La plupart des approches s’inscrivant dans la théorie classique américaine de l’assimilation tiennent trop peu compte des rapports de pouvoir et des processus de démarcation qui introduisent des irrégularités dans le processus de participation. Malgré tout, le modèle développé par Gordon contient deux dimensions de l’intégration relatives à la société d’accueil (attitude receptional assimilation et behavior receptional assimilation) qui méritent d’être reprises dans toute approche sociologique de l’intégration des populations immigrées. Par ailleurs, l’analyse des modes de participation des descendants des immigrés passe par une étude des mécanismes de division du marché du travail. Les théories sur le lien entre l’immigration et la stratification du marché du travail sont applicables aux descendants des immigrés, puisque ces derniers évoluent dans un marché du travail marqué par de profondes transformations.

Les modèles sociologiques américain et allemand du processus d’intégration, rappellent la discussion à la fois normative et politique selon laquelle les immigrés et leurs descendants doivent s’adapter au point de perdre leurs particularités culturelles.1 Néanmoins, les travaux d’Hoffmann-Nowotny soulignent l’importance de la dimension organique, structurelle, dans le processus d’intégration. En France, les travaux pionniers de Sayad ont fortement influencé la sociologie de l’immigration et lui ont permis d’évoluer sans oublier la force des rapports de domination qui découlent du passé colonial et façonnent les relations entre les populations natives et immigrées.

Les travaux de Schnapper mettent l’accent sur la citoyenneté, principe au cœur de la conception républicaine de l’intégration. L’idée véhiculée par la théorie américaine classique de l’assimilation selon laquelle les populations issues de l’immigration perdent leurs caractéristiques ethniques individuelles au fil des générations se heurte à la réalité. Comme le chapitre suivant le montre, certains groupes peuvent garder des attaches fortes à leur communauté d’origine sans pour autant avoir un mode de participation problématique. Par ailleurs, les travaux sur l’ethnicité réactive (reactive ethnicity)2 montrent que l’exclusion et la discrimination peuvent engendrer une réponse

1 Il s’agit aux Etats-Unis de l’Anglo-conformity et, en Allemagne, de l’intégration au noyau central de la société d’accueil (Leitkultur).

2 Cf., entre autres, Alejandro Portes et Rubén G. Rumbaut, Legacies : The story of the immigrant second generation, University of California Press, Berkeley, 2001. Pour ces auteurs, l’ethnicité

identitaire. Il peut y avoir un besoin de recréer des solidarités. Afin d’élaborer un cadre analytique des modes de participation, le chapitre suivant revient sur les modèles théoriques concernant spécifiquement les descendants des immigrés et sur le lien entre les inégalités sociales et les formes d’appartenance.

réactive chez les descendants des immigrés renvoie également à la recherche d’un lien religieux ou spirituel en dehors de l’appartenance religieuse qui caractérise les parents.

3 Modes de participation des descendants des