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Enfants d’immigrés et identité « ethnico-culturelle »

4 Les descendants des immigrés en France et en Allemagne

4.3 Les descendants des immigrés aujourd’hui : qui sont-ils ?

4.3.3 Enfants d’immigrés et identité « ethnico-culturelle »

Comme l’a souligné Sayad dans son ouvrage La double absence2, les immigrés sont avant tout des émigrés ; ils transmettent l’histoire de leur déracinement à leurs enfants. C’est une histoire d’émigration et d’immigration, d’installation dans un pays étranger dominé par une culture, des valeurs et des traditions parfois très différentes. Cette transmission intergénérationnelle de l’histoire migratoire à la fois individuelle et collective m’amène à aborder le thème des formes d’appartenance des descendants des immigrés et de leur construction identitaire. Ces derniers sont

« à la croisée » de deux cultures, celle de leurs parents et celle de la « société d’accueil » dans laquelle beaucoup d’entre eux sont nés et ont grandi. On peut parler ainsi de la construction d’une

« identité hybride » puisqu’ils ne se tournent pas de manière exclusive vers l’une ou l’autre des communautés. Leur identité se construit plutôt dans cette tension entre différentes appartenances, entre l’orientation vers le « pays d’accueil » et le maintien d’un sentiment d’appartenance au pays d’origine de leurs parents. Le lien à la communauté d’origine parmi les descendants des immigrés comprend une dimension « ethnico-culturelle ». Mais peut-on parler des descendants des immigrés en termes d’appartenance à un groupe ethnique ?

1 Cf. Emmanuel Todd, Le destin des immigrés, op. cit., p. 333.

2 Cf. Abdelmalek Sayad, La double absence, op. cit.

D’après Weber, la présence d’une mémoire collective liée à l’immigration et à la colonisation, est une caractéristique constituante des groupes ethniques qu’il définit de la manière suivante :

« We shall call ‘ethnic groups’ those human groups that entertain a subjective belief in their common descent because of similarities of physical type or of customs or both, or because of memories of colonization and migration; this belief must be important for the propagation of group formation; conversely it does not matter whether or not an objective blood relationship exists. »1

En ce qui concerne la France, l’histoire coloniale a fortement marqué non seulement l’histoire de l’immigration, mais aussi les rapports entre les individus.2 Aujourd’hui, nombre de jeunes d’origine maghrébine établissent un lien entre leurs conditions de vie au sein de la société française et celles de leurs ancêtres qui ont connu l’époque coloniale.3 Même si l’expérience coloniale a laissé des traces chez les descendants des immigrés algériens, une mémoire partagée s’est développée au sein de la population d’origine maghrébine en tant que communauté arabo-musulmane. Selon la définition de Weber, les maghrébins et leurs descendants pourraient être considérés comme un groupe ethnique. Dans le cas de l’Allemagne, les immigrés originaires de Turquie ont « uniquement » en commun l’expérience de l’immigration mais le partage de cette expérience suffit selon lui pour les qualifier de groupes ethniques.

Cependant, cette équation « immigration, colonisation = ethnie » n’est pas aussi simple.4 Les immigrés venus de Turquie ont des origines et des confessions différentes. D’une part on peut distinguer entre les sunnites, qui sont majoritaires au sein de la communauté musulmane, et les alaouites et, d’autre part, entre les Turcs et les Kurdes qui représentent 20 à 30 % de la population

1 Cf. Max Weber, Wirtschaft und Gesellschaft, Grundrisse der verstehenden Soziologie, Mohr Siebeck, Tübingen, 1972 [1922]. Edition en anglais: Max Weber, Economy and society. An outline of interpretative sociology, Berkeley/London 1978, p. 389.

2 Selon Guénif-Souilamas, la France continue à être un pays colonial dans lequel les Arabes sont relégués aux marges de la société (voir Libération du 9 Mai 2005, p. 17). La déclaration de l’état d’urgence dans certaines banlieues françaises suite aux émeutes qui ont eu lieu en novembre 2005 a d’ailleurs été perçue par certains des acteurs comme une résurgence de l’époque coloniale. En effet, pendant la guerre d’Algérie, la France avait instauré un couvre-feu avant de faire la traque aux militants islamistes dans les villes françaises. Il a donc été reproché au gouvernement français de pointer du doigt l’extranéité des jeunes issus de l’immigration. Enfin, l’article 4 d’un récent projet de loi visant à rétablir dans les programmes d’enseignement scolaire le rôle positif joué par la colonisation a également suscité un certain nombre de remous sur la scène politique et publique.

Les réactions à l’ensemble de ces mesures sont donc empreintes d’une grande émotion et d’une forte indignation.

3 Les colonisés algériens n’ont pas eu immédiatement le statut de citoyens français à part entière.

Ils furent dans un premier temps soumis à la loi de l’indigénat qui les privait, entre autres, de leur liberté de circulation et de rassemblement. Ce n’est qu’en 1983 que les immigrés algériens ayant choisi la naturalisation française se virent accorder les mêmes droits que l’ensemble des citoyens français, notamment l’accès aux fonctions communales et le droit de vote passif (cf. Patrick Weil

« Deformierte Staatsangehörigkeiten Geschichte und Gedächtnis der Juden und Muslime algerischer Herkunft in Frankeich », Zeithistorische Forschungen/Studies in Contemporary History 3, 2005.

4 Cf. François Héran, « Les immigrés et leurs descendants dans le système statistique français : réflexions sur les pratiques et les principes », Immigration, marché du travail, intégration.

Commissariat Général du Plan, 2002, p. 117-133.

de la Turquie.1 Il est donc difficile de parler de « l’ethnie turque ». De même, les immigrés originaires des pays du Maghreb formeraient « l’ethnie maghrébine » alors que le Maghreb est un ensemble géographique regroupant plusieurs états et de ce fait plusieurs cultures. En fait, il est juste d’avancer, comme le fait Costa-Lascoux2, que l’ethnicité entre en jeu uniquement lorsqu’il s’agit de décrire des groupes minoritaires en nombre, comme si les dominants, eux, n’avaient pas d’ethnie. Mais il semble que ce ne soit pas uniquement le nombre qui entre en jeu, l’articulation entre une certaine position dans l’espace social et l’origine culturelle des individus rentre en ligne de compte. En effet, on va par exemple difficilement considérer le groupe des étrangers de nationalité française vivant dans le quartier de Prenzlauerberg à Berlin comme un « groupe ethnique », d’une part parce que ce groupe passe inaperçu et, d’autre part, parce qu’il n’est pas considéré comme un groupe « dominé ».

Malgré ces problèmes de définition et de désignation, la mémoire de l’immigration et, pour les Maghrébins en France, la mémoire de la colonisation, a entraîné l’émergence de liens plus ou moins forts entre les individus regroupés dans des communautés que l’on peut qualifier de culturelles, ou historiques pour reprendre le terme employé par Schnapper. Pour la « première génération », maintenir ces liens est un moyen de se protéger contre les influences extérieures inhérentes à la société d’accueil. A leur arrivée, les immigrés se sont retrouvés dans les mêmes baraques, parfois même regroupés par village, et la communauté leur a offert soutien et réconfort dans les moments difficiles. Le cas des enfants d’immigrés est différent, ils ne sont pas « de là-bas » et ne sont pas totalement « d’ici ». Pourtant, dans les pratiques de désignation ou de catégorisation, les descendants des immigrés sont constamment renvoyés aux origines de leurs parents, même si certains ne connaissent le pays d’origine de ces derniers qu’à travers quelques semaines de vacances par an. On peut donc se comment s’articulent ces différentes appartenances chez les enfants d’immigrés, si la culture du pays d’origine de leurs parents est bel et bien la source d’une identité collective qui leur est propre et si c’est le cas, qu’est-ce qui caractérise cette identité collective.

L’ethnicité des enfants d’immigrés peut être bien plus considérée comme une ethnicité symbolique3 dans le sens où l’appartenance à la communauté n’a de l’importance que pour certaines activités ou certains jours fériés ou fêtes traditionnelles. L’identité, dans sa dimension transnationale, se réfère également à l’identification aux nationalismes. On observe par exemple une certaine sensibilité des jeunes de religion musulmane à tout ce qui touche au nationalisme

1 Sur les communautés turque et kurde en Allemagne, cf. Claus Leggewie et Colette Friedlander,

« Turcs, Kurdes et Allemands. histoire d’une migration : de la stratification sociale à la différenciation culturelle, 1961-1990 », Le mouvement social 188, 1999, p. 103-118.

2 Cf. Jacqueline Costa-Lascoux, « L’ethnicisation du lien social dans les banlieues françaises », Revue Européenne des Migrations Internationales 17(2), 2005, p. 123-138.

3 Cf. Herbert Gans, « Symbolic Ethnicity… », op. cit., p. 1-20.

arabe : guerre en Irak, Intifada palestinienne, etc.1 L’identité des enfants d’immigrés se fonde souvent sur une ethnicité « inventée et reconstruite »2, qu’ils empruntent à la fois au pays d’accueil et au pays d’origine. Ils ont une appartenance double chargée de contradictions et d’ambivalences3 qu’ils peuvent réinterpréter et redéfinir selon la situation dans laquelle ils se trouvent. Certains chercheurs ont tenté de décrire le processus de renouveau ethnique qui concernerait la troisième génération. Alors que les enfants de la seconde génération ont besoin de se démarquer du statut d’immigré de leurs parents, et de se former en tant qu’individus ayant leurs propres attaches et leurs propres repères dans le temps et l’espace, la troisième génération tente au contraire de revenir à ses racines.4 Selon cette thèse, les enfants de la « troisième génération » sont entièrement acculturés et subissent bien moins la discrimination que leurs parents. Ils n’ont, de ce fait, pas besoin de répudier leurs racines. Le rapport à la communauté d’origine perd alors le caractère symboliquement négatif qu’il a pu avoir pour les générations antérieures.

Ainsi, si l’ethnicité qui caractérise les enfants d’immigrés est avant tout symbolique, il est important que la société dans laquelle ils vivent leur offre la reconnaissance dont ils ont besoin et qu’elle reconnaisse leur appartenance « simultanée » à une communauté qui n’est pas nécessairement basée sur des critères ethniques. A l’inverse les descendants d’immigrés sont souvent sommés de faire un choix entre un

« lien communautaire » et un « lien de citoyenneté ». Mais ces deux liens sont-ils vraiment exclusifs ? Pour les enfants des immigrés, l’attachement à la communauté d’origine peut être une manière d’échapper aux contraintes de la société nationale et au sentiment de désorientation que cette dernière peut engendrer chez eux :

« One might declare : I do, in fact, know who I am – I am a Pole, a Jew, a Turk, an African American. I have meaningful attachments; my ethnic group has standards and shared values and agreed-upon norms that reduce the burden of anomie in the large society

»5

La thématique de l’entrecroisement entre lien communautaire et lien national se pose différemment en Allemagne et en France. En Allemagne, l’idée d’appartenance culturelle possède une certaine légitimité historique puisque la Nation allemande s’est formée sur des critères culturels et ethniques. L’appartenance « ethnique » a donc pendant longtemps été l’élément séparateur des Allemands et des immigrés d’origine étrangère.6 De ce fait, le lien entre la

1 Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, op. cit.

2 Cf. David Lepoutre, Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Editions Odile Jacob, Paris, 2001.

3 Marnia, Belhadj, « Das republikanische Integrationsmodell auf dem Prüfstand », in Yves Bizeul (Hrsg.), Integration von Migranten. Französische und deutsche Konzepte im Vergleich, Deutscher Universitätsverlag, Wiesbaden, 2004, p. 33-44.

4 Voir notamment, Marcus L. Hansen, The problem of the third generation Immigrant, in Werner Sollors(eds.),Theories of ethnicity. A classical reader, London 1996(1938), p. 202-215.

5 Cf. Milton J. Yinger, Ethnicity. Source of strength? Source of conflict?, SUNY Press, Albany, New York, 1994, p. 46.

6 Cf. Gudrun Hentges und Carolin Reißlandt, « Blut oder Boden – Ethnos oder Demos ?

Staatsngehörigkeit und Zuwanderung in Frankreich und Deutschland », in Dietrich Heither et Gerd

communauté nationale et les communautés ethniques ou religieuses n’est pas articulé de la même manière qu’en France où les communautés culturelles sont reléguées à la sphère privée et où les descendants des immigrés sont inclus dans la communauté nationale. Aujourd’hui, l’Allemagne craint de voir les jeunes descendants des immigrés grandir dans des « sociétés parallèles » (Parallelgesellschaften) et considère leur intégration dans leur communauté religieuse comme une entrave à leur intégration. Un lien communautaire fort, en France mais aussi en Allemagne, est interprété comme un manque d’ouverture des individus sur la société nationale. C’est ce que Diehl et Schnell expriment par ces mots :

« […] migrants’ ethnic identification, ethnic cultural habits, and ethnic social ties are central to the debate about some migrants’ deliberate rejection of integration into German society. »1

Le discours qui considère le repli communautaire comme étant lié à la culture de certaines communautés masque en quelque sorte les causes sociales de ce repli éventuel. Dans ces deux pays, les enfants d’immigrés sont avant tout représentatifs des « jeunes exclus » en général et, si repli il y a, il ne concerne probablement qu’une minorité. Ceci peut d’ailleurs être le signe d’une situation de polarisation au sein même des communautés issues de l’immigration. L’ethnicité est, en fin de compte, utilisée pour désigner des groupes qui ont un lien à l’immigration et sont caractérisés par une situation sociale précaire. La discrimination envers les immigrés et leurs enfants a favorisé l’émergence de minorités ethniques homogènes dans leur situation de privation.

4.3.4 Les descendants des immigrés maghrébins et turcs :