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Inégalités, mise à distance sociale et constitution d’un entre-soi

3 Modes de participation des descendants des immigrés

3.2 Inégalités sociales et lien aux communautés nationale et historique

3.2.2 Inégalités, mise à distance sociale et constitution d’un entre-soi

Si on suit la pensée de Durkheim, le processus de division du travail social et la disparition de la solidarité mécanique avec le passage de la société traditionnelle à la société moderne, entraîne l’affaiblissement de la référence « ethnique ». Selon lui, la division du travail social conduit à l’affaiblissement des liens communautaires et dans le monde moderne, l’hérédité, la famille et la communauté n’agissent plus comme générateur de lien social. Dans un monde marqué par l’augmentation du chômage et dans lequel un nombre important d’individus se retrouvent hors du marché du travail et de tout système de production et, en même temps, détaché des solidarités rattachées à une profession, comment concevoir le lien entre solidarité mécanique et solidarité organique ? Pour le dire avec les mots de Schnapper :

« Il [Durkheim] n’a pas analysé le rapport entre les deux formes de ‘solidarité’ en terme dialectique ou de tension, ni envisagé le retour possible des solidarités et des identités particulières ; il n’a pas prévu que l’intégration ‘mécanique’ pourrait se développer à nouveau aux dépens de l’‘organique’ ou que les passions ethniques pourraient se ranimer aux dépens du principe civique. »1

Dans les phases de désintégration et de désorientation, la communauté historique devient le point d’appui de ceux qui ne trouvent pas leur place dans le reste de la société.2 Ce ravivement des

« passions ethniques » est particulièrement craint par certaines démocraties qui voient ainsi vaciller la force intégrative du principe de citoyenneté sur laquelle elles se fondent. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la force du lien que les descendants des immigrés entretiennent à l’égard de leur communauté historique ou à l’égard de la communauté nationale du « pays d’accueil ». Cette thématique est fortement liée à celle de leur construction identitaire et donc aux possibilités de l’identification à ces deux communautés. Un facteur qui été souvent avancé est celui de l’exclusion socio-économique. Favell établit un lien pratiquement direct entre les

1 Cf. Dominique Schnapper, La relation à l’Autre, op. cit., p. 398.

2 Cf. Alain Touraine, Critique de la modernité, Editions Fayard, Paris, 1992.

conditions sociales dans lesquelles les familles immigrées vivent en France et le repli communautaire parmi les populations de religion musulmane :

« […] the fears of national desintegration because of cultural differences and the ‘threat’

of Islam, have indeed largely masked the fact that cultural pluralism itself would be much less a problem were poverty and social conditions addressed as the central focus. In other words, that poverty and Islamic fundamentalism are one and the same problem; and that without the variable of extreme poverty and concentrated social conditions in decline, Islam in France itself would not be such a problem.»1

La disparition du projet politique qui fut au départ inhérent à l’émergence des sociétés nations, se traduit selon Favell par une « désintégration sociale ». Les sociétés se sentent menacées et cherchent dans les populations issues de l’immigration et ses comportements une sorte de bouc-émissaire. L’Autre est ainsi présenté comme problème social alors qu’en réalité c’est la capacité même d’intégration de ces sociétés qui est remise en question.

Pour Ahsène Zehraoui et ses co-auteurs2, ce ne sont pas les problèmes sociaux qui incitent ceux qui en souffrent à se réfugier dans une identité ou une appartenance culturelle et religieuse particulière. La discrimination vécue, souvent à l’origine de ces problèmes, est la preuve flagrante de leur extranéité qui leur est rappelée à tout moment dans les actes les plus simples de la vie.

Mais bien souvent aussi, les difficultés sociales viennent faire éclater la structure familiale ou déstabiliser la solidarité familiale :

« Les problèmes sociaux et les discriminations au sein de la société entraînent le resserrement des liens intrafamiliaux et le renforcement de la solidarité et de l’identité de groupe, de nouveaux conflits, des risques d’éclatement de la structure familiale ainsi que la confrontation des normes et des valeurs culturelles. »3

Wieviorka4 voit également dans le repli identitaire des jeunes issus de l’immigration le témoignage d’un effort de dénonciation de l’exclusion et de la discrimination ainsi qu’une demande de reconnaissance culturelle tout en ayant accès à la citoyenneté. Coté allemand, Heitmeyer5, souligne lui aussi le caractère primordial de la reconnaissance puisqu’elle est indispensable à la réussite du processus d’intégration sociale. Il distingue trois dimensions de la reconnaissance : la reconnaissance par rapport au positionnement de l’individu (travail, habitat, etc.), la reconnaissance morale (participation au discours politique et reconnaissance des normes et valeurs en vigueur dans la société) et la reconnaissance émotionnelle (identité personnelle et

1 Cf. Adrian Favell, Philosophies of integration, op. cit., p. 187.

2 Cf. Ahsène Zehraoui et al. (dir.), Familles d’origine algérienne en France. Etude sociologique des processus d’intégration, L’Harmattan, Paris, 1999.

3 Ibid., p. 306.

4 Cf. Michel Wieviorka, La démocratie à l’épreuve. Nationalisme, populisme, ethnicité, La Découverte, Paris, 1993.

5 Cf Wilhelm Heitmeyer et Reimund Anhut, Bedrohte Stadtgesellschaften, Soziale Desintegrationsprozesse und ethnisch-kulturelle Konfliktkonstellationen, Juventa, Weinheim/München, 2000.

reconnaissance de l’existence d’une identité collective). La reconnaissance empêche les individus de se retrouver désorientés, isolés et incompris. Elle est un des garants de la cohésion sociale.

Si on part de la thèse selon laquelle le travail est le principal facteur d’intégration puisque c’est par l’insertion professionnelle que passe la reconnaissance et la protection, comme cela a été stipulé par le Haut Conseil à l’Intégration en France1, la montée des inégalités qui touche fortement les enfants des immigrés, mais pas uniquement ces derniers, a des conséquences directes sur leurs appartenances. La constitution d’un entre-soi ou la « redécouverte de l’ethnicité » peut, dans les situations d’exclusion et d’échec professionnel, être à la fois un moyen de se protéger et constituer une réponse à des processus de stigmatisation et d’ « ethnicisation »:

« Si les individus et les groupes sociaux sont de moins en moins identifiés par ce qu’ils font et les relations qu’ils entretiennent entre eux à travers des institutions, ils ont tendance à s’identifier par ce qu’ils sont, leurs héritages ou leurs cultures, et à les renforcer en se différenciant des autres groupes. Les groupes intégrés ‘racialisent’ les exclus […] qui, en retour, s’identifient par leurs identités et leurs cultures et cherchent à les préserver d’une modernité ‘méprisante’. » 2

Ce ne sont pas uniquement les conditions de vie objectives qui expliquent le rattachement à la communauté et la constitution d’un entre-soi. Le mode d’intégration national joue un rôle important dans les attitudes des individus envers l’Etat-nation. L’intégration sociale au niveau de la société caractérise selon Durkheim le phénomène selon lequel une société parvient à regrouper les individus en son sein autour d’un collectif. Pour cela, il est nécessaire que les individus intériorisent les normes et valeurs de la société en question. On s’appuiera ici sur l’idée développée par Schnapper dans La communauté des citoyens3 selon laquelle chaque nation développe un projet politique et que les nations se distinguent les unes des autres par la spécificité de leur projet politique. Avec l’émergence de minorités culturelles, processus accompagnant la mondialisation, les demandes de reconnaissance se font entendre. De manière formelle, par exemple, la difficulté d’accéder à la nationalité allemande pour les étrangers nés en Allemagne, peut être considérée comme une négation de leur présence, voire de leur existence. C’est nier qu’ils font aujourd’hui partie intégrante de la société et que c’est aussi avec eux que la société va continuer d’exister. Mais on peut aussi donner l’exemple de la France où les jeunes issus de l’immigration sont pour la plupart Français mais ne reçoivent pas la reconnaissance qu’ils souhaiteraient au regard de leur statut de citoyens français. Ce déni de reconnaissance pourrait donc avoir des effets similaires sur les modes d’identification des descendants des immigrés dans les deux pays. Mais malgré des similitudes entre la France et l’Allemagne, la conception de l’intégration nationale, spécifique à chaque nation, peut favoriser ou freiner le repli sur la communauté. Elle a des répercussions sur la construction identitaire des individus et sur la

1 Cf. Haut Conseil à l’Intégration, Le contrat et l’Intégration, Rapport à Monsieur de Ministre, Paris, 2003

2 Cf. Didier Lapeyronnie, L’individu et les minorités, op. cit., p. 97.

3 Cf. Dominique Schnapper, La communauté des citoyens, op. cit.

faiblesse ou la force des liens qu’ils entretiennent aux différentes communautés. L’analyse comparative se doit donc de prendre en compte cet effet du cadre national.

Le nouveau contexte économique dans lequel les descendants des immigrés évoluent et tentent de se frayer un chemin les met dans une situation de vulnérabilité spécifique à la fois du fait de leur origine sociale, ouvrière pour la majorité d’entre eux et surtout du fait de leur origine liée à l’histoire migratoire de leur famille. Ce dernier facteur de vulnérabilité est alors utilisé comme critère de mise à distance sociale. L’expérience du rejet n’est pas sans conséquence sur la construction identitaire des individus et la question se pose de savoir selon quels modes ces derniers participent à la société dans laquelle ils vivent et notamment quels sont les facteurs qui entraînent un affaiblissement du lien de citoyenneté ou un renforcement de la référence « ethnico-culturelle ».

3.3 Cadre d’analyse des modes de participation des