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L’école : instrument de l’intégration ?

5 Deux espaces d’opportunités et de contraintes

5.1 Les conceptions française et allemande de l’intégration nationale

5.1.3 L’école : instrument de l’intégration ?

Parler des descendants des immigrés et de leurs modes d’intégration nécessite de parler de l’école en tant qu’institution chargée de donner à tous les mêmes chances de réussite. L’intégration de l’individu dans la société commence en effet par sa socialisation et la socialisation par l’école est une étape importante du processus d’intégration de tous les individus. Alors que l’école est considérée depuis longtemps en France comme le premier instrument d’intégration, l’Allemagne n’a pas donné à cette institution la même fonction de formation de l’individu citoyen. De plus, les états fédéraux allemands, Länder, sont responsables de l’organisation de leur système scolaire, ce qui entraîne des variations des agencements des cursus, alors que le système éducatif en France est centralisé sous la responsabilité de l’Etat. C’est à l’école que les enfants, issus de familles immigrées ou non, entrent en contact avec les normes et les valeurs de la société française. Certes, c’est le cas aussi de l’école allemande, mais la philosophie jacobine et républicaine incarnée par l’école française a toujours été fortement présente au sein de l’institution scolaire. L’école fait partie intégrante de la conception française de l’intégration nationale et est organisée dans l’optique de la construction de la citoyenneté.2 Fondée sur la laïcité, l’école française refuse toute expression des particularismes en son sein. Les jeunes apprennent donc très tôt quelles sont les valeurs de la République et notamment que la culture et la religion doivent être vécues dans la sphère privée. Considérer l’école comme un outil d’intégration ne doit cependant pas faire oublier que, de parson fonctionnement, elle produit aussi des inégalités.

Si on compare le fonctionnement de l’école française et allemande et son effet éventuel sur les descendants des immigrés, quatre points importants peuvent être soulignés. Le premier point touche à l’âge auquel les enfants sont scolarisés dans les deux pays. Même si la scolarisation est obligatoire dans les deux pays à partir de six ans, les enfants sont traditionnellement scolarisés assez tôt en France puisqu’ils entrent à l’école maternelle dès l’âge de deux ans et demi ou trois

1 Cf. Heike Hagedorn, « Das Ende eines Gegensatzes : Konvergenz der deutschen und

französischen Einbürgerungspolitik », in Bernhard Santel et Hermann Schock : Einwanderung im Spiegel sozialwissenschaftlicher Forschung, Leske+Budrich, Opladen, p. 11-39.

2 Cf. François Dubet, « La laïcité dans les mutations de l’école », in Michel Wieviorka (dir.) Une société fragmentée. Le multiculturalisme en débat, Editions la Découverte, Paris, 1997, p. 85-112.

ans. En Allemagne, la scolarisation commence en majorité à l’âge de six ans seulement.1 Pour les descendants des immigrés, mais pas seulement pour ces derniers, une scolarisation tardive peut avoir des répercussions négatives. Dans la phase préscolaire, les parents sont plus impliqués dans l’éducation de leurs enfants en Allemagne qu’en France. Ainsi, si ces derniers parlent exclusivement leur langue d’origine, les enfants d’immigrés en Allemagne communiquent jusqu’à un âge relativement avancé presque exclusivement dans leur langue maternelle. Ils ont donc systématiquement plus de difficultés linguistiques une fois scolarisés.2 Cet aspect est particulièrement important étant donné qu’une scolarisation « anticipée » des enfants d’immigrés permet à ces derniers un apprentissage plus rapide de la langue, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle. De plus, dans les écoles maternelles, Kindergärten, l’accent est plus placé sur l’aspect ludique que sur l’apprentissage systématique de la langue, de la lecture et de l’écriture. La mission d’apprentissage des écoles maternelles dans le système français est dans ces domaines plus clairement définie.

Le second point touche aux processus d’orientation et de sélection qui ont lieu pendant la scolarité.

En fonction de leurs résultats scolaires, les élèves sont orientés en Allemagne dès l’âge de 12 ans vers différents cursus.3 L’orientation se fait en France à l’âge de 15 ans, après la dernière année de collège, soit vers les lycées d’enseignement général ou technologique, soit vers les lycées d’enseignement professionnel. Cette sélection précoce en Allemagne est la source d’un double désavantage pour les descendants des immigrés qui ont peu de temps pour combler les déficits qu’ils ont accumulés en particulier dans le domaine de l’apprentissage de l’allemand, mais pas seulement. Une double charge de travail leur incombe s’ils souhaitent réussir.

Un troisième élément de comparaison entre la France et l’Allemagne réside dans la place de l’apprentissage dans les systèmes scolaires respectifs. Le système d’apprentissage en alternance, duales System, constitue la force du système éducatif allemand étant donné que ces filières ne sont pas aussi fortement dévalorisées qu’en France et que les apprentis sont en lien direct avec les entreprises qui sont fortement mobilisées pour créer des postes d’apprentissage (même si la

1 Environ 30 % des enfants de moins de 3 ans sont, en France, pris en charge dans les crèches, contre seulement 10 % de enfants du même âge en Allemagne. Pour les enfants plus âgés, jusqu’à 6 ans, pratiquement la totalité d’entre eux sont dans les maternelles en France contre environ les trois quarts en Allemagne, OECD, Employment outlook, Paris, 2000, p. 143 et 144. Voir également Mechthild Veil, « Kinderbetreuungskulturen in Europa : Schweden, Frankeich, Deutschland », Aus Politik und Zeitgeschichte 44, 2003, p. 12-22.

2 On peut imaginer ici que le débat sur l’obligation de l’usage de l’allemand dans les cours d’école n’aurait pas lieu ou qu’une telle mesure n’aurait pas raison d’être si les enfants avaient la

possibilité d’apprendre l’allemand, en particulier ceux qui vivent dans des familles où seule la langue d’origine est parlée, avant l’âge de 6 ans. Voir sur cette discussion, Die Welt du 15 février 2006.

3 Il y a quatre possibilités d’orientation : Hauptschule, Realschule, Gesamtschule, Gymnasium.

Seul le diplôme du bac atteint au lycée (Gymnasium) permet d’accéder directement à l’université.

Pour entrer à l’université (Universität ou Fachhochschule), le diplôme de la Realschule doit être complété d’un bac spécialisé (Fachabitur).

tendance est à la baisse comme je le montrerai dans un autre chapitre). Les descendants des immigrés ont, en France comme en Allemagne, plus souvent tendance à être orientés vers des cursus qui sont moins valorisants et valorisés. En France, ces derniers sont précisément les cursus professionnels. Pour la France, Brinbaum et Kieffer1 trouvent que les jeunes d’origine maghrébine font face à un décalage entre leurs aspirations et leur orientation scolaire puisque, alors qu’ils aspirent à une formation de cycle général, ils sont plus souvent orientés que les autres dans les filières professionnelles considérées comme des « voies de garage ».

Enfin, quatrième point, la France et l’Allemagne se distinguent dans leur façon de prendre en compte les questions d’interculturalité. Le système d’éducation français est assez rigide face à la diversité culturelle puisque le principe de laïcité, qui prône en France depuis la loi de 1905, n’autorise pas l’enseignement des religions au sein de l’institution publique scolaire. Cependant, il existe en France des écoles privées de confession catholique, juive ou protestante qui bénéficient du soutien de l’Etat. Le deuxième collège et lycée musulman de France a ouvert ses portes à Lyon le 5 mars 2007. Ceci indique une prise en compte progressive des besoins spécifiques de la communauté musulmane. Le fait qu’il n’y ait pas eu pendant longtemps d’école privée islamique en France peut s’expliquer selon Schnapper par le manque d’organisation de cette communauté.2 A l’opposé, l’Allemagne est le seul pays européen où l’enseignement de la religion confessionnelle est ancré dans la constitution. En Westphalie du Nord-Rhin par exemple, l’enseignement de l’Islam existe depuis 1985 dans les écoles publiques et en 2003 il a été introduit dans certaines écoles de l’Etat fédéral de Berlin.3 Le fait que le système scolaire allemand prend plus en compte la diversité religieuse et culturelle que le système français est un indice supplémentaire du caractère plus différentialiste de la conception allemande de l’intégration nationale. Ceci contribue également au maintien des communautés culturelles et religieuses.

Ainsi, l’école et la citoyenneté sont des piliers et des instruments, proclamés comme tels, de l’intégration en France alors qu’ils ne le sont pas de la même manière en Allemagne, à la fois en raison de leurs fondements historiques et de leur fonctionnement. Les agencements nationaux de ces institutions influencent les modalités d’intégration des descendants des immigrés. A côté de ces institutions qui ont à la fois une fonction unificatrice et socialisatrice pour l’ensemble des individus, quelle que soit leur origine, la France et l’Allemagne ont mis en place, au cours des dernières décennies, des politiques d’intégration.

1 Cf. Yael Brinbaum et Annick, Kieffer, « D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles immigrées : ambition et persévérance », Education et formation 72, Septembre 2005, p. 53-75.

2 Cf. Dominique Schnapper, « French immigration and integration policy. A complex combination », in Friedrich Heckmann et Dominique Schnapper (eds.), The integration of immigrants in European societies. National differences and trends of convergence, Forum Migration 7, Lucius & Lucius, Stuttgart, 2003, p. 15-44.

3 Cf. Friedrich Heckmann, « From ethnic nation to universalistic immigrant integration », in Ibid., p. 45-78.