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Les descendants des immigrés maghrébins et turcs : des populations plus vulnérables ?

4 Les descendants des immigrés en France et en Allemagne

4.3 Les descendants des immigrés aujourd’hui : qui sont-ils ?

4.3.4 Les descendants des immigrés maghrébins et turcs : des populations plus vulnérables ?

L’exclusion sociale est la conséquence non seulement des mutations économiques mais aussi des

« pratiques identitaires ou ethniques » reposant sur une exclusion symbolique de l’Autre. Par le biais de « pratiques identitaires ou ethniques », un groupe utilise certains critères pour se distinguer de l’Autre et le définir.2 Cette exclusion symbolique est une des facettes de l’exclusion sociale et la renforce puisque les groupes immigrés sont non seulement exclus de la possession de capital économique et social mais aussi, bien souvent, des discours. La différence culturelle est ainsi utilisée afin de légitimer les différences sociales entre les individus et les groupes d’individus. Les enfants d’immigrés ont donc de fortes chances d’être non seulement soumis à des processus d’exclusion économique et sociale, mais aussi à une exclusion symbolique en raison de leur appartenance culturelle : celle-ci vient compliquer leur situation de vie.

Wiegel (eds.), Die Stolzdeutschen. Von Mordspatrioten, Herrenreitern und ihrer Leitkultur, PapyRossa Verlag, Köln, 2001, p. 172-195.

1 Cf. Claudia Diehl et Rainer Schnell, « ‘Reactive ethnicity’ or ‘assimilation’ ? Statements, arguments and first empirical evidence for labor migrants in Germany », International Migration Review 40(4), 2006, p. 788.

2 Cf. Klaus Eder et al., Die Einhegung des Anderen, op. cit.

Les sociologues autour de Portes ont mis en évidence le caractère segmenté de l’assimilation des descendants des immigrés et élaboré une typologie comprenant trois variantes d’incorporation: (1) l’assimilation vers le bas (downward assimilation), (2) l’intégration économique rapide accompagnée du maintien des valeurs communautaires et (3) l’acculturation et l’intégration aux classes moyennes.1 En décrivant ces différents parcours, Portes et Zhou2 apportent des éléments permettant d’expliquer pourquoi certains groupes font l’expérience d’une assimilation vers le bas.

Selon eux, certains groupes sont plus vulnérables que d’autres. Ils identifient trois facteurs qui favorisent une telle vulnérabilité dans le contexte actuel. Le premier facteur est la couleur de peau.

Les traits physiques deviennent alors un handicap dans la recherche d’emploi ou de logement. La concentration dans l’espace des populations immigrées est le deuxième facteur qui empêche les enfants d’immigrés de se construire une identité positive étant donné que l’environnement dans lequel ils grandissent et vivent est marqué d’un symbolisme négatif à leurs yeux et aux yeux de la société. C’est la raison pour laquelle Portes et Zhou ne voient pas dans l’assimilation un processus inévitablement positif. En effet, lorsque les minorités ethniques s’assimilent aux couches sociales les plus basses, notamment celles qui sont concentrées dans les zones urbaines marquées par la pauvreté et le chômage, les valeurs incorporées par les individus ne sont pas forcément favorables à leurs parcours d’intégration. Les jeunes qui grandissent dans ce milieu ne disposent donc pas de ressources capables de leur forger une identité positive. Le troisième facteur porte sur la panne de l’ascenseur social. La mobilité sociale est aujourd’hui plus difficile étant donné que les niches dans lesquelles travaillent les parents ne sont plus des canaux de mobilité sociale. Les mutations économiques ont créé une économie « sablier » (hourglass economy) qui freine la mobilité sociale.

Dans ce contexte, les parents doivent accumuler le maximum de ressources pour permettre à leurs enfants de s’élever par les qualifications sur l’échelle sociale. Bien entendu l’affaiblissement de la mobilité sociale ne concerne pas uniquement les descendants des immigrés, la vulnérabilité de certains parmi ces derniers naît de l’articulation de ces trois facteurs (couleur de peau, concentration dans l’espace et panne de l’ascenseur social). Ici aussi le capital symbolique joue un rôle prépondérant lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi certains groupes sont plus que d’autres victime de stigmatisation.

S’il est vrai que les enfants d’immigrés appartiennent, en raison de l’origine de leurs parents, à une communauté culturelle différente de la communauté nationale, ils sont renvoyés à leur appartenance ethnique souvent en raison de leur position dans l’espace social et du capital symbolique dont ils sont dotés, capital symbolique négatif lorsqu’il s’agit des enfants d’origine maghrébine en France ou turque en Allemagne. Comme le dit Bourdieu :

1 Pour plus de détails sur la théorie de l’assimilation segmentée, cf. supra chapitre 2.

2 Cf. Alejandro Portes et Min Zhou, « The new second generation… », op. cit.

« […]l’Arabe ou le Turc des banlieues ouvrières des villes européennes porte la malédiction d’un capital symbolique négatif. »1

De plus, les attentats du 11 septembre 2001, le conflit au Moyen-Orient et la diabolisation de l’Islam par les dirigeants de certains pays occidentaux ont fait de la religion un élément de légitimation et de construction de la distance sociale. C’est en particulier sur les descendants des immigrés turcs et maghrébins, des « minorités visibles », qu’est concentrée dans les deux pays depuis quelques années toute l’attention politique et médiatique. La religion vient donc cristalliser une différence qui est alors

« perçue comme une différence permanente à la fois par la population musulmane et par les pouvoirs publics en France et en Allemagne ».2

La religion, qui jouait un rôle moindre dans la définition de l’Autre à l’époque de leurs parents, enferme les jeunes dont il est ici question dans un cadre culturel et dans un fait religieux auquel certains se raccrochent et d’autres cherchent à échapper. Les jeunes d’origine arabo-musulmane étant placés au centre de cette recherche, on reviendra dans un chapitre ultérieur sur les causes et les mécanismes de la mise à distance sociale dont ils font l’objet.

4.4 Conclusion

Ainsi, dans chaque pays, les descendants des immigrés sont loin de former un groupe homogène.

Ils sont caractérisés par une forte diversité culturelle et ne sont pas, en France et en Allemagne, reliés à l’Etat par le même lien juridique, compte tenu des législations différentes sur la nationalité.

La difficulté liée à leur désignation et à leur quantification pousse le chercheur à réfléchir sur la signification de certaines catégories de démarcation et sur l’effet de ces catégories sur les représentations collectives. Dans ce domaine, on peut observer, en France comme en Allemagne, un changement de perspective dans les champs scientifique et politique qui souligne la nécessité de prendre en compte, dans les discours et dans les analyses, à la fois la diversité culturelle de cette population, leur rapport indirect à l’immigration et, pour certains parmi eux, leur appartenance à la société nationale. Avant de passer à l’analyse des modes de participation des descendants des immigrés en France et en Allemagne par l’exploitation de données empiriques, il faut revenir maintenant plus longuement sur les dimensions institutionnelle et économique qui forment le cadre d’analyse de cette recherche. Ainsi, les deux chapitres suivants analysent plus en détail les régulations spécifiques à chaque pays afin de dévoiler les variations des cadres nationaux respectifs.

1 Cf. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Editions du Seuil, Paris, 1997, p. 284.

2 Cf. Riva Kastoyano, « Définir l’Autre en France, en Allemagne et aux Etats-Unis », in Riva Kastoryano (dir.), Les codes de la différence, Presses de Sciences Po, 2005, p. 29.

5 Deux espaces d’opportunités