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Chapitre 1. L'économie d’enclave : limites et opportunités

1.3. Caractéristiques économiques des enclaves

1.3.3. La petite taille

Au préalable, la notion d’insularité, telle qu’utilisée pour les îles, ne reflète pas l’essence de la situation dans laquelle se trouvent les enclaves. Dans un sens, la notion d’insularité peut être proche de celle d’enclavité, bien qu’elles ne soient pas identiques dans leurs contenus. Cependant, elle ne comprend pas l’autre notion, l’enclavité. Il est essentiel qu’une enclave soit entourée d’un seul Etat-entourant ; en fait, c’est ce qui fait

d’elle une enclave. Bien qu’elle soit utile, la notion d’insularité n’est que peu satisfaisante pour refléter la complexité des enclaves et des exclaves. De ce fait, tout en analysant le cadre économique des enclaves, nous utiliserons la combinaison des notions d’enclavité et d’exclavité.

Un des faits fondamentaux est que les enclaves sont, en règle générale, petites. Bien que ne faisant pas partie des facteurs décisifs d’enclavité (ceux-ci étant l’enclavité et l’exclavité), c’est une caractéristique typique ayant un impact énorme sur le développement économique des enclaves. En règle générale, les enclaves représentent des territoires relativement petits et compacts, et faiblement habités. Les entreprises basées dans les enclaves doivent tenir compte du fait que la capacité des marchés intérieurs est insuffisante pour leur servir de base viable. Les marchés locaux ne constituent pas de base pour une production à grande échelle de biens et de services, notamment ceux destinés à l’industrie de pointe. Cette particularité des enclaves en tant que petits pays, associée à d’autres facteurs, peut avoir des conséquences très importantes sur leurs politiques économiques, en particulier à une aversion pour les politiques économiques de substitution aux importations et, réciproquement, à l’acceptation d’une préférence pour une orientation diversifiée des exportations.

La petite taille conditionne une spécialisation forte. Les enclaves à succès affichent une spécialisation relativement avancée et de pointe, par exemple, Hong Kong s’est spécialisée dans la finance, le commerce/transport et l’électronique ; Macao s’est spécialisée dans le jeu, le tourisme, le textile et l’électronique. Le PIB de Gibraltar est constitué à hauteur de 25-30% des trois activités économiques suivantes : transport maritime, banque et tourisme.

La petite taille de l’économie des enclaves et une gamme insuffisante de produits peuvent conduire à une asymétrie considérable entre la structure de la consommation et de la production domestiques. Les importations tiennent une part significative de la consommation intérieure. Les enclaves, du moins celles à succès, sont fortement intégrées dans l’économie mondiale. Elles sont grandement sensibilisées à toute source externe d’instabilité, comme par exemple aux réactions protectionnistes de leurs partenaires commerciaux principaux, ou aux chocs exogènes provenant de l’économie globale. L’impossibilité d’élargir considérablement la gamme de biens produits prive

ces territoires – non seulement les Etats souverains mais dans une certaine mesure aussi les exclaves non-souveraines – d’une occasion de se défendre contre une influence brusque et négative de tels facteurs externes.

Un autre problème est que les enclaves n’ont pas d’arrière-pays. Les provinces adjacentes de l’Etat-entourant ne peuvent être assimilées comme arrière-pays de l’enclave que pour des cas très rares. Bien plus souvent, les enclaves forment un arrière-pays désavantageux tant pour l’Etat-entourant que pour leurs continents.

La taille de l’enclave est aussi une variable importante en termes de capacité à supporter des infrastructures. Seules les plus grandes enclaves, avec une population de plusieurs milliers ou plus d’habitants (Kaliningrad, Hong Kong, Macao, Alaska), peuvent se doter d’infrastructures importantes telles qu’universités ou grands hôpitaux modernes. En même temps, les enclaves petites et de taille moyenne (avec une population de 1 000 à 100 000 personnes) ne sont généralement pas capables de faire pareil. Elles doivent compter, pour les infrastructures, sur la métropole et/ou sur l’Etat-entourant. Cette dernière option n’est pas toujours possible pour des raisons politiques.

Ceuta, Melilla et Gibraltar doivent envoyer leur jeunesse étudier en Espagne et en Grande Bretagne respectivement. L’absence d’infrastructures éducatives ne fait pas seulement qu’augmenter les coûts du développement économique local, mais a aussi un impact négatif sur lui. Les micro-enclaves représentent un cas extrême du fait qu’elles sont souvent incapables de supporter par elles-mêmes une quelconque infrastructure.

Pour elles, l’accès aux infrastructures sociales (écoles, hôpitaux) du continent ou de l’Etat-entourant, est vital.

Une petite taille peut entraîner des coûts disproportionnés pour s’équiper en infrastructures. Pour assurer son indépendance avec l’Espagne, Gibraltar du s'équiper avec ses propres centrales de dessalement lui permettant de se fournir en eau, et ses propres centrales électriques au fioul. Cet investissement très coûteux a entraîné une facture mensuelle des habitants de l’île très élevée pour ces services. De plus, Gibraltar a complété en 2005 la construction de l’Hôpital St. Bernard, équipé avec les derniers équipements médicaux afin d’assurer le plus haut niveau de soin médical en réponse aux besoins et demandes des habitants locaux aisés. Le côté sombre de l’histoire veut que le Gouvernement de Gibraltar se soit endetté pour réaliser ce projet. Ceci est

probablement la dépense la plus élevée par personne en matière de soins médicaux dans le monde, le coût de l’hôpital étant réparti sur moins de 30 000 habitants.

Bien que Gibraltar soit généralement connu comme paradis fiscal, il ne s’agit là que d’une face de la médaille. Les avantages fiscaux de Gibraltar peuvent s’appliquer aux compagnies dont les affaires se situent ailleurs dans le monde. Au contraire, les compagnies locales sont assujetties aux impôts dépassant de loin ceux appliqués, par exemple, en Grande Bretagne. Ceci est aussi justifié par les coûts élevés des services locaux.

1.3.4. La vulnérabilité

La vulnérabilité des enclaves est due à une multitude de facteurs. Les principaux d’entre eux sont : (i) la vulnérabilité de l’accès continent-exclave, (ii) la petite taille et (iii) une réaction typique excessive et une forte exposition aux chocs externes, économiques et politiques, en particulier dans la relation M-S.

Le problème de la communication entre le continent et l’exclave, traduit comme la question de l’accès ou du transit, est central dans le vecteur continent-exclave au sein du triangle MES, et est profondément enracinée dans la nature même de l’enclave qui, par le fait même de son caractère enclavé dans l’Etat-entourant ou de son détachement au continent, en fait ce qu’elle est : une enclave ou une exclave respectivement. La communication comprend trois composantes vitales : (i) la circulation des marchandises et des services ; (ii) la circulation des personnes et (iii) le mouvement des forces d’armée et de police, de même que celui des officiels de l’Etat.

Lorsqu’une enclave émerge, elle fait face au problème de sa communication avec le continent. Si un arrangement est trouvé entre le continent et l’Etat-entourant, le problème peut être résolu en douceur dès sa survenance. Lorsqu’une enclave émerge par contre dans un contexte d’agitation politique internationale, de tensions et de conflits militaires, le problème peut s’avérer très rapidement critique et il devient un choc supplémentaire, nuisant aux perspectives d’un retour à la stabilité économique et sociale. Pour donner juste un exemple, un des nombreux surnoms données à Berlin Ouest entre 1945 et 1990 était le « sismographe » (Hörning 1992 : viii). Ce surnom

exprimait clairement la vulnérabilité de Berlin Ouest et sa caractéristique à réagir aux moindres tensions dans la Guerre Froide.

Encadré 1 .1. Kaliningrad et la communication continent-exclave : la vulnérabilité de l’accès

L’observation de l’histoire de Kaliningrad montre l’héritage d’un lien de vulnérabilité entre les questions d’accès et de développement économique. De manière assez intéressante, la Prusse orientale, exclave allemande de 1920 jusqu’à 1939, et ce, malgré une situation politique totalement différente, avait éprouvé des difficultés et des obstacles économiques similaires.

Kaliningrad est passée d’un extrême à l’autre dès sa naissance comme exclave en 1991.

La région s’est détachée du continent russe et fut géographiquement incluse dans l’Union européenne tout en relevant de la souveraineté russe. La situation de Kaliningrad la rend vulnérable. La région est exposée à deux chocs continus : les changements en politique russe et les relations UE-Russie.

Voyons les accords de transit, appliqués en 2003 pour permettre le transit des voyageurs depuis Kaliningrad vers la Russie. Ces accords ont conduit à mettre en place un régime particulier pour faciliter la traversée de la Lituanie par les voyageurs. Les accords de 2004 pour le transit de cargaisons, au contraire, n’ont pas conduit à la mise en place d’un régime légal spécifique instaurant sur le territoire lituanien une sorte de couloir pour les marchandises. Il en est essentiellement ressorti que le cas de Kaliningrad relève des règlements de circulation/transits généraux au sein de l’UE.

Avant le 1er juillet 2003, la traversée via la Lituanie se faisait sans visa. De plus, il y avait un règlement spécial permettant aux habitants de Kaliningrad de visiter la Lituanie sans visa. Les autorités russes ont estimé qu’en 2001, les flux entre Kaliningrad et le reste de la Russie étaient de 960 000 déplacements en train, et 620 000 en voiture (à comparer avec les 950 000 habitants Kaliningrad). « L’Accord Commun sur le Transit entre la Région de Kaliningrad et le Reste de la Fédération russe » a été adoptée lors du 10e Sommet entre l’UE et la Russie en novembre 2002 (UE et Russie, 2002). Dans ce document, les parties reconnaissent « la situation unique de la Région de Kaliningrad comme partie de la Fédération russe, mais séparée du reste de la Fédération par d’autres Etats ». Les parties ont décidé d’instaurer un ensemble complet de mesures destinées à faciliter le passage des frontières, et en particulier à créer un « Document Simplifié de Transit ». Les négociations trilatérales Russie-Lituanie-UE – nouvel événement contribuant au dialogue Europe-Russie – ont eu lieu dans la continuité des décisions prises lors de ce Sommet. Les négociations se sont achevées au printemps 2003, avec une série de mesures destinées à mettre en place certaines facilités de transit. Elles sont entrées en vigueur 1er juillet 2003. Le document de passage ferroviaire facilité (DPFF) et le document de passage facilité (DPF) ont été introduits pour faciliter le transit de passager en train, autobus et voiture. Une personne doit posséder un FTD afin de traverser la Lituanie en voiture ou en autobus. Le DPF est octroyé pour un an par les consulats lituaniens en Russie. Il est gratuit pour tous les citoyens russes. Cependant, les procédures d’obtention d’un DPF sont similaires à celles requises pour un visa normal.

Par contre, le DPFF est distribué aux personnes traversant la Lituanie en train vers la Russie. En achetant son billet, le voyageur doit présenter les mentions essentielles de son passeport qui sont alors transférées électroniquement aux autorités consulaires lituaniennes (cf. Vinokurov 2004c et 2006a pour les détails).

Après trois années d’existence, le DPFF fonctionne tout à fait correctement. Il n’entraîne, pour le passager, presque aucun délai supplémentaire dans les formalités. Après plusieurs

incidents au départ, le système fonctionne normalement. Il faut cependant passer un certain nombre d’heures dans les files d’attentes devant le consulat lituanien pour obtenir le visa lituanien ou un DPF. Par contre, le transit de cargaisons entre le continent et Kaliningrad reste problématique. Les négociations sur le transit, menées par les parties en 2003-2004, n’a pas aboutit à un régime simplifié. Les règlements standards de transit de l’UE sont appliqués après que la Lituanie a rejoint l’Union européenne en 2004, ce qui a entraîné des coûts élevés de transport entre le continent et l’exclave.

La question de l’accès est particulière aux enclaves ; elle ne se poserait pas pour une région continentale. Cette question est comprise comme : (i) une exclave est séparée (du continent) par une distance ; (ii) elle est séparée (du continent) par le territoire d’un (ou plusieurs) Etat(s) étranger(s). Alors que le premier facteur s’applique pour les îles, le second est particulier aux exclaves. La complexité du problème des accès continent-exclave est essentiellement due à l’accès de l’continent-exclave au continent, c’est-à-dire aussi, à son détachement du continent et à son enclavement dans l’Etat-entourant. Cela en fait une exclave de plus en plus vulnérable, même à des changements mineurs de politique de l’Etat-entourant, mais aussi à l’Etat général des relations entre continent et Etats-entourants. Ceci illustre bien la vulnérabilité de Kaliningrad au regard de son détachement du continent et de son enclavement dans l’UE, tout comme sa dépendance vis-à-vis des négociations entre l’Union européenne et la Russie.

En dehors de la vulnérabilité relative à l’accès, les économies des enclaves sont extrêmement vulnérables à divers types de chocs externes. Cette vulnérabilité découle non seulement de leur petite taille, mais aussi principalement de leur caractère exclavé (détachement) et enclavé (« encastré » dans l’Etat-entourant). Passons en revue certains facteurs cruciaux aux enclaves :

• Habituellement, les enclaves sont petites. La petite taille de l’économie locale n’est pas à même de soutenir l’industrie. Si une industrie y est établie, elle doit chercher des marchés ailleurs. Cette petite taille de l’économie de l’enclave, la gamme limitée des biens produits mène à une asymétrie considérable entre les structures de consommation et de production intérieure. Les importations constituent une très grande part de la consommation. Compte tenu de ceci, ainsi que du haut degré de dépendance vis-à-vis des revenus commerciaux, nous pouvons affirmer que l’intégration est plutôt profonde dans l’économie mondiale. Ainsi, les enclaves d’exposent aux sources extérieures d’instabilité, c'est-à-dire aux mouvements protectionnistes des partenaires commerciaux principaux ou aux chocs exogènes.

• Un autre aspect relatif à la petite taille est qu’une enclave doit se spécialiser dans un très petit nombre d’industries ou de secteurs. Vu que les entreprises peuvent se relocaliser, la tâche d’une enclave est de veiller à l’enracinement les entreprises sur place. De ce fait, une enclave ne peut soutenir qu’un très petit nombre d’industries viables et compétitives. Par ailleurs, il se crée un cercle vicieux : la spécialisation élevée rend les entreprises encore plus vulnérables aux chocs et cycles économiques.

• Le caractère enclavé d’une enclave perturbe tant les exportations que les autres sorties de biens vers le continent. Du point de vue de la géographie économique, l’Etat-entourant pourrait constituer un marché de proximité commode. Cependant, les nombreuses tarifications et autres barrières non-tarifaires rendent les produits de l’enclave non concurrentiels face à ceux des producteurs de l’Etat-entourant qui protège son marché. De plus, la distance réelle ainsi que le coût de transit compliquent l’accès aux marchés potentiels de l’Etat-continent. Si une enclave ne possède pas un avantage compétitif unique, elle devient économiquement incapable dans la perspective de son isolement.

L’incapacité économique combinée à l’augmentation de la vulnérabilité explique pourquoi divers types de régimes économiques spéciaux sont si souvent instaurés dans les enclaves. Un régime économique spécial peut rendre une enclave économiquement viable là où ses biens naturels ne suffiraient pas pour survivre.

1.3.5. Agriculture, industrie et services : caractéristiques distinctives des

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