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La liaison est un type de sandhi externe propre au français, qui consiste en la prononciation d'une consonne, dite "consonne de liaison" (CL) entre deux mots, et plus précisément lorsque le premier mot est à finale phonétiquement vocalique mais graphiquement consonantique et le deuxième à initiale vocalique. En d'autres termes, il s'agit du fait qu'on prononce une consonne finale, normalement muette dans un mot pris isolément, si le mot suivant commence par une voyelle. Par exemple, l'adjectif "petit" se prononce [pəti], le graphème final <t>

n'étant pas réalisé. Et pourtant, en position pré-nominale, la consonne finale muette sera pro-noncée. On dira ainsi [pətitami] ("petit ami"), et non pas *[pətiami].

Selon la condition phonologique, les liaisons s'effectuent donc entre deux mots, à partir du moment où le premier mot est à finale consonantique et le deuxième à initiale vocalique. Par conséquent, la CL devrait être prononcée dans les exemples suivants:

(7) a. Ce serait pour ses amis un grand honneur.

b. Il écrit des romans à son ami.

Or ce n'est pourtant pas le cas, les CL soulignées ne se prononcent pas (*[amizẽ], *[romãza]), elles restent systématiquement muettes dans ces contextes.

Le contexte phonologique -C#V- vu précédemment n'est donc pas suffisant. Et en effet, les CL se réalisent s'il y a un lien syntaxique, voire sémantico-syntaxique, très étroit entre Mot 1 et Mot2ii. Ceci explique la non-réalisation des consonnes finales [z] en (a) et (b), dans la me-sure où il n'y a aucun lien syntaxique entre "amis" et "un" en (a), de même qu'entre "romans"

et "à" en (b).

Par contre, le lien syntaxique entre un nom et son déterminant étant très fort, ceci explique les liaisons systématiques réalisées entre ceux-ci. Ainsi, le syntagme "les enfants" sera toujours

prononcé [lezãfã], c'est-à-dire avec prononciation de la CL [z], et pour cette même raison, la CL [t] sera réalisé en (a) dans "grand honneur", "grand" et "honneur" faisant partie du même syntagme ([grãtonœr]).

3.2. Origine

Pour comprendre l'origine des liaisons, nous devons appréhender la langue diachroniquement, et plus précisément étudier la manière dont les consonnes finales ont évolué depuis l'ancien français.

Il semble, en effet, que les consonnes de liaison actuelles étaient toutes prononcées en ancien français, et ont commencé à s'amuïr, c'est-à-dire à ne plus être prononcées, dès le XIIème siè-cle. Il en résulte ainsi, comme on peut l'observer en français actuel, des consonnes finales vi-sibles graphiquement mais absentes perceptuellement, ou encore muettes. Ce phénomène tou-che toutes les catégories grammaticales, que ce soient les noms ("un loup" → [(ẽ)lu]), les ad-jectifs ("grand"→[grã]), les verbes et les flexions verbales ("tu chantes" → [(ty) ãt])…

Mais si ces consonnes finales sont muettes dans le mot pris isolément, certaines "réapparais-sent" pourtant perceptuellement dans certains contextes, tels que lors de dérivation lexicale ("grand"→ "grandeur") ou encore en position intervocalique entre Mot1Mot2, afin d'éviter les hiatus, c'est-à-dire les suites de voyelles n'appartenant pas à la même syllabe, lorsqu'il y a un lien syntaxique étroit entre ces mots (cas de liaison). Ainsi, le syntagme "grand enfant" sera prononcé [grã-t-ãfã] et non pas [grã-ãfã]. Dans cet exemple, nous pouvons d'ailleurs observer que le graphème <d> ne correspond pas au phonème [t] utilisé. D'autres divergences de ce type sont observables, et ceci s'explique précisément par le fait que si l'orthographe actuelle est relativement récente, les consonnes de liaison proviennent, quant à elles, d'une graphie beaucoup plus ancienne.

3.2.1. L'évolution des consonnes finales Règles générales

Quelques précisions sur les consonnes finales latines.

On nomme "les consonnes finales latines", celles qui étaient déjà en position finale en latin.

La plupart de ces consonnes ont connu un phénomène d'effacement relativement tôt, c'est-à-dire dès le latin archaïque ou impérial (entre les Ier et IIIème siècles). C'est le cas des nasales -m et –n dans les polysyllabes (vocem>voix, nomen>nom), de -k (sic>si), de -d (ad>a)…

Les consonnes finales romanes

Au contraire des "finales latines", les "consonnes finales romanes" se sont trouvées en

posi-tion finale suite à la chute de la voyelle finale, phénomène d'effacement vocaliqueiii qui s'est produit aux VIIème et VIIIème siècles :

(8) a. aidier (VIIIème) < adjutare b. grand (VIIème) < grande

Ces consonnes connaissent tout d'abord un phénomène de dévoisement (fin VIIème début

VIII-ème), c'est-à-dire que toutes les consonnes sonores deviennent sourdes :

(9) a. grand > grant

Enfin, ces consonnes finales commencent à s'amuïr à partir de la fin du XIIème siècle.

Quelques cas précis Le /t/ final

L'occlusive dentale /t/ en position finale est conservée plus longtemps que d'autres consonnes en raison de sa fonction verbale flexionnelle :

cantat ("il chante") vs cantas ("tu chantes")

Il connaît tout de même des modifications et tend à s'effacer ou à s'amuïr, mais de deux ma-nières distinctes selon qu'il est post-vocalique ou post-consonantique.

Le /t/ final précédé d'une voyelle, tel que dans cantat, s'amuït dès le IXème siècle et disparaît à partir du XIIème siècle. Ainsi cantat se prononce désormais "il chante".

Pour ce qui est du /t/ post-consonantique, tel que dans fructu, il s'amuït à la fin du XIIème et début XIIIème mais reste présent graphiquement. Ainsi, le nom fructu, après la chute de sa voyelle finale, a conservé sa consonne finale et on la retrouve bel et bien actuellement dans

"fruit", avec un statut de consonne finale muette.

Le /s/ final

La fricative finale /s/, provenant ou non des consonnes /z/ (dévoisement) ou /ts/ (perte du segment dental), a connu le même sort que les autres consonnes finales, à savoir une tendance à l'amuïssement. Par contre, pour les mêmes raisons que le /t/ final (marque de flexion), il disparaît de la prononciation tardivement.

Plus exactement, il commence à ne plus être prononcé à la fin du XIIIème, excepté par la lan-gue savante qui tend à le préserver. Celle-ci finit par l'effacer lorsque le mot suivant est à ini-tiale consonantique à partir du XVème mais le conserve encore à la pause (sous une forme sourde /s/) et devant les mots à initiale vocalique (sous une forme sonore /z/):

(10) palatiu > [palεts] (XIème) > [palε(s)] (XIIIème) soit <palais>

Le /n/ final

La consonne /n/ propage son trait [+ nasal] aux voyelles la précédant, entre le XIème et le XIIIème :

(11) manum > [mẽn] (XIIIème)

Une séquence de deux articulations nasales est ainsi obtenue, et c'est seulement vers la fin du XVI siècle et le début du XVII siècle que la consonne nasale en position finale va commencer à disparaître. Le graphème <n> reste cependant présent, afin de marquer le trait [+ nasal] de la voyelle précédente :

(12) [mẽn] (XIIIème) > [mẽ] (XVIème) soit <main>

3.2.2. Les liaisons en ancien français

Etant donné le phénomène d'amuïssement, les cas de liaison sont assez rares en ancien fran-çais. En effet, les consonnes finales ayant tendance à disparaître, si ce n'est graphiquement, tout du moins de la prononciation, on ne peut pas vraiment parler d'un "phénomène de liai-son" présent en ancien français.

On en trouve tout de même quelques unes, tel le /s/ qui a été conservé par la langue savante (voir 2.1.2), mais l'exemple du /s/ n'est pas réellement probant dans la mesure où il semblerait que cette consonne ait été conservée par la langue savante en ancien français dans tous les contextes, qu'elle soit en position pré-vocalique ou pré-consonantique. C'est plus tard seule-ment, en moyen français, que le /s/ final commence à s'assimiler à une consonne de liaison, celui-ci apparaissant uniquement devant une voyelle initiale.

Par contre, d'autres consonnes finales semblent se comporter d'une manière relativement simi-laire aux CL, même si le peu de cas de "liaison" observés se distinguent tout de même de cel-les actuelcel-les. En effet, en ancien français, il s'agit d'une alternance au niveau graphique "C vs Ø", alors qu'en français actuel, les CL sont toujours présentes graphiquement.

C'est le cas de "o", par exemple, qui provient de apud mais dont le <d> final a pu être conser-vé en ancien français devant les mots à initiale vocalique, même si l'alternance n'est pas tota-lement systématique.

On trouve également, dans "La vie de Saint Alexis", XIème siècle, (Perugi, 2000), plusieurs exemples du même type d'alternance:

(13) a. e vs ed < et (conjonction) :

I, 1, Bons fut li secles al tens ancienur, quer feit i ert e justise ed amur,

XLV, 224, Tut te durai, boens hom, quanque m'as quis, lit ed ostel e pain e carn e vin.

b. que vs qued/quet < quid (conjonction) :

XXVI, 126, Cils s'en repairent a Rome la citèt,

Nuncent al pedre que nel pourent truver : XL, 199, de ses parenz qued il nel recunuissent,

e del honur del secle ne l'encumbrent.

LVI, 279, or set il bien qued il s'en deit aller, cel son servant ad a sei apelét : LXXVIII, 389, Jo atendi quet a mei reparaisses, par Deu merci que tum reconfortasses.

On peut également ajouter à ces exemples, l'alternance se/set (<si + quid) qui correspond à la conjonction "si" (se lui,100; se tei 202; se Deu, 42o, etc…vs set il, 128; set a, 448).

Ce même phénomène se retrouve également à la finale d’adjectifs. Ainsi, si l’on étudie le comportement de l’adjectif "grand" dans "La Chanson de Sainte Foi d’Agen" (Thomas, 1974), on peut l’observer sous la forme <gran> devant des mots à initiale consonantique (paupeira, 102 ; crid, 343 ; riu, 403 ; gentura, 434 ; batailla, 581…) et sous la forme <grand>

devant des mots à initiale vocalique (amor, 237 ; ainsa(l), 225 ; afollament, 249…).

Il faut cependant remarquer que parmi ces exemples, on peut tout de même lire au vers 379

<grand tort> et au vers 423 <gran ardura>. Ces changements graphiques ne sont donc pas complètement réguliers.

Mais si ces alternances ne sont pas totalement systématiques, il semble tout de même qu'elles ont un lien avec le phénomène de liaison actuel, dans la mesure où elles se résument par la présence d'une consonne finale devant une voyelle initiale à l'intérieur d'un même syntagme, normalement absente dans les autres contextes. Par contre en ancien français, et contrairement au français moderne, l'alternance se produit également au niveau graphique.

4. Les consonnes latentes (Cl) en contexte de liaison et de redoublement syntaxique