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2. L’identification d’un thème supplémentaire (TS), spécialisé pour la dérivation et invisible à la flexion, que nous avons appelé “thème caché”,

3. La mise en œuvre de ce thème spécial qui sert de radical à des noms déverbaux construits et par suffixation et par conversion,

4. Quelques conséquences de ce réarrangement des données,

5. La question du statut de ces N convertis récupérés comme outputs d’une règle morphologique : formellement, sémantiquement constituent-ils un sous-ensemble au sein des N convertis déverbaux précédemment identifiés ?

1. L’allomorphie radicale dans la flexion verbale

On parle d’allomorphie radicale quand plusieurs lexèmes complexes formés sur la même base ne sont pas formés sur le même radical2, ou quand un même lexème utilise plusieurs radicaux dans sa flexion. A cet égard, les résultats principaux de B.B. 2002, 2003, peuvent être résumés en quatre points :

Thèmes multiples : les lexèmes verbes peuvent comporter une collection de radicaux phonologiquement distincts (cf. Lieber, 1981, Aronoff, 1994, Pirrelli & Battista 2000, Stump 2001). En français, un V peut avoir jusqu’à 4 représentations phonologiques lexicales distinctes (ou thèmes).

Espace ‘thématique’ : ou collection indexée de thèmes qui identifie un lexème du point de vue phonologique. Les lexèmes comportent une structure de stockage de leurs radicaux allomorphes ou thèmes, en ce qu’ils sont indexés avec certaines zones groupées du paradigme. On distingue ainsi dans le tableau suivant les radicaux appelés par leur numéro 1, 2 et 3, identifiés par les zones de leur mise en œuvre :

Espace thématique zone du paradigme LAVER BATTRE VOULOIR

Radical 1 PRST Sg /lav/ /ba/ /vø/

Radical 2 PRST 3 Pl /lav/ /bat/ /vœl/

Radical 3 IMPFT & PRST1/2 PL /lav/ /bat/ /vul/

Indexation des radicaux : L’espace thématique du verbe en français comporte 12 cases différentes ainsi mises en jeu par la flexion. Par défaut, la plupart des cases peuvent contenir des radicaux identiques ; ainsi appelle-t-on réguliers les verbes qui utilisent un seul radical pour un grand sous-ensemble du paradigme verbal, à savoir les 8 cases qui couvrent tout le paradigme sauf quatre temps (infinitif, participe passé, futur/conditionnel, passé simple). On observe ci-dessus le contraste entre LAVER (verbe régulier qui met en jeu un seul radical, par renvoi de R2 à R1, et de R3 à R2), face à BATTRE (deux radicaux) et VOULOIR (trois radicaux).

Morphomes : Ces types de regroupements à travers le paradigme montrent que les radicaux impliqués dans la flexion sont de purs objets morphologiques, indépendants de tout conditionnement phonologique, morphosyntaxique ou sémantique : ce sont des

‘morphomes’ au sens de Aronoff (1994).

L’allomorphie radicale est donc vue ici non pas comme une déviation, mais comme une propriété active, abstraite, structurale, des systèmes morphologiques (cf. Maiden 1992).

2. Hypothèse d’un radical allomorphe supplémentaire : ‘caché’ à la flexion, mis en jeu par la dérivation des déverbaux en -ion, -eur/rice, -if/ive.

Pour rendre compte de la distribution de suffixes dérivationnels tels que –ion, -eur/-rice ou –if/-ive, on a proposé (B. B. K., 2004) de voir que les verbes français prennent pour radical un thème distinct qui n’apparaît jamais dans la flexion, mais qui est visible dans les lexèmes dérivés tels que dérivat-ion, réquisit-oire, supplét-if ou résultat-if. L’existence d’un tel thème montre que la morphologie flexionnelle et la morphologie dérivationnelle ont accès également à la collection de thèmes d’un lexème : certains thèmes sont utilisés à la fois dans la flexion et dans la dérivation, certains seulement dans la flexion, et certains exclusivement dans la dérivation. Ceci n’apparaît pas comme surprenant puisqu’on pose que les deux morphologies partagent le même input (lexèmes) et diffèrent par leur output (formes fléchies d’un lexème vs lexèmes construits).

La forme par défaut de ce thème spécial (TS) est obtenue en ajoutant -at au thème 3, sur lequel les N et A déverbaux sont généralement construits. Cette analyse est fondée sur la classification de surface des N en -ion (cf. Tableau 1) qui fait apparaître la façon dont le TS est relié à la forme du radical 3.

Tableau 1. Classification de surface des N déverbaux en -ion, en fonction de la relation régulière (-at) ou irrégulière entre leur thème 3 et leur thème spécial (reprise de B. B. K., 2004)

Cette classification permet de faire deux distinctions : d’abord celle des deux classes ouvertes, (classes 1 et 2) opposées aux quatre autres qui sont fermées et irrégulières. Ensuite la distinction entre la classe 1, régulière, des noms en -ation, qui illustrent la méthode par défaut de construction de l’espace thématique des verbes (les verbes nouveaux rentrent normalement dans cette classe) d’avec la classe 2, celle des noms en -ification basés sur des verbes en -ifier.

Cette classe 2 a l’air productive; en réalité c’est la construction des verbes en -ifier qui est productive; c’est donc une classe à la fois irrégulière et ouverte.

Tableau 2. Distribution des radicaux communs et spécialisé dans les lexèmes déverbaux Radicaux

Le tableau montre que les trois RCL (Règles de Construction de Lexème) des N en -age, en -ment et en -ion opèrent sur des thèmes différents :

- Les N suffixés en -age sont construits sur R 3 (blanchissage).

- Les N déverbaux en -ment sont construits sur R1 (blanchiment, comme amoncellement) ou sur R3 (accroissement, jaunissement).

- Les N en -ion prennent pour radical le thème caché (admirat-ion), pour les réguliers. Par ailleurs, les deux verbes LAVER et ADMIRER divergent par les types de N déverbaux qu’ils autorisent (ni *lavation, ni *admirage).

Cette hypothèse consiste donc à déplacer l’allomorphie : au lieu de décrire des phénomènes d’allomorphie du suffixe (Corbin, 1987, Huot, 1997), on décrit l’allomorphie des radicaux du lexème verbal (cf. Di Lillo, 1983). Un avantage considérable de cette hypothèse tient à ce qu’on n’a pas à prévoir des allomorphies parallèles des autres suffixes -eur/-rice, -if/ive, -oire, -ure ( cf. modificat-oire, composit-eur, abstract-eur, réduct-eur, descript-if).