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Les consonnes latentes (Cl) en contexte de liaison et de redoublement syntaxique Je viens donc de présenter succinctement deux phénomènes phonologiques distincts. Le RS

en ancien français, dans un premier temps, qui se caractérise, de la même manière que le RS italien dans les dialectes centro-méridionaux, par une gémination de la consonne initiale de Mot2, déclenchée principalement par une liste de morphèmes, constituée essentiellement de monosyllabes atones, à finale latine consonantique. De plus, ce redoublement est soumis à des restrictions syntaxiques, il ne se réalise qu'à l'intérieur d'un même syntagme.

L'étude de la liaison met alors en évidence un rapport étroit avec ce redoublement syntaxique.

Tout d'abord, la liaison se produit systématiquement si Mot1 est un morphème atone et que Mot1 et Mot2 entretiennent des liens syntaxiques très étroits (voir (7)), c'est-à-dire à l'unique

condition que les deux mots forment un constituant syntaxique. De plus, l'analyse diachroni-que des consonnes de liaison montre un lien certain avec les consonnes finales latines et d'an-cien français, and'an-ciennement prononcées puis amuïes.

A partir du constat de ces similitudes, ce travail propose ainsi d'apporter une explication uni-taire de ces deux phénomènes, basée sur la présence de consonnes latentes, correspondant à d'anciennes consonnes finales latines.

4.1. La consonne latente en contexte de liaison

Beaucoup ont traité le statut de la consonne de liaison en français. Je ne m'attarderai pas sur les nombreux traitements de cette consonne qui ont pu être proposés. Dans le cas de la théorie multilinéaire (Encrevé, 1988), elle est vue comme segment flottant, ou latent, c'est-à-dire que la CL appartient lexicalement au mot au niveau sous-jacent, elle possède au même titre que les consonnes fixes une position dans la syllabe mais elle n'est pas associée à cette position.

Pour que la CL flottante soit prononcée, elle devra être ancrée dans la position du squelette correspondante et cette position devra elle-même être associée à un constituant syllabique, la condition indispensable étant que l'attaque suivante soit nulle, c'est-à-dire que Mot2 soit à ini-tiale vocalique.

L'arrivée de la théorie autosegmentale a permis ainsi d'apporter la notion de latence, qui quali-fie très bien cette consonne, distincte des autres consonnes de par son statut particulier. Par la suite, d'autres hypothèses ont été proposées, celle de Sauzet (1999), entre autre, me semble très intéressante, traitant la CL comme segment dissocié phoniquement. Plus précisément, il soumet l'idée de consonnes non associées au reste du contenu phonique, c'est-à-dire qu'elles existent réellement au niveau morphémique, mais de manière discontinue. Cette théorie per-met de palier à quelques lacunes jusqu'ici difficilement résolues, comme les variations conso-nantiques retrouvées dans les mots tels que "grand", dans lesquels la consonne finale peut va-rier en fonction des contextes dérivationnels ("grande", "grandeur"…) ou de liaison ("grand (t) ami").

Quelles que soient les approches actuelles du traitement de la CL, il est ainsi établi de manière certaine que son statut se distingue des autres consonnes fixes. Et pour tenter d'expliquer cet état de latence, ou dissociation, les consonnes de liaison doivent être étudiées diachronique-ment, comme nous l'avons vu précédemdiachronique-ment, leur prononciation étant en accord avec celles retrouvées en latin et ancien français.

Ainsi, si l'on reprend l'exemple de l'adjectif "grand", dont la consonne finale connaît des va-riations selon les contextes de dérivation ou de liaison, l'analyse de l'évolution de celle-ci permet de mieux comprendre ses diverses représentations : en accord avec la règle de dévoi-sement des occlusives finales (datant du VIIIème siècle), l'adjectif "grand", provenant de l'étymon latin grandis, était prononcé [grãt] en ancien français, conformément à sa graphie

<grant>. Il commence à disparaître au niveau phonique, tout en restant graphiquement

pré-sent, à la fin du XIIème siècle. L'orthographe évoluant, il s'écrira par la suite avec, non plus un

<t>, mais un <d> final, tout comme son origine latine, et surtout en accord avec ses dérivés lexicaux (le féminin "grande", le nom "grandeur", le verbe "grandir", l'adjectif "gran-diose"…). Cependant, l'ancien phonème final /t/ a tout de même résisté en français moderne dans le contexte de liaison, c'est-à-dire lorsque le mot suivant est à initiale vocalique ([grãtã-fã]).

Et de la même manière, si l'on observe le cas de l'adjectif "nouveau/nouvel" ("un nouveau dé-fenseur vs un nouvel attaquant"), la CL s'explique aisément au regard de sa prononciation la-tine [novellus] (diminutif de novus).

L'idée est donc qu'à la chute de la consonne finale latine, celle-ci a laissé une trace créant ainsi une consonne latente, c'est-à-dire une consonne muette mais lexicalisée, qui réapparaît sous certaines conditions syntaxiques en contexte pré-vocalique.

4.2. La consonne latente en contexte de RS

4.2.1. La Cl liée à l'ancienne règle latine d'assimilation consonantique finale

De nombreux travaux ont également été effectués sur l'origine du RS irrégulier en italien. Et pour expliquer celui-ci, il faut analyser l'évolution des formes latines. Loporcaro (1997), entre autre, a apporté une explication unitaire des RS irrégulier et régulier. Je ne traiterai ici que de son analyse du RS irrégulier. Après avoir fait le constat de la règle d'assimilation consonanti-que régressive en latin vulgaire, s'agissant a priori d'une neutralisation des consonnes finales en faveur du segment initiale de Mot2, le RS relevé dès l'époque du latin vulgaire consisterait ainsi en un résidu de cette assimilation en sandhi externe, lorsque les consonnes finales ont disparu.

Loporcaro mentionne plus précisément le terme d'une "réanalyse" de cette règle d'assimilation et il appuie ceci en ajoutant que les mots déclenchant le RS avaient une finale étymologique consonantique (I/ 1.2). Par conséquent, et de la même manière qu'en ce qui concerne la liai-son, lors de la chute des consonnes finales latines, celles-ci auraient laissé une trace, et "réap-paraîtraient" en ancien français en contexte #C-, sous forme d'un renforcement de la consonne initiale de Mot2, lorsque Mot1Mot2 forment un seul et même constituant. Il s'agirait ainsi là encore de consonnes dites latentes, qui se manifesteraient selon des conditions syn-taxiques strictes en contexte pré-consonantique. L'ancien français provenant également de l'évolution du latin, cette analyse s'y applique bien évidemment de la même manière, la diffé-rence étant qu'au contraire du RS italien celui en ancien français n'est plus actif en français moderne.

Or ce dernier constat sur la perte du RS semble particulièrement intéressant et peut-être même pertinent si l'on veut tenter d'apporter une analyse unifiée des phénomènes de liaison et de RS.

En effet, suite à cette analyse des consonnes latentes de ces deux phénomènes, une question se pose tout de même : pourquoi ceux-ci ont évolué différemment en français actuel? Si la

liaison ne se réalise pas de manière similaire qu'en ancien français, il ne s'agit que de modifi-cations liées à l'évolution de la langue (réapparition des consonnes finales graphiquement) alors que le RS relevé en ancien français a bel et bien disparu en français moderne. Une raison qui permettrait d'expliquer ceci serait de remettre en cause l'origine du RS comme "résidu de l'assimilation des anciennes consonnes latines", en supposant que le RS en ancien français était déclenché selon un principe prosodique.

4.2.2. La consonne latente liée à l'accent secondaire

Il semble, en effet, que l'approche de Loporcaro pose quelques problèmes en ce qui concerne le RS en ancien français. D'une part, et comme nous venons de le dire, pourquoi ce phéno-mène de gémination a-t-il disparu en français? De plus, il n'est pas systématique. On retrouve parmi les extraits relevés des cas de RS après certains mots qui n'apparaissent pas dans d'au-tres contextes syntaxiques similaires. Par exemple, dans "La passion de Clermont-ferrand" on retrouve :

(14) XIII, 50, (et el lavid) e lla 'sgarded

((…) et l'a regarda)

Ici, la conjonction "et" a déclenché une gémination de la consonne initiale suivante. Or, dans

"La vie de Saint Alexis", nous avons vu en traitant la liaison (13) des cas où et était en contexte pré-consonantique sans observer de gémination :

(15) XLV, 225, lit ed ostel e pain e carn e vin.

Et on retrouve quelques cas de RS dans ce texte (Eufemien, si out a nnum li pedre, IV, 16,  ʺEufemïen, tel fut le nom de père"), par conséquent rien n'explique ici cette non-gémination.

On observe ceci dans tous les textes énoncés jusqu'ici, les mêmes mots qui déclenchent dans certains cas le RS ne le font pas dans d'autres, et même lorsqu'il existe un lien syntaxique étroit entre Mot1Mot2.

A partir de là, il semblerait qu'un autre élément, différent de celui énoncé par Loporcaro, en-gendre peut-être le RS. Et une hypothèse serait celle de l'accent, et plus précisément l'accent dit "secondaire". On retrouve dans les langues l'accent primaire (΄)iv, qui se trouve systémati-quement sur la même syllabe d'un mot, quel que soit le contexte. Dans le cas du français, il est question d'accent déterminé (en opposition avec l'accent libre) et fixe (au contraire de mobile, comme en latin où la place de l'accent diffère selon le nombre et la quantité des syllabes du mot), dans la mesure où il est phonologiquement prédictible puisqu'il occupe toujours la même position, à savoir sur la syllabe finale d'un mot ou encore d'un syntagme. En plus de cet accent, il existe également dans certaines langues un accent secondaire (`), dont la place n'est

pas pré-établie, il ne se trouve donc pas toujours sur la même syllabe d'un mot, variant selon des conditions principalement rythmiques, mais soumis tout de même à quelques contraintes.

Si ce type d'accent est actif dans quelques langues, comme l'italien, sa présence en français moderne est nettement moins sûre. En effet, même si la plupart des auteurs affirment l'exis-tence d'accent rythmique en français, l'appellation "d'accent secondaire" reste tout de même encore incertaine. Plusieurs auteurs refusent même complètement l'idée que les langues à ac-cent fixe puissent posséder un acac-cent secondaire (Garde, 1968), ainsi si l'on peut tout de même observer un accent rythmique en français, il ne s'agirait pas pour autant d'un phéno-mène accentuel, mais de variations purement mélodiques.

Par contre, le principe de l'accent secondaire était actif en ancien français et il semble tout à fait plausible qu'il ait pu avoir un lien avec le déclenchement du RS puisque s'il l'on observe les divers extraits de RS étudiés, un accent secondaire rythmique pouvait parfaitement se pro-duire sur le mot déclencheur. En effet, les mots qui provoquent le RS sont pour la plupart des monosyllabes atones, et par conséquent ils possèdent une position potentiellement "occupa-ble" par l'accent secondaire. Reprenons les deux exemples suivants:

(16) a. a ssos péz ("La passion de Clermont-Ferrand", v.44) b. o ss'assís (idem, v.24)

Si l'on se base sur les "principes d'accent secondaire en italien" traités, entre autre, par Peper-kamp (1998), selon lesquels il faut accentuer de préférence la première syllabe d'une sé-quence, procéder en alternant syllabe accentuée/syllabe non accentuée, et enfin ne pas laisser deux syllabes contiguës non accentuées, en les appliquant aux extraits ci-dessus, il semble que les mots déclencheurs ont pu recevoir un accent secondaire :

(17) a. à ssos péz

b. ò ss'assís

De la même manière, ceci explique la non gémination des consonnes dans le vers " lit ed ostel e pain e carn e vin", dans la mesure où les trois noms à initiale consonantique suivant la conjonction "et" sont des monosyllabes toniques, et ne peut recevoir d'accent secondaire sans violer la règle d'alternance syllabe accentuée/syllabe non accentuée.

Cette approche accentuelle de la source du RS semble résoudre les quelques difficultés de la théorie de Loporcaro soulevées précédemment. Elle permet de rendre compte de la présence ou de l'absence d'un RS après un même mot déclencheur, dans un contexte syntaxique simi-laire, le principe étant que selon l'accentuation ou la non accentuation d'un mot, il déclenche alors, ou non, un RS. De plus, ceci permettrait d'expliquer la perte du RS en français moderne, dans la mesure où l'accent secondaire n'est plus présent désormais. Une étude diachronique

approfondie sur la perte de l'accent secondaire ainsi que sur celle du RS mériterait d'être me-née, afin d'étudier une éventuelle concordance entre la perte de ces deux phénomènes, qui permettrait de confirmer le rôle de l'accent secondaire dans le déclenchement du RS en ancien français.

Quoi qu'il en soit, n'ayant pas encore eu le temps d'effectuer de telles recherches, si cette hy-pothèse sur l'origine du RS en ancien français s'avérait valide, elle ne remettrait pas pour au-tant en cause le statut de consonne latente. En effet, on peut alors supposer que l'accent se-condaire en ancien français, en position syllabique finale ((S)`S), attribuait au mot un trait [+RS], si ce même mot possédait au préalable une consonne latente. De manière plus précise, étant donné que les mots déclenchant le RS sont à finale vocalique (à la période où le phéno-mène de gémination se produit), on peut supposer que l'effacement des consonnes finales lati-nes est le point de départ du phénomène de redoublement. L'idée serait alors que la disparition des consonnes aurait crée un contexte de latence consonantique, latence qui se manifesterait en contexte #C-, suite à une accentuation rythmique de la syllabe finale de Mot1, par la gémi-nation de la consonne initiale de Mot2, si Mot1 et Mot 2 entretenaient des relations syntaxi-ques très étroites.