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Travail frontalier en Suisse et dans la région bâloise

Fragmentation institutionnelle et coopération transfrontalière

4.1 Travail frontalier en Suisse et dans la région bâloise

Le phénomène des travailleurs frontaliers existe depuis plusieurs décennies en Suisse, bien qu’il n’ait commencé à se développer « que » depuis les années 1960. Dans la région bâloise, des études conduites durant les années 1920-1930 évoquent déjà une

42 Cabinet Steer Davies Gleave (Londres), L’importance socioéconomique de l’Euroairport, Euroairport, 2010.

détente dans le passage des frontières qui rend le travail frontalier plus accessible, à un moment où l’on voit, entre autres, le développement de lignes de tram transfrontalières (voir la section suivante). Mais, cette ouverture est de courte durée, les années de guerre contribuant à interrompre ce phénomène. Les années  1950 et, surtout, la décennie suivante marquent le renouveau du travail frontalier dans la région bâloise : entre 1965 et 1971, le nombre des frontaliers augmente de 57 % en provenance d’Allemagne et de 140 % depuis la France (Rohner, 1999). Le développement du travail frontalier, dans la région bâloise, est dû principalement au manque de main-d’œuvre sur le marché suisse, aux différences de salaires, à la crise dans l’industrie alsacienne et également à l’ouverture d’un tronçon autoroutier entre Habsheim et Bartenheim, qui facilite les trajets pendulaires entre Mulhouse et Bâle (Rohner, 1999).

À partir des années  1990, l’augmentation se fait beaucoup plus forte, aussi bien à l’échelon européen qu’en Suisse, phénomène encore amplifié dès le milieu des années 2000 avec la conclusion des accords de libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne. Comme le décrivent les chercheurs de l’Université de Neuchâtel et de Franche-Comté :

« L’Accord sur la libre circulation des personnes implique des simplifications légales qui facilitent l’intégration des frontaliers. Ainsi, depuis juin  2002, les frontaliers ne sont plus contraints de retourner à leur domicile chaque jour, mais une fois par semaine ; ils peuvent changer librement d’emploi à l’intérieur de la zone frontalière (mobilités géographique et professionnelle) ; ils n’ont plus l’obligation d’avoir résidé pendant au moins six mois dans la zone frontalière pour obtenir un permis G. Enfin, depuis juin 2004, la suppression de la préférence pour la main-d’œuvre nationale facilite légalement l’embauche de frontaliers par rapport à des travailleurs locaux. » (Crevoisier et Moine, 2006, 6)

La figure 5 recense l’évolution du nombre de travailleurs frontaliers au cours des vingt dernières années : elle met en exergue une forte progression depuis 2002. Il faut toutefois préciser que ces chiffres ne tiennent pas compte des « résidents » suisses (y compris des personnes avec des permis C, par exemple43) qui habitent dans les pays voisins (légalement ou non) et qui travaillent en Suisse. À Genève, ils seraient environ 20 000 dans cette situation44. D’une manière générale, les chiffres officiels présentés dans cette section laissent de côté une partie des flux, illégaux ou trop spécifiques.

À l’échelle européenne, la France est le pays dans lequel vivent le plus grand nombre de personnes travaillant à l’étranger (437 900) ; elle est suivie de l’Allemagne (286 100), de la Pologne (154 500) et de la Slovaquie (147 200). Pour ce qui est de

43 Pour ces personnes, déménager en France reviendrait à perdre leur statut (permis) suisse, ce qui est, pour ces raisons, impensable. Avoir une domiciliation secondaire (légale ou non) en France et garder la domiciliation principale en Suisse permet de contourner ce problème.

44 OCTSAT 2016, Genève.

l’accueil sur le territoire national de travailleurs frontaliers, c’est en Suisse que leur nombre est le plus élevé, avec plus de 300 000 frontaliers (en 2016, contre 180 000 en 2006). En 2006, ils étaient 127 000 au Luxembourg, 86 000 en Allemagne, 58 000 aux Pays-Bas et 48 000 en Autriche. La France, quant à elle, n’en accueille que 10 000 sur son territoire45. Les cartes 7 et 8 donnent un aperçu plus précis de la situation : la première (carte 7) montre les communes suisses qui accueillent le plus de frontaliers sur leur territoire. Les régions genevoise et bâloise sont les plus concernées, avec une concentration très forte dans la commune de Bâle, alors qu’à Genève, les autres pôles de l’agglomération (Meyrin, Carouge, Plan-les-Ouates, etc.) concentrent une bonne partie des emplois occupés par des frontaliers. Le Tessin et les villes de Lugano, de Mendrisio ou de Chiasso attirent plusieurs dizaines de milliers de frontaliers sur leur territoire. L’Arc jurassien, Lausanne, l’Est de la Suisse et Zurich sont également concernés au premier chef.

La carte 8 illustre la provenance des frontaliers (uniquement pour l’Allemagne et la France) selon l’endroit où ils vivent46. En France, la plus grosse concentration se trouve autour de Genève, dans le Pays de Gex et en Haute-Savoie à proximité directe de Genève surtout, ainsi qu’au sud du lac Léman. Dans le Bas-Rhin, la concentration est forte également, jusqu’à Mulhouse, mais aussi plus loin, en direction de Colmar.

L’Arc jurassien français, avec les communes de Pontarlier et de Morteau, concentre lui aussi de nombreux frontaliers. Du côté allemand, les frontaliers sont situés surtout au bord du Rhin, le long de la frontière suisse, ainsi que dans l’agglomération bâloise, avec en premier lieu les villes de Lörrach, Rheinfelden ou Weil am Rhein, toutes

45 MKW, et Empirica. 2009. « Scientific Report on the Mobility of Cross-Border Workers within the EU-27/

EEA/EFTA Countries ». Munich, Sopron : European Commission DG Employment and Social Affairs.

46 Les frontaliers sont recensés par code postal (et non par commune de résidence).

0 50 000 100 000 150 000 200 000 250 000 300 000 350 000

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Nombre de travailleurs frontaliers en Suisse

Figure 5 : Évolution du nombre de travailleurs frontaliers en Suisse entre 1996 et 2016

10 100 1'000

10’000

0 20 40 80 120

Kilomètres

Source :

Autorisations frontalières (OFS 2013) ; Swisstopo; ESRI Réalisation

YD, LaSUR, 2015

Légende

Travail frontalier en Suisse Nombre de travailleurs frontaliers par commune

BALE

Genève

Lausanne Arc

Jurassien

Zurich

Région tessinoise

Est de la Suisse FRANCE

ALLEMAGNE

ITALIE SUISSE

AUTRICHE FL

Carte 7 : Travail frontalier en Suisse (par commune), 2013

0 20 40 80 120 Kilomètres

Source :

Autorisations frontalières (OFS 2013) ; Swisstopo; ESRI Réalisation

YD, LaSUR, 2015

Légende

Travail frontalier en Suisse Nombre de travailleurs frontaliers par code postal

(France et Allemagne) 100 500 1'000

10'000

En provenance de France En provenance d’Allemagne

BALE

Genève Lausanne

JurassienArc

Zurich

Région tessinoise

Est de la Suisse FRANCE

ALLEMAGNE

ITALIE SUISSE

AUTRICHE FL

Carte  8 : Provenance des frontaliers (Allemagne et France uniquement) travaillant en Suisse, par code postal du lieu de résidence (en nombre absolu), 2013

situées près de Bâle. La ville de Constance, au bord du lac du même nom, est le lieu de vie de près de 4 000 frontaliers. Fribourg-en-Brisgau, malgré son éloignement relatif de la frontière suisse, fournit aussi de nombreux travailleurs frontaliers : sa connexion, en train notamment, avec Bâle facilite les trajets rapides.

Comme nous l’avons déjà mentionné, les frontaliers ne sont plus obligés de regagner leur domicile tous les jours, mais seulement une fois par semaine, ni de résider dans une zone frontalière depuis six mois au moins pour prétendre au statut de frontalier (permis G). Ces changements ont entraîné deux évolutions spatiales du phénomène, sans parler de l’évolution quantitative du nombre de frontaliers (en Suisse du moins). Premièrement, la fin de l’obligation de résider 6  mois dans une région frontalière a attiré dans ces régions situées à proximité des frontières de nombreuses personnes venant d’autres régions : pour la France, par exemple, du Nord, de l’Île-de-France, etc. Ces individus sont parfois appelés « néofrontaliers », et leur arrivée peut susciter un certain mécontentement parmi les populations frontalières « historiques »47. Deuxièmement, le fait de ne plus avoir à retourner tous les soirs à son domicile ouvre de nouvelles possibilités : on observe en France et en Allemagne (non visible sur la carte) que le domicile légal des frontaliers travaillant en Suisse est désormais réparti dans l’ensemble du territoire national concerné, à Paris, à Berlin, dans la région de la Ruhr, etc. De même, si la très grande majorité des frontaliers travaillant en Suisse proviennent des pays limitrophes, on dénombre en 2013 environ 175 « frontaliers » de Hongrie, 160 du Royaume-Uni, 150 de Pologne, 150 de Belgique, etc. Ces nouveaux frontaliers supportent une imposition à la source en Suisse, alors que dans la plupart des cantons suisses, les frontaliers « traditionnels » sont imposés au lieu de leur domicile (une partie de la recette fiscale étant rétrocédée à la Suisse). Bien que la question de l’imposition des frontaliers suscite des débats en Suisse, notamment dans le Jura et à Neuchâtel, nous n’en examinerons pas le détail dans cet ouvrage.

4.1.1 Travail frontalier dans la région transfrontalière de Bâle

Symbole des relations transfrontalières, le travail frontalier revêt une extrême importance dans la région. On compte environ 80 000 frontaliers travaillant dans les cinq cantons suisses de la région : 35 000 dans le canton de Bâle-Ville, 20 000 dans le canton de Bâle-Campagne, 13 500 dans le canton d’Argovie, 2 000 dans le canton de Soleure et 7 250 dans le canton du Jura (en 2016).

Dans la région TriRhena, les 80  000  travailleurs frontaliers résident pour 53 % d’entre eux dans la partie allemande et pour 47 % dans la partie française ; parmi ceux-ci, environ 65 000 travaillent en Suisse. Si les Alsaciens travaillent aussi bien en

47 RTS - Intercités, 24 octobre 2013, Rivalité entre frontaliers (émission radio), http://www.rts.ch/play/

radio/intercites/audio/intercites-rivalite-entre-frontaliers?id=5299330, consulté le 26.06.2016.

Rumley Tasch, l’Hebdo, 31 août 2011, Frontaliers : nos meilleurs ennemis, http://www.hebdo.ch/

frontaliers__nos_meilleurs_ennemis_118236_.html, consulté le 26.06.2016.

Allemagne (voir encadré 1 et tableau 5) qu’en Suisse (surtout dans ce dernier pays pour ce qui concerne les Haut-Rhinois), on dénombre très peu d’Allemands travaillant en Alsace (entre 400 et 1 900 selon les estimations48), contre plusieurs dizaines de milliers en Suisse. De même, peu de Suisses travaillent dans les deux pays voisins (600 à 700 dans le sud du Bade-Wurtemberg et une centaine en Alsace). Les raisons principales de ces flux extrêmement limités en direction de la France ou de l’Allemagne (pour les Suisses) se trouvent sans doute, d’une part, dans le niveau des salaires et, d’autre part, dans la taille et dans la diversité du marché de l’emploi helvétique (voir chapitre I).

Encart 1 : Les travailleurs frontaliers français en Allemagne