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Spatialité des modes de vie

1.2 Mode de vie : approches et définitions

1.2.2  Définitions du mode de vie

Les définitions du mode de vie et celles des notions apparentées, telles que les styles de vie, ne font pas l’objet d’une définition consensuelle et établie dans les sciences sociales. Ainsi, tant les approches (voir plus haut) que les définitions et, par conséquent, les opérationnalisations du mode de vie sont diverses dans la recherche.

L’analyse des différentes définitions et conceptions du mode de vie (et des différentes notions apparentées, telles que « style de vie », « Lebensstil », « lifestyle » ou encore « Lebensführung ») suggère trois grandes tendances concernant ce que recouvre le mode de vie. Comme le note Kitamura (2009), le terme « mode de vie » [« lifestyle »] a en général deux acceptions : d’un côté, les modèles d’activités et d’utilisation du temps et, de l’autre, les valeurs, les orientations et les opinions qui guident les « pas » des individus. À cela s’ajoute également une troisième tendance qui s’efforce d’intégrer ces deux types d’éléments.

Tout d’abord, selon Grafmeyer, le mode de vie inclut « non seulement les pratiques de consommation, mais aussi les formes de sociabilité et les emplois du temps libre » (Grafmeyer, 1999, 347). Les usages et les pratiques tiennent également une place importante pour Chaney (1996), qui décrit les modes de vie comme les styles et

les manières qui différencient les individus entre eux, dans l’usage des biens, des lieux et du temps. L’idée d’usage de temps pour certains auteurs est si centrale qu’ils proposent de parler de « style de temps » plutôt que de « style de vie » (Feldman et Hornik, 1981, cité dans Valette-Florence, 1994). Pour Otte (2004), le mode de vie [Lebensstil] est la partie « manifeste » et observable, qui forme avec les orientations et les valeurs un sur-ensemble : la « conduite de vie » [« Lebensführung »].

Dans le deuxième groupe de définitions, moins courantes peut-être, le mode de vie est avant tout conçu comme un ensemble de valeurs, d’orientations ou d’opinions.

Pour Grafmeyer (1999), c’est cette nuance qui permettrait, du moins dans la littérature francophone, de distinguer « mode de vie » et « style de vie » : la deuxième notion, si elle n’est pas utilisée comme synonyme du mode de vie, renverrait principalement aux représentations et aux valeurs. Munters (cité dans Van Acker et Witlox, 2009) distingue les modes de vie (opinions, motivations et orientations individuelles) et les

« expressions » du mode de vie ; le mode de vie serait ainsi interne à l’individu et par conséquent non observable.

Finalement, on trouve un troisième groupe de travaux qui se fondent principalement sur le premier courant (à savoir le mode de vie au travers des comportements et des activités réalisées), mais qui reconnaissent que le mode de vie inclut plus que les comportements observables et devrait donc intégrer des éléments relevant des opinions, des motivations, des intérêts ou des attitudes. Pour nous, il s’agit d’ailleurs d’un des plus grands avantages de la notion de mode de vie, puisqu’elle permet d’aller plus loin que, par exemple, la mobilité, en englobant davantage d’éléments saillants du quotidien des individus. Plusieurs travaux de sociologues allemands ont abordé le « Lebensstil » dans cette veine-là : pour Hradil (1999), les « Lebensstile » reflètent la manière dont est organisée la vie quotidienne des individus : ils comprennent les comportements, les interactions, les opinions, les connaissances et les représentations d’un individu. Pour Müller (1992), le mode de vie est constitué de quatre dimensions.

La première est expressive et se rapporte à l’appropriation et à l’utilisation de l’offre de loisirs, de commerces, etc. La deuxième dimension est interactive (interactions sociales) et les deux dernières sont évaluative et cognitive : elles comprennent les évaluations et les classifications des espaces ainsi que les représentations et les connaissances. Spellerberg (1996) propose également de distinguer dans le mode de vie une dimension « stylisation » (style vestimentaire, goûts musicaux, etc.) et une dimension « orientation » (valeurs, objectifs, etc.). Inspirée par ces travaux, Thomas (2013) propose d’approcher le mode de vie au travers de trois dimensions – sensible, sociale et fonctionnelle  –, relatives respectivement aux manières d’« habiter » le territoire, de « rencontrer » l’autre et d’« utiliser » les infrastructures, et comprenant aussi bien des comportements que des attitudes.

Bien que partant du principe que les modes de vie se déploient au-delà des classes ou au-delà des positions sociales et que, de facto, les individus sont libres en quelque de sorte de choisir la manière de vivre leur quotidien, la plupart des auteurs rappellent

que cette « liberté », cette « latitude » ou encore cette « marge de manœuvre », dépend des contraintes et des ressources individuelles ou territoriales. Pour Hradil et Spellerberg (2011), cette marge de manœuvre est un des principaux traits de la notion de mode de vie : celui-ci se rapporte à l’utilisation des ressources (formation, revenu), aux finalités et aux préférences de cet usage plutôt qu’à la « possession » des ressources. Dans le même ordre d’idées, Müller (1992) écrit que les modes de vie dépendent des ressources (matérielles et culturelles), de la forme du ménage et même des valeurs des individus. Pour Kaufmann, les modes de vie « sont le reflet des aspirations des personnes et des contraintes de la vie quotidienne » (1999, 10).

Ces différentes définitions évoquent la tension existant entre, d’un côté, les désirs, les aspirations des individus et, de l’autre, les contraintes auxquelles ils sont confrontés.

Ces contraintes peuvent être corporelles, spatio-temporelles, sociopolitiques, mais aussi économiques (Di  Méo, 1999) et fonctionnent comme des « frontières […] qui limitent les conduites dans l’espace-temps » (Giddens, 1987, 164). Cette latitude individuelle peut se donner à voir sous de multiples formes et concerner les représentations, les préférences et les valeurs, mais aussi les pratiques, qu’il s’agisse de consommation, de loisirs ou de culture, de la possession d’équipements, des lieux fréquentés, des pratiques modales ou encore de la localisation résidentielle (Schulze, 1992 ; Levy et al., 1997 ; Kaufmann, 1999 ; Scheiner et Kasper, 2003 ; Florida, 2004 ; Hradil et Spellerberg, 2011 ; Thomas et Pattaroni, 2012).

Spellerberg (1996), Thomas (2013), Otte (2004) ou encore Hammer et Scheiner (2006) insistent sur le fait que ces « ressources et ces contraintes » sont à mettre en perspective avec les pratiques de mobilité, les réseaux de sociabilité ou les aspirations et les valeurs, pour comprendre comment les modes de vie se déploient. La question de l’argent, très souvent abordée à travers le revenu, est centrale dans les recherches sur le mode de vie, puisque celles-ci se concentrent souvent sur une partie des classes moyennes (supérieures) qui peuvent se permettre financièrement de se distinguer dans leurs modes de vie, de se libérer des contraintes structurelles et/ou contextuelles (Dangschat et Hamedinger, 2007 ; Hammer et Scheiner, 2006). Même si la pertinence de la classe sociale en tant que déterminant des pratiques est largement discutée, le revenu ou la formation ont, eux, une influence réelle sur la marge de manœuvre dont disposent les individus dans la conduite de leurs projets (Wright, 1996). En outre, bien que l’importance du genre ne soit plus aussi prégnante dans nos sociétés, certaines différences hommes-femmes restent présentes, par exemple dans les déplacements quotidiens (Hanson, 2010). Les formes d’organisation familiale [« Lebensform »], c’est-à-dire le fait d’avoir des enfants ou non, d’être en couple ou non, contraignent, limitent ou au contraire ouvrent des opportunités dans le mode de vie. La question du temps à disposition est intrinsèquement liée à celle des « Lebensformen », ainsi qu’à l’activité professionnelle et à ses contraintes temporelles, c’est-à-dire le temps de travail, les horaires (jour/nuit), la flexibilité de ceux-ci, la possibilité de télétravailler ou encore les temps de déplacement (Fol, 2009). Tous ces éléments sont à même de limiter ou, au contraire, d’ouvrir les possibilités de chacun dans sa vie quotidienne.

Les variables sociodémographiques, les formes d’organisation familiale, l’activité professionnelle ou encore la motilité (voir la section 2 de ce chapitre) exercent une influence sur la marge de manœuvre des individus dans leur mode de vie, de même que le territoire, à travers les ressources qu’il offre et les contraintes qu’il impose aux individus (voir section suivante).

1.2.3 Ressources et contraintes contextuelles : le potentiel du territoire