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ne partie de la littérature sur les réseaux sociaux s’intéresse à la localisation des membres de ces réseaux et à l’effet de l’espace sur les interactions sociales (Offner et Pumain, 1996 ; Granovetter, 2000 [1973] ; Preciado et al., 2012 ; Viry, 2012). La plupart des auteurs s’accordent à dire que les réseaux sociaux ont connu des mutations importantes depuis l’avènement de la ville moderne, puis avec l’importance croissante de la mobilité dans nos modes de vie (Kesselring, 2006), et que les liens se construisent moins dans la contiguïté et dans la proximité, c’est-à-dire dans le quartier ou dans la communauté, mais davantage dans la connexité et les relations à distance. Le quartier ou la commune ne sont plus les seuls théâtres de la vie quotidienne, et l’insertion sociale se fait dans des espaces multiples et non contigus, qui traduisent les relations actuelles et passées des individus.

Pour reprendre la terminologie utilisée dans les travaux sur les réseaux sociaux, deux types de liens les composent : les liens forts et les liens faibles. Granovetter (2000 [1973]) distingue les liens forts, c’est-à-dire les liens durables, impliquant des interactions fréquentes avec une forte connotation émotionnelle, des liens faibles qui regroupent les connaissances issues de champs d’activités divers, comme le travail ou les loisirs. Sur ce fondement et sur celui des travaux de Bourdieu, Widmer (2006) décrit trois types de capitaux sociaux : 1)  un capital qui s’appuie sur les liens forts (capital-chaîne), composé de réseaux densément connectés entre eux, où tous les individus ont des relations les uns avec les autres ; 2)  un capital fondé sur les liens faibles (capital-pont), où les réseaux sont faiblement connectés et présentent une forte centralisation avec certains individus qui ont une position d’intermédiaire ; 3) un capital combinant ces deux aspects (chaîne-pont) (figure 12).

Si le terme de capital est utilisé dans les recherches sur les réseaux sociaux, c’est dans l’idée que les individus, via leurs amis, leur famille ou leurs connaissances,

peuvent bénéficier de différentes ressources matérielles, informationnelles, de soutien, etc. La proximité est souvent fondamentale pour la constitution, pour le maintien et pour le support offert par le réseau. La ville est considérée comme le lieu par excellence des interactions sociales en concentrant les individus, les bâtiments et les fonctions, et en augmentant de facto l’efficacité des rencontres planifiées ou non (Mok, Wellman et Carrasco, 2010). Néanmoins, les technologies de communication (téléphone, internet, téléphone portable) et de déplacement ont ouvert des possi-bilités inédites en matière de gestion de réseaux à distance : certains prédisant même la fin de la distance (Cairncross, 1997) et la réduction du besoin en matière de coprésence physique. Malgré cela, la proximité reste importante : plusieurs études montrent que la plupart des réseaux sociaux s’inscrivent dans des espaces locaux et que la fréquence des contacts décroît avec la distance (Mok, Wellman et Carrasco, 2010 ; Preciado et al., 2012 ; Viry, 2012). D’une manière générale, la possibilité de se déplacer et de communiquer plus facilement a surtout contribué à recomposer, à transformer et à diversifier la nature des réseaux sociaux et l’effet de la distance sur les relations sociales.

Sous l’effet de la migration et de l’augmentation de la mobilité, de manière générale, les attaches affectives avec les lieux et les individus qui les habitent ont tendance à se reconfigurer, qu’il s’agisse de la perte de liens avec un espace, de changements des espaces de référence, de modifications profondes dans les réseaux sociaux ou encore du développement d’attaches et d’identités multiples autour des lieux de domicile, de travail, de vacances, de l’enfance, etc. (Cuba et Hummon, 1993 ; Scannell et Gifford, 2010). L’attachement aux lieux (spatial attachment) décrit les liens entre les individus et les lieux qui comptent pour eux : l’attachement permet de se sentir à l’aise, en sécurité, et donc de favoriser l’investissement dans les territoires (Low et Altman, 1992 ; Giuliani, Ferrara et Barabotti, 2003). Il est indissociable de sa composante sociale : les individus sont attachés aux lieux qui leur permettent d’entretenir et de créer des relations sociales. Scannell et Gifford (2010) relèvent trois dimensions principales dans l’attachement aux lieux. La première renvoie à l’aspect individuel (mémoires, expériences particulières réalisées dans certains lieux, etc.) ou

EGO EGO

Réseau social de type pont Réseau social de type chaîne

Figure 12 : Réseau social de type chaîne et pont (Viry, Kaufmann et Widmer, 2009)

collectif de l’attachement, c’est-à-dire au sens symbolique, lié aux espaces et partagé par un groupe d’individus. La deuxième renvoie aux processus d’attachement : d’une part, celui-ci peut résulter d’un lien émotionnel positif ou négatif, par exemple le lieu de l’enfance ; d’autre part, l’attachement se fait par un processus d’apprentissage, de socialisation au lieu. Finalement, la troisième dimension renvoie au lieu en soi et distingue les attachements associés à des aspects affectifs et physiques. Malgré l’importance du territoire comme support de l’activité sociale, ses caractéristiques physiques sont également centrales pour l’attachement, dans la mesure où l’espace donne accès à des aménités et à des ressources qui permettent aux individus de réaliser leurs objectifs et leurs envies et de s’y attacher de facto. Cela fait largement écho aux préférences en matière de localisation résidentielle (voir la section 7 ci-dessous) ou plus généralement aux choix des espaces (habitat, vacances, loisirs) permettant aux individus de « supporter » et de faciliter la mise en place de modes de vie spécifiques.

L’attachement aux lieux et les identités ne sont pas les seuls éléments entrant dans notre conception des attitudes. Celles-ci influencent la spatialité des modes de vie dans différents domaines. L’utilisation des moyens de transport, par exemple, a souvent été exclusivement abordée à travers une perspective rationnelle, basée sur la minimisation de la distance ou, du moins, sur des aspects instrumentaux, tels que la vitesse, le confort ou la flexibilité, alors que plusieurs auteurs ont montré l’importance à la fois des attitudes dans les choix de mobilité et du rôle des habitudes (Steg, 2005 ; Thøgersen, 2006 ; Buhler, 2015 ; Munafò et al., 2015). Les attitudes relatives à l’écologie sont une composante importante des modes de vie actuels, car elles interagissent avec les pratiques de mobilité, de consommation, d’habitat ou encore d’autres domaines de la vie quotidienne. Néanmoins, les comportements des individus ne sont pas toujours en phase avec leurs attitudes, pour des raisons financières, temporelles ou encore de praticité. Ce décalage est appelé la « dissonance cognitive » : les attitudes sont plus malléables que les comportements (Ajzen, 2015). Certains de ces éléments relatifs aux attitudes sont traités directement dans ce chapitre, comme les questions d’attachement ou les préférences en matière de localisation résidentielle.

Cependant, les autres attitudes relatives aux modes de transport, aux pratiques de consommation ou encore à la perception de la frontière seront discutées dans les chapitres suivants.