Her-iiiannus â Sakza.
]Mo N S I E
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R.S'il m'etok permis de m'e'tendrc sli-dc4à des bornes cju*on fe piefcrit dans une Lettre, je pourroisfans peine groffir celle-cijen vous donnant l'Hiftoire de ces glorieux trophées, que le célébré Ordre Teutonique -éleva autre
fois dans ces qnavtiers.Cependant la rigueur du climat ne fouffre pas que les lauriers, qu'
on plante dans cc Pays, y fleuriiTent long
temps.
Ges Conquerans étoientbîen malheureux, que dans leur^fiecle il ne fe trouva pas un Tite-tive ou un Quinte-Curce pour tranf-mettre à la pofterité les belles actions & les vidloircs de ces grands hommes , dont on fait fi peu de cas, qu'à peine connoit-on leurs noms. Et je crois-qu'on fera encore moins d'attention aux aÛions de ces illuftres îicros dans ce fiecle , où la bravoure de la NationAngloire,(bus la (âge conduite de nô
tre vaillant Monarque, ne laifle rien à louer oi iadmirer. Cependant j'ai refolu de vous tdonnet
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«donner ici une peifpeiîlive (êinblable à celle
<jue les objets éloignez préfentent à l'œil
à
travers un. verre : car quoique l^Hiftoire (oit veritable, on a toutefois raifon de craindre, que l'éloigncinent des temps & des lieux aiiiïï-bien que la faute de l'Ouvrier puiiTent la rendre imparfaite & obfcurf.
L'an de Chrift lojjcj.Godefroi deBoiiil-lon prit Jerufalem , dont il fut proclamé Roi par toute l'année, en recompenfe de fa valeur ; quoiqu'il ne voulût pas permettre qu'on lui mit une Couronne d'or fur la têter ' car , difoit-il, comment oferois • je porter une Couronne d'or dans le lieu où mon Sauveur en porta une d'épines ? c'eft pour
quoi on lui fit une Couronne de branches d'arbre , qu'il accepta. Quelques années après cette heureufe expédition beaucoup de gens de différentes Nations s'établirent dans cette Ville, entre autres un Allemand, homme de pieté & charitable : car par un motif de compafîion envers ceux de fa Na
tion,qui venoieiit en pelerinage dans la Ter-*
re Sainte, il prit un grand foin de fubvenii:
à leurs bcfoins & de les fccourir dans leurs maladies ; à cette fin il bâtit une Maifoti pour les recevoir , qu'on appella Hôpital ,
^e Ton hofpitalité , avec une chapelle , qu'il
dcdiâ a la fainte Vierge, Plufieurs de ces C Pèlerins
L E T T R E Î K
Peleriiis animez d'un zcle Chrétien s*y éta-fclirent, foit pour (eivir Dieu dans la Châ-elle , foit pour donner leurs foins charira-les aux malades & aux étrangers dansJ'Hô-pital.
i Comme nons voyons ordinairement que les plus grands érabliiïeniens ont de petits
•commencemens : de mcme les nobles fen-timens d'un petit nombre de gens attirèrent infenûblement dans leur Société des hommes d'illuftre nailïance ; de forte que leur nom-l^re s*augmentant confiderablement ils re-folurent, non feulement de fervir dans l'Hô
pital , mais aufli en cas de beloin de com-bafre contre les Sarrafins & les autres en
nemis du Chriftianifme , où ils firent des merveilles. Leur valeur leur acquit le nom de Chevalifrs ; de leur grande dévotion pour la bienheureufe Vierge, ils furent nommez
Avariant , Aioriens j de leur charité ou hofpitaliré > qu'ils exerçoient principalement à Jcrufalem , Hofpkalters , ou
Fratreshof-•pltti Hlerofolyrnîtam , Frères de l'hofpira' lite a 'jerufalem ; & parce qu'ils tiroient leur Origine des Germains , on les appella
Teutonici , Tlutonii^Hfs, Us continuèrent dans l'exercice de la priere & de la
chari-té,& ils ne cefTerent de donner des marques de leur valeur. Cependant ils ne fe firent bien
L K t r R E r r . / i
bien connoître que vers les années i jpo. 6C 1191. loifqne Guide Lufignan Roi de Je*
rufalem ayant affiegé Ptolemaïs ou Accone^
il la reprit fur les Sarra/îns après deux ans de Hege, avec iefècoiirs de deux Rois, fca*.
Voir de Richard Roi d'Angleterre , & de Philippe Roi de France, qui s'y trouvèrent en perfonne , ôutre un grand nombre de Princes, dont la plupart étoient Allemans, Ces grands hommes , qui fe font diftinguez par leurs avions héroïques dans ces guerres fainces, méritent bien qu'on mette ici leurs noms. On compte Frédéric Duc de Suabe,
^ fils de l'Empereur Frédéric Barberoullè , qui fe noya malheureufement en condui-unt une armée contre ces Infideles j Henri Duc de Brabant Î Philippe Comte de Flan
dres -, Henri Comte Palatin Duc de Biun(l
^vic ; Frédéric, Duc d'Autriche , Prince de Saxe -, un Landgrave de Thuringe j Al-bcit Marquis de Brandeboiirg ; un Marquis dcLandfpcrg ; un Marquis de Milnie j un Duc de Baviere. Ajoûtez-y les Comtes fui-vans,Guillaume Comte de Hollande ;Othon Comte de Gueldie j le Comte de Cleves, Julicrs,& Ba-gue ; un Comte dcNaflàu ; le Comte de Henneberg ; le Comte Spanheim ; Se un grand nombre d'autres ; outre
f i c i i r s E v c q n e s d e A r c h e v ê q u e s . / J L , . C -tr
1 V. LlplSt;V
j - i e t t r e î k
Tous ceV Princes ayant remarqué , qu©
dans le longTiege de Ptolemaïs ces pieux Freres Teutoniques étoient d'un grand fe-cours & d'une grande confolation à pki-(leurs Chrétiens , confulterent entre eux des moyens pour confcrver une Société de gens fî fccourables 5c pour lui donner des
éta-bliiremens fixes j ôc puifqu'on avoit déjà jet-té les fondemens d'une fi bonne œuvre dans l'Hôpital de Jerufalem , Frédéric Duc de Suabe , comme General de l'armée Al
lemande , avec le confentement & à la priè
re des autres Rois & Princes, dépêcha fans perdre temps un Ambadadeur à l'Empereur Henri V I. &au Pape Celeftin III. pour les fupplierde vouloir ériger cette charitable So
ciété en Ordre de Chevalerie j ce que le Pape accorda ôc confirma l'an 1191, Les Réglés, qu'ils s'étoient déjà faites>furcnt ap
prouvées , ôc on en ajouta quelques nou
velles.
L'habit de l'Ordre étoit une cafaque noi
re &c un manteau blanc portant une croix noire. Leurs armes étoient une grande épée fimple , & fans aucune décoration d'or ou d'argent. Etant inftallez dans l'Or
dre , ils couchoient fur des lits de paille,
& ne fe nourrilïoicnt que de pain & d'eau ; car les Réglés de l'Ordre leur defendoienc
toute
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route forte de luxure , & pencîant qu'ils ob-ferverent ces reglemens , ils eurent un fuc-ccs furprenanr.
Leurs armes de Chevalerie etoîenc au commencement fortfimplesj puifqu^^ils por-toient d'argent à la croix de fable. Enfuite Jean dcBregna , Roi de Jerufalem, y ajoûra une croix d'or qu'il chargea fur le fable , &
l
'Empereur Frédéric11.
(lirchargea le milieu de cette fécondé croix de l'Aigle Impériale.Enfin l'an 1250. le 29. d'Août Loui's IX.
Roi de France furnommé le Saint , à fon retour de la Paleftine ajouta les Lis de Fran
ce aux coins de leur croix de fable, en re-compenle de leurs £»rands fervices & de leurs belles allions. On ne recevoir dans l'Ordre que des hommes au-deffiis de l'âge de qua
torze ans, & qui étoient d'une conftitutioa faine & robufte, comme plus propres 3 en
durer les fatigues.
Celui qui fe prcfentoit pour être revêtu de l'Ordre , cto,'t oblige' de faire ferment qu'il e'toit Allemand de Nation , 5c né dans une famille noble fans reproche, qu'il n'a-voit jamais été marie , qu'il e'toi^ refolu de demeurer dans le célibat toute fa vie, &c qu'jl fe foûmettoit à routes les Loix & les
Règles de l'Ordre j il renonçoit à l'obeflfan-ce qu on doit à perc & mcre, ou à païens,
C 3 &
/4 L e t t r e /r.
ti promettoic une entiere foutniiïîon au Grand-Maîire de l'Ordre ; il fe confacioÎK principalement au ferviee de Dieu ,des ma
lades & des pauvres , & à la défenle de la Terre Sainte contre les ennemis de la Croix;
il ne poiredûit rien en propre , 5cc. Après;
ces préliminaires le Grand-Maîçrc lui don-t noit l'inveftiture de l'Ordre à genoux & ar
mé de pied en cap avec beaucoup de cere-^
monies , & étant conduit à l'autel, le Prê
tre lui donnoit le manteau blanc avec U croix , en prononçant ces paroles : Etcet
crucem iflam tibi àfmm pro omnibus pwa-, tis tuis , & Jî fervas •promtftflï , facu mus te fecurum vittt AterriéL, Voici mm donnons cette croix pcîir la remljjîon de tous, tfs peche:ii , (jr fi tH gardes reltgieufetnent
promejfe , noHS fajsÛYQm de la vie nelle.
Le Pape & l'Empereur n'eurent pas plâ-.
îôc confirmé cet Ordre , que quarante No-jbles Allemans en reçûrent l'inveftiture ; le premier du Roi de Jcrufàlem , le fécond de Frédéric Duc de Suabe , de les autres fiK rcnt inftallez par les autres Princes qui
^toient àParmée, Henri Walpott, defcenda d'une noble famille fur le Rhin , fut élu par Les autres Chevaliers , avec le confentement unanime de tous les Princes, pour le
prc-iSiieç
l e t t r e i k s s micr Grand-Maître de l'Ordre, Quoiqu'on les appellâc & qu'on les appelle encore au
jourd'hui les Chevaliers de Jeruialem , ce
pendant ils n'ont jamais pu rentrer en pof-feflîon de la Sainte Ville depuis Tan 11S7, le 18. de Septenibce , que Saladin Roi-d'Egypte l'enleva aux Chrétiens. Mais après que les fufdits Princes fe furenc ren
dus Maîtres de Ptolemais , Walpott y bâtit un Hôpital avec une Eglile , dont ils firent dans la fuite le principal lieu de leur refî-dence. Ce Gvaiid-Maître donna plufieuvs
bonnes Loix à Ton Ordre j & après qu'à la téte de Tes Chevaliers ils eût fait des aâ:ions heroïques dans les guerres contre lesSarra-fins , ôc qu'il fe fut acquis une tre5-grande réputation de charité , il mourut & fi.it en
terré à Accone ou Ptoleraais, de même que fes deux fuccelfeurs.
L'an 1111. le quatriénje Grand-Maître fi.\tHerman de Salrza , donc on peut admi»
rrr les vertus, dit Jean Gafpar Venator , mais en ne fçauroir jamais afsèsbien les décrire»
L'an li. I z. il alla avec les Rois de Hongrie
&Lde Jerufakm à la guerre contre les Sar-rafins, où il s'acquit un grand nom par plu»
^eurs belles actions. Il fe trouva aufliàla.
prifc de Daraicte l'an izio.
Jamais Ordre ne sVIcva à un fi haut
de-C 4 gvé
s 6 l e t t r e
/T.
gré de gloire, (3e richefTes, &: d'honneur ,
<jue l'Ordre Tentonique fous la condui
te de ce Grand Maître : car il acquit de grands biens dans la Poiiille , dans la Ro-magne , dans l'Armenie, dans la Hongrie , te dans l'Allemagne, Ce fut lui qui enleva aux Infidèles la Pruffe & la Livonie , lorf-que les Chevaliers appeliez Erjfifcrî s'uni
rent entièrement à Ton Ordre en préfen-ce du Pape , comme je l'air dit dans la Let
tre précédente. Il fe rendit Ci remarquable par fa pieté , par fa prudence, par Ton hu
milité, par fa charité. Se par fa valeur , que les plus grands Rois curent une haute efti-mc de fon mérité. En voici une exemple.
Après que plufieurs Princes & Etats curent tâché inutilement d'accommoder les grands differens, qui s'étoient élevez entre le Pape Honorius II. & l'Empereur Frédéric 11.
les deux partis fe fournirent volontairement à la médiation & à la decifion de ce grand homme , qui pour cet effet mérité jufte-ment le titre de Superarblter , ou A'Ârbhre fupreme , puifque les deux Arbitres du Mon
de voulurent bien fe foûmettre à fon ar
bitrage.
D'abord il s'excufa fort modeftement de l'honneur qu'on lui faifoit : mais enfin s'écant rendu à leurs preffantes follicitations, il
l e t t r e i k
H menagea cette affaire délicate & impor
tante avec tant d'habileté & û à propos^qu'il contenta les deux partis , qui lui en re-moignerenr leur reconnoilïànce en le com
blant d'honneurs : car le Pape avec l'Em
pereur confererent à lui &c à Tes Succelîèurs la dignité de Prince de l'Empire. Outre cela le Pape lui fit préfent dHine bague de grand prix , qu'il devoir toujours porter^
La coutume s'introduifît que lorfqu'on éli-Toit un Grand-Maître , on lui donnoit cet
te bague , comme un monument de cette adlion memorable. L'Empereur ajouta aux armes de l'Ordre l'Aigle Impériale, qu'ils ont depuis toujours portée dans leurs boii-;
cliers , fur leur habit, & dans leurs armes..' L'Empereur lui fîtaufli présent d'une pièce de la Sainte Croix,qu'il avoic reçu des Véni
tiens après les avoir humiliez & domptez : car de ce temps-là ces reliques étoient plus cftimees que toutes les richeflès du Monde.
Outre l'accommodement y que Saitza pro
cura entre le Pape Honorius IL & l'Em
pereur , il termina auili les diffcrens en-, tre Ton Sttcccffeur Grégoire IX. 6c l'Em-, pereur,
La pi^peritc ne lui" enfla point le cœur car quoiqu'il eût acquis de grands Domai-?
lies y quoiqu'il' eijLt reçu,la Souveraineté de C j toute
5S l E
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toute la Prulle par donation de l'Empereuc Frédéric 11, l'an iii6. &: que l'union des.
deux Ordres l'eÛE rendu Makte de la Li-vonie l'an 1138. quoiqu'il poflèdât de grands biens en Boheme > e n Italie , en AL leinagne , & ailleurs ^ cependant il refufa le titre de diftinétion de Magtficr Generalîs^
en Allemand Hce - Meifler , c'eft à-dire,
Hmt ou Grand.M^iitre , qu'oii k prefla de prendre : & il ne paroît pas, qu'il fe foie jamais donné d'autre titre,que celui de Fra-ter Hermannus de SaltZ4 , 'Domvnm Hofpîtalù S, Marî&, Teutonicomm H'terofol.
de même que les autres Chevaliers , qui
^^appcUoicnt Fratres. Teutonki-y & Ton fuc-cefteur Henri Comte de Hohenio fe figne^
iinâ dans un privilège, qu*il avoir accordé,
& qui fe ttouve encore aujourd'hui, OrâU ms Ttutmicî- MJtnîjier hî^?mlis,
Après l'union des deux Ordres , Salrzi
©nvoya dans la Livonie le LanàmMaJîer y
0U Gouverneur de la Pruflfè , Herman Falkc», abvec le titre de Heer^Meifier, c'eft^à-dire »
Supremus belli Vux , ou General de l'tvrmée de l'Ordre Tentom^ue, C'étoir un fameux guerrier qui s'acquit une grande reputa-.
tîon par les belles actions qu'il fit dans les guerres de Prutfe^
Eu Ge même - tem^is le îloi de Dannc-.
m&TG
l e t t r e i ' k
marc fir de giandes inftances à Rorae , darisi l'Empire , & auprès de Saltza , que félon' l'accord conclu on lui rendit les Provin
ces de l'Eftie» & d'autres villes, que l'Ordre avec l'Evéquelui avoient enlevées, & qu'ils-' ne purent jamais Ce refoudre à reftiruer, jiifqu'à ce que le Pape Gregoire & l'Em-.-pereur Frédéric eulTent envoyé des Airibaf^
fadeurs dans la Livonie ; car par leur me-j diarion à leurs prelTànres follicitations on.-rendit la ville de Revel , avec les Provincea de Harriens de Whyrland , & d^Allenta-;' ken au Roi de Dannemarc, qui de (on cô
te renonça pour jamais à Tes prétentions fup l'Eûie, & s'engagea de venir a-vec une puifV' fante armée au iecours de l'Ordre contre les>
Rufliens.
Les Ecrivains ne s'accordent pas fur lé-temps de la mort de Saltza. Simon Gru-rau d;t que ce fût l'an nu. Gafpar Schuta l'an U40. mais Pierre à Dufboiii-g afsûre5, qu'il vécut l'an 1243. Les Annales de l'Or
dre difent l'àn 1246. ce que WailîeliuSv
foOricnr., Nous n'avons pas fujet-de nous louer de l'cxaditude des Anciens danS; la Clironologie : car dans cette occaiîon ils ont montré beaucoup de neglîgence ou d'î«.
gnorance , qui fait fouvent que nous nous, trouvons dans les tenebres. Ceux qiii (ont
C 6 graudSi
6 o L E T T R E J K grands admirateurs de la venerable Antiqui
té , comparent les Anciens pour leurs con-noifïànces
à
un Géant, & les Modernes à un Nain ou à un enfant. Si on tombe d'accord de cela , il me femble , que les An
ciens font defcendus du Géant Polypheme , qui n'avoit qu'un œil ; car ils font parokre un jugement mediocre dans ce qu'ils rap
portent de l'Hiftoire de leur temps , &: datis l'ordre qu'ils fuivent dans la Chronologie.
5
'ai abrège ma Lettre , de peur de vous ennuyer j ôc pour la diverfité je vous envoyé ici le portrait de Saltza , ce fameux Grand-Maître , avec ces vers au-delTous,
^ue vous ferez peut-être bien aife de voir.
L E T T R E V .
Du
Hcer-Meijlerou
Cener^tl de rarmée de COrdre Teutonique