Une charte bien connue de septembre 1288 nous renseigne sur les pre-miers temps du château. En septembre 1288,
l'empereur
Rodolphe de Habsbourg, qui assiégeait alors Berne, octroyaune charteautorisant l'évêque PierreReich de Reichenstein à achever lecasiram ,S7av/ze/;gA que son pré-décesseurHenrid'Isny
avait pu commencer (/«cAoatam...structura«) V
Les mentions de ce genre, à propos de châteaux forts, sont rares, et plus encore dans des chartes émises par une chancellerie royale, et
c'est
une particularitéremarquable du Schlossbergque d'être ainsi documenté. Mais commel'avait
déjàfait
remarquer Türler en 1912,il
s'agissait moins d'oc-troyerune autorisation àunnoble,qui àcetitre avait detoute façon ledroit
de bâtir des ouvrages fortifiés, que de rappeler expressément la protection de
l'autorité
royale.Par sa forme, le Schlossberg est typique de
l'architecture
castrale de la deuxièmemoitié
duXIIP
et du début duXIV"
siècle. L'absence dedonjon, effectivement caractéristique des châteaux forts bâtis vers 1200,
est frappante.
A
sa place s'élève le corps de logis, sorte de tour habitablede grandes dimensions en plan. Le phénomène est connu dans la région.
A
Valangin, par exemple, une tour de logis de dimensions comparables à celle du Schlossberg aremplacé l'ancien donjon aumilieu
duXIIP
siècle;de même àMôtiers dans les années 1310 à 1320; àGorgier, l'ancien donjon
est intégré dansun nouveau bâtiment plusétendu ; au château deThielle,une tourhabitable à trois niveauxsurplan barlong a été construite au début du
XIV"
siècle àl'extrémité d'une cour enrectangle allongé"'. Laressemblance la plus frappante est celle que présente le Schlossberg avec le château de Cerlier, où les deux corps de logis, dumilieu
duXIIP
siècle probablement, occupent les petits côtés del'enceinte, dessinant unecour également accès-sible de plain-pied, par une entrée situéeici
àpeu près dansl'axe".
La différence est en revanche frappante entre le Schlossberg et le châ-teau d'Erguël, où à la même époque l'évêque Henri
d'Isny
afait bâtir
une puissantetour circulaire'".La
division
des niveaux en salles de dimensions inégales est une autre caractéristique quise rencontre également dansla plupart des exemples cités.Elle
témoigne des exigences de confort de la classe sociale qui donnait le ton et quideplus enplus cherchait àdifférencier lespièces habitéespar leurdistribution
horizontale et non simplement par la superposition verticale des étages.Il
faut faire observer enfin les angles arrondis: cette tendance, qui se manifeste vers 1300, àdonner une fonne particulière aux angles des corps de logis, se retrouve sur maints châteauxde lafin
duXIIP
siècle. Elle se ren-contre également sur lecorpsde logis deValangin, dumilieu
duXIIP
siècle, sur ceux de Landskron(Haut-Rhin)
et de Wildenstein(BL) ",
construitsà la
fin
du siècle par des nobles bâlois, de même encore à Pratteln ou au Münchsberg(BL)
mais aussipar exemple dans les angles en biseau de l'étage d'habitation de latour du châteaufort
de Ringgenberg.Comme
l'ont
souligné les historiens duXIX"
et duXX"
siècles, le Schlossberg avait pour fonction principale d'occuper la place. Cette entre-prises'inscrit
dans lapolitique territorialedes évêques, qui étaitrésolument tournée vers l'ouest. La construction de châteauxjoue
un rôle important dans cecontexte, comme entémoignel'acquisition
par l'évêque desix som-mets rocheux aux alentours deNeu Thierstein, dans lavallée de la Lùssel (SO), audébouché delaroute du Passwang, afind'empêcher les comtesde Thiersteinde reconstruire leurchâteau fort àun endroit plus favorable-'. Les travaux entrepris simultanément aux châteaux d'Erguël, de Roched'Or
etdu Schlossberg sont déjà mentionnés dansla première moitié du
XIV"
siècle dans la chronique de Matthias von Neuenburg (Brisgau) comme le résultat d'uneintention unique". Il s'agit
de la réponse de l'évêque de Bâle à la construction ou à l'agrandissement de latour de Nugerol, située à 700 mseulement du Schlossberg, ou àlatentative de fonderuneneuve v///e Je /a tourJe Ahgero/, àlaquelle le comte Rodolphe
III
deNeuchâtel accordades franchises en 1260. Deux forteresses se trouvaientainsi face à face, comme allaient plus tard se faire faceLa Neuveville
et Le Landeron.Il
manque au Schlossberg une grande salle de prestige, commeil
s'enrencontre dansd'importantschâteauxdu
XIIP
siècle,tels Laupen, Grasburg, Loèche ouLenzburg. Larationalitépragmatique quidistingue le Schlossberg s'exprime donc non seulement dans la disposition enplan, mais aussi dans les exigences quant à lafonction
de prestige. Le châteaufort
telqu'il fut
construit suffisait amplement pourtenir la place, faire des sortiesen cas d'at-taque et logerunegarnison permanente sansdoute de faible effectif, quitte à larenforcerpar les ministériaux en cas denécessité. La salle deprestige est un élémentdestiné avanttout aux réceptions; orau Schlossberg,
il
s'agissait defaireuneforte impressionvis-à-vis del'extérieur. C'est àcette préoccupa-tion querépondent les anglesarrondis, forme à la modeetd'un
effet quelque peu maniéré, etsurtout l'agencementdes fenêtresde hautniveau dequalité et quasiment avant-gardistespour l'époque. Ces somptueuses baies multiples, dont DuBois avait déjà reconnu la parenté avec celles, contemporaines, du réfectoire et de la chambre de l'abbéà Saint-Jean deCerlier, manifestaient larichesse etdonc lepouvoirdumaître d'ouvrage: plusqu'un simple avant-poste, le Schlossberg avait aussiun rôle de propagande.Il
subsiste quelques questions, qui trouveront peut-être une réponse au cours de lajournée. La Neuvevillen'a
pas été fondée sur unterrain vierge.Mentionnée au
IX"
siècle déjà, la Blanche Eglise présuppose l'existenced'un village
ensuite intégré dans laville.
Où son centre setrouvait-il?
L'idée
defortifier
levillage
et d'en faire uneville
était-elle déjàprésente dans les esprits au momentde la constructiondu Schlossberg? Presque àla même époque, undécalage chronologique similaire, dûàdivers facteurs, seproduisit aussi à Rolle entre la construction du château et celle de la
ville, l'un
et l'autre conçus comme un tout'". Quefaut-il
enpenser?De plus,
il
est inimaginable que l'avant-poste du Schlossberg ait occupé uneposition
isolée. Pour sa survie économique,il
était dépendantd'un
domainerural d'unecertaine importance. Qu'ensavons-nous etoùpouvait-il
se trouver? Etles habitantsde la bailledevaient eux aussi s'approvisionner.
Ces ressources étaient-elles disponibles sur place avant la construction de la
ville
Et pour terminer: ladisposition symétriquedes bâtiments a-t-elle été réa-lisée ou est-elle restée à
l'état
deprojetY a-t-il
vraiment euune aile orien-taie? Commentfaut-il
sefigurer
l'accès àl'avant-cour
depuis l'ancienne route? L'homogénéité de l'ouvrage telle que nous l'avons décrite résiste-rait-elle àun examencritique au casoùdenouveaux travaux permettraient une étude archéologique Dans tous les cas, larévisiondétailléedes thèsesprésentées
ici, d'ici
quelques mois, lorsque les relevés seront disponibles, promet desrésultatspassionnants, aussipassionnantsquel'a
déjà été l'étuded'un
monument peuordinaire par son architecture et son histoire.Jù'rg«ScAvrazer estancien cozzservzztezzr<tes monz/menis ei z/es siies z/zz
czzzziozz z/eSenne.
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ZELLWEGER, Marie-Ange,Le5c/z/os.s5ezge« sepZs/èe/es57zz's/0zVe,LaNeuveville, 1983
NOTES
' Cesdocuments sont propriété privée;descopies ainsique lesplanset denombreux documents iconographiquessont conservésaux archives duServicecantonaldesmonuments historiques,bureau deTramelan;lesplansetlesrelevésde 2002et2010/2011 aux archivesduService archéologique cantonal.
-
L'auteurremercie chaleureusementMonsieurCharlesBallif,LaNeuveville, quia géné-reusement mis à sadispositiondescopiesde sonexceptionnellecollectiond'anciennes photosde LaNeuveville.*AndréIMER(C/zzwzzz/zze5e /«yh«zz//e/«zer5eL«Aezzvevz7/e, Prêles,2003,p.216-218) attribue cettetransformation àCharles-Henri Matthey, intendantdesbâtimentsdel'EtatdeNeuchâtel. Le styleetl'ampleurdutraitement contredisentcetteattribution.
* Cf. Florian IMER,Le5c/z/as'.s5erg, c/z5feözz 5es /?rz«ce£-évégzze£5e55/e, Porrentruy, 1950, p.43-44.
"Cf.A. IMER,qp.cZZ.,p.201.
* Documentation photographiquedeM. CharlesBallifetdu Servicedesmonuments historiques.
*Théophile Rémy FRENE,5ozzr««/5em« vie,éd.André Bandelier,CyrilleGigandetetPierre-Yves Moeschler, Porrentruy/Bienne, 1993-1994,t. 1,p.401.
'
NoticedeJ.G.Tschiffeliprobablement, Fonds Louis Vautrey,Bibilothèquecantonale jurassienne, Porrentruy. Renseignement aimablement communiqué par Andres Moser,àCerlier.® F.IMER,op.ci?., p.43.
'
Cf.Andres MOSER,Dery!mte6ezz>&EWöc/z,Bâle, 1998(Die KunstdenkmälerdesKantons Bern, Landband 2), fig. 249-251, 254-255.Heinrich TÜRLER («LechâteauduSchlossberg»,dans Je/öSociétéytirasffiëft/te J'Tsmzz-/öfiozz, 1912,p.59 sq.)adépouillélescomptesdesreceveursdel'évêque. Les mentions qui suivent
sefondent sursontravail.
"Cf. DenisKNOEPFLER, «DuboisdeMontperreux,Frédéric»,dans Dz'cJozwazVe/zz'-sYongweJe /aPuisse, t.4,p. 202.
^ Carte enperspective cavalière. Archives de l'EtatdeNeuchâtel, C 3, N° 9a; aimablement communiquée parA.Moser.
"
Cf. H. TÜRLER, «LechâteauduSchlossberg»,art.ci'f,p.63-64.^76/V/., p. 59-63 (concernelasuite également).
"
Dozi^esJ?erz/mT?erzze/iS77/m,vol.II,p. 458.^Cf.JacquesBUJARDetChristiandeREYNIER, «Leschâteauxetlesvillesdu Pays deNeuchâtel auMoyen Age. Apportsrécents del'archéologie», dansMzfte/öJer
-
Moye/î«4ge-
MeJzoevo-
7em/?meJzevû/,11®année,2006/2,p. 69-102;Thielle: A.MOSER,op.ezY.,p. 183-190.
"Zbi'J.,p.56-72.
Cf.Daniel GUTSCHER,«Lesruinesdu châteaud'ErguëlàSonvilier»,dansMzYte/zzJer
-
Moyezzdge
-
Merfioevo-
7femp med/evai, 1" année, 1996/4,p. 87-91 ;D. GUTSCE1ER, «Sonvilier BE, châteaud'Erguël», dans^zzzzz/özreJe/öSoezérérameJepre/zz'sfozreeïJYzrc/zéo/ogze,vol. 82, 1999, p. 317;WernerMEYER, «Grenzbildungund Burgenbau»,dans C/zateezzz GazY/örJ,N° 17, 1996, p. 135-144."
Cf.Hans-Rudolf HEYER,ScWoss IFi/deHstei«,Berne, 1997(Schweizerische Kunstführer,615 Latouraétédatéepar dendrochronologiede 1293.Cf. WernerMEYER,Surge« vo« A-Z.Swrge«fcvifa>«derRegio, Bâle, 1981.
^ Cf.W. MEYER, «Burgengründungen. DieSuchenach dem Standort», C/zzJeezzz Gtfz7/arJ, 18, 1998, p. 123-133.
^Cf.W. MEYER, «Grenzbildungund Burgenbau»,özY.ezY.
^Cf.PaulBISSEGGER, Jto//e efswz JwYrätf,Berne, 2012 (Les Monumentsd'artetd'histoiredu cantondeVaud,t.7),p.266-268.
CREDIT ICONOGRAPHIQUE Fig. 1,2,9, 15: Jürg Schweizer.
Fig. 3, 4, 5, 7, 10, 16, 17, 19: collection Charles Ballif, La Neuveville, aimablement mise à disposition.
Fig.6, 11, 20: Muséed'HistoiredeBerne.
Fig. 8:Servicesdesmonuments historiques du cantonde Berne,dessin deRolfBachmann.
Fig 12, 13, 14, 18: collectionprivée,Peseux.
La