Chapitre III. La crise des subprimes
5. La transmission internationale
5. La transmission internationale
5.1. Le mécanisme de transmission
Les créances titrisées ont été vendues sur l’ensemble du marché obligataire au niveau mondial. (En 2007, le montant des prêts hypothécaires américains se chiffrait à 11 000 milliards de dollars, dont 60 %22 avaient été titrisés sous forme de RMBS, cʹest‐à‐dire dʹobligations vendues au public.) Dès lors, la crise est devenue internationale, l’ensemble des établissements bancaires est donc touché, à l’exemple, en France, de la Société Générale qui, avant la perte de cinq milliards de « l’affaire Kerviel », avait inscrit à son bilan trois milliards d’euros de « consolidation » sur ces produits (pour un total des fonds propres de cette banque de 30,7 milliards dʹeuros).
Les secteurs des banques et des assurances sont particulièrement touchés car ils ont investi dans ces subprimes : les obligations émises par les banques afin de couvrir les subprimes sont boudées (les acteurs boursiers ayant perdu confiance, les banques ne trouvent plus dʹinvestisseurs pour entrer dans ces fonds adossés aux crédits hypothécaires).
Les investisseurs sont donc inquiets et nʹapportent/ne prêtent plus dʹargent aux banques, celles‐ci se retrouvent en manque de liquidités pour assurer leur fonctionnement.
Le phénomène de masse a empêché les organismes d’avoir suffisamment de temps pour leur recouvrement de créances. De plus, le manque de clarté sur le marché a rendu les banques suspicieuses entre elles, ce qui les a amenées à ne plus se prêter d’argent – condition pourtant nécessaire afin dʹassurer la liquidité interbancaire.
Logiquement, les banques se refinancent entre elles, globalement (et pour simplifier le raisonnement), en sʹoffrant des actifs en gage. Mais si le système sʹest « grippé » et a aggravé la crise, cʹest notamment parce que les banques ne se font plus confiance : pourquoi refinancer une autre banque en acceptant en gage des actifs qui comprennent des actifs « pourris » mais non forcément identifiés comme tels ? Toutes les banques savent que, à la suite de la crise des subprimes, elles ont dans leur bilan de tels actifs.
22 En 2007, le montant des RMBS émises dépassait celui des bons du Trésor américain : 5 200 milliards
contre 4 900 milliards (Jorion, 2008, p. 28).
Le dilemme des banquiers peut se résumer ainsi : actuellement, qui se méfie le plus dʹun banquier ? Réponse : un autre banquier… (En cela, la « faillite » de la banque Bear Stearns – cf. supra – ajoute à la méfiance, puisque deux jours avant que la banque soit sauvée par lʹintervention en urgence de la Fed, ses responsables annonçaient que le bilan de la banque nʹétait pas affaibli par la crise.)
Les banques se sont donc retrouvées en assèchement de liquidités : pénurie de monnaie. Le climat dʹinquiétude créé par la crise des subprimes a fait que les taux de prêts interbancaires ont fortement augmenté. Les organismes bancaires se sont alors tournés vers les banques centrales. Celles‐ci ont tenté de rééquilibrer le marché en injectant des milliards dʹeuros, dans lʹobjectif de redonner confiance aux investisseurs.
La banque centrale peut en effet choisir dʹêtre le racheteur en dernier ressort des actifs « toxiques ». Une banque centrale dʹun pays économiquement fort peut le faire dans une large mesure sans risquer dʹeffondrer sa monnaie (comme ce fut le cas pour lʹIslande).
Ce faisant, les banques centrales ont pris le risque d’enclencher une spirale inflationniste, qui peut être aussi facteur de crise économique, puisque la création de monnaie génère mécaniquement de lʹinflation (cf. supra lʹanalyse de Milton Friedman), d’autant plus que cette crise survient à un moment où les marchés des changes sont particulièrement instables et les marchés de matières premières sous tension.
5.2. La transmission
Comme on lʹa vu, le risque sʹétait diffusé avant que la crise elle‐même ne se diffuse.
La transmission en elle‐même est apparue brutalement.
Au niveau boursier, les places financières se sont, à partir du lundi 15 septembre 2008, effondrées, mettant en péril l’ensemble du système financier. Une nouvelle chute de très grande ampleur s’est produite à partir du 6 octobre (‐3,5 % à New York, ‐9 % à Paris, ‐7 % à Francfort, ‐6 % en Asie, ‐19 % à Moscou), se prolongeant par paliers descendants pendant toute la semaine.
La crise s’est, à partir de septembre 2008, étendue au secteur bancaire européen : sauvetage en urgence de Fortis et de Dexia, de la banque bavaroise Hypo Real Estate (après la banque IKB), nationalisation de la banque britannique Bradford &
Bingley (après celle de la Northern Rock), difficultés de la banque italienne Unicredit et des banques irlandaises (annonce d’une garantie illimitée du gouvernement sur les dépôts de six banques), nationalisation partielle des plus grandes banques britanniques, pour une valeur de 50 milliards de livres (65 milliards d’euros).
Les perspectives, inquiétantes, sont accompagnées de prévisions pessimistes (même sʹil faut, comme nous lʹavons indiqué, distinguer les mécanismes à lʹœuvre et les ajustements qui se produiront in fine).
Depuis le début de la crise, les estimations sur lʹampleur des pertes directement liées à la crise financière ont été constamment revues à la hausse.
Au printemps 2008, le FMI avait chiffré les pertes potentielles liées à la crise à environ 1 000 milliards de dollars, dans son Rapport sur la stabilité financière dans le monde. Le document chiffrait le montant des pertes potentielles à 945 milliards de dollars (590 milliards dʹeuros), dont 225 milliards sur les prêts et 720 milliards sur les produits titrisés. Lʹorganisme constatait que la crise sʹétend à dʹautres crédits immobiliers, aux prêts à la consommation, et aux entreprises. Les grandes banques subiraient de 440 à 510 milliards de dollars de pertes, le reste étant réparti entre les compagnies dʹassurances, les fonds de pension, les fonds monétaires, les fonds spéculatifs (« hedge funds ») et dʹautres investisseurs institutionnels.