Chapitre VII. Crise et coût de la vie : comment passer des « mesurettes » à une
3. Quelles possibilités de relance budgétaire ?
3.3. Contraintes juridiques
3.3.2. Dans la perspective dʹun appel à lʹépargne
¾ Article L.O. 263‐4 (modifié par la loi organique 99‐209 1999‐03‐19, art. 226 1, JORF 21 mars 1999)
« Lorsque le budget du territoire ou dʹune province nʹest pas voté en équilibre réel, la chambre territoriale des comptes, saisie par le haut‐commissaire dans le délai de trente jours à compter de la transmission qui lui est faite de la délibération du congrès ou de lʹassemblée de province, le constate et propose au congrès ou à lʹassemblée de province, dans le délai de trente jours à compter de sa saisine, les mesures budgétaires nécessaires au rétablissement de lʹéquilibre. La chambre territoriale des comptes demande au congrès ou à lʹassemblée de province une nouvelle délibération.
La nouvelle délibération rectifiant le budget initial doit intervenir dans le délai dʹun mois à compter de la communication des propositions de la chambre territoriale des comptes.
Si le congrès ou lʹassemblée de province nʹa pas délibéré dans le délai prescrit ou si la délibération prise ne comporte pas de mesures de redressement jugées suffisantes par la chambre territoriale des comptes, qui se prononce sur ce point dans le délai de quinze jours à compter de la nouvelle délibération, le budget est réglé et rendu exécutoire par le haut‐commissaire. […] »
3.3.2. Dans la perspective dʹun appel à lʹépargne
Selon l’article 127 de la loi organique n° 99‐209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle‐Calédonie, le gouvernement de la Nouvelle‐Calédonie « assure le placement des fonds libres de la Nouvelle‐Calédonie en valeurs dʹÉtat ou en valeurs garanties par lʹÉtat et autorise lʹémission des emprunts de la Nouvelle‐Calédonie ».
La mention « autorise lʹémission des emprunts de la Nouvelle‐Calédonie » augure favorablement de la possibilité pour la Nouvelle‐Calédonie de faire appel à l’épargne.
Il faut toutefois conserver une certaine prudence dans l’interprétation des textes ; il ne peut être exclu que soit objecté que les émissions d’emprunts ne concernent que le recours au financement bancaire (et non l’appel public à l’épargne).
Dans ce cas, la compétence liée à l’emprunt serait au moins partiellement dévolue à l’État ; cf. alors l’article 21, alinéa 5 de la loi organique : « (LʹÉtat est compétent dans les matières suivantes) : monnaie, crédit, changes, relations financières avec lʹétranger et Trésor. »
À l’extrême, afin de régler l’éventuel problème de compétences, il faudrait se pencher de nouveau sur le statut de la Nouvelle‐Calédonie, pour qu’elle puisse expressément lever de l’épargne publique (cʹest‐à‐dire émettre sa propre dette). La future modification concernant le statut des SEM de développement (pour leur permettre d’exercer des délégations de service public) pourrait alors offrir une opportunité naturelle pour inclure une base juridique permettant à la Nouvelle‐
Calédonie de faire appel à l’épargne publique interne.
Toutefois, cette solution d’un vaste emprunt calédonien ne réglerait pas la question de l’hypothèque politique du référendum de sortie de l’accord de Nouméa. Même pour des taux d’intérêt supérieurs à ceux du marché, qui voudrait souscrire à un emprunt initié par une collectivité pouvant se retrouver indépendante cinq ans après ?
Il semble donc, dans le cadre d’une relance pour surmonter la crise et accompagner (et non subir) ses mutations économiques, que le préalable soit de repousser le référendum de sortie au moins à 2018 et de lancer dès à présent (et non dans la dernière mandature de l’accord de Nouméa) une réflexion sur le futur institutionnel de la Nouvelle‐Calédonie. Cette réflexion pourrait s’articuler autour d’une proposition d’un pacte de très long terme pour une émancipation au sein de la France (peut‐être à la façon du pacte cinquantenaire de Jacques Lafleur).
Il appartiendra aux élus de la mandature 2009‐2014 de mener une vraie réflexion de fond sur le futur de la Nouvelle‐Calédonie, articulant soutien économique, développement et devenir institutionnel.
Conclusion
Dans sa définition, le mot « crise » induit l’existence d’un processus déterminé avec un début et une fin. Or, notre présentation de la situation de l’économie mondiale et de l’économie calédonienne démontre que nous sommes dans une situation « hors norme ».
Aussi est‐il sans doute préférable d’employer le mot « mutation » plutôt que celui de crise.
La crise actuelle est une correction brutale, après des années de croissance. Mais cette « correction » n’est pas qu’un retour à la normale. La crise actuelle est indissociable d’une vaste mutation économique, culturelle et sociale.
Mutation économique
La fin de l’économie planifiée et de l’autogestion après la chute du mur de Berlin apparaissait comme une évidence. Mais, aujourd’hui, le capitalisme ultralibéral semble avoir également trouvé ses limites.
Ainsi, s’ouvre une nouvelle période où le capitalisme régulé par l’État devient une nécessité, même si ce principe n’est pas encore érigé en « dogme ».
Cette position, adoptée depuis peu par les gouvernements des grandes nations occidentales, se fait, s’impose, se transmet sous la pression des populations. Il est encore trop tôt pour savoir si cette régulation obligera, au sein du monde de l’entreprise, à un partage plus équilibré du pouvoir et des profits entre actionnaires et salariés.
Mais avec la fin de la domination de l’idéologie ultralibérale, le monde économique ne sera certainement plus jamais ce qu’il a été.
Mutation culturelle
Au sens « culture de l’entreprise », les notions de travail et de rentabilité seront de fait profondément transformées. À la formule du président de la République
« travailler plus pour gagner plus » sera bientôt sans doute préférée la formule
« travailler mieux pour vivre mieux ».
Car nous vivons aujourd’hui une véritable remise en cause des modes de vie et de pensée. Nous assistons actuellement à une convergence d’inquiétudes, largement fondées, concernant l’environnement, le réchauffement climatique, et le modèle social et économique « standard », qui semble devenir obsolète.
Ces inquiétudes sont également facteurs de mutations. En effet, la notion même de travail, qui permet d’obtenir une compensation monétaire afin d’acquérir des biens de consommation, semble remise en cause.
Il faudra, dans un futur proche, réinventer un nouveau concept articulant capital travail, capital financier et capital humain. Les individus devront trouver leur place dans une équation permettant la mutation des sociétés modernes dans lesquelles les gouvernants garantiront le respect de ces nouvelles règles.
Mutation sociale
Tous les principes sociaux sont « chamboulés ». Nous avons vécu dans un monde peu syndicalisé, avec un fonctionnement social très hiérarchisé, des catégories socioprofessionnelles rangées en couches stratifiées, et dans lequel la liberté individuelle était érigée en dogme.
L’ensemble des difficultés à venir poussera à accepter un comportement humain plus collectif, sans pour autant tomber dans le collectivisme qui est antinomique à la nature humaine.
Les compromis seront douloureux à réaliser car ils se traduiront par un nouvel apprentissage de la vie sociale : vivre avec l’autre et non vivre à côté de l’autre, accepter l’autre et non pas le tolérer.
La Nouvelle‐Calédonie devra s’adapter à cette nouvelle mutation. Si les citoyens calédoniens apprennent aujourd’hui à vivre ensemble, ils seront demain dans l’obligation de s’ouvrir sur le monde extérieur.
Le phénomène insulaire, de par sa configuration géographique et le protectionnisme naturel qui en découle, porte en lui les germes du sectarisme, du rejet des autres, mais également des difficultés économiques. Ces difficultés économiques, qui deviendront plus visibles dans un contexte de crise mondiale, sont le prix de la
« bulle » au sein de laquelle évolue largement la population calédonienne et qui donne l’illusion de vivre à l’écart des difficultés extérieures, pour ne pas dire à l’écart du monde réel.
Revenir au réel nécessitera de promouvoir l’autonomie économique de la Nouvelle‐
Calédonie. Cette autonomie économique se construira avec les atouts naturels de la Nouvelle‐Calédonie (nickel, sites touristiques d’exception, diversités culturelles et historiques) mais également avec une volonté de participer pleinement aux investissements colossaux à venir.
C’est ainsi que la croissance économique pourra bénéficier réellement à la Nouvelle‐
Calédonie et pas, par exemple, à une poignée de firmes multinationales (et c’est bien dans cette optique que la proposition de prise de majorité dans la SLN prend tout son sens).
Dans tous les cas, on ne pourra occulter la question du partage interne des fruits de la croissance.
Si la croissance profite d’abord à une minorité, cela signifie qu’elle est en partie
« appauvrissante ».
Les inégalités croissantes qui en découleraient ne pourraient que se traduire par une crise sociale.
En l’espèce, dans le contexte précis de la crise mondiale, la fragilité économique et sociale de la Nouvelle‐Calédonie augure mal d’une crise « indolore », comme certains se plaisent à la présenter.
Lutter contre la crise signifiera, sans doute en Nouvelle‐Calédonie plus qu’ailleurs, accompagner les mutations précitées.
Des réformes de fond sont d’ores et déjà nécessaires pour réduire les fragilités et pour relancer l’économie.
Le premier objectif nous semble passer par une réforme fiscale, couplée à une relance salariale massive. C’est la problématique de la TVA sociale (avec hausse des minima salariaux et refonte totale des grilles salariales).
Le second objectif correspond à une relance budgétaire. Mais une telle relance serait complexe dans le cas de la Nouvelle‐Calédonie.
Une possibilité féconde semble être celle d’un emprunt calédonien. Une telle relance aurait des impacts forts si elle était articulée autour de projets structurants ou d’entreprises stratégiques (Enercal, Aircalin, SLN…). Non seulement, il n’y aurait alors pas de « fuites » vers les autres pays en stimulant leurs exportations (comme cela peut être le cas en Europe), mais encore un tel dispositif fixerait l’épargne en Nouvelle‐Calédonie et il y aurait donc limitation de la « fuite des capitaux ».
Cela serait conforme au principe « compter sur ses propres forces », dont on ne peut nier la pertinence dans le contexte d’émancipation de la Nouvelle‐Calédonie, émancipation désormais inscrite dans le marbre de l’accord de Nouméa.