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Pourquoi la défense est différente

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S’agissant des fonctions respectives de l’exécutif et de la législature, l’instauration entre eux d’un certain degré de tension est inévitable. Il doit y avoir un partage de responsabilités qui ga-rantisse non seulement l’efficacité des activités de l’exécutif, sans risquer une accumulation potentiellement dangereuse de pouvoirs, mais aussi un soutien populaire à travers l’engagement du législatif sans risquer de paralyser l’action. Pour qu’un gouvernement soit effi-cace il est capital de trouver un équilibre entre ‘efficience’ et ‘démocratie’, et tout spécialement dans le domaine de la défense. Le besoin d’un tel équilibre est à la fois plus important et plus complexe dans le domaine de la défense que dans les autres secteurs d’activité. La défense

est plus qu’un simple ministère dépensier. Elle comporte des caractéristiques et des qualités qui compliquent les relations entre l’exécutif et le parlement et qui accroissent le potentiel inhérent de frictions entre ces deux branches. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles la défense rend les choses plus difficiles.

D’abord, la défense concerne la sécurité de la nation et implique des décisions qui enga-gent des vies et des dépenses pour la sauvegarde du pays. Des décisions de cette magnitude imposent aux dirigeants politiques un fardeau supplémentaire de responsabilités pour les pren-dre correctement et pour s’assurer que ces décisions et ces politiques rencontrent l’adhésion du public.

Ensuite, la défense implique la maintenance des forces armées. Dans toute société, les mi-litaires assument une position, spéciale et distincte car ils sont avant tout en possession d’armements. De plus ils représentent un groupe particulièrement organisé et discipliné, uni par des traditions, des usages et des habitudes de travail, mais, par-dessus tout par le besoin de travailler ensemble et de dépendre les uns des autres en temps de crise et de conflit – une dé-pendance qui peut se traduire littéralement par « différence entre la vie et la mort ». Une telle dépendance suscite des liens et une loyauté très puissants; elle requiert aussi un degré de co-hésion et de cohérence dont peu d’autres professionnels peuvent se prévaloir. Ce sont ces qualités – discipline, dévouement et loyauté – qui rendent la profession des armes différente et, d’une certaine façon, qui la distinguent de la société. Il y a toujours ceux qui pensent que le changement de nature de la guerre et les tendances sociétales amoindrissent ces qualités uni-ques. Ce n’est pas le lieu d’en discuter en détail, sinon de suggérer que ces valeurs continuent d’être au cœur du métier de soldat et de la fonction militaire des armées de la plupart des pays de l’Alliance. On peut en juger, à l’évidence, dans le cadre des opérations courantes de l’OTAN en Afghanistan. Ces caractéristiques expliquent aussi pourquoi les militaires trouvent qu’il est facile de travailler ensemble en dépit d’antécédents historiques et culturels très différents. De plus, le caractère hautement organisé et structuré de la vie militaire tend à donner au personnel militaire une vision directe et peu compliquée du monde qui contraste et est souvent en conflit avec le monde plus complexe et, par comparaison, apparemment plus ténébreux, que voient les politiques. Les termes concession et compromis, essentiels à l’équilibre et à la réconciliation des intérêts en compétition dans les politiques domestiques et internationales, cadrent assez mal avec la clarté et la franchise de l’évaluation et de la prise de décision, qui sont les caracté-ristiques essentiels d’une armée qui fonctionne efficacement. Cela peut conduire à des percep-tions très différentes du même problème et peut représenter une source de friction, entre les parties militaires et civiles.8 Au minimum ces tensions donnent lieu à des ronchonnements au

8 Pour se faire une idée de la différence de perception entre un homme de terrain (ou, dans le cas présent, à la mer) et les politiciens, voir les commentaires de l’Amiral Sandy Woodward, comman-dant le groupe de combat des Falklands alors qu’il acheminait son unité vers les Falklands : « Au-cun de nos plans ne semble tenir plus de vingt-quatre heures car Mr. Nott (ministre de la défense) traînaille, se tord les mains et se désole à propos de sa carrière foudroyée. Et les hommes du mi-nistre jouent leur partition compliquée et interminable avec un œil sur le lendemain (« y être si cela paye, sinon aller ailleurs ») ». Admiral Sandy Woodward avec Patrick Robinson, Cent jours : Les mémoires du commandant du groupe de combat des Falklands (Londres: Harper Collins, 1992). Ce livre est la relation bien documentée des problèmes de la guerre moderne, y compris la difficile inte-raction entre les considérations militaires et politiques.

mess des officiers contre les actions de « nos maîtres politiques ». A l’autre extrême, cela peut conduire les militaires à interférer dans le gouvernement du moment ou à le défier.

Quand de tels épisodes se sont produits la raison en a souvent été que les militaires préten-daient faire allégeance à une instance suprême – la nation, la constitution – plutôt qu’à un gouvernement de passage.9

La plupart des membres de l’Alliance ont, à un point de leur histoire, connu une armée

« turbulente ». Plusieurs d’entre eux – La Turquie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal – ont connu ce type de problème dans un passé relativement récent.10 Aujourd’hui, aucune démo-cratie installée ne connaît plus ce type de problème. Les rôles respectifs des militaires et des civils sont bien établis et bien compris– pourtant, comme on le verra plus loin, il y a quelques domaines où la ligne de partage devient de plus en plus facilement floue. La signi-fication du contrôle démocratique se voit partout – dans le fait que dans toute société les Une frustration du même ordre fut exprimée par le général Sir Peter de la Billière, commandant des forces britanniques au cours de la guerre du Golfe, pendant la montée en puissance des for-ces: « Le niveau d’indécision ministérielle et de vision rétrograde est épouvantable, c’est une perte de temps désespérante. Il est très vraisemblable que nous devrons rester en arrière alors que les Américains partent en guerre et que nos ministres hésitent à prendre leurs décisions ». Dans: Gé-néral Sir Peter de la Billière, Storm Command: Personal Account of the Gulf War (Londres: Harper Collins, 1992).

9 Voir, par exemple, la déclaration bien connue du Général Douglas MacArthur: « J’ai découvert l’existence d’un concept nouveau, et donc inconnu et dangereux, selon lequel les membres de nos forces armées devaient faire allégeance et exprimer leur loyalisme à ceux qui exercent temporai-rement l’autorité de la branche exécutive du gouvernement, de préférence au pays et à sa constitu-tion qu’ils ont juré de défendre ». cité dans: Telford Taylor, Sword and Swastica: The Wehrmacht in the Third Reich (London: Gollancz, 1953), 354.

Et, dans une même veine: « Je n’ai jamais servi de tsars, de commissaires ou de présidents. Ce sont des mortels qui vont et viennent. Je sers seulement l’Etat et le peuple russe qui sont éter-nels ». Général Lebed, cite dans: Chrystia Freeland, « Un Général attend l’appel du destin: le géné-ral Alexandre Lebed est un homme qui rend le Kremlin nerveux », Financial Times, 6 septembre 1994.

Au cours des premières écoles d’été pour parlementaires d’Europe centrale et orientale organi-sées au milieu des années 1990 par l’APO en liaison avec le Centre George C. Marshall de Gar-misch–Partenkirchen en Allemagne, il y eut une discussion considérable sur le point de savoir s’il y avait jamais de circonstances sous lesquelles les forces armées avaient le droit d’intervenir en in-terne: par exemple pour « sauver » la démocratie comme quand l’armée, en Algérie, empêcha les fondamentalistes de prendre le pouvoir, ou quand il y a des institutions démocratiques concurren-tes, comme ce fut le cas quand le président Eltsine utilisa l’armée russe contre le parlement. Tout en reconnaissant qu’il n’y avait jamais aucune justification pour intervenir contre des autorités dé-mocratiquement élues, il était évident que des zones grises se formaient quand la légitimité démo-cratique du gouvernement lui-même était en question. Ce sujet soulevait aussi la question de savoir à qui les forces armées devaient adresser leur serment d’allégeance.

10 L’expérience de l’Espagne et du Portugal dans leur transition vers la démocratie et dans le retour des forces armées à leur bonne place au sein de la société a été particulièrement utile pour les nouvelles démocraties. Voir, par exemple, le séminaire Rose-Roth sur la « Défense dans les so-ciétés démocratique. L’expérience portugaise », Lisbonne, 20–22 Avril 1995. Le rôle particulier des forces armées turques est aussi fréquemment cité dans les discussions sur les relations entre civils et militaires, ainsi que l’influence de l’histoire et de la culture politiques sur la place des militaires dans société.

litaires représentent une corporation puissante capable d’exercer une influence considérable sur la politique et l’allocation des ressources. Le contrôle démocratique garantit que les for-ces armées et leurs besoins occupent une place appropriée dans les priorités de la nation, mais qu’ils n’absorbent pas une proportion indue des ressources nationales et qu’ils n’exercent pas non plus une influence injustifiée sur le développement de la politique.

Pour ces raisons, il est important de s’assurer que la défense est organisée et gérée de telle façon qu’elle optimise le professionnalisme et l’efficacité militaires mais aussi qu’elle ga-rantisse le contrôle politique et le soutien populaire. Il y a une autre dimension qui rend cet objectif difficile à atteindre. Les militaires ont tendance à croire qu’il vaut mieux laisser les affaires militaires aux militaires. C’est compréhensible car le travail des forces armées est de se préparer aux conflits et à l’éventualité de la mort, et cela explique que l’intrusion d’éléments hétérogènes ou de non-professionnels est un sujet sensible. Cet aspect sera abordé plus loin et en plus grand détail. Il suffit ici de faire trois remarques. Premièrement, il y a certainement beaucoup de domaines qui reviennent, de plein droit aux militaires profes-sionnels qui passent beaucoup de temps à étudier et à se perfectionner dans l’art de la guerre et dans la gestion des forces armées. Deuxièmement, à un certain stade, ces activi-tés militaires doivent être soumises à l’examen des autoriactivi-tés politiques qui doivent s’assurer qu’elles sont bien cohérentes avec les buts et les priorités politiques et qu’elles en sont la traduction. Et troisièmement, ce qui est implicite dans cette situation, dans laquelle les mili-taires acceptent la primauté du politique – c’est que la partie politique a la responsabilité d’exercer son jugement de façon bien informée.

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