ALP forum 2005, No. 25 f
LA CONSERVABILITE DU GRUYERE
Groupes de discussion
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2. Analyses comparatives
Confrontés à cette situation alarmante, l’IPG et ALP ont décidé de collaborer en vue de trouver des réponses aux questions soulevées par cette évolution. Pour y parvenir, nous avons décidé d’effectuer une série d’analyses comparatives de fromages de bonne, respectivement de conserva- bilité douteuse ou insuffisante.
14 échantillons de bonne et 17 échantillons de conservabilité insuffisante ont été prélevés lors de la taxation des productions de février et de mars 2005.
Ces 31 échantillons ont été analysés quant à leurs caractéristiques chimiques – teneurs en eau, en graisse, en sel, valeur pH, teneur en acides gras
volatiles, teneur en calcium, composition en aci- des gras de la graisse, amines biogènes. Leurs caractéristiques microbiennes – Lactobacilles hétérofermentaires facultatifs (Lb.casei et Lb.
rhamnosus) et Lb. hétérofermentaires obligatoi- res. Avec des méthodes enzymatiques les teneurs en acide lactiques, en citrate et la valeur OPA ont été déterminées.
De plus, nous avons enregistré le type de cultures utilisées pour la production de ces fromages et, pour les échantillons dont les résultats n’étaient pas clairs, une analyse de biologie moléculaire permettant d’identifier l’éventuelle présence de Clostridies atypiques a été réalisée par un labora- toire externe.
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de 10 ans 1990-99
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Depuis le 01.05.1999, taxation par IPG
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Depuis le 01.05.1999, taxation par IPG
* =
1. Introduction
L’aptitude à la conservation du Gruyère AOC est un critère de qualité extrêmement important pour la mise en valeur de ce noble fromage. En effet, les consommateurs achètent le Gruyère pour ses qualités sensorielles et, pour qu’elles puissent se développer de manière optimale, il est primordial de pouvoir affiner ce produit sans ris- ques de le voir abîmer par des fermentations indésirables.
Durant l’hiver 2004/05, les responsables de la qualité de l’Interprofession du Gruyère (IPG) constataient une augmentation fâcheuse du nombre de lots qui présentaient, au moment de la taxation, des signes de conservabilité insuffi- sante.
Le tableau ci-après illustre l’évolution du pour- centage de Gruyère avec fermentation secon- daire au cours des dernières années.
Les résultats des analyses de la composition révè- lent deux critères qui différencient de façon signi- ficative les deux catégories de fromage. Ce sont la teneur en eau et la teneur en eau dans la masse dégraissée (TEFD). Toutes les deux sont plus éle- vées dans les fromages de conservabilité dou- teuse ou insuffisante. Rien de nouveau, mais la confirmation que pour produire du Gruyère de bonne conservation il ne faut pas dépasser un certain seuil en termes de teneur en eau absolue.
Mais également la confirmation que l’humidité relative (TEFD) constitue un indicateur de conser-
**= p < 0.01 (probabilité >99%), *= p < 0.05 (probabilité >95%); += tendance
†
† teneur en sel dans la phase aqueuse du fromage
vabilité plus pertinent que la teneur en eau abso- lue. On peut constater que la valeur moyenne des fromages de conservabilité insuffisante se situe au dessus de la valeur légale pour les froma- ges à pâte dure.
De plus, on constate sur ce tableau que la teneur en matière grasse moyenne du Gruyère se situe à un niveau très élevé et que les valeurs maximales dépassent largement les limites fixées dans le cahier des charges.
conservabilité teneur en eau [g/kg]
gras/sec [g/kg]
sel [g/kg]
TEFD [g/kg]
sel dans l'eau† [g/kg eau]
moyenne bonne 354 524 14 534 38.9
écart type bonne ± 5 ± 11 ± 1 ± 6 4.0
minimum bonne 346 509 10 523 28.4
maximum bonne 364 548 16 545 45.4
moyenne insuffisante 359 526 14 542 38.7
écart type insuffisante ± 5 ± 9 ± 2 ± 7 5.1
minimum insuffisante 351 513 11 532 29.2
maximum insuffisante 368 548 17 554 46.6
différence significative
** - - ** -
3. Premiers résultats
3.1 Composition des échantillons
Pour ce qui est des résultats de la composition des échantillons, nous avons utilisé les résultats de l’IPG.
Le tableau ci-après contient les résultats des ana- lyses de la composition.
4
Les résultats des analyses des acides gras volatils révèlent deux critères qui différencient de façon significative les deux catégories de fromage. Ce sont la quantité totale d’acides gras volatils (AGVT) et la teneur en acide propionique. En outre, la teneur en acide acétique est tendancieu- sement élevée.
Actuellement, les valeurs pour reconnaître une fermentation secondaire se situent à >de 2 mmol/kg d’acide propionique et à > de 1.5 mmol/kg d’acide butyrique.
En comparant les résultats obtenus par cette étude, on constate que les fromages de conserva- bilité insuffisante ne subissent ni fermentation
propionique ni fermentation butyrique ou alors à des niveau beaucoup plus bas que ce que nous avions l’habitude de voir sur des échantillons de Gruyère.
L’analyse de la teneur en acide lactique de ces fromages confirme que la quantité d’acide dégra- dée est très faible et corrobore les résultats de la chromatographie.
Ceci confirme bien que les fromages montrant une conservabilité insuffisante ne subissent pas forcément de fermentations secondaires typiques et que l’interprétation des analyses des acides gras volatils ne donne pas toujours une image claire de l’origine des défauts.
4. Conclusions
Les résultats des analyses n’étant pas encore tous disponibles, les conclusions tirées ne sont que partielles.
La teneur en eau absolue et relative (TEFD) sont les critères qui différencient les deux catégories de Gruyère avec la plus forte probabilité. La TEFD est très pertinente car elle exprime, indépendamment
du fait que la teneur en matière grasse du Gruyère est actuellement très élevée, qu’un dépassement de la norme met la conservabilité du Gruyère en danger. Comme première mesure corrective on pourrait en déduire que, pour produire du Gruyère de bonne conservabilité, il faudrait s’efforcer d’obtenir une TEFD de 534 ± 5 g/kg.
**= p < 0.01 (probabilité >99%), *= p < 0.05 (probabilité >95%); += tendance conservabilité AGVT
[mmol/kg]
acide acétique c
[mmol/kg]
acide propionique
[mmol/kg]
acide butyrique [mmol/kg]
moyenne bonne 9.2 7.2 0.1 0.8
écart type bonne 3.0 2.5 0.1 0.4
minimum bonne 5.1 3.7 0.0 0.5
maximum bonne 14.8 12.2 0.4 2.1
moyenne insuffisante 12.1 9.6 0.4 0.7
écart type insuffisante 4.2 3.8 0.4 0.3
minimum insuffisante 8.2 6.0 0.0 0.4
maximum insuffisante 21.5 18.4 1.4 1.2
différence significative
* + * -
3.2 Acides gras volatils
L’analyse de la chromatographie indique d’une part la quantité totale d’acides gras volatils pro- duits à partir de l’acide lactique et, d’autre part, par quel type de fermentation ces acides gras volatils sont produits. De plus, elle indique, le cas
échéant, la présence d’acides gras volatils issus de la protéolyse et de la lipolyse.
Le tableau ci-après contient les résultats des ana- lyses de la chromatographie.
5. Recommandations pour la pratique
La conservabilité du Gruyère est de plus en plus délicate durant le semestre d’hiver. De nombreux lots montrent, lors de la taxation de l’IPG, des symptômes de fermentation secondaire qui ne sont pas confirmés lors des analyses effectuées dans ces cas là, en particulier par l’analyse des acides gras volatils.
Les causes de ces fermentations secondaires atypi- ques sont très certainement multiples (défaut mul- tifactoriel). Sur la base des résultats actuels, les fac- teurs suivants sont à prendre en considéaration:
- teneur en eau absolue - TEFD
- teneur en matière grasse élevée
- consistance de la graisse laitière en hiver - activité biologique élevée en cas de TEFD élevée Le fait que ce phénomène ne se déclare pratique- ment que sur les productions d’hiver et sur des lots de Gruyère qui ont une teneur en eau « élevée » peut s’expliquer de la façon suivante:
- l’activité biologique globale est plus intense dans un fromage avec une TEFD élevée. La dif- férence significative constatée à l’analyse des acides gras volatils le confirme.
- La teneur en matière grasse du Gruyère aug- mente régulièrement. Cette modification, com- binée avec la consistance de la graisse plus dure de la graisse d’hiver conduit probable- ment à une modification de la structure de la pâte du Gruyère en la rendant moins élastique.
Ces deux éléments – activité biologique élevée et élasticité réduite de la pâte – influencent très cer- tainement la conservabilité du Gruyère.
Avec une pâte moins élastique favorisée par une teneur en graisse et une TEFD élevées et, parallè- lement, une activité biologique plus intense, les conditions deviennent propices à la formation de becs et de lainures.
Les résultats actuels de cette étude comparative permettent de préconiser les mesures correctives suivantes pour améliorer la conservabilité du Gruyère:
- viser une TEFD qui se situe aux environs de 534±4 g/kg
- abaisser la teneur en matière grasse conformé- ment aux recommandations de l’IPG
Pour être dans les normes au moment de la taxa- tion, un Gruyère devrait se composer comme suit:
eau: 353 - 357 g/kg
matière grasse: 330 - 336 g/kg gras sur sec: 507 - 523 g/kg
TEFD: 530 - 538 g/kg
Pour rappel les normes de l’IPG sont:
eau: 345 / 369 g/kg
gras sur sec: 490 / 530 g/kg
TEFD: max 540 g/kg
Editeur Agroscope Liebefeld-Posieux, Station fédérale de recherches en production animale et laitière (ALP), CH–3003 Berne, Tél. +41 (0)31 323 84 18, Fax +41 (0)31 323 82 27, www.alp.admin.ch, e–mail: info@alp.admin.ch Auteurs Jean-Pierre Häni, Daniel Wechsler, Ernst Jakob, Tél. +41 (0)31 323 82 28, e–mail: jean-pierre.häni@alp.admin.ch Photos/rédactionAgroscope Liebefeld–Posieux Mise en pageOlivier Bloch CopyrightReproduction autorisée sous condition d’indication de la source et de l’envoi d’une épreuve à l’éditeur. ISSN 1661-0660 / 08.11.2005
Les teneurs en citrate et en formiate devraient nous informer du rôle des Lb. hétérofermentaires facultatifs dans cette problématique.
La valeur OPA ainsi que la teneur en acides ami- nés libres et en amines biogènes donnent des indications relatives à la protéolyse et sur la décarboxylation des acides aminés qui suit. Elles
devraient nous renseigner quant à une éventuelle source de gaz dégagée par cette voie.
La détermination de clostridies moins connues telle que Cl.bejerenkii devrait, le cas échéant, répondre à certaines interrogations en matière de fermentation butyrique atypique.