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Modalités d’opérationnalisation du concept de capital naturel critique et de l’approche par les capabilités

Conclusion de la partie 1

Section 1. Modalités d’opérationnalisation du concept de capital naturel critique et de l’approche par les capabilités

L’opérationnalisation du concept de capital naturel critique et de l’approche par les capabilités représente un défi. L’une comme l’autre n’ont connu que peu d’applications empiriques surtout en ce qui concerne l’opérationnalisation au niveau local et dans une perspective qualitative. Puisqu’il est déjà difficile d’appliquer ces deux approches théoriques, leur articulation l’est d’autant plus.

A. Le défi de l’opérationnalisation du concept de capital naturel critique

Nous l’avons déjà vu, selon Ekins et al. (2003), le capital naturel critique ne peut pas être identifié directement, il doit l’être à travers les services écosystémiques critiques qu’il fournit. Ceci engendre deux problèmes opérationnels :

-comment identifier localement les services écosystémiques que les personnes valorisent ? -les seuils de criticité sont censés être socialement définis, il faut donc capturer en même temps la perception du service écosystémique et son état de conservation.

A notre connaissance il n’y a eu que peu de tentatives d’opérationnalisation du capital naturel critique. Mis à part les travaux présentés dans le numéro spécial d’Ecological Economics de

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2003 (volume 44) qui se situent à un niveau plutôt agrégatif, on recense une étude de l’Institut Français de l’Environnement (IFEN) paru en 2001, une étude de Douguet et Schembri (2000) et plus récemment de Ferrari et al. (2012). L’étude de l’IFEN correspond à une consultation d’experts sur la notion de capital naturel critique et du DD. Bien que très intéressante, cette étude ne nous aide pas à opérationnaliser au niveau local le concept de service écosystémique.

L’étude de Douguet et Schembri (2000) très complète, se penche sur la construction de scénarios quant au devenir de l’agriculture en Bretagne à travers une analyse en terme de capital naturel critique mais sous forme agrégative et modélisatrice. Quant à celle de Ferrari et al. (2012) elle ne prend en compte qu’un seul type d’écosystème (zones humides) alors que nous souhaitons développer une grille d’identification des services pour un territoire (donc plusieurs écosystèmes). De plus, cette étude prend seulement en compte la valeur écologique du capital naturel critique. Il faut donc construire une méthode propre à notre objectif qui consiste à identifier et recueillir localement la perception sociale des services écosystémiques afin d’en déterminer la « criticité » pour construire le capital naturel critique des deux RB.

B. Le défi de l’opérationnalisation de l’approche par les capabilités

Du coté de l’approche par les capabilités, Favarque (2008) nous rappelle que Sen n’offre pas de méthode « clé en main » pour appliquer son approche et prône l’incomplétude fondamentale. Comme le font remarquer Dubois et Mahieu (2009), cette incomplétude est une invitation à l’innovation. Par conséquent, c’est à chacun d’adapter l’approche capacitaire à son objet d’étude et à son objectif de recherche.

Selon Lessman (2012), qui a réalisé une revue assez exhaustive des études ayant appliqué l’approche par les capabilités, cette dernière est particulièrement difficile à opérationnaliser.

Elle identifie, parmi d’autres, deux obstacles conceptuels qui compliquent l’opérationnalisation de l’approche: la conceptualisation multidimensionnelle du bien-être et le rôle central accordé à la liberté de choix dans l’évaluation de ce dernier.

Malgré tout l’approche capacitaire connaît plusieurs opérationnalisations empiriques surtout quantitatives, les plus connues étant celles du PNUD à travers l’Indice de Développement Humain (IDH) (pour une revue des applications empiriques de cette approche voir Lessmann, 2012). De façon paradoxale132, l’approche par les capabilités a surtout été opérationnalisée à

132 Selon Zimmermann : « From a sociological point of view, there is a tension in Sen’s writings between, on the

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partir d’études statistiques agrégatives qui utilisent des données de seconde main (c’est-à-dire provenant d’autres enquêtes, par exemple du recensement etc.) (Zimmermann, 2006). Peu d’applications empiriques se basent sur la création de données propres et encore moins sur des schémas qualitatifs133 d’enquête (ibid.). Or selon Zimmermann (2006), il est légitime dans une perspective sociologique, de se poser la question de savoir dans quelle mesure une méthode quantitative et agrégée permet d’apporter des informations pertinentes sur la diversité des personnes et leur champ d'action dans leur contexte particulier134. En effet, pour comprendre une réalité sociologique, il faut d’abord en identifier les principales caractéristiques par une démarche anthropologique, afin de pouvoir passer ensuite à une démarche économique quantitative (Dubois, 1992). Ceci est d’autant plus vrai quand il s’agit de chercher à comprendre une réalité aussi complexe que celle de la liberté des personnes à mettre en place des fonctionnements soutenables/responsables (ce qui constitue notre objet d’étude). Selon Dubois (1992), les enquêtes qualitatives sont nécessaires et doivent constituer un préalable aux études quantitatives. Les deux sont donc compatibles. Cependant, selon Zimmermann (2006), sauter l’étape qualitative engendre, une perte d’information considérable dans la compréhension de la complexité des faits sociaux, de leurs caractères interactifs et changeants135. De plus, par rapport à l’esprit de l’approche par les capabilités, cette étape est importante pour prendre en compte les présupposés et attentes éthiques des personnes (ibid.).

Avant même d’aller plus loin, il faut rappeler que nous ne nous situons pas dans une application conventionnelle de l’approche par les capabilités mais dans une approche étendue à la soutenabilité forte. Il s’agit donc d’une première approximation. Par conséquent, il ne s’agira pas ici d’une application quantitative de l’approche par les capabilités, mais d’une approche qualitative devant correspondre à l’espace d’évaluation intégré du bien-être décrit dans la partie théorique (chapitre 3). Selon Farvaque (2008), les approches qualitatives de l’approche capacitaire cherchent à analyser de façon descriptive des situations individuelles ou collectives sans nécessairement poursuivre un objectif de mesure. Ces méthodes,

one hand, the concern for plurality and, on the other hand, an empirical approach unable to address the specificities and the constitutive singularities of this plurality » (Zimmermann, 2006, p476).

133 On peut toutefois citer quelques exemples de travaux qualitatifs de Requier-Desjardin et al. (2003), Ibrahim (2006) et Biggeri et al. (2006).

134 Pour une critique complète des méthodes quantitatives de l’approche capacitaire voir Zimmermann (2006).

135 Les résultats des études qualitatives sont parfois difficilement utilisables car étant obtenus par agrégation ils sont parfois trop déconnectés de la réalité socio-économique qu’ils cherchent pourtant à expliquer. Leur valeur explicative est donc faible. Au contraire les enquêtes qualitatives rendent possible l’identification dans le détail des caractéristiques qui définissent tel ou tel groupe social et par là permettent d’établir des typologies. Les méthodes qualitatives s’appuient donc sur de petits effectifs mais permettent de découvrir les variables clés qui définissent la qualité de vie, les choix des groupes étudiés (Dubois, 1992).

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contrairement aux méthodes agrégatives, permettent d’analyser en profondeur la multidimensionnalité des capabilités. Il est alors possible de développer une analyse en termes de groupes sociaux en montrant que les individus de tel ou tel groupe subissent des obstacles particuliers contraignant leur liberté à mettre en place les fonctionnements qu’ils valorisent.

Dans cette optique, l’approche par les capabilités se basera plutôt sur des observations non marchandes des situations personnelles (Favraque, 2003) que sur des données agrégées et autres indicateurs statistiques sur le bien-être humain. Requier-Desjardin et al. (2003) dans leur étude sur le développement rural au Pérou, montrent que les observations sur le contexte géographique, économique, social et politique permettent d’analyser l’influence de ce dernier en termes d’opportunités et de contraintes sur la détermination des capabilités des personnes.

En résumé, il est possible d’identifier quatre défis concernant l’application (qualitative) de l’approche par les capabilités :

multidimensionnalité du bien-être : un des challenges méthodologiques centraux réside dans la capacité à étudier les capabilités et fonctionnements des personnes par rapport aux ressources existantes, à leurs droits respectifs, aux choix individuels et aux facteurs de conversion (Zimmermann, 2006) (nous rajouterons aux services écosystémiques). C’est exactement cette démarche que nous avons décidé de suivre en essayant d’identifier les capabilités des groupes étudiés en relation avec tous ces paramètres ;

liberté comme processus : toujours selon Zimmermann (2006), un autre défi consiste à ne plus considérer la liberté des personnes comme un « état » fixe. La liberté doit être considérée comme un processus émergent des interactions sociales et des relations de pouvoir (ibid.). Par conséquent, la capacité d’agent (ou capacité d’action ou agencéité) des personnes ou des groupes dans leur contexte devient aussi un objet d’étude important. Dans une perspective d’étude et d’empowerment, nous avons essayé de relever ce défi en organisant des ateliers participatifs qui avaient pour but principal la détermination de la capacité d’action de différents groupes sociaux des deux RB ;

capturer la différence entre fonctionnements accomplis et capabilités : il faut rappeler qu’un des enjeux de l’opérationnalisation de l’approche par les capabilités réside dans la possibilité de faire la différence entre « capabilités ou fonctionnements potentiels » et

« fonctionnement réalisés ». Autrement dit, dans une perspective d’enquête, il s’agit de connaître ce que les personnes ou les groupes ont raison de valoriser dans leur situation et leur contexte, puis d’évaluer leurs capacités relatives à ces objets (Favarque, 2008). Là aussi les atelier participatif nous aideront à atteindre ce but.

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articulation individu-collectif : si l’approche par les capabilités, comme nous l’avons vu dans la partie théorique, s’applique plutôt au niveau individuel certains auteurs tel que Ballet et al. (2005) et Ibrahim (2006), l’ont appliquée au niveau du groupe. Ici on fera le pari d’appliquer le raisonnement de l’approche capacitaire à différents groupes sociaux lors d’ateliers participatifs ayant pour but de faire émerger à travers l’établissement d’interactions sociales les contraintes que ces groupes subissent en termes d’accès aux services écosystémiques, de ressources économiques, de droits d’accès, de facteurs de conversion ainsi que la prise en compte de leurs valeurs et celles qui dominent dans la société. Au total quatre ateliers ont été organisé dans les deux RB avec divers groupes sociaux afin d’évaluer leur marge de manœuvre, autrement dit leur « capabilité », à réaliser les fonctionnements qu’ils valorisent dans une perspective de soutenabilité sociale et écologique forte.

En conclusion, pour la présente étude, il ne s’agit pas d’utiliser des données d’enquêtes déjà réalisées et de les traiter à la lumière de l’approche par les capabilités, ni de créer un nouveau questionnaire dans une perspective quantitative, mais bien de se livrer à une approche exclusivement qualitative combinant entretiens semi-directifs, observations participantes et ateliers participatifs.

Conscient que l’agrégation cache la pluralité, la diversité et la singularité des personnes et des contextes (Zimmermann, 2006), ce fut un choix délibéré de notre part de ne pas chercher à appliquer des méthodes quantitatives pour la thèse. En effet, le sujet ne nous semble pas encore assez « défriché » pour agir de la sorte mais nous espérons que le travail présenté dans les pages suivantes permettra d’avancer aussi dans ce sens.

En ce qui concerne les études empiriques ayant utilisées l’approche par les besoins, on retrouve essentiellement deux travaux contemporains, celui de Cruz (2006) et celui de Boulanger et al. (2011). Le premier utilise l’approche par les besoins pour évaluer une politique publique et le deuxième pour créer des indicateurs multidimensionnels de bien-être alternatifs au PIB. Ces deux études sont donc différentes de ce que nous cherchons à faire, c’est-à-dire, relier l’approche par les besoins et par les capabilités pour mieux caractériser le bien-être des groupes sociaux vulnérables.

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C. Le défi de l’analyse de la gouvernance des deux RB

Une analyse en terme de développement humain responsable ne serait pas complète sans l’étude de la gouvernance des deux RB. Carlson et Berkes (2005) démontrent que dans bien des cas il est pertinent de concevoir la gestion d’une aire protégée en terme de réseau de gouvernance plutôt que s’attacher à la seule étude de la structure qui exerce la gestion. Ceci est d’autant plus vrai pour les RB car celles-ci n’ont pas une mission de gestion directe des territoires mais de coordination des acteurs. Dans une perspective d’enquête nous avons donc choisi de rencontrer des acteurs représentants différents secteurs en lien plus ou moins direct avec les RB afin de construire le réseau de gouvernance de celles-ci. Une fois de plus, il s’agit d’une approche qualitative visant à étudier la nature des relations établies. L’analyse de la gouvernance des deux RB est un exemple servant à analyser plus généralement la gouvernance du DD.

Nous allons maintenant voir comment s’est opéré le choix des acteurs et des méthodes d’enquêtes pour répondre à de tels enjeux méthodologiques.

Section 2. Choix des groupes d’acteurs sociaux, choix des