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Le capital naturel critique selon les acteurs de la réserve de biosphère de La Campana-Peñuelas

Conclusion de la partie 1

Section 2. Le capital naturel critique selon les acteurs de la réserve de biosphère de La Campana-Peñuelas

A. Perception sociale du capital naturel critique

Le niveau de criticité obtenu selon la formule indiquée ci-dessus est représenté pour chacun des SE dans le tableau suivant. Il s’agit de la perception sociale de la criticité et non de mesures scientifiques mais dans une perspective transdisciplinaire et de science post-normale cette information a autant d’importance que les mesures scientifiques. Les astérisques indiquent les 3 SE les plus critiques. Il existe de nombreuses possibilités quant au traitement et à l’analyse des résultats obtenus à partir de la grille d’identification et d’évaluation de SE utilisée lors des entrevues. Tous ces résultats ne peuvent pas être présentés ici pour ne pas alourdir la lecture de la thèse mais un article est en préparation afin de présenter de manière plus exhaustive les résultats et les possibilités d’analyse de ce travail.

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Tableau 8 : Perception sociale du CNC par les acteurs la RB de La Campana-Peñuelas

traitement des déchets 19a- Lieux de récréation pour le tourisme (payant)

A première vue, on voit que les acteurs perçoivent le capital naturel comme étant dans un état assez critique. Il y a très peu de SE perçus comme étant en « bon » état ou état « correct » de conservation (seulement 3 sur 21). Le SE perçu comme le plus critique est sans surprise

« l’eau pour usage domestique » suivi de la « qualité du climat local » puis en troisième position du SE socio-culturel de « récréation à usage public (gratuit) ».

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1. Analyse des services écosystémiques étant perçus comme critiques

Il n’est pas surprenant que le SE « eau pour usage domestique » ressorte comme le plus critique car la zone souffrait, lors de l’enquête de terrain (automne-hivers 2011 au Chili), d’une importante sécheresse entraînant des restrictions d’alimentation en eau pour certaines catégories de population. Nous le verrons plus loin, mais ce résultat est à la fois encourageant et paradoxal. Encourageant, car en moyenne les acteurs désignent ce service comme le plus critique de la zone ce qui correspond bien à la réalité écologique (Schulz et al., 2010)141. De même, le lac Peñuelas qui servait à l’origine de réservoir d’eau douce pour Valparaiso ne se recharge plus entièrement. Il en va de même pour les ressources souterraines dont le renouvellement est compromis par la multiplication des puits profonds (jusqu’à 100m) dont un certain nombre échappent à toute réglementation. Paradoxal, d’autre part, car malgré ce constat sur la ressource en eau, des puits toujours plus profonds sont creusés afin que les piscines soient toujours remplies, les cultures gourmandes en eau toujours arrosées tout comme les pelouses. Un médecin du dispensaire de Olmué (ville au cœur de la RB et centre touristique) confiait que l’état d’urgence hydrique (donnant lieu à un déblocage de fonds de la part de l’Etat) aurait du être déclenchée mais que les autorités municipales n’avaient pas voulu le faire pour ne pas entacher la réputation touristique de la ville.

En ce qui concerne le SE « qualité du climat local » presque tous les acteurs interrogés quelque soit leur secteur d’activité ou leur position dans la hiérarchie sociale ont déclaré avoir noté un changement du climat ces 10-15 dernières années. Ils décrivent ce changement par une intensification des sécheresses et une augmentation de leur fréquence. On pourrait imputer ce phénomène au changement climatique qui se matérialise très fortement dans la zone par une augmentation des températures et une baisse des précipitations (Luebert et Pliscoff, 2012)142 qui est dû non seulement aux variations globales du climat et au phénomène Niño/Niña mais aussi à la mauvaise gestion de l’eau et l’aménagement du territoire peu planifié.

141 Il faut rappeler que la zone étudiée se situe entre la côte pacifique et la cordillère de la côte (pas celle des Andes). Cette dernière n’est pas assez élevée (alt. max 2222m) pour entrainer la formation de glaciers et de neiges éternelles qui servirait à alimenter le fleuve principal « Marga-Marga » tout au long de l’année. La zone est sous l’influence d’un climat méditerranéen connaissant de forte variation de précipitation allant de 300mm à 550mm (Conaf, 2008).

142 Sur la période 2011-2012 les provinces du nord de la région ont connu un déficit hydrique de 61% et celle de l’intérieur où se situe majoritairement le périmètre de la RB un déficit de 36% selon le site agroclima.cl (http://www.agroclima.cl/descargas/Boletin_Valparaiso_Febrero.pdf)

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Le SE « lieux de récréation pour le loisir (gratuit) » arrive en troisième position. Cela s’explique par le phénomène de fermeture de l’espace qui se développe très fortement dans la zone à cause de la croissance urbaine, du développement des « parcelles d’agréments » et de la multiplication des résidences et opérateurs touristiques en tout genre. Les habitants perdent purement et simplement un fonctionnement (se promener gratuitement dans la forêt) auquel ils avaient accès avant. C’est un recul net en terme de développement humain. Sachant que les aires protégées gérées par l’Etat qui constituent les zones centrales de la RB (parc national La Campana et la réserve nationale Peñuelas) sont payantes, les habitants ne peuvent plus accéder à leur « réserve de biosphère » sans avoir à débourser des sommes conséquentes même pour des revenus moyens (1500 pesos soit 2,26 euros pour l’entrée au parc national).

Sachant aussi, que les zones d’accueil du public de ces aires protégées et la mission qui va avec font l’objet d’une concession à des entreprises privées les tarifs ne devraient pas être revus à la baisse. Ne serait-ce qu’avec la brève description de la situation qui rend ces trois SE les plus critiques on comprend que le système se trouve dans une dynamique qui conduit vers une réduction des capabilités des plus défavorisés mais aussi des classes moyennes.

2. Analyse des services écosystémiques perçus comme étant les mieux conservés

Mais regardons maintenant les trois SE les mieux conservés. De façon, surprenante le SE considéré comme le moins critique est « produits de collecte/cueillette ». Ceci s’explique par le fait qu’il est peu perçu par les acteurs interrogés ce qui baisse sa note finale. En effet, se sont surtout les communautés agraires qui dépendent de ce service. D’ailleurs, leur utilisation est souvent critiquée comme destructrice du capital naturel en ayant un impact sur les SE tels que la « qualité de sol », « qualité faune/flore » à cause d’activité de subsistance telles que la fabrication de charbon de bois ou la collecte d’ « humus ». De façon toute aussi surprenante, le SE « pollinisation » est ressortit comme en état correct de conservation. En effet, s’il est considéré en moyenne par les acteurs comme moyennement important il n’est pas considéré comme menacé mais comme étant en bon état de conservation. Cela demanderait une étude approfondie, mais vu l’importance de l’agriculture intensive dans la zone (épandages par hélicoptères, etc.) on peut supputer que la santé des abeilles est affectée et donc que le service de pollinisation aussi. Ce résultat révèle, peut être, une lacune dans les informations à disposition des acteurs. En ce qui concerne le SE « support pour le développement de savoirs éducatifs et scientifiques » il est plutôt considéré comme un service à valoriser. On remarque

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que le SE produit minéraux reçoit une croix car c’est un SE qu’un certain nombre d’acteurs ne veulent pas voir valoriser. Ceci est très facilement compréhensible au regard des dégâts laissés par l’industrie extractive au Chili. A l’inverse c’est le service « énergies renouvelables » qui serait le plus à valoriser. Il est pour l’instant quasiment inexistant c’est pourquoi il n’a pas de couleur.

3. Répartition de la « criticité »

En moyenne se sont les SE de la catégorie « service de régulation (appelés dans la grille « qualité de l’environnement » pour des besoins didactiques) qui sont perçus comme les plus critiques. C’est un résultat très intéressant car ce ne sont pas les services les plus faciles à percevoir ou à nommer.

Regardons maintenant quel est le pourcentage de chacune des classes de criticité.

Figure 19 : Répartition de la criticité selon la perception des acteurs interrogés

Le diagramme ci-dessus montre que seul 15% des SE sont perçus comme étant dans un bon état ou état correct de conservation. 85% des SE sont donc perçus comme étant menacés ou déjà dans un état critique. Ces chiffres démontrent que la plupart des acteurs interrogés sont conscients ou préoccupés par l’état dans lequel se trouve leur environnement naturel.

Nous allons maintenant voir quelles sont les différences de perceptions qui existent entre les représentants des différents groupes et les conflits et les inégalités qui existent autour de l’usage des SE.

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B. Discussion : différences de perception et conflits entre usages du capital naturel critique

1. Différences de perceptions

Si un acteur ne perçoit pas comme importants les SE pour son bien-être ou, s’il les perçoit comme importants mais en très bon état de conservation, il aura du mal à vouloir changer ses pratiques même si elles impactent le bien-être d’autres groupes sociaux. Par exemple, le président de l’association des agriculteurs d’une zone de la RB tournée vers la culture intensive d’avocats et d’agrumes, reconnaît l’importance de nombreux SE pour l’activité agricole mais pour lui tous les « voyants » sont au vert. Alors que pour une des représentantes de l’agriculture biologique de la même zone géographique c’est l’inverse, la grande majorité des SE sont perçus comme très menacés ou moyennement menacés. Le résultat le plus intéressant est le fait que le service « d’approvisionnement en aliments », service le plus important pour les deux personnes interviewées car elles en tirent leur revenus directement, apparaît comme très menacé pour la représentante de l’agriculture biologique alors que pour le président des agriculteurs conventionnels ce SE est très bon état de conservation. L’interview avec la représentante de l’agriculture biologique révélait qu’en marquant d’une croix rouge les SE les uns après les autres elle ressentait vraiment une réduction de sa « capabilité » à vivre de cette agriculture biologique. Ici on assiste à une situation d’inégalité socio-écologique sur le pouvoir de négociation entre les deux représentants de deux visions de l’agriculture. En effet, l’association des agriculteurs conventionnels (organisation très puissante) peut négocier avec l’Etat ou avec les grandes entreprises minières pour s’approprier des droits d’eau, acheter des terres, influencer la politique locale etc. De plus, cette inégalité se double d’un conflit d’usage parce que les méthodes de l’agriculture intensive polluent directement (par l’épandage de pesticides par hélicoptère, l’utilisation de bâches plastiques laissées sur place etc.) ou indirectement les sols (forage de puits très profonds) que les agriculteurs alternatifs ou paysans cultivent.

2. Tensions entre le discours et les actes

Lors de la réalisation de l’entrevue semi-dirigée avec un des membres de l’administration du parc national La Campana une contradiction entre le statut de parc national et de RB est apparue. En remplissant la grille des SE le responsable reconnaissait l’importance des SE « d’approvisionnement » pour la population locale, essentiellement les

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communautés agraires en terme de récolte d’aliments, de pâturage etc., mais pas uniquement puisque une partie de l’eau potable alimentant Olmué vient du parc. Il me confiait en même temps qu’il remplissait le questionnaire que : « le statut de parc national n’est pas cohérent avec celui d’une RB. Le statut de RB cherche la réintégration ou la cohabitation de l’homme et de la Nature, alors que le statut de parc national cherche à exclure les activités humaines ». Il concluait : « Oui, tous ses services écologiques sont très importants pour la population locale mais leur utilisation est illégale puisque nous sommes dans un parc national ». Il rajouta : « vu la situation péri-urbaine du parc national, ça ne peut pas être un parc dédié à la protection stricte de la nature, c’est un parc d’usage public et la CONAF ne peut pas nier cette pression urbaine il faut bien la gérer ». Il déplorait le manque de moyens et d’études pour réussir correctement cette mission d’accueil du public qui est cruciale dans le seul parc national de la zone centrale du Chili, zone la peuplée du pays.

3. Inégalités écologiques

L’enquête reflète de fortes inégalités de perception de la sécheresse. Les petits agriculteurs et les petits opérateurs du tourisme marquent comme très menacé le SE

« d’approvisionnement en eau » alors que les grands opérateurs du tourisme (qui pourtant offrent les services de piscines, spa, et autres jacuzzis) trouvent ce service en parfait état de fonctionnement. Cela s’explique par l’alimentation en eau pour la récréation et l’irrigation par le forage de puits très profonds dont le coût de réalisation exclut les plus pauvres du système et qui par la même occasion participe à l’assèchement direct de l’aquifère. Alors que l’on voit dans les potagers des cultures sèches sur pieds et la forêt sempervirente qui perd ses feuilles, les piscines des hôtels sont remplies à ras bord et les plantations intensives d’avocats et d’agrumes destinées à l’exportation sont bien irriguées et les pelouses bien arrosées.

4. Décalage entre la perception interne des acteurs et l’image qui en est donnée à l’extérieur

La commune d’Olmué où se trouve le parc national La Campana est connue comme une commune à forte identité rurale qualifiée de « Huasa » en référence au travailleur agricole chilien. Or, quand des questions sont posées aux différents acteurs par rapport au SE

« identité », on observe deux types de réponses diamétralement opposées. Soit les acteurs interrogés ont identifié ce SE comme fourni de façon très importante et en bon état de conservation (personnes ne vivant pas à Olmué) ou alors comme inexistant disant qu’à Olmué

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il n’y avait plus d’identité. Les communautés agraires à l’origine de cette identité et qui pourraient en être garantes se sont tournées vers d’autres sources de revenus en émigrant en partie vers la ville compte-tenu des difficiles conditions de vie et de la faible rentabilité de l’agriculture en tête de vallée ainsi que vers la vente de leurs propres terres pour des projets immobiliers, touristiques ou de résidences secondaires entraînant ainsi exode rural et pauvreté humaine (cf. chapitre 8). De plus, l’équipement de « Huaso » et l’entretien des chevaux coûtent très chers. Ainsi, les « comuneros » ne s’habillent plus en « huasos ». Les seuls que l’on voit encore à Olmué habillés de la sorte sont les grands exploitants agricoles ou les membres des « club sportif de rodéo » qui viennent pour le festival national du « huaso » organisé par la municipalité et une chaine de télévision nationale. Selon les communautés ce

« show » ne leur bénéficie en rien. On a l’impression que seule la municipalité et le reste du Chili continuent de croire que Olmué est une commune « traditionnelle ». Apres une réunion à la municipalité il a même été avoué qu’il existe un fort décalage entre l’image identitaire attribuée à la commune et la réalité.

5. Conflits latents

Il existe un véritable conflit larvé entre les communautés agraires et les néo ruraux.

Les premières sont perçues par les seconds comme responsables de la destruction du paysage dont ils sont venus profiter en achetant une parcelle de terrain dans la RB. Mais il ne faut pas se tromper, comme le font remarquer Romero et Vazques (2005a), ce n’est pas l’extraction illégale de ressources naturelles qui affecte le plus l’environnement, mais bien les avancées incontrôlables de l’urbanisation et de l’agriculture intensive. De plus, il ne suffit pas de critiquer les pratiques des communautés sans leur offrir de véritables opportunités de développement soutenable/responsable. Aucune solution n’est véritablement proposée à l’heure actuelle à part celle du marché qui consiste pour les « comuneros » à vendre leur terre aux néo ruraux et à devenir gardien de la parcelle du nouveau propriétaire ou à s’en aller à la ville.

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