Chronique
Alimentation:
la Suisse de plus en plus dépendante de l’étranger
Près de 800 millions de personnes vi- vent continuellement le ventre creux.
Pour les Suisses, la faim est par contre un problème théorique: nous pouvons toujours manger à notre faim et avons même tendance à trop manger. Le bilan alimentaire de la Suisse (fig. 1) établi par Agristat, de la division Statistique de l’Union suisse des paysans (USP), illustre l’évolution des habitudes ali- mentaires de la population suisse et de- puis 1979 celle de l’approvisionnement du pays. Chaque habitant consomme en moyenne 3270 à 3400 kcal par jour.
Nous mangeons de plus en plus de pro- duits végétaux et de moins en moins de produits animaux, même si nous conti- nuons à apprécier le poisson, la viande de volaille et le fromage. De plus en plus d’aliments proviennent de l’étran- ger, c’est-à-dire que notre souverai- neté alimentaire diminue: notre degré d’auto-approvisionnement a baissé à près de 59%, ce qui veut dire que nous importons près de la moitié de nos aliments.
Le bilan alimentaire illustre la situation alimentaire de notre pays
Avec le bilan alimentaire, nous dispo- sons d’un outil pour nous renseigner sur la situation du pays dans ce domai- ne. Depuis 1979, ce bilan est dressé chaque année par Agristat, USP, divi- sion statistique, sur mandat de la Con- fédération. Il est basé sur les données de production, de vente et de transfor- mation de la production agricole suisse.
Celles-ci proviennent en majeure partie des recensements d’Agristat auprès des producteurs et de leurs organisations.
Les données concernant les importa- tions et les exportations proviennent quant à elles de la Statistique du com- merce extérieur de la Suisse.
Besoins alimentaires entièrement couverts
En moyenne sur les six dernières an- nées, chaque Suisse a consommé jour- nellement 13 880 kJ d’énergie alimen- taire (3317 kcal), soit un peu plus (1,4%)
qu’au cours de la période précédente 1992-1998 (tabl.1). Mais, sur vingt ans, on s’aperçoit que la consommation a reculé de 2,1%, peut-être parce que la population réagit positivement aux en- couragements et aux recommandations des nutritionnistes. La faible évolution de notre consommation alimentaire sur une période aussi longue montre par ailleurs que les besoins alimentaires de la population sont entièrement cou- verts. Malgré toutes les innovations et la création incessante de nouveaux pro- duits, nos habitudes alimentaires n’ont que peu changé, si ce n’est qu’on note ces dernières années un glissement de la consommation des aliments d’origine
animale vers des produits d’origine vé- gétale (tabl. 2). On peut y voir l’effet des débats qui enflamment régulière- ment l’actualité quant aux liens pos- sibles entre les aliments d’origine ani- male et les épidémies frappant l’être humain ou les animaux, des rapports généralisateurs sur des conditions de détention non conformes ou encore celui des recommandations prônant une réduction de la consommation de graisses animales.
Ce glissement est notamment illustré par la nette progression de la consom- mation de blé dur (fabrication de pâtes alimentaires), de blé tendre (pain et produits de boulangerie) et de riz, mais
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Revue suisse Agric. 38 (3): 157-158, 2006
Fig. 1. Consommation d’aliments par habitants et par année en kg.
0 20 40 60 80 100 120 140
Blé dur (fins finots)
Blé ten dre (farine)
Riz, déc ortiqu
é
Autres cé réales
Pommes de terre
Sucre Cacao Légumes frais
Fruits à pépins (pomm es, poires)
Fruits à noyau (cerises, prunes, pruneaux) Fruits du Mi
di frais (bananes, ag rumes)
Autres fruits (raisins, ba ies, autres)
Jus de fruits, conserves de fruit Denrées alimentaires végétales, autres
Viande de bœuf Viande de porc
Volaille Viande, autresŒu
fs
Poissons et mollusqu es
Lait de cons ommation
Froma ge, fromage fo
ndu Beu
rre
Produits laitiers Graisses, autres
Vin Bière Autres
boissons
1979-1984 1985-1991 1992-1998 1999-2004
Tableau 1. Consommation par habitants et par jour, énergie digestible en kJ.
Années Végétales Animales Total Dont végétales
1979-1984 8921 5257 14 178 63%
1985-1991 8853 5207 14 060 63%
1992-1998 8867 4819 13 686 65%
1999-2004 9291 4589 13 880 67%
Tableau 2. Provenance des aliments consommés, valeur d’énergie.
Denrées alimentaires Denrées alimentaires Total des aliments
Années d’origine végétale d’origine animale consommés
Suisse (%) Etranger (%) Suisse (%) Etranger (%) Suisse (%) Etranger (%)
1979-1984 40,0 60,0 85,6 14,4 56,9 43,1
1985-1991 42,6 57,4 84,9 15,1 58,3 41,7
1992-1998 42,3 57,7 86,7 13,3 56,6 43,4
1999-2004 40,7 59,3 88,7 11,3 54,7 45,3
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aussi de légumes et de fruits divers, en dehors des fruits à pépins et à noyau de production indigène.
Dans le domaine des produits d’origine animale, la tendance est au poisson, à la viande de volaille et au fromage.
Les Suisses mangent par contre moins de viande de bœuf et de porc. Ils boivent aussi moins de lait, de bière et de vin, probablement remplacés par les boissons sucrées, si l’on considère la progression de la consommation de sucre.
Souveraineté alimentaire en baisse
Le bilan alimentaire montre par ailleurs que l’auto-approvisionnement du pays est en recul. Ce taux a progressivement baissé de 5% et n’est plus aujourd’hui que de 59% (fig. 2 et tabl. 3). Ce recul s’explique d’une part par le découplage des politiques du revenu et des prix dans le cadre de la «nouvelle politique agricole», qui a favorisé une extensifi- cation de la production, et d’autre part
par l’accès minimum au marché impo- sé par l’OMC, qui a favorisé les impor- tations, en particulier celles de produits d’origine animale. Il faut enfin signaler la considérable hausse du commerce ex- térieur de produits alimentaires suisses.
Il y a vingt ans, les exportations ne re- présentaient que 9,9% de la consom- mation interne; ces six dernières années, elles constituent en moyenne 15,5%.
Cette augmentation est essentiellement due à la réexportation de matières pre- mières alimentaires importées, qui a passé de 4 à 8% de la consommation annuelle. Il est réjouissant d’observer que l’exportation de denrées alimen- taires fabriquées dans le pays à partir de matières premières indigènes a elle aussi légèrement progressé (de 5,9 à 7,1%) avec le fromage comme produit phare.
Méthode d’évaluation
Le bilan alimentaire distingue douze groupes de produits. Il intègre les pro- duits commercialisés du pays et impor- tés, mais aussi l’auto-approvisionne- ment des familles paysannes et des ménages. Les volumes de produits bruts non utilisés pour l’alimentation humaine en sont retranchés, notamment les sous- produits de boulangerie (son), de la production bouchère (os et tendons) et de la fabrication de fromage (petit-lait).
Le bilan alimentaire tient ainsi compte des pertes de poids et de marchandise détériorée aux échelons de la transfor- mation et du commerce artisanaux ou industriels. En revanche, il ne tient compte ni des pertes et chutes interve- nant lors de la préparation et de la cuis- son ni de la consommation incomplète des aliments. Grâce aux capacités no- vatrices de l’industrie alimentaire, la matière première peut être utilisée de manière plus rationnelle. L’utilisation de farine contenant une forme active de gluten permet par exemple d’augmen- ter la teneur du pain en eau, de même que l’emploi de lait écrémé et de petit- lait permet d’abaisser la teneur des pro- duits laitiers en matière grasse. Par con- tre, nous acceptons moins que par le passé de consommer d’autres produits alimentaires, notamment les graisses et certains organes animaux.
Le poids des composants des repas pré- cuits et des produits semi-finis impor- tés ou exportés est calculé d’après des recettes standard et ventilé en fonction des matières premières utilisées.
Renseignements:
Robert Grüter, responsable de la division Statistique de l’USP, tél. 056 462 53 25, www.sbv-usp.ch 158
Fig. 2. Provenance des aliments consommés 1999-2004.
0 20 40 60 80 100 120
Céréales
Pommes de terre,
am idon
Sucre, sirop, miel
Légumineu ses, cacao
Légumes Fruits
Graisses et hui
les végétales Boisso
ns
Viande Œufs
Poisso ns, m
ollusques
Lait et produi
ts laitier s
Graisses ani ma
les Etranger % Suisse %
Tableau 3. Provenance des groupes de denrées alimentaires, valeur d’energie.
Années 1979-1984 Années 1999-2004 Groupes de denrées alimentaires
Suisse (%) Etranger (%) Suisse (%) Etranger (%)
Céréales 51,6 48,4 47,2 52,8
Pommes de terre, amidon 86,2 13,8 84,2 15,8
Sucre, sirop, miel 39,5 60,5 51,3 48,7
Légumineuses, cacao 10,3 89,7 5,4 94,6
Légumes 43,5 56,5 50,8 49,2
Fruits 45,9 54,1 31,1 68,9
Graisses et huiles végétales 17,6 82,4 21,4 78,6
Boissons 25,0 75,0 22,1 77,9
Viande 90,8 9,2 85,5 14,5
Œufs 48,4 51,6 36,1 63,9
Poissons, mollusques 4,5 95,5 1,3 98,7
Lait, produits laitiers 90,1 9,9 89,5 10,5
Graisses animales 81,3 18,7 87,1 12,9
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