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> Rapport forestier 2015 État et utilisation de la forêt suisse OFEV / WSL 2015
4.7 La forêt dans le paysage
Christian Ginzler, Felix Kienast
> Depuis des décennies, la forêt suisse ne cesse de s’étendre dans les Alpes ; cette tendance est ininterrompue.
> Le paysage forestier poursuit son évolution : les petites surfaces grandissent, se rejoignent et en forment de plus grandes, ce qui entraîne la disparition de milieux naturels peu denses et richement structurés et d’espaces de loisirs.
> L’augmentation de la surface forestière améliore toutefois la fonction de protection.
> Des perturbations telles que l’ouragan Lothar créent des surfaces plus ouvertes alors que des forêts existantes deviennent en général plus denses et plus sombres.
Paysage forestier
La forêt occupe près d’un tiers du territoire suisse. La structure qu’elle représente dans le paysage résulte de la répartition à grande échelle des massifs forestiers et de leur agencement à petite échelle. Elle est avant tout l’œuvre de l’homme. Depuis des siècles, les activités humaines telles que les défrichements autrefois, l’urbanisation, le développement du réseau routier, l’agriculture et l’économie forestière marquent la réparti- tion des massifs forestiers. Celle-ci reflète donc l’histoire culturelle d’une région. Par exemple, depuis des décennies, la forêt suisse ne cesse de s’étendre dans les Alpes aux dépens du paysage ouvert et modifie en bien des endroits le paysage forestier.
Les prises de vue aériennes faites pour la statistique de la superficie montrent que les bosquets (groupes d’arbres et haies) en dehors de la forêt ont diminué selon les régions de 2 à 7 % entre les inventaires de 1992/97 et de 2004/09. Cela s’explique par le remembrement dans les zones agricoles et l’expansion des agglomérations. Ces phénomènes ont connu des évolutions régionales différentes et furent particulièrement marqués sur le Plateau. Dans cette région, la forêt est deve- nue un important lieu de repli pour un grand nombre d’es- pèces animales et végétales en raison du manque croissant de milieux naturels appropriés dans le paysage ouvert. Selon l’IFN 2009/13, la surface forestière a continué d’augmenter, avec de grandes différences régionales : elle est restée inchan- gée sur le Plateau, a diminué de quelques pour cent dans le Jura et dans les Préalpes, et augmenté parfois jusqu’à 13 % dans les Alpes et au Sud des Alpes (point 1.1 ; tab. 4.7.1). La répartition spatiale de la forêt, qui résulte du nombre de mas- sifs forestiers, a également changé : dans le Jura et sur le Pla- teau, le nombre de massifs forestiers est resté constant, dans les Préalpes seuls quelques massifs ont grandi et fusionné.
Dans les Alpes et au Sud des Alpes, en revanche, de nom- breux massifs ont grandi et se sont rejoints, et d’innombrables trouées et clairières se sont fermées.
Le vécu du paysage est influencé par l’envahissement par la forêt : la plupart des personnes interrogées trouvent les paysages forestiers semi-ouverts et moyennement boi- sés plus attrayants que les forêts fermées homogènes (Hun- ziker et al. 2012). Des forêts plus denses et d’un seul tenant offrent toutefois une meilleure protection contre les ava- lanches et les chutes de pierres (point 5.2), et permettent une meilleure connectivité à de nombreuses espèces forestières (point 4.1). En outre, des massifs forestiers denses et étendus
Fig. 4.7.1 Érables sycomores dans un pâturage boisé du Chasseral (BE) : paysage attrayant avec de nombreuses formes d’exploitation. Photo : Markus Bolliger
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assurent une bonne qualité de l’eau potable car le sol forestier, riche en humus et en racines, est un filtre optimal pour l’eau (point 5.1). La structure paysagère de la forêt a donc de nom- breuses incidences écologiques, sociales et économiques. Cela explique l’importance de la mise en œuvre des plans directeurs forestiers (PDF, point 3.4) et des conceptions d’évolution du paysage (CEP) pour coordonner les différentes fonctions de la forêt.
Lisières forestières et ensoleillement
Si l’on prend en compte à la fois l’évolution de la surface fores- tière et celle du nombre de massifs forestiers (tab. 4.7.1), il apparaît que partout où la surface forestière a fortement aug- menté, le nombre de massifs isolés a diminué. Il en a résulté la disparition de lisières de grande valeur écologique qui abri- taient de nombreuses espèces animales et végétales. Depuis 1997, cette évolution est moins rapide parce que de nombreux massifs forestiers étaient alors déjà agrégés. Il est réjouissant de constater que la largeur des lisières a augmenté au cours des vingt dernières années, en particulier dans les zones d’altitude.
La largeur du cordon de buissons est restée presque identique alors que celle de l’ourlet herbeux a légèrement augmenté. Un cordon de buissons de 5 à 10 mètres de large est optimal pour la diversité en espèces. Selon l’IFN 2009/13, seuls 16 % des quelque 170 000 kilomètres de lisières atteignent cette largeur optimale. Sur le Plateau, dans le Jura et dans les Préalpes, la plupart des lisières ont une largeur inférieure.
La quantité de lumière en forêt a légèrement diminué depuis 2000. La densité de peuplement a surtout augmenté dans les Alpes et au Sud des Alpes (point 1.3). Les forêts clairsemées se densifient lentement. Les dégâts aux forêts et l’exploitation de bois plus intensive suite à l’ouragan Lothar, à la canicule de 2003 et à des événements régionaux ont surtout créé des surfaces ouvertes à basse altitude.
Pâturages boisés et selves
Deux exemples typiques de paysages forestiers marqués par la culture et l’histoire sont ceux des selves et des pâturages boisés (fig. 4.7.1) qui, conformément à la loi sur les forêts, font partie de l’aire forestière. Ils offrent à d’innombrables espèces des milieux naturels variés, faits d’une mosaïque de pâturages, d’arbres isolés ou en groupes et de petits massifs forestiers.
Les selves de châtaigniers ne couvrent que 0,13 % de la surface forestière, c’est-à-dire une proportion infime.
Les pâturages boisés étaient à l’origine présents dans de nombreuses régions de montagne mais se limitent aujourd’hui essentiellement au Jura (tab. 4.7.2). Ils sont préservés grâce au pacage des chevaux et des vaches, qui paissent dans les pâtu- rages ouverts comme dans les parties boisées où ils broutent les plantules des jeunes arbres et empêchent ainsi l’avancée de la forêt. Il en résulte un paysage forestier ouvert, important pour la protection de la nature et attrayant pour le tourisme.
Malgré leurs avantages, les pâturages boisés deviennent de plus en plus rares. La forêt gagne lentement du terrain sur les pâturages car ceux-ci sont abandonnés en bien des endroits au profit de pâturages plus productifs. La Confédération finance la valorisation et l’entretien des pâturages boisés à la fois par la mise en œuvre de la politique forestière (Programme « Bio- diversité en forêt ») et par celle de la politique agricole (contri- butions à la qualité du paysage et à la biodiversité).
Tab. 4.7.1
Évolution de la surface forestière et nombre de massifs forestiers en Suisse. Source : IFN et Statistique suisse de la superficie
Évolution de la surface forestière entre 1993/95 et 2009/13 en %
Évolution du nombre de massifs forestiers 1997–2009 en %
Tendance de l’évolution de la mosaïque fores- tière : forêts plus grandes, effet lisière moindre
1997 2009
Jura –0,2 +0,1
Plateau –0,1 +0,3
Préalpes +3,6 –1,5
Alpes +10,3 –5,0
Sud des Alpes +16,8 –11,9
Suisse +5,9 –2,5
Tab. 4.7.2
Surfaces et proportions de la surface forestière des pâturages boisés dans le Jura et pour l’ensemble de la Suisse.
Source : Relevés de l’OFEV 2006
Région Surface des pâturages
boisés, en ha
Proportion de la surface forestière suisse, en %
Jura (VD, BE, NE, JU) 45 000 3,6
Restant de la Suisse, surtout les Alpes
42 000 3,4
Suisse 87 000 7,0