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En parcourant le traité « De l’âme »

Im Dokument Body and Spirit in the Middle Ages (Seite 22-26)

Inversant l’ordre hiérarchique qu’il a précédemment énoncé, Avicenne, dans le De anima ou Sextus de naturalibus, commence par évoquer les facultés végé-tatives. Il n’est nullement question d’un spiritus en ce contexte. La première occurrence de ce dernier intervient lorsque sont introduites les facultés dites

« sensibles et de saisie », à savoir de perception suivant différents modes d’abs-traction des formes de la matière qui les porte. Certaines formes, inséparables d’une matière, ne peuvent être saisies sans instrument corporel. D’aucuns pensent que c’est un spiritus, « un corps pénétrant de manière aiguë » dit le latin, « fin, délicat » dit l’arabe, auquel la sensation (ou l’âme) est « suspen-due », qui va saisir les formes sensibles. Cette opinion est fausse, car dans ce cas, mêlé au milieu extérieur, ce spiritus aurait sa substance détruite dans sa complexion et sa composition. En outre, il est inconcevable qu’il soit doté d’un mouvement local, car s’il en était doté il pourrait se séparer de l’homme, puis le rejoindre, et ainsi il serait possible de vivre et de mourir à volonté en un seul moment. Enfin, il n’aurait pas besoin d’instruments corporels6. Même si

Avi-sensibiles. Deinde virtutibus vitalibus serviunt vegetabiles […] Deinde quattuor virtutes natu-rales serviunt istis : sed digestivae quae est una earum, serviunt retentiva ex una parte et attrac-tiva ex alia parte ; expulsiva vero servit utrique istarum. Deinde quattuor qualitates serviunt his omnibus […] Et hic est finis graduum virtutum ».

5 Le mot latin, comme le mot arabe, désigne à la fois le souffle et une entité spirituelle. Du fait des contours incertains du concept avicennien, le choix a été de garder la forme latine spiritus, plutôt que de traduire par « pneuma » ou « esprit ».

6 De anima, II. 2, 126–128 : « Postea autem declarabimus quod formae apprehensae quae non possunt separari a materia et a colligatione cum materia, impossibile est imprimi sine instru-mento corporali […] Fuerunt autem aliqui qui medium posuerunt disturbans […] Fuerunt etiam alii qui putaverunt aliud, scilicet quod sentiens generaliter, aut anima, pendet ex spiritu, qui est corpus acute penetrans, cuius postea exponemus dispositionem, quia ipsum est instrumentum apprehendendi, et quia hoc solum potest extendi ad sensibilia et obviare illis et aequidistare ab illis et habere ad illa aliquem situm ex quo provenit apprehendere. Haec autem sententia etiam falsa est. Huius autem spiritus non retinetur essentia, nisi per haec munimenta quae illum circum vallant  ; si autem admiscetur ei aliquid extrinsecus, complexionaliter aut secundum compositionem destruitur eius substantia. Deinde non habet motum locale ; quem si haberet, possibile esset ipsum separari ab homine et postea redire ad ipsum, et possibile esset hominem mori et vivere secundum suam voluntatem, uno tempore. Si autem spiritus esset huiusmodi, non indigeret instrumentis corporalibus ».

cenne renvoie l’exposé le concernant à plus tard, le lecteur a néanmoins appris que ce spiritus assure le maintien de la vie, et que tout en étant défini comme

« un corps » il ne peut se passer lui-même d’instruments corporels. La descrip-tion de la percepdescrip-tion visuelle va faire appel à la nodescrip-tion de manière constante : depuis la saisie à la surface du cristallin du simulacre de l’objet vu jusqu’à son traitement par les facultés cérébrales que sont le sens commun, l’imaginative, puis l’estimative, il est question de « la partie » du spiritus portant d’abord la virtus videndi, puis successivement tel ou tel sens interne. Le nerf concave ou optique contient ainsi un corps subtil qui est le véhicule de la faculté visuelle, appelé spiritus, qui dans son mouvement parfois se cache, parfois apparaît.

Lorsqu’un œil est fermé, il fuit naturellement l’inactivité (otium) et les ténèbres pour se porter vers l’autre œil7. Le trajet du simulacre, sa transformation d’image perçue en sensation avec tout le traitement psychologique que cela implique le font intervenir à chaque étape :

Le simulacre s’imprime en premier dans l’humeur cristalline, au sein de laquelle ne se fait pas véritablement la vision, sinon une chose serait vue double, car il y a un simulacre dans chacun des deux cristallins, comme il y a deux touchers lorsqu’on touche quelque chose des deux mains. Ce simulacre est transmis par les deux nerfs concaves qui se rejoignent en forme de croix [= le chiasma optique], deux nerfs dont nous préciserons la disposition lorsque nous traiterons de chirurgie. De même que la forme extérieure arrive en un cône, de telle sorte qu’elle projette sa pointe au-delà de la surface du cristallin, de même le simulacre qui est dans le cristallin, par l’intermédiaire du spiritus contenu dans les nerfs adjacents, se propage en cône et les deux cônes se heurtent et s’interpénètrent, d’où provient une forme semblable unique à l’intérieur de la partie du spiritus qui porte la faculté visuelle […] ce spiritus transmetteur a la substance du voyant et il pénètre dans le spiritus qui est contenu dans le premier ventricule du cerveau, la forme vue est alors imprimée dans ce spiritus qui porte la faculté du sens commun, et le sens commun reçoit cette forme, ce qui parachève la vision […] Ensuite cette faculté du sens commun transmet la forme à une autre partie du spiritus — contiguë à la partie du spiritus qui la transporte —, qui y imprime la forme et la dépose auprès de la faculté formatrice, ou imaginative, comme tu l’apprendras ci-dessous, laquelle faculté reçoit la forme et la conserve […] Ensuite la forme qui est dans l’imagination pénètre dans le ventricule postérieur du cerveau [= de la mémoire], quand le veut la faculté estimative et qu’elle soulève le vermis […] la forme est alors jointe au spiritus de la faculté estimative, par l’intermédiaire du spiritus qui porte la faculté imaginative, appelée chez l’homme cogitative, et la forme qui était dans l’imaginative est imprimée dans le spiritus de la faculté estimative […] Mais une conservation en acte ne se fait dans la faculté estimative

7 Ibid., III. 7, 257 : « Sed de verbo una pupilla impletur cum altera clauditur, quis negat quin in nervo concavi sit corpus subtile quod est vehiculum virtutis videntis, quod appellatur spiritus, qui movetur aliquando occultando se et subterfugiendo, aliquando apparendo et intuendo ? Qui, cum clausus fuerit alter oculorum, fugit otium et tenebras naturaliter et vadit ad alium oculum, eo quod concavitas communis est eis, sicut noverunt auctores chirurgiae ».

que tant que le passage [du vermis] est ouvert, de telle sorte que les deux spiritus se heurtent et que les deux facultés se rencontrent8.

Dans cette description, l’expression récurrente «  une partie du spiritus  » laisse supposer qu’il s’agit toujours du même corps subtil, mais affecté de dispositions différentes suivant la faculté qu’il porte ; en outre, c’est en lui que s’impriment les formes, de manière plus ou moins stable suivant la faculté : dans le sens commun, Avicenne précise que la forme est retenue plus longtemps qu’une chose éclairée retient la lumière, mais moins longtemps qu’une gravure ne retient une forme dans la pierre9. L’ensemble de l’explication de la perception et de la sensation repose sur les mouvements de ce spiritus, dont il est précisé qu’il est d’une extrême sub-tilité et d’une rapide obéissance aux impulsions de la faculté qu’il porte. Toute faculté de perception est poussée naturellement vers son sensible, car elle y trouve

« comme un plaisir » et elle entraîne avec elle son porteur10. Mais il arrive aussi que ce soit son porteur qui l’entraîne, ce qui rend compte de diverses anomalies, par exemple le vertige, qu’il soit consécutif à la vision d’une chose en mouvement circulaire, ou dû à une des causes physiologiques — dont il est traité dans « les livres de médecine » —, intervenue dans le ventricule antérieur du cerveau qui pro-voque le même type de mouvement du spiritus et, donc, du simulacre qui y est

8 Ibid., III. 8, 268–271. Sur la connaissance sensible et la perception visuelle chez Avicenne, voir l’introduction de Gérard Verbeke, ibid., 48*–90*. Sur les facultés cérébrales, voir aussi C. Di Martino, Ratio Particularis, Doctrines des sens internes d’Avicenne à Thomas d’Aquin, Paris 2008, 23–40 et P. Pormann, « Avicenna on medical practice, epistemology and the physiology of the inner senses », dans P. Adamson (éd.), Interpreting Avicenna : Critical Essays, Cambridge 2013, 91–108.

9 De anima, III. 8, 279 : « Dicemus quoniam non longe est quod spiritus qui est communis sen-sus non solet tantum tenere formam propter oppositionem tantum, quamvis non retineat post oppositonem magno tempore. Unde non est sicut retentio luminis ab illuminato per lucem, quae destruitur subito, nec sicut retentio sculpturae in lapide, quae durat longo tempore, sed est inter utrumque ».

10 De anima, III. 8, 277 : « Debes autem scire quod praeter has causas est ibi alia causa materialis adiuvans illas, quae est haec scilicet quod substantia spiritus est substantia ultimae subtilitatis et velocis obœdientiae ad recipiendum motum, ita ut, cum contingerit in eo causa propter quam debeat mutari simulacrum de una parte ad aliam, sequatur moveri substantia spiritus aliquo motu in directum illius partis, quamvis sit parvissimus ille motus. Causa autem huius est quoniam una-quaeque virtutum apprehendentium impellitur naturaliter ad suum comprehensibile, ita ut quasi delectetur cum illo ; cum vero pellitur ad illud, inclinatur eius gerulus ad illud aut inclinatur cum gerulo suo ad illud ; et propter hoc spiritus visibilis totus impellitur ad lucem et retrahitur a tene-bris naturaliter. Cum autem simulacrum inclinatur ad unam partem spiritus et non ad aliam, virtus quasi impellitur cum suo instrumento ad partem inclinationis simulacra : instrumentum etenim obœdit illi ad partem quam petit virtus, et propter hoc contingit in spiritu motio ad illam partem, subtilitate sui et sua velocitate ad recipiendum motum, tamquam sequatur motum simulacri ».

imprimé11. Le sommeil et la veille le font encore intervenir directement. La veille est définie comme une disposition pendant laquelle l’âme commande aux sens et à la faculté du mouvement volontaire. Le sommeil est la privation de cette dis-position, pendant laquelle l’âme se détourne de l’extérieur pour se tourner vers l’intérieur. Les causes en proviennent soit d’une lassitude ou d’un souci venant de l’extérieur, soit d’une désobéissance des instruments. Dans le cas d’une lassitude,

« ce qui est appelé spiritus, dont il sera question plus loin », précise Avicenne, dissout et affaibli se réfugie vers l’intérieur et les facultés psychiques le suivent.

Dans le cas d’une désobéissance des instruments corporels, c’est une obstruction survenue dans les nerfs qui empêche le spiritus de se mouvoir en raison de l’hu-midité accumulée12. Omniprésent dans tout le De anima, ce véhicule si essentiel n’est directement évoqué qu’au dernier chapitre, dévolu aux instruments de l’âme.

En premier lieu nous dirons que le véhicule des facultés corporelles de l’âme est un corps subtil, spirituel, diffusé dans des creux, qui est le spiritus. En effet si les facultés de l’âme suspendues13 au corps se répandaient sans être transpor-tées par un corps, l’obstruction des voies n’empêcherait pas les facultés motrices, sensitives et même d’imagination de se diffuser ; or elle l’empêche manifestement comme l’enseignent les expériences du naturaliste.

La relation qu’a ce corps avec la subtilité des humeurs et leur évaporation est comme la relation des parties anatomiques avec l’épaisseur de ces humeurs.

Mais il a une complexion propre qui est changée autant que nécessaire suivant la diversité des facultés qu’il transporte : en effet la complexion par laquelle on

11 Ibid., 272–276 : « Et deinde redibimus ad nostrum propositum dicentes quod causa videndi unum duo, quadruplex […] Secunda autem causa est motus visibilis spiritus et eius commotio ad anteriora, dextrorsum et sinistrorsum […] Causa autem tertia est ex concussione motus spiritus latentis, qui est ultra bifurcationem, ita quod habet duos motus ad duas partes contrarias […]

Similitudo autem huius motus est vertigo. Cum enim contingit aliqua causarum quae scriptae sunt in libris physicae, quae moveat spiritum qui est in anteriore ventriculo cerebri circulariter, et virtus visibilis reddiderit illic formam sensatam propter partem spiritus qui est receptibilis eius virtutis, non quiescet in loco suo, sed movebitur, et succedet alia pars quae recipit ipsam formam post receptionem illius, antequam deleatur de illa, et sic circulariter ; et ob hoc videntur visibilia circumferri et permutari apud videntem ». Sur le vertige dans le Canon, voir infra.

12 Avicenna Latinus, Liber de anima seu Sextus de naturalibus, IV-V, édition critique de la traduc-tion latine médiévale par S. van Riet, Louvain-Leyde 1968, IV. 2, 33 : « Qui vero [somnus] est ex lassitudine, est propter hoc quia id quod vocatur spiritus, de quo postea scies suo loco, dissolu-tus et debilitadissolu-tus est, et refugit ad interiora et sequuntur eum virtutes animales […] Sed qui est ex inobœdientia instrumentorum, fit cum nervi imbibuntur et oppilantur ex vaporibus et cibis qui diffunduntur in eis ita ut digerantur, et spiritus refugit movere propter multam humiditatem ».

13 L’union de l’âme ou des facultés immatérielles qui en émanent avec une partie corporelle est toujours décrite à l’aide du verbe pendere en latin, ta‘allaqa en arabe («  être suspendu, adhérer à »). Il faut alors imaginer une suspension semblable à celle d’un nuage dans le ciel.

désire n’est pas apte à sentir, non plus que la complexion adaptée au spiritus visuel ne l’est au spiritus moteur : s’il n’y avait qu’une seule complexion, il n’y aurait qu’une seule faculté dans le spiritus et une seule action serait exercée.

Mais si l’âme est une, il faut qu’il y ait un seul organe auquel elle soit principa-lement suspendue au corps et qu’à partir de lui elle régisse le corps et l’augmente, et cela se fait par l’intermédiaire de ce spiritus. L’action première que fait l’âme est cet organe à partir duquel les facultés sont diffusées dans les autres organes.

Il est nécessaire que cet organe soit engendré avant tous les autres, et qu’il soit le lieu premier où soit engendré le spiritus : cet organe est le cœur, comme nous le montre l’expert en vraie chirurgie  ; nous expliquerons cela plus clairement dans le De animalibus. Donc il faut que l’âme principalement soit suspendue au cœur : il est impossible qu’elle soit d’abord suspendue au cœur, puis au cerveau.

C’est par cette suspension à l’organe premier qu’est fait le corps animé, et dans le second il n’y a d’opération que par l’intermédiaire du premier.

L’âme donne la vie à l’animal à partir du cœur, et les facultés des autres actions peuvent émaner du cœur vers les autres organes : l’émanation doit d’abord prove-nir de ce d’où elle est principalement suspendue. Mais dans le cerveau est para-chevée la complexion du spiritus qui est apte à transporter les facultés sensitives et motrices vers les parties corporelles, afin de leur octroyer la capacité à exercer leurs actions. Il en est de même pour la disposition de la faculté nutritive, bien que le cœur soit le premier principe où celle-ci est principalement suspendue et duquel elle est diffusée vers les autres organes et que sont effectuées les actions dans les autres parties du corps14.

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