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En conclusion : retour à la médecine

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À plusieurs reprises dans ses œuvres, et en particulier dans le Canon, Avicenne oppose la vérité du philosophe à la connaissance utile au médecin45. Il est alors compréhensible que la nature du spiritus échappe au savoir médical, puisque son lien d’une part avec l’âme, d’autre part avec les corps célestes, la rendent tout à fait hors de portée de l’action du médecin, qui n’a à se préoccuper que du maintien ou du rétablissement de sa complexion lorsqu’il est « nourri » dans les organes qui le contiennent et tout particulièrement dans le cœur. Le chapitre sur la formation de l’embryon au livre III du Canon n’entre pas dans le détail de l’ac-tion du spiritus contenu dans le sperme paternel et se contente de renvoyer pour plus d’information au De animalibus :

Quand l’utérus se rassemble sur le sperme, alors la première disposition qui y survient est la spumosité du sperme et cela se fait grâce à l’action de la vertu informative. Et selon la vérité cette disposition spumeuse vient du fait que la vertu informative meut ce qu’il y a de spiritus animal, naturel et vital dans le sperme, afin de fournir à chacun d’entre eux la source où il sera fixé et l’organe [approprié], selon le mode que nous avons exposé et expliqué dans nos livres des principes46.

Comme il a déjà été dit, si la table des matières annonce qu’une partie du livre I trai-tera des « vertus, des opérations et des esprits », il n’est en fait pas traité directement

chez Aristote, voir G. Freudental, Aristotle’s theory of material substance, Heat and pneuma, form and soul, Oxford 1995, 106–148. Il faut remarquer que Michel Scot, dans sa traduction du De animalibus d’Aristote, a très mal rendu ce passage, cf. D. Jacquart, « La complexion selon Pietro d’Abano », dans Ead., Recherches médiévales sur la nature humaine, Essais sur la réflexion médi-cale (XIIe–XVes.), Florence 2014 (Micrologus’ Library 63), 373–416, en part. 407.

45 Sur cet « instrumentalisme », voir : M. R. McVaugh, « The nature and limits of medical certi-tude at early fourteenth-century medicine », Osiris 6 (1990), 62–84.

46 Canon, III. 21. 1, f. 360v.

du spiritus. Le chapitre initial dédié aux vertus est l’une des occasions de faire le partage entre la vérité du philosophe et la connaissance utile au médecin :

Les genres des vertus et des opérations qui en proviennent sont selon les médecins au nombre de trois : le genre des vertus vitales, le genre des vertus naturelles et le genre des vertus animales. Et il semble à beaucoup de philosophes et à tous les médecins, princi-palement Galien, que chacune de ces vertus a un membre principal qui est sa source et duquel procèdent ses opérations. Et il leur semble que le siège de la vertu animale soit le cerveau duquel proviennent ses opérations. [Ils disent aussi] que la vertu naturelle est de deux espèces : l’une dont la fin est de préserver l’individu et qui assure la nutrition et la croissance, a son siège et le point de départ de ses opérations dans le foie ; l’autre dont la fin est la conservation de l’espèce, qui assure la génération et sépare des humeurs du corps la substance du sperme, et ensuite l’informe selon le précepte de son Créateur, a son siège et le point de départ de ses opérations dans les testicules. Quant à la vertu vitale c’est celle qui conserve l’essence du spiritus, lequel est le véhicule de la sensation et du mouvement, le rend apte à recevoir les empreintes de ceux-ci lorsqu’il parvient au cerveau et lui donne la puissance de donner la vie partout où il se diffuse ; cette vertu a son siège et le point de départ de son opération dans le cœur. Or il semble au plus grand de tous les philosophes, c’est-à-dire Aristote, que le principe de toutes ces opérations soit le cœur, mais la manifes-tation de ces opérations premières est dans les principes sus-nommés, à savoir que selon les médecins le cerveau est le principe de la sensation et après lui chaque sens a un organe dans lequel son opération est apparente. En outre quand on considère comme il le faut et qu’on apporte la certification, on adhère à la position d’Aristote et non à celle des médecins, qui tirent leurs conclusions de propositions suffisantes et non nécessaires, dont il ne ressort que ce qui est dans l’apparence des choses. Ce n’est pas au médecin en tant que médecin qu’il appartient de chercher à savoir laquelle de ces deux positions énonce la vérité, mais au philosophe ou au naturaliste47.

Logique avec lui-même, Avicenne dans le Canon se limite à ce que le médecin en tant que médecin doit savoir. Le développement du livre I sur la faculté de génération ne mentionne pas le spiritus, mais seulement la « vertu informative », qui, selon le précepte de son Créateur, donne à chaque partie du corps ses lignes, sa configuration, ses creux et trous, etc.48. Il faut se reporter au livre III pour voir mentionné en relation avec l’action de cette vertu informative le spiritus inclus dans le sperme, le lecteur étant renvoyé sur ce sujet pour plus d’éclaircissement au De animalibus, c’est-à-dire au domaine du naturaliste qui échappe « au médecin

47 Ibid., I. 1. 6. 1, f. 23r.

48 Ibid., I. 1. 6. 2, f. 23v : « Generative vero virtutis due sunt species, una est que in masculis et feminis sperma generat, altera est que dividit virtutes que sunt in spermate et permiscet eas […]

hanc quidem virtutem vocant medici virtutem immutativam primam. Virtus vero informativa imprimens est illa ex qua precepto sui creatoris procedit membrorum lineatio et ipsorum figu-ratio et concavitas et foramina et lenitas et asperitas et eorum situs et ipsorum continuitas et ad ultimum operationes que ex finibus dimensionum eorum pendent ».

en tant que médecin ». Les universitaires médiévaux ne se sont pas privés de se reporter à cet ouvrage, comme au De anima, mais ont-ils pu reconstruire pour autant la conception avicennienne du spiritus éclatée en divers contextes ? Cela est peu probable, d’autant plus que la recherche de la cohérence d’ensemble de la pensée d’un auteur ne faisait guère partie de leurs préoccupations premières, attachés qu’ils étaient à résoudre des points de doctrine sur des sujets particu-liers considérés comme essentiels. Concernant le spiritus une reconstruction de la cohérence de la conception avicennienne ne pouvait être menée qu’avec pru-dence en contexte chrétien, car cette substance subtile, qui tout en n’étant pas immatérielle est toutefois différenciée des parties qualifiées de « corporelles », est non seulement considérée comme le lien privilégié entre le corps et l’âme, mais a quelque chose à voir avec les corps célestes. Dans le De viribus cordis, l’accent est mis sur sa luminosité naturelle dont l’âme se réjouit, et qu’une disposition acci-dentelle ou quelque altération de sa complexion peut obscurcir, entraînant ainsi la tristesse de l’âme. Un lien très étroit existe entre ce spiritus et l’âme lorsqu’elle est tournée vers le corps, au point qu’il serait possible de les confondre. Si dans le De animalibus, œuvre destinée aux philosophes de la nature, détenteurs de la vérité, il est plus question du spiritus que des facultés de l’âme, dans le Canon, œuvre destinée aux médecins, la notion de spiritus s’efface dans la présentation générale des objets de la physiologie devant celle de virtutes. S’il était bon de rap-peler au médecin que l’animation du corps venait d’une puissance immatérielle, une telle précaution était inutile en s’adressant à des philosophes déjà avertis sur ce point et un discours « de vérité » pouvait se déployer.

Open Access. © 2020 Sarah Kay, published by De Gruyter. This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License.

https://doi.org/10.1515/9783110615937-003

inner life in the Aviarium of Hugh of Fouilloy

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