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Fragments en hexamètres

Im Dokument Fragmenta Saturnia heroica (Seite 183-194)

2 Morphologie flexionnelle

3 Fragments en hexamètres

Cette section rassemble quatre fragments de forme hexamétrique, mais attribués explicitement à Andronicus par Priscien (sur l’existence d’hexamètres dactyliques attribués à l’Odyssée latine, cf. § 34). En L 32, L 33 et L 34, qui sont des vers entiers, la scansion hexamétrique est garantie. En L 31, on pourrait hésiter, puisqu’il ne s’agit que d’un premier hémistiche ; mais la nature dactylique de ce fragment semble en fin de compte plus probable. Certes, il pourrait s’agir d’un début de saturnien s’ouvrant, comme L 22 tuque mihi narrato eqs., sur une séquence dactylique. Mais, même si cette hypothèse ne peut être définitivement écartée, les indices parlent plutôt en

172 Pour cette interprétation, cf. Spaltenstein 2008 : 141 avec bibliographie.

173 Hypothèse défendue par Ernout/Meillet/André 1985 : 31. Pour des hypothèses alternatives, cf. Walde/Hofmann 1930–1956 : 45–46 (deux verbes distincts à l’origine : anclare < gr.

ἀντλέω, anculare ← anculus) et de Vaan 2008 : 41 (anculare/anclare ← anculus).

§ 221c

§ 222

sa défaveur. Du moins L 31 est-il exactement comparable au premier hémistiche de Lucil. 43 quae facies, qui uultus uiro,174 alors qu’on peine à lui trouver un parallèle dans le corpus saturnien. Ce rapprochement laisserait peut-être une place au doute si L 31 était transmis par un auteur autre que Priscien. Mais puisque l’auteur des Institutions cite trois autres hexamètres attribués à Andronicus, il semble plus sûr de rattacher L 31 à ce groupe.

À ces quatre fragments pourraient s’ajouter L 36, qui se scande comme une fin d’hexamètre, et L 46, interprété comme une séquence dactylique par Courtney (2011 : 46). La nature hexamétrique de ces deux textes me paraît cependant douteuse.

L 36 est trop bref pour qu’on y reconnaisse à coup sûr un mètre dactylique ; en outre, ce fragment est cité par Nonius, alors que les autres proviennent des Institutions de Priscien. Quant à L 46, trois arguments parlent contre son inclusion dans ce corpus : premièrement, Priscien l’introduit par une formule qu’il utilise normalement pour citer Tite-Live (pour sa possible attribution à l’historien, cf. § 263e) ; deuxièmement, il faudrait admettre que le grammairien tronque le vers à la fois au début et à la fin, ce qu’il ne fait pas dans le cas des autres hexamètres attribués à Andronicus ; troisièmement, l’Odyssée homérique n’offre aucune correspondance satisfaisante avec L 46, ni au chant ζ, auquel Priscien semble l’attribuer, ni dans aucun autre chant (cf. § 263b).

Les fragments de cette section sont classés dans l’ordre d’apparition de leur modèle dans l’Odyssée homérique.

L 31

Prisc. Gramm. II 321, 9 in aps unum femininum : haec daps huius dapis. sed nominatiuus in usu frequenti non est, quem L i u i u s A n d r o n i c u s i n I O d i s s i a e p o n i t  :

quae haec daps est, qui festus dies ?

Cod. : BDGHKLR.

andronicus] andran- Kac || odissiae] odissia H odisei G odisiei L odissei K.

1 qui] quis Ste.

α 225 τίς δαίς, τίς δὲ ὅμιλος ὅδ’ ἔπλετο ;

« Quel est ce festin, quel est ce jour de fête ? »

Pour l’attribution de ce fragment, cf. § 222. L 31 a pour modèle le premier hémistiche du vers α 225 τίς δαίς, τίς δὲ ὅμιλος ὅδ’ ἔπλετο ;175 Athéna, sous les traits de Mentor, demande à Télémaque en quel honneur est organisé le banquet qui a lieu chez lui :

« quel est ce festin, quel est ce rassemblement ? ».

quae – La répétition du pronom interrogatif se calque sur l’anaphore τίς … τίς.

Büchner (1979 : 56) en tire un argument contre l’attribution de L 31 à Andronicus,

174 Parallèle cité par Mariotti 1986 : 56 adn. 6.

175 Modèle identifié par Hermann 1816 : 619.

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le traducteur s’abstenant, en d’autres occasions, de reproduire des effets stylistiques de cet ordre ; à ce sujet, cf. § 85. Mais cette observation n’est pas pertinente en L 31.

La répétition du pronom y est en effet nécessaire, puisque le féminin daps demande l’interrogatif quae, alors que le masculin festus dies appelle un qui.

daps – Le nominatif singulier daps constitue, d’après Priscien, une rareté, le pluriel étant d’un usage plus fréquent. Selon Erasmi (1975 : 71–72), le choix de ce singulier répond à la volonté du traducteur de maintenir une certaine proximité phonétique entre le modèle et sa traduction ; daps, en plus d’être monosyllabe comme δαῖς, possède plusieurs sons en commun avec ce mot.

Le terme daps présente, à côté d’un sens spécifiquement religieux, une acception plus générale. Employé en contexte religieux, daps désigne un sacrifice accompli après les semences d’hiver et de printemps : cf. Paul. Fest. p. 68 daps apud antiquos dice-batur res diuina, quae fiebat aut hiberna sementi, aut uerna. De là, ce mot en vient à désigner le repas rituel qui suit le sacrifice :176 cf. par exemple Cato Agr. 131–132.

Dans son acception plus générale, daps équivaut à peu près à conuiuium et peut se référer à tout repas solennel pris en commun :177 cf. par exemple Acc. Trag. 217–218 ne cum tyranno quisquam epulandi gratia / accumbat mensam aut eandem uescatur dapem ; et de même en Catull. 64, 304 large multiplici constructae sunt dape men-sae, où il est question d’un repas de noces.

On admettra, avec Manzella (2014b : 233), que daps est employé en L 31 dans son acception générale. Toutefois, le traducteur a pu garder en mémoire le sens restreint de daps, et ajouter ainsi au texte latin une dimension interprétative nouvelle. Selon Erasmi (1975 : 72) en effet, l’emploi d’un terme investi d’une connotation sacrée pour désigner le banquet sacrilège des prétendants, présente un caractère ironique absent du modèle homérique.

Δαῖς est un nom d’action dérivé de δαίομαι « diviser ».178 La connection sémantique entre les notions de division et de banquet passe par l’idée du partage de la nourriture en parts. Le verbe δαίομαι appartient à la racine p.-i.-e. *deh2- « couper, diviser » ; le verbe grec, comme skt. dáyate « divise » reflète une formation p.-i.-e.

*dh2-ei̯e-.179 Les commentateurs, et dernièrement Manzella (2014b : 231), admettent le rattachement de daps à cette même racine *dh2- ; mais un tel rapprochement est problématique, puisqu’il faudrait postuler un élargissement en -p-, dont le vocabulaire indo-européen connaît peu d’exemples certains.180

Curieusement, Manzella admet à la fois l’appartenance de daps et de δαῖς à la même racine, et une « divergenza dei due termini sul piano del significato,

176 Ernout/Meillet/André 1985 : 164.

177 ThlL V 1 p. 36, 41–66.

178 Chantraine 1999 : 247.

179 Beekes/van Beek 2010 : 298.

180 De Vaan 2008 : 161.

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divergenza che è connessa con l’originaria accezione sacrale di daps (…), estranea al corrispondente greco » (Manzella 2014b : 231). Ainsi selon elle, daps présenterait un sens primaire de « repas sacrificiel » et un sens secondaire de « conuiuium » ; δαῖς, en revanche, ne connaîtrait que l’acception large de « repas solennel pris en commun ».

Toutefois, à supposer que les deux termes se rattachent à la racine *deh2- « diviser », il semblerait plus probable que le sens général de « repas en commun » soit primaire, puisqu’il serait alors attesté tant en grec qu’en latin ; le sens de « repas sacrificiel » serait ensuite apparu secondairement en latin par restriction sémantique.

est – Sur la correspondance entre est et ἔπλετο, cf. Erasmi (1975 : 186 adn. 5) : « the form ἔπλετο would translate as “has come into being”, thus (…) est is a precise rendering ».181

qui – La leçon qui est transmise unanimement. Stephanus (1564 : 147) imprime quis, mais il n’y a pas lieu d’aller à l’encontre de la tradition ; pour l’usage adjectival de l’interrogatif qui, cf. par exemple Ter. Eun. 824 qui Chaerea ? – iste ephebus fra-ter Phaedriae.

festus dies – La périphrase festus dies « jour de fête » ne correspond pas exactement, sur le plan sémantique, à ὅμιλος « rassemblement »,182 dont le sens est cependant implicitement rendu par daps « repas en commun » ;183 sur cette acception de daps, cf. § 225b. Erasmi (1975 : 72) estime à juste titre que la formulation du latin a dû être influencée par le vers homérique suivant, υ 226 εἰλαπίνη ἦε γάμος « est-ce un banquet ou un mariage ? ».

Pour le traitement prosodique du s final de festus, cf. § 36c.

L 32

Prisc. Gramm. II 96, 7 nuperus : cuius accusatiuum Plautus profert (… [Capt. 718]). et bene : ut super superus, sic nuper nuperus debet esse. L i u i u s i n O d y s s e a  :

inferus an superus tibi fert deus funera, Vlixes ?

Cod. : BDGHKLPR.

liuius] liu/// Rac libius BHGLK || in om. P || odyssea] odissia R odissea P odyssia BDpcHL odyssa Dac odisia G odysia K.

1 an om. Rac || ulixes] ulyxes H.

κ 64 τίς τοι κακὸς ἔχραε δαίμων ;

« Est-ce un dieu d’en bas ou d’en haut qui te porte malheur, Ulysse ? »

181 Pour le sens d’ἔπλετο, cf. Liddell/Scott/Jones/McKenzie 1996 : 1358.

182 Verrusio 1977 : 33–34.

183 Erasmi 1975 : 72.

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§ 228

Pour l’attribution de L 32, cf. § 222. Ce fragment trouve son modèle homérique dans la fin du vers κ 64 τίς τοι κακὸς ἔχραε δαίμων ;184 Les gens d’Éole s’étonnent qu’une tempête ait ramené Ulysse sur leur île, alors que le dieu lui avait donné l’outre contenant tous les vents mauvais ; « quelle divinité hostile », demandent-ils à Ulysse, « s’en est prise à toi ? » L’identification avec λ 135, proposée par Düntzer (1838 : 45) et reprise mécaniquement par divers critiques,185 résulte d’une erreur manifeste. Le vers homérique en question n’a rien de commun avec le texte latin.

inferus an superus – Erasmi (1975 : 136) considère le groupe inferus an superus comme un substitut à la notion de κακός, mais reconnaît que les raisons d’une telle traduction paraissent obscures. Il est plus probable que le traducteur ait développé τίς en inferus an superus. La distinction entre dieux d’en haut et d’en bas semble traditionnelle dans la littérature latine,186 du moins dans les textes reposant sur des modèles grecs : cf. Plaut. Aul. 368 superi incenati sunt et cenati inferi. Cist. 512 at ita me di deaque superi atque inferi et medioxumi. Ter. Phorm. 687 ut te quidem di deaeque omnes, superi atque inferi.

Priscien cite L 32 pour illustrer l’existence de l’adjectif superus. Il considère celui-ci comme une formation parallèle à nuperus, dont l’accusatif est attesté en Plaut. Capt. 718 recens captum hominem, nuperum nouicium. Les adjectifs nuperus et superus ont dû être formés par l’adjonction du suffixe thématique -o- aux adverbes nuper et super respectivement. Pour le caractère secondaire de nuperus vis-à-vis de nuper, cf. de Vaan (2008 : 418).

tibi fert … funera – L’expression tibi fert … funera traduit τοι … ἔχραε tout en restituant la valeur négative de κακός. Erasmi (1975 : 134–135), considérant le sens de fert … funera comme plus fort que celui du grec ἔχραε, soupçonne une

« contamination à distance » (cf. § 23c) avec une formule similaire, ε 396 στυγερὸς δέ οἱ ἔχραε δαίμων. Si cette hypothèse est correcte, c’est l’association occasionnelle de l’adjectif στυγερός « terrible, haïssable » avec la mort qui aura suggéré à Andronicus l’emploi de la tournure fert … funera : cf. notamment μ 341 πάντες μὲν στυγεροὶ θάνατοι δειλοῖσι βροτοῖσι. Cette explication semble toutefois superflue, puisque la même association existe dans l’Odyssée homérique entre κακός et θάνατος : cf. par exemple χ 14 θάνατόν τε κακὸν καὶ κῆρα μέλαιναν. ω 124 θανάτοιο κακὸν τέλος.

deus – Le traducteur rend δαίμων par deus. Les poèmes homériques ne semblent pas poser entre δαίμων et θεός une distinction aussi systématique que celle postulée par Traina (1970 : 33) et Erasmi (1975 : 135–136). Le terme δαίμων renverrait selon eux à une force divine moins clairement déterminée sur le plan personnel et cultuel

184 Modèle identifié par Hermann 1816 : 624.

185 Notamment Egger 1843 : 121 ; Guenther 1864 : 9 ; Wordsworth 1874 : 291.

186 Manzella 2014b : 246–247.

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§ 230b

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que les entités désignées comme θεοί. Manzella (2014b : 245 adn. 32) relève toutefois dans l’Iliade et l’Odyssée plusieurs occurrences de δαίμων désignant des dieux dotés de personnalité : cf. A 122, où ce terme se réfère aux dieux olympiens ; Γ 420 (Aphrodite) ; T 188 (le dieu garant d’un serment) ; ο 261 (Athéna) ; etc. Il est possible que l’auteur de L 32 ait tiré parti de cette apparente indifférence en traduisant δαίμων par deus.

Pour le traitement prosodique du s final, cf. § 36c.

funera – Pour l’interprétation de funera comme pluriel poétique, cf. § 36f.

Vlixes – Le manuscrit H transmet la leçon ulyxes. On pourrait prendre celle-ci pour un indice de l’usage de la lettre y pour transcrire l’υ grec. Mais son isolement dans la tradition suggère plutôt une initiative individuelle d’un copiste de Priscien ; sur la transcription en latin du son grec noté <υ> et la forme latine du nom d’Ulysse, cf. § 52b.

L 33

Prisc. Gramm. II 419, 15 mando mandis : eius praeteritum perfectum quidem alii mandui, alii mandidi esse uoluerunt, L i u i u s tamen i n O d i s s i a  :

cum socios nostros mandisset impius Cyclops Cod. : BDGHKLR.

liuius] lius Rac libius B || tamen om. DH || odissia] odyssia GH odisia L.

1 cum] quum Ste quom Mer || socios] -iis Rac || mandisset] mandid- Her || impius] cymbius Rpc || cyclops GRpc : cic- codd. cec- L cuc- Mer cocles Mue.

υ 19–20 ἤματι τῷ, ὅτε μοι μένος ἄσχετος ἤσθιε Κύκλωψ | ἰφθίμους ἑτάρους.

? ι 296–297 αὐτὰρ ἐπεὶ Κύκλωψ μεγάλην ἐμπλήσατο νηδὺν | ἀνδρόμεα κρέ’ ἔδων.

? ι 311–312 δύω μάρψας ὁπλίσσατο δεῖπνον· | δειπνήσας κτλ.

« Comme le Cyclope impie avait mangé nos compagnons ».

Pour l’attribution de L 33, cf. § 222. Ce fragment doit avoir pour modèle homérique les vers υ 19–20 ἤματι τῷ, ὅτε μοι μένος ἄσχετος ἤσθιε Κύκλωψ | ἰφθίμους ἑτάρους.187 Ulysse est affligé par la trahison de ses servantes, qui couchent avec les prétendants.

Il exhorte alors son cœur à la fermeté, en se souvenant de jours plus difficiles, comme celui où Polyphème a dévoré ses compagnons. On rejettera sans hésiter le modèle proposé par Egger (1843 : 121), ι 311–312 δύω μάρψας ὁπλίσσατο δεῖπνον· | δειπνήσας κτλ. Ce rapprochement impliquerait de la part du traducteur un remaniement radical de son modèle ; en ce cas, en effet, L 33 ne représenterait rien d’autre qu’un vaste développement de δειπνήσας.

Parmi les critiques modernes, seul Traina (1970 : 29–33) a remis en cause l’identification à υ 19–20, préférant rapprocher L 33 de ι 296–297 αὐτὰρ ἐπεὶ Κύκλωψ

187 Hermann 1816 : 626.

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μεγάλην ἐμπλήσατο νηδὺν | ἀνδρόμεα κρέ’ ἔδων. Ses arguments ne suffisent toutefois pas à écarter le modèle communément admis (cf. § 237 et § 238b). En particulier, l’équivalence établie par Traina (1970 : 32) entre ἀνδρόμεα κρέ’ ἔδων et socios … man-disset ne convainc pas ; il y a entre « manger de la chair humaine » et « dévorer mes compagnons » une différence que Traina laisse sans explication. En outre, μεγάλην ἐμπλήσατο νηδὺν reste sans correspondance dans L 33, un phénomène que Traina se borne à constater sans le discuter.

cum – La conjonction cum, avec sa valeur temporelle-causale, résume υ 19 ἤματι τῷ, ὅτε.188 On imprimera la leçon cum, puisque les manuscrits la transmettent unanimement. La variante quom, adoptée notamment par Merula (1595 : 89), correspond sans doute mieux à la graphie en usage à l’époque d’Andronicus ; toutefois, puisque ce fragment ne lui appartient sans doute pas (cf. § 38), il serait abusif de rétablir cette graphie ici.189 On écartera de même la variante quum proposée par Stephanus (1564 : 148).

Sur l’emploi de cum avec le subjonctif, cf. § 36e.

socios nostros – Le groupe socios nostros ne doit pas être comparé directement à υ 20 ἰφθίμους ἑτάρους, comme le fait Traina (1970 : 30) ; certes, socios traduit exactement ἑτάρους, mais nostros est sans rapport sémantique avec ἰφθίμους. Il est plus probable que le traducteur ait laissé de côté ἰφθίμους, épithète sans doute jugée conventionnelle, comme le fait souvent Andronicus (cf. § 26a) ; quant à nos-tros, il restitue l’idée du datif d’intérêt μοι, le traducteur rendant par « il a dévoré nos compagnons » ce que le grec exprime par « il m’a mangé des compagnons ».

Traina (1970 : 30) estime que nostros s’adapte mal au monologue d’Ulysse en υ 19–20. Selon lui, si L 33 traduisait ι 296–297, nostros s’expliquerait mieux ; la première personne du pluriel inclurait alors les compagnons d’Ulysse, mentionnés dans le contexte en ι 288 (cf. aussi ι 294 ἥμεις). Mais les exemples de noster employé au sens de meus ne manquent pas dans la littérature latine ; pour la poésie préclassique, cf.

L 2 neque … te oblitus sum, Laertie noster. Il ne serait pas étonnant, si L 33 traduisait υ 19–20, de retrouver ici le même emploi de noster en référence à un sujet à la première personne du singulier. On pourrait aussi imaginer, à titre d’alternative, que l’Ulysse de L 33 inclue dans ce « nous » l’interlocuteur fictif que constitue son cœur ; on sait en effet qu’il s’adresse à lui à la deuxième personne en υ 18.

mandisset – Hermann (1816 : 626), qui n’admet pas la nature hexamétrique de L 33, propose mandidisset pour la leçon transmise mandisset, afin de briser le rythme dactylique. Mais Priscien introduit L 33 par la formule Liuius tamen in Odissia ; l’adverbe tamen indique bien que la citation vise à illustrer un radical différent des formes décrites

188 Erasmi 1975 : 154.

189 Manzella 2014b : 240.

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§ 237

§ 238a

précédemment, mandui- et mandidi-. L’absence de tamen dans les manuscrits DH ne remet pas en cause cette interprétation. Il est probable que les copistes l’aient omis par inattention ; en effet, les formules introductives du type Liuius in Odissia apparaissent plus fréquemment que celles dans lesquelles un adverbe est inséré entre le nom de l’auteur et le titre. Aussi la suppression de tamen a-t-elle pu se produire mécaniquement dans DH. Le radical de parfait illustré par L 33 sera donc bien mandi-.

Le verbe mandisset correspond à υ 19 ἤσθιε. La traduction apporte cependant deux nuances absentes de son modèle. D’une part, comme il a souvent été remarqué,190 man-dere « mâcher » est plus expressif que le grec ἐσθίειν « manger », que l’on s’attendrait à voir rendu par edere. Le verbe mandere est employé, en poésie préclassique, en référence aux repas d’animaux sauvages ou d’humains anthropophages : cf. Enn.

Ann. 138 uolturus … miserum mandebat homonem. Acc. Trag. 229–230 ipsus hortatur me frater, ut meos … manderem natos. La traduction latine met un accent particulier sur l’aspect bestial que revêt le repas du Cyclope, préparant ainsi la condamnation éthique impliquée par l’adjectif impius (cf. § 239b).

D’autre part, l’emploi du plus-que-parfait établit un rapport d’antériorité inconnu du modèle homérique ; le verbe subordonné ἤσθιε s’y trouve en effet sur le même plan temporel que le verbe principal υ 18 ἔτλης, tous deux à l’imparfait. Traina (1970 : 30) voit dans ce remaniement un argument contre le rapprochement de L 33 avec υ 19–20 ; l’antériorité établie par mandisset n’y trouverait pas de correspondance aussi exacte qu’en ι 296 ἐπεὶ … ἐμπλήσατο. On peut toutefois difficilement en juger, puisqu’on ignore comment était formulée la principale dans la traduction latine. Traina (1970 : 30) comprend υ 18 ἔτλης au sens de « tu souffrais » ; sa critique se justifie dans cette perspective, puisque, comme il l’observe, « Ulisse soffre durante e non solo dopo il pasto del Ciclope ». Mais le traducteur a pu prendre ἔτλης dans l’acception de « résister, endurer » ;191 auquel cas, il aura rendu υ 18–20 par une traduction comme « mais tu as su résister, mon cœur, lorsque le Cyclope impie avait dévoré nos compagnons ».

Le radical mandi- est une forme de parfait régulière et attendue pour le verbe man-dere. La forme mandidi, signalée par Priscien, est une innovation fondée sur l’analogie avec uendo, uendidi, selon un schéma devenu productif à époque postclassique.192 L’autre parfait mentionné par Priscien, mandui, est à comparer selon Livingston (2004 : 41), avec CIL V 923 reguit et VIII 2532 conuertuit ; à ces exemples, on peut ajouter Naeu. Com. 69 parcuit.

Le ē de la désinence -issē t est ancien. Un poète classique aurait -issĕ t : cf. par exemple le début d’hexamètre de Lucr. 1, 559 quod fregisset adhuc et les fins de vers de Verg. Ecl. 6, 50 timuisset aratrum. Aen. 11, 286 uenisset ad urbes. Leumann (1977 : 111) date des environs de 200 av. J.-C. l’abrégement des voyelles longues en syllabe

190 Cf. notamment Traina 1970 : 31 ; Ernout/Meillet/André 1985 : 382 ; Manzella 2014b : 239–240.

191 Interprétation admise par Liddell/Scott/Jones/McKenzie 1996 : 1800, qui citent υ 18 pour illustrer le sens « hold out, endure, be patient, submit ».

192 Meiser 2003 : 245.

§ 238b

§ 238c

finale devant t. On sait qu’Ennius et Plaute connaissent encore les deux prosodies : cf. par exemple le septénaire trochaïque Plaut. Asin. 874 fundum alienum arā t, in-cultum familiarem deserit, et les fins de vers d’Enn. Ann. 83 essē t induperator. 138 mandebă t homonem. Faute de matériel, on ignore si l’auteur des hexamètres attribués à Andronicus employait aussi des désinences de troisième du singulier en - V̆t < -V̄t.

impius Cyclops – La leçon impius est sûre. La correction cymbius apportée dans un second temps au manuscrit R ne peut résulter que d’une fantaisie ou d’un lapsus.

Il est impossible que ce terme, attesté seulement en Coripp. Iust. 3, 196 et désignant un élément architectural, s’applique ici à Polyphème.

J’adopte, par convention, l’orthographe normalisée Cyclops, transmise par le seul manuscrit G et un correcteur de R. Plusieurs éditeurs, notamment Hertz, Guenther (1864 : 10), Baehrens (1886 : 42) et Warmington (1967 : 40–41), retiennent la leçon majoritaire Ciclops ; mais sur la transcription latine du son grec noté <υ>, cf.

§ 52. Les conjectures cuclops et cocles, imprimées respectivement par Merula (1595 : 89) et L. Mueller (1885a : 112), n’ont aucun fondement dans la tradition textuelle et doivent être rejetées.

Le groupe impius Cyclops doit répondre à υ 19 μένος ἄσχετος … Κύκλωψ. Il est vrai que l’adjectif impius n’a pas la même portée que le grec μένος ἄσχετος. Mais cette expression, récurrente dans l’Odyssée homérique,193 a pu elle aussi être supprimée et substituée par le traducteur ; pour la suppression d’épithètes réputées traditionnelles, cf. § 237. Son remplacement par impius trouve une explication satisfaisante dans la perspective d’une adaptation au système de pensée des Romains. Polyphème est impie parce que son repas de chair humaine l’exclut de la communauté des hommes et des dieux, dont la pietas est garante. Il en a enfreint les normes à double titre : en se nourrissant de chair humaine d’une part ;194 et d’autre part, en violant les lois de l’hospitalité qui exigent de l’hôte de respecter l’intégrité de ses visiteurs.195 Cette explication, proposée par Traina (1970 : 31–32) à l’appui du rapprochement de L 33 avec ι 296–297, vaut également si le modèle est υ 19–20. L’auteur de L 33 aura préféré traduire μένος ἄσχετος, expression dépourvue de connotation négative, par un terme latin porteur d’une condamnation éthique explicite. Pour l’adaptation de l’Odyssée homérique au système de pensée romain, cf. § 24.

Pour le traitement prosodique du s final d’impius, cf. § 36c.

L 34

Prisc. Gramm. II 335, 3 hic et haec celer uel celeris et hoc celere, ab hoc et ab hac celeri (… [Lu-can. 1, 662 ; Cato Mil. frg. 13 ; Caecil. Com. 33 ; Mat. Carm. frg. 4 ; Enn. Ann. 460]). L i u i u s

Prisc. Gramm. II 335, 3 hic et haec celer uel celeris et hoc celere, ab hoc et ab hac celeri (… [Lu-can. 1, 662 ; Cato Mil. frg. 13 ; Caecil. Com. 33 ; Mat. Carm. frg. 4 ; Enn. Ann. 460]). L i u i u s

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