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Le Japon face au dynamisme de l’environnement stratégique

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Fondation pour la Recherche Stratégique • 27, rue Damesme • 75013 PARIS

Le Japon face au dynamisme de l’environnement stratégique

Avec le soutien de

JOURNÉE D’ÉTUDES

ACTES DU 10 DÉCEMBRE 2007

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S

O M M A I R E1

Introduction – Guillaume SCHLUMBERGER, Directeur, FRS ... 5

1 – Première table ronde – Le Japon et son environnement stratégique ... 7 1.1 – Chine : l’évolution chinoise vue de Tokyo

Intervenant: François Godement, Directeur, Asia Centre ... 7 1.2 Corée du Sud: quelles relations bilatérales ?

Intervenant: Colonel Loïc Frouart, Délégation aux affaires stratégiques ...12 1.3 – Corée du Nord : véritable menace ou en voie de normalisation ?

Intervenant: Guibourg Delamotte, Chercheur, Asia Centre ...16 1.4 Inde, Australie: l’alliance pour le containment de la Chine ?

Intervenant: Régine Serra, Chargée de mission à Sciences Po ...19 1.5 Débat avec la salle ...23 2 – Deuxième table ronde – Politique de la sécurité du Japon en transition ...29

2.1 La politique de défense du Japon

Intervenant: Colonel Hiromichi Otsuka, Attaché de défense, Ambassade du Japon ...29 2.2 Société japonaise et sécurité internationale ?

Intervenant: Jean-Marie Bouissou, Directeur de recherche, CERI ...36 2.3 – L’alliance nippo-américaine

Intervenant: Pierre Drai, Président, Centre d’études transatlantiques ...41 2.4 – L’action de la diplomatie japonaise au profit de la stabilité internationale

Intervenant: Masaki Noke, Ministre chargé des questions politiques,

Ambassade du Japon ...44 2.5 Débat avec la salle ...48 3 – Troisième table ronde – Le Japon et les enjeux stratégiques futurs ...51

3.1 Le Japon à la conquête de la suprématie technologique ?

Intervenant: Jean-François Daguzan, Maître de recherche, FRS ...51 3.2 Matières premières et énergies: quels besoins pour le Japon ?

Intervenant: Christophe-Alexandre Paillard, Administrateur civil,

Maître de conférences à Sciences Po...54 3.3 Sécurité environnementale du Japon: confrontation ou coopération ?

Intervenant: Alexandre Taithe, Chargé de recherche, FRS ...66 3.4 Le Japon et l’Union européenne

Intervenant: Christopher Dashwood, Commission européenne...70 3.5 Débat avec la salle ...74

1 Ces textes ne sont pas des citations directes des propos tenus. Les résumés des interventions et des débats figurant ici ont été rédigés par la FRS. Celle-ci assume seule la responsabilité d’éventuelles erreurs ou approximations des propos rapportés dans les actes de cette journée d’études. Les textes ne peuvent être reproduits ou cités sans l’autorisation expresse de la FRS.

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Introduction – Guillaume S

CHLUMBERGER

, Directeur, FRS

Les pays du Moyen-Orient et la Chine sont des acteurs internationaux particulièrement étudiés en France. L’actualité les met en effet sur le devant de la scène. Il semble qu’il y ait, à l’inverse, un problème de recherche et de communication sur le Japon. Ce pays est pourtant un acteur particulièrement important de la communauté internationale. Mais il est sans doute insuffisamment reconnu et regardé.

Cette journée d’études nous permettra, dans un premier temps, de nous intéresser à l’environ- nement stratégique de ce pays. Il s’agit de mieux appréhender les relations de Tokyo avec les autres grands acteurs de l’espace Pacifique et de l’océan Indien. Une seconde table ronde traitera de la politique de sécurité du Japon. Enfin, des perspectives prospectives sur des dimensions non liées à la défense seront proposées.

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1 – Première table ronde – Le Japon et son environnement stratégique

PRÉSIDENCE : Jean-François Daguzan, Maître de recherche, FRS

Si nous avions organisé ce colloque il y a vingt ans, nous aurions sans doute été contraints de refuser du monde à l’entrée. L’évolution des intérêts français dans le temps prend souvent la forme d’une sinusoïde. Nous passons d’un thème à l’autre selon l’air du temps, même si les sujets finissent par réapparaître. Ainsi les sujets qui étaient presque obsessionnels dans les années 1980 sont devenus marginaux.

Pourtant, il faut continuer à s’intéresser au Japon. La nouvelle obsession chinoise nous amène à oublier ce que représente ce pays, sa puissance industrielle et technologique et son rôle stratégique, indispensable pour la stabilité asiatique et celle du monde en général.

On constate en observant la situation actuelle qu’il existe deux angoisses qui se manifestent.

Le Japon hésite face à son environnement stratégique. Celui-ci est bouleversé par la montée en puissance de la Chine, qui s’impose progressivement comme la superpuissance de demain dans la zone Asie-Pacifique. Il est également perturbé par le jeu coréen.

Par ailleurs, le pays ne semble pas savoir quelle position adopter face aux grands mouvements mondiaux : la crise iranienne, la guerre d’Irak, le conflit en Afghanistan, les évolutions dans l’océan Indien… Pour la première fois depuis très longtemps, le Japon s’est engagé militai- rement à l’extérieur de ses frontières. Même si de très nombreuses conditions ont été posées pour encadrer ces missions, le fait que des soldats japonais aient été déployés en opérations extérieures a beaucoup perturbé la classe politique et l’opinion publique nationales. Par ailleurs, des modifications constitutionnelles ont permis d’alléger les contraintes sur les exportations d’armes. Le gouvernement Koizumi a utilisé les événements du 11 septembre 2001 pour faire évoluer significativement les capacités militaires et stratégiques du pays.

Le Japon est par ailleurs angoissé par ses voisins. La Chine observe toujours le pays de manière ambigüe. Les pays asiatiques, en particulier les deux Corée, réagissent parfois durement dès que Tokyo manifeste la volonté de faire évoluer sa posture militaire et stratégique. Ils se plaignent alors du retour de l’expansionnisme japonais. Ces pays conçoivent en quelque sorte leur voisin comme une nécessité économique, notamment industrielle, mais également comme un problème stratégique.

1.1 – Chine : l’évolution chinoise vue de Tokyo

Intervenant : François Godement, Directeur, Asia Centre

Je vais débuter ma présentation en prenant le contre-pied de ce qui vient d’être dit. L’idée exprimée était que si cette journée d’études avait porté sur un pays émergeant (Inde, Chine, Brésil…), plus de monde se serait déplacé. Je n’ai pas véritablement la même expérience. Je me rappelle qu’il y a dix ou quinze ans, j’avais organisé une réunion avec la présence d’un Vice-ministre du ministère de l’Industrie et de la Technologie (MITI). Seules trois ou quatre personnes s’étaient déplacées.

Mon sentiment est que, si moins de monde se déplace pour une conférence sur le Japon aujour- d’hui, c’est parce que la situation est meilleure entre le pays et la Chine. Le spectaculaire

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engendre un questionnement d’urgence : il permet à un sujet d’être perçu comme intéressant.

En réalité, la diplomatie publique japonaise est toujours moins spectaculaire et donc moins intéressante parce qu’elle est généralement coopérative et conciliatrice. Mais lorsqu’elle se crispe, elle attire beaucoup plus.

Il faut toutefois constater que sur la scène internationale, les poids relatifs du Japon et de la Chine évoluent en sens inverse. Il ne s’agit cependant pas des poids absolus. Même après une nouvelle période de récession technique, l’économie japonaise demeure l’une des plus puis- santes du monde, notamment grâce à ses exportations. Ses grands groupes industriels sont toujours compétitifs. Son Yen a un taux aussi avantageux que le Yuan chinois dans le commerce international. Il n’a jamais été aussi bas par rapport aux autres monnaies depuis le milieu des années 1980.

Évolution de la vision japonaise de la Chine

Il faut ici revenir sur la composition du gouvernement actuel, notamment sur ses trois principaux membres.

Le chef du gouvernement, Yasuo Fukuda, est le fils d’un Premier ministre qui avait lui-même confirmé l’engagement asiatique du Japon. Son père avait notamment élaboré une doctrine politique dans ce domaine. Lors d’une visite privée au printemps 2006 à Pékin, Yasuo Fukuda a personnellement contribué à renouer des liens avec la Chine, alors que la situation était pourtant délicate. Nous nous situions dans la période précédant la succession de Koizumi.

Fukuda était à cette époque uniquement candidat. Il était probablement celui vis-à-vis duquel la Chine avait donné, de manière indirecte, l’appréciation la plus favorable.

Masahiko Komura, ministre des Affaires étrangères (après avoir été très brièvement celui de la Défense), a été le président du Groupe des amitiés parlementaires sino-japonaises à la Diète.

Comme tel, il fut en quelque sorte le chef de file de la faction du Parti libéral démocrate (PLD) qui maintient les meilleures relations avec la Chine.

J’ai rencontré M. Komura en octobre 2004. J’ai discuté assez abondamment avec lui. À cette époque, son attitude était fondée sur une prise de distance par rapport à Junichirô Koizumi.

Nous avions notamment parlé de l’affaire des visites à Yasukuni2. Il reconnaissait que prôner l’égalité avec la Chine et tenir ferme sur un certain nombre de positions devaient être des composantes de l’attitude politique de Koizumi. Mais il avait toutefois comparé cette attitude avec celle de Yasuhiro Nakasone3. Il me disait ainsi que ce dernier croyait vraiment à l’impor- tance du sanctuaire de Yasukuni et de l’hommage rendu aux morts de la guerre. Mais il a rapidement arrêté de s’y rendre dès qu’il fut Premier ministre. Koizumi ne croit probablement pas à la dimension symbolique du lieu mais il persiste à y aller par entêtement.

2 NDLR – Le sanctuaire shintoïste de Yasukuni honore les 2,5 millions de Japonais tombés au champ d’honneur depuis la guerre civile de 1868. Dès 2001 et son arrivée au pouvoir, le Premier ministre Koizumi s’est rendu chaque année dans ce lieu que beaucoup considèrent comme un des plus puissants symboles du nationalisme nippon. En 2006, il s’est recueilli pour la première fois dans le temple le 15 août, jour anniversaire de la défaite japonaise de 1945. Ces épisodes ont systématiquement suscité de très vives critiques de la Chine et des deux Corée, qui percevaient ces visites comme des pèlerinages glorifiant le Japon militariste.

3 NDLR – Yasuhiro Nakasone fut Premier ministre à trois reprises successives de 1982 à 1987. Il s’est également rendu à diverses reprises au sanctuaire de Yasukuni, en particulier le 15 août 1986.

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Enfin, on trouve Shigeru Ishiba dans le gouvernement japonais. Il est ministre de la Défense4. Il est considéré comme l’un des hommes politiques les plus fermes sur la politique de défense, notamment à l’égard de la Chine.

Ce gouvernement est donc très composite.

Les changements ont été préparés pendant l’été par Shinzo Abe, qui a évité de se rendre lui- même à Yasukuni. Mais il est allé dans d’autres lieux de culte moins risqués. Il a par ailleurs fait part de ses remords concernant la guerre. Il a présenté les excuses de son pays à ce sujet.

Plus récemment, le terrain avait été préparé par une déclaration de Yasuo Fukuda avant qu’il ne soit Premier ministre, indiquant qu’il ne comptait pas se rendre au temple Yasukuni. De même une déclaration commune, avec celui qui était à l’époque son concurrent au poste de chef du gouvernement, Asô Tarô, se situait dans le même registre. Les deux hommes – dans ce qui était probablement un pacte de non-concurrence et de non-surenchère – ont affirmé qu’ils s’en tiendraient à la politique du remord et des excuses formulée par le Premier ministre Tomiichi Murayama, en 1995.

Il s’agissait donc d’une sorte d’évolution collective qui, dans une certaine mesure, garantit que le PLD ne puisse être accusé de mollesse dans ce domaine. Cette évolution ne règle toutefois pas tous les problèmes de fond.

L’attitude des opinions publiques

L’opinion japonaise a évolué en sens inverse. Nous aurions pu nous attendre à ce que le relatif réchauffement des rapports entre les deux pays depuis 2006 ait entraîné un changement de positionnement de la population japonaise. Cela ne semble pas être le cas. Au contraire, le pourcentage de l’opinion défavorable à la Chine a encore augmenté.

En Chine – dans la mesure où nous pouvons nous fier aux sondages –, il semble que l’hostilité au Japon, bien qu’élevée, recule.

Les deux courbes peuvent s’expliquer. En Chine, la propagande, l’éducation et la tradition jouent un rôle non négligeable. Elles ont amené la population à prendre pour habitude de considérer le Japon d’abord au prisme de l’histoire.

Du côté japonais, d’autres éléments doivent être pris en compte. En 1998, la visite de Jiang Zemin a constitué un véritable choc. La tempête a commencé à cette époque. En 2004, la tension est encore montée. Elle s’est exprimée par les manifestations qui ont eu lieu en Chine l’année suivante. Mais d’autres facteurs ont une influence sur l’opinion japonaise, auxquels on pense sans doute moins. La sécurité alimentaire et la montée de la pollution venue de Chine sont des thématiques qui préoccupent de plus en plus l’archipel. Elles pourraient être des terrains de rapprochement entre les deux pays.

L’opinion japonaise n’évolue donc pas nécessairement au même rythme que ses responsables politiques. Mais je pense qu’il ne faut pas y attacher beaucoup d’importance. L’étude des sondages permet de constater que, par le passé, les perceptions de l’opinion publique japonaise ont varié, dans un sens ou dans un autre, assez rapidement, notamment sous l’influence d’événements très symboliques.

4 Il fut le chef de l’Agence de Défense entre 2002 et 2004, avant que celle-ci ne devienne un ministère.

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L’importance de ces évolutions

Ces évolutions sont-elles massives ? Je pense qu’il faut rester circonspect.

La politique intérieure japonaise doit être prise en compte. Il existe une très grande incertitude concernant le devenir du gouvernement Fukuda. L’organisation d’élections anticipées constitue une des questions importantes. Par ailleurs, très rapidement après la victoire du Parti démocrate du Japon (PDJ) à la chambre haute en juillet, les sondages d’opinion ont montré que la situation politique était revenue à une égalité entre les deux mouvements. Ils sont au coude à coude, le PLD ayant déjà regagné du terrain sur son concurrent au pouvoir. Il a d’ailleurs été aidé par les volte-face du patron du PDJ, Ichiro Ozawa. Après avoir annoncé sa démission de la tête du parti, il est revenu sur ses intentions. Cet épisode a révélé les tensions internes au mouvement.

Par ailleurs, le débat sur la Chine et, plus largement, sur les questions stratégiques, traverse les deux partis. Mais il est différent du débat politique sur la grande coalition. La personne préposée aux questions de défense au sein du PDJ, Maehara, favorable au renouvellement de la loi permettant à la Marine japonaise d’être déployée dans l’océan Indien, a critiqué l’idée d’une grande coalition5. Il s’est donc positionné face au leader de son propre mouvement.

Ozawa s’est donc trouvé dans une situation paradoxale : il devait faire de l’opposition active contre Abe, dans l’espoir de le remplacer, tout en étant désavoué dans son propre parti sur le projet de la grande coalition. Les alignements stratégiques et idéologiques ne semblent pas clairs. La politique intérieure de court terme est très importante pour comprendre la vie japonaise.

Les Chinois ont intégré cette dimension. On assiste ainsi à une véritable course entre Ozawa et le Premier ministre Fukuda pour avoir les meilleures relations avec Pékin. La direction chinoise encourage probablement discrètement cette concurrence. Elle cherche en effet à normaliser une partie des relations sino-japonaises. À la suite de la visite d’Ichiro Ozawa en Chine, le Président Hu Jintao a ainsi fait une déclaration de portée générale sur ce thème. On peut y voir un signe : la Chine essaye de déclencher un réflexe compétitif entre les deux partis politiques nippons.

Le sentiment d’isolement stratégique et diplomatique est grand au Japon. Un dépit – voire une colère – existe à l’égard des États-Unis. Ce sentiment n’est pas véritablement lié aux principes posés par Washington pour gérer sur le fond le dossier nord-coréen. Les Japonais reprochent aux Américains de les avoir entraînés à faire des déclarations aux Nations Unies en juillet et octobre 2006 sur la nécessité de sanctions, puis de les avoir laissés seuls. Ils leur reprochent également de leur avoir quasiment forcé la main pour qu’ils se retirent du projet d’exploitation du champ gazier d’Azadegan en Iran. Puis, apparemment sans prévenir les Japonais, les Américains ont fait volte-face sur le dossier nord-coréen.

Un débat a lieu au Japon sur le problème du nucléaire coréen. Certains estiment que la politique actuellement mise en œuvre est vouée à l’échec. Ils pensent que, dès janvier, nous allons assister à un retour des hostilités avec la Corée du Nord. D’autres expliquent au contraire que Shinzo Abe était bloqué sur ce dossier par ses positions en politique intérieure.

5 NDLR – Deux mois après les attaques du 11 septembre 2001, le Japon a adopté une législation antiterroriste autorisant les Forces Maritimes d’Autodéfense à ravitailler en vivres et en carburant les navires et les avions de la coalition internationale, menée par les États-Unis, qui a fait chuter le régime taliban en Afghanistan. Cette loi a expiré le 1er novembre 2007. Le PLD a soumis au Parlement un nouveau projet permettant de prolonger ce dispositif d’un an.

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Nous sommes donc témoins d’un moment historique. Ce n’est pas le premier. Bill Clinton avait fait notamment une visite d’une dizaine de jours en Chine, sans être passé au préalable au Japon. Le livre du journaliste de l’Asahi Shibum, Yoichi Funabashi, avait parfaitement décrit cette époque6.

Le Japon se retrouve sans gouvernail. Dans ces conditions, la Chine a une influence particulière.

Elle peut désormais jouer l’ouverture et obtenir bien plus de résultats que d’habitude – en attendant que la compétition politique se ralentisse un peu – parce que les évolutions de l’opinion publique japonaise sont peu prévisibles.

Ces changements vont-ils se prolonger ?

On observe que la rencontre qui a eu lieu entre les deux gouvernements a abouti à certains résultats intéressants. Mais elle n’a pas amené de progrès dans les domaines les plus sensibles.

Aucune avancée significative n’a été obtenue dans le dossier des champs gaziers situés à proximité des Zones Économiques Exclusives des deux pays. C’est pourtant le point des relations bilatérales le plus sensible et se prêtant le plus à une escalade.

Dans ce domaine, le gouvernement Fukuda ne diffère pas vraiment du gouvernement Abe. Ce dernier avait déjà pris quelques initiatives étonnantes. La création d’une commission d’historiens professionnels sino-japonaise avait été probablement la plus surprenante. Du côté japonais, on la décrit comme un organe très autonome, travaillant loin du pouvoir politique et remettant à plat l’histoire des relations entre les deux pays. La décision de créer cette commission a été la réponse aux évolutions chinoises sur le problème de la mémoire. En 2005-2006, Pékin a reconnu qu’à côté des périodes de tensions, des conflits et des crimes commis pendant la guerre par le Japon militariste, des époques de développement pacifique avaient également existé. Pour le gouvernement chinois, il s’agit essentiellement de la période de l’après-guerre.

Ce mouvement vers la reconnaissance d’une histoire plus complexe, et qui fait également partie de la politique d’ouverture vers Taïwan, est encourageant.

Ces évolutions vont-elles aboutir à des résultats concrets ?

Une visite de destroyer ne fait pas tout7. Il faut réfléchir à l’expression proposée récemment au Japon : une « relation stratégique réciproque ». La réciprocité est un concept difficile à manier. Il suppose en premier lieu la reconnaissance objective de divergences d’intérêts et de conflits et la capacité à en parler ouvertement. Jusqu’à maintenant, cela a rarement été le cas entre les deux pays.

Mais les sujets de frictions (différends territoriaux, problème de la circulation des navires…) n’ont jamais été totalisés, globalisés. Aucune discussion d’ensemble n’a eu lieu, parce que cela serait probablement trop dangereux.

Je ne peux donc conclure d’une manière tranchée parce que je pense que les relations sino- japonaises restent vulnérables aux événements et sujettes à des évolutions parfois rapides. Les tensions internes en Chine peuvent avoir un impact sur elles. Dans le passé, ce fut le cas.

6 Funabashi (Y.), An Alliance adrift, New York, Council on Foreign Relations, 1999.

7 NDLR – Sur invitation des forces maritimes d’autodéfense japonaises, un destroyer lance-missiles chinois, le Shenzhen, a effectué une visite à la fin du mois de novembre. C’était la première fois depuis 70 ans qu’un bâtiment militaire chinois était en escale dans l’archipel.

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La visite du destroyer chinois au Japon a ainsi quasiment coïncidé avec « l’affaire » du porte- avions américain Kitty Hawk, qui devait accoster à Hong Kong8. Manifestement, ces événe- ments ont suscité un débat interne en Chine. S’agit-il pour Pékin de jouer la carte japonaise en s’éloignant des États-Unis comme dans les années 1980 ? S’agit-il de manifester, de manière indirecte, un mécontentement ? Il est difficile de le dire.

Par ailleurs, les dossiers de la péninsule coréenne sont encore loin d’être réglés. Sur un point, ils sont particuliers : ils sont riches en possibilités de coopérations entre Chine, Japon et États- Unis sur un certain nombre de points sensibles. Mais ils peuvent au contraire provoquer des tentatives d’exclusion mutuelles et/ou de minorisation d’un ou plusieurs des partenaires par les autres. Même si l’avenir de l’Asie, notamment des problèmes coréens, semble devoir se jouer à six, il existe des tendances chez certains à vouloir que les discussions soient plus restreintes.

1.2 – Corée du Sud : quelles relations bilatérales ?

Intervenant : Colonel Loïc Frouart, Délégation aux affaires stratégiques J’ai titré ma présentation « Japonais et Coréens, si près, si loin ». Je pense que cette expression, relativement simple et courte, résume bien le paradoxe qui caractérise la relation entre les deux pays.

Ces deux États partagent en effet beaucoup de valeurs et de caractéristiques. Les familles royale et impériale ont été liées à de nombreuses reprises. Le Japon et la Corée sont deux démocraties. Ils ont des objectifs communs en matière de stabilisation dans la région. Tout au long de leurs histoires, ils ont subi, profité et alimenté la concurrence entre les deux géants qui les entourent : la Russie et la Chine. Les deux pays sont tournés vers la mer. Ils sont proches humainement et linguistiquement. Une partie de la population japonaise est originaire de la Corée.

Les langues ont une relative parenté, et sont donc accessibles à l’une et l’autre des populations (bien que leurs origines soient très différentes). La distance est bien plus importante entre le chinois et le japonais ou entre le coréen et le chinois (en dépit des caractères des écritures qui les unissent). Enfin, sur le plan culturel, la « vague » sur laquelle surfent les produits coréens au Japon, la popularité de certains acteurs ou chanteurs japonais en Corée montrent cette proximité.

Ces liens sont renforcés par la distance. En Asie, ce facteur est significatif. Le continent est, en quelque sorte, l’espace des longues distances, de la démesure. Or, la situation géographique des deux pays est contraire à cette norme : ils sont à taille humaine et à distance humaine l’un de l’autre.

Pourtant les relations entre les deux États n’ont pas toujours été au beau fixe. Au contraire, le Japon et la Corée entretiennent des liens complexes, par certains aspects torturés. Quarantième anniversaire de la naissance des relations diplomatiques entre les deux pays, l’année 2005 avait été désignée celle de « l’amitié nippo-coréenne ». Mais elle illustre pourtant cette relation torturée. Durant ces dernières décennies, ce fut probablement l’une des pires années dans la relation. Toutes les polémiques qui éloignent les deux pays sont remontées à la surface. Les Japonais et les Coréens ne se parlaient plus. Les échanges de délégations ont été annulés les uns après les autres.

8 NDLR – La Marine américaine utilise souvent, comme d’autres marines militaires, le port de Hong Kong pour permettre à ses bâtiments de mouiller et ainsi d’octroyer quelques jours de permission à leurs équipages. Le Kitty Hawk et ses navires d’accompagnement devaient s’y rendre entre les 21 et 24 novembre 2007, notamment pour les fêtes de Thanksgiving. Mais les autorités chinoises leur ont interdit, quelques jours avant la date prévue, l’accès au port.

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Les événements de cette année désastreuse sur le plan de la relation bilatérale ont montré qu’au-delà d’une certaine volonté politique, les faits sont tenaces. La réalité des événements est moins positive, tout comme le sentiment des populations. Il reste du chemin à parcourir pour que la normalisation des relations entre les deux pays soit enfin obtenue.

Ces deux États sont par ailleurs en recherche de normalité et d’une normalisation de leur propre statut dans leur environnement.

Les contentieux historiques

Ils sont nombreux et profonds. Les Coréens rappellent qu’ils ont été occupés par les Chinois puis les Japonais. Pourtant, lorsque l’on étudie plus finement l’histoire coréenne, on constate que les querelles intestines des familles ou des clans coréens les amenaient souvent à appeler soit le Japon, soit la Chine. Mais une fois les conflits terminés, il n’était pas surprenant que l’allié se transforme rapidement en occupant, réclamant en quelque sorte un dû pour son assistance.

Ce fut avec le traité de Kanghwa, en 1875, que le Japon commença à pratiquer une ingérence de long terme dans la vie coréenne9. Cette ingérence s’est longtemps prolongée. Elle va porter les coups les plus durs que la Corée ait eu à encaisser jusqu’à aujourd’hui. En 1895, le Japon fait ainsi assassiner l’impératrice de Corée. À partir de 1910, une colonisation commence qui se terminera en 1945. Aujourd’hui encore, les Coréens, même ceux qui n’ont pas connu cette période, la vivent comme une humiliation.

On peut comparer le ressentiment des Chinois et des Coréens pour les Japonais. Je pense qu’il est au moins cinq fois plus puissant chez les seconds.

L’occupation politique et l’exploitation économique et stratégique ont été accompagnées de nombreux aspects culturels. Selon les Coréens, existait une volonté d’éradication de leur culture.

Pendant l’occupation, il était interdit d’enseigner le coréen. Tout Coréen qui voulait travailler et avoir des chances d’ascension sociale devait prendre un nom japonais. De la main-d’œuvre bon marché a été déportée sur le territoire japonais. Aujourd’hui encore, elle n’a aucun statut officiel.

Selon les Coréens, une partie de ces contentieux n’est pas encore réglée. Ces éléments portent un coup très important aux relations entre les deux pays.

La Seconde Guerre mondiale a évidemment amené son lot de problèmes. La question des

« femmes de réconfort » en est un exemple.

Après le conflit, mais surtout depuis une dizaine d’années, la question du sanctuaire de Yasukuni a été très sensible. Il faut préciser que lorsqu’un Japonais va s’y recueillir, il honore les morts pour l’Empire, notamment treize criminels de guerre coréens. Cette polémique a gagné en

9 NDLR – L’île de Kanghwa (environ 300 km²) se situe dans l’estuaire de la rivière Han, sur la côte ouest de la Corée du Sud.

En 1875, un petit bâtiment de guerre japonais, le Unyo, pénètre dans la zone réservée autour de l’île (qui avait été brièvement occupée par les Français en 1866 et les Américains en 1871), officiellement pour établir des relevés côtiers. Les défenseurs coréens tirent lorsque le bateau arme une chaloupe pour que des hommes puissent se rendre à terre. Le bâtiment réplique et réduit au silence les canons de la citadelle. Les Japonais exploitent l’incident en exigeant qu’un traité commercial entre les deux pays soit signé. Pour faire pression sur la Corée, ils envoient au large de l’île une importante flotte de guerre. L’accord est finalement signé, qui ouvre très largement l’économie coréenne aux entreprises japonaises.

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intensité au cours des cinq dernières années. Koizumi et Moo-hyun n’ont jamais véritablement fait d’efforts pour atténuer les problèmes de nationalisme de leurs politiques. Les livres d’histoire révisionnistes ou négationnistes renforcent les tensions, même s’ils ne sont quasiment pas utilisés par les écoles japonaises.

La question de la repentance vis-à-vis de la Corée se rapproche de celle de la repentance vis- à-vis de la Chine. Mais elle est plus complexe. En Chine, ce thème réapparaît au moment des visites à Yasukuni. En Corée, il est présent dès que le Japon est traité par les médias.

Les Japonais estiment s’être excusés à plusieurs reprises. En 1998, ils l’ont encore fait lors de la déclaration conjointe de partenariat nippo-coréen. Ils pensent également avoir payé la Corée, lors de l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays. Ils ont effectivement versé entre 300 et 500 millions de dollars. Mais le gouvernement coréen les a utilisés pour le développement économique du pays, non pour compenser les familles lésées par la colonisation japonaise. L’opinion publique considère donc qu’il n’y a pas véritablement eu des compensations.

Les Japonais estiment plus globalement que, tant vis-à-vis de la Corée que de la Chine, ils ne s’excuseront jamais assez. Ils pensent que Séoul et Pékin utiliseront toujours cette question pour empêcher leurs relations de s’apaiser.

Les contentieux actuels

Les contentieux territoriaux sur les Zones Économiques Exclusives, les îlets Dokdo, les noms différents attribués par les deux pays aux mers et îles ne font que renforcer le problème de la repentance.

Les différences dans les relations entre Japon et Corée du Nord d’une part et Corée du Sud et Corée du Nord d’autre part sont également sources de tensions. Il y a un an, il a été découvert que le deuxième mari de Megumi Yokota était sud-coréen et qu’il avait également été kidnappé par la Corée du Nord10. Tokyo y a vu une possibilité de définir enfin une position commune avec Séoul pour résoudre le problème des kidnappés. Mais le mari sud-coréen a été autorisé par Pyongyang à faire un voyage pour voir sa famille. Durant cette visite, il a expliqué qu’il était très heureux en Corée du Nord. Cet exemple illustre la divergence de vue entre les deux pays.

Par ailleurs, le statut des Coréens vivant au Japon n’est toujours pas réglé.

Les contentieux demeurent donc forts. Il est logique de penser qu’ils pourraient être atténués par le fait que les deux pays sont des alliés des États-Unis. En réalité, l’alliance avec la puissance

10 NDLR – Au cours des années 1970 et 1980, des citoyens japonais ont disparu dans des circonstances anormales.

Les enquêtes et les témoignages ont permis de déterminer que ces disparitions étaient des enlèvements. En pratiquant ces kidnappings, l’objectif de la Corée du Nord était d’obliger les victimes à entraîner ses agents afin qu’ils puissent se faire passer pour des Japonais lors de leurs missions.

Megumi Yokota a été enlevée en 1977 à l’âge de 13 ans à Niigata (250 km au nord de Tokyo).

La Corée du Nord a reconnu, lors du sommet entre les deux pays en septembre 2002 et après des années de dénégations, avoir enlevé 13 citoyens japonais. Elle en a libéré 5, affirmant que les autres étaient morts de maladie ou de façon accidentelle. Pyongyang a notamment précisé que Megumi Yokota s’était suicidée en 1994.

Son mari nord-coréen a renvoyé sa dépouille au Japon. Mais la famille Yokota continue de clamer que le corps n’est pas celui de Megumi.

Les autorités et les services de renseignement japonais pensent que des ressortissants japonais sont encore retenus contre leur gré par Pyongyang.

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américaine divise encore plus. Sur presque tous les problèmes liés à la sécurité et à l’environ- nement stratégique qui sont au cœur de ces deux alliances, la Corée et le Japon ont des avis divergents. Sur la Chine, la Corée du Nord, le concept de la flexibilité stratégique, Taïwan et même la question du rôle stabilisateur ou non des forces américaines dans la zone, les deux pays ne sont pas d’accord. C’est la raison pour laquelle existent deux alliances bilatérales et non un accord trilatéral. Celui-ci est inenvisageable.

Cette différence d’approche du lien aux États-Unis a un impact sur la relation qui lie les deux pays. D’un côté, le Japon existe par l’alliance avec le protecteur américain ; de l’autre, la Corée cherche à s’en émanciper pour exister seule. Actuellement, sur un certain nombre de dossiers (Corée du Nord et Chine), nous avons l’impression que la Corée du Sud estime être en avance pour jouer le rôle de « pivot », de « hub » en Asie du Nord.

Il existe toutefois un domaine dans lequel les relations sont bonnes (même s’il est peu mis en valeur) : la coopération militaire. Il y a une très grande proximité, au moins culturelle, entre les forces armées des deux pays. La mission militaire japonaise à Séoul est la seule à être occupée par des officiers qui parlent tous coréen. Aucune autre mission militaire ne dispose de cette spécificité. Par ailleurs, les officiers de liaison japonais sont très présents au ministère de la Défense coréen. Une anecdote historique est ici révélatrice. Lorsqu’un officier de l’état- major américain a été envoyé par son commandement, le jour de l’assassinat du président Park, à Séoul pour se rapprocher du ministère et obtenir des informations, le seul non-coréen qu’il ait trouvé dans les bureaux était l’attaché de défense japonais qui disposait bien avant lui de toutes les informations.

La relation militaire de coopération subit bien évidemment les contrecoups de la relation politique. Mais il existe une réelle proximité. Elle n’est pas surprenante puisqu’à la formation de l’armée coréenne en 1945, ses officiers étaient issus de l’académie japonaise.

Les perspectives d’avenir de la relation entre Corée du Sud et Japon

Il ne sera pas nécessairement simple de rapprocher les deux pays. En dépit de l’organisation de quelques manifestations que l’on peut considérer comme superficielles (manifestations cul- turelles par exemple), le contexte n’est pas forcément le meilleur. Pour améliorer les relations, il faudra notamment sortir du mouvement de forte poussée des nationalismes qui ont accom- pagné les mandats de Koizumi et Moo-hyun.

Le Premier ministre Fukuda et son ministre des Affaires étrangères Komura, vice-président du groupe d’amitié parlementaire Corée-Japon, sont en eux-mêmes porteurs d’espoirs. Mais il s’agit de savoir combien de temps va encore durer ce gouvernement. À l’heure actuelle, il est très difficile de le savoir.

En Corée, la responsabilité incombera au prochain Président, qui sera élu le 19 décembre 2007.

Si, comme les sondages semblent encore le montrer, c’est le Grand National Party (GNP) – mouvement conservateur – qui l’emporte, le pays devrait avoir un Président, Lee Myung-Bak, qui gérera certainement la relation entre les deux pays davantage comme le chef d’entreprise qu’il est que comme un leader idéologique. Il est probable qu’il y ait également une plus grande convergence de vues sur la relation avec les États-Unis et sur les alliances de sécurité.

Ces éléments pourraient donc constituer un environnement favorisant l’émergence de possibilités pour que Japon et Corée se rapprochent.

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Pour que ce rapprochement ait lieu, il faudra toutefois que la relation entre le Japon et les États-Unis ne souffre pas. Or, sur le dossier nord-coréen, les Japonais semblent enfin avoir compris que les Américains ne récompensaient jamais leurs alliés. Par ailleurs, le dossier sur l’évolution de l’alliance est loin d’être bouclé. Koizumi a effectivement signé un accord politique sur ce point, mais il a laissé à ses successeurs le soin de le mettre en œuvre. Or cette appli- cation sera difficile.

Les rapprochements seront l’expression de volontés politiques des deux gouvernements. Mais je pense qu’il faudra que celles-ci soient capables d’endiguer les émotions des populations. Les deux peuples ont des réactions très émotionnelles en ce qui concerne la relation bilatérale.

Dans ce domaine, personne ne semble avoir trouvé de gouvernant qui ait la capacité et la volonté d’aller contrarier ce phénomène. Ce caractère émotionnel empêche tout simplement l’émergence d’une véritable politique commune de réconciliation. La notion même de réconciliation n’est, selon moi, pas ancrée dans les principes culturels asiatiques.

Enfin, une éventuelle politique de rapprochement devra désormais s’inscrire dans une conjoncture de compétition entre les deux pays. Japon et Corée sont en train de lutter pour obtenir un statut politique d’importance en Asie du Nord, aux côtés de la Chine. La Russie semble désormais plus difficilement s’inclure dans le jeu régional.

Dans ce cadre, il me paraît difficile d’aboutir à une normalisation complète des relations entre les deux pays. La Corée du Sud est confiante. Elle estime être en pleine possession de ses moyens. Elle pense donc avoir quelques longueurs d’avance sur son concurrent. Le Japon vit à l’inverse une sorte de crise de confiance dans cette compétition.

1.3 – Corée du Nord : véritable menace ou en voie de normalisation ? Intervenant : Guibourg Delamotte, Chercheur, Asia Centre

La menace nord-coréenne vue par le Japon

Vue du Japon, la menace nord-coréenne – si elle existe encore – est triple :

 Nucléaire ;

 Balistique ;

Dans cette dimension, la menace a émergé pour le Japon en 1993. En mai de cette année, un missile No-Dong de moyenne portée a été lancé par la Corée du Nord.

La deuxième étape frappante a eu lieu en août 1998, lorsqu’un missile de longue portée fut testé.

 « Terroriste ».

Ce qualificatif est utilisé en référence aux citoyens japonais kidnappés par la Corée du Nord dans les années 1970 et 1980.

Cette triple menace a eu sur la politique de défense japonaise des conséquences significatives et manifestes.

 Le système de défense antimissile.

Le premier changement qu’elle a engendré fut d’inciter le pays à introduire puis co-développer avec les États-Unis un système de défense antimissile à partir de 1998. Ce programme a été

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réalisé progressivement. Chaque étape de la crise avec la Corée du Nord a engendré une nouvelle avancée.

Après le lancement du missile nord-coréen en août 1998, le Japon a annoncé aux États-Unis qu’il était d’accord pour commencer à effectuer avec eux des recherches sur le système.

En décembre 2003, après les premiers pourparlers à 6 dans le cadre de la nouvelle étape de la crise nord-coréenne, Tokyo a annoncé l’introduction dans son appareil de défense des techno- logies antimissiles.

En 2005, le Japon a fait savoir qu’il était d’accord pour co-développer le programme avec les États-Unis.

Après les tirs de missiles de juillet et l’essai nucléaire d’octobre 2006, le Japon a annoncé qu’il allait déployer les technologies qu’il avait achetées, c’est-à-dire des Patriots Advanced Capabilities-3 (PAC-3), plus rapidement que prévu. Il a donc accéléré le calendrier de déploiement.

 L’amélioration du système de renseignement

Le développement d’un programme visant à améliorer le système national de renseignement, notamment pour le rendre plus autonome de celui des États-Unis, est une autre conséquence de l’existence de la menace nord-coréenne. Le Japon – toujours à partir de 1998 – a décidé de développer une capacité de renseignement autonome, en acquérant des satellites (il n’avait jusque-là que des satellites de communication). Ces appareils sont censés être civils. Mais ils permettent la surveillance de la Corée du Nord.

 L’avènement d’un nouveau discours concernant les frappes

Les frappes japonaises pourraient être préemptives. Dans ce discours, est exprimée l’idée que le pays pourrait, dans l’hypothèse d’une attaque certaine, frapper les bases adverses. Plusieurs déclarations ont été réalisées à cet effet. En réalité, le Japon n’est pas actuellement équipé des missiles qui permettraient de le faire, mais le débat théorique existe.

 La réapparition du débat sur le nucléaire militaire

Le débat sur le nucléaire est réapparu à la faveur de l’essai nord-coréen d’octobre 2006.

Immédiatement après cet événement, le président du PLD a évoqué l’hypothèse que le Japon se dote de l’arme nucléaire pour être capable de dissuader et de se protéger plus efficacement de la Corée du Nord (qui évoluait en développant des capacités de miniaturisation d’une arme qu’elle détient désormais).

L’évolution de la relation

La politique de défense du pays est donc très nettement corrélée avec la crise nord-coréenne.

Mais le Japon a d’abord privilégié le dialogue. Junichirô Koizumi s’est notamment rendu à Pyongyang en septembre 2002. Geste symbolique, cette visite a permis d’adopter une déclaration qui visait à débuter un mouvement de normalisation des relations entre les deux pays, en relation avec la résolution de la question des kidnappés.

En mai 2004, une seconde visite du Premier ministre a été organisée. Mais à cette époque, le climat avait déjà évolué. Le ton japonais s’était durci à partir de février de cette année. À partir de cette période, était apparu au Japon un débat sur l’opportunité de sanctions. Des sanctions avaient été adoptées puis levées par le passé. En septembre 2003, un débat interne au PLD

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débute sur cette question. En février 2004, le Japon a commencé à se doter des moyens de sanctionner la Corée du Nord parce que Tokyo ne constatait pas de véritables progrès sur la question des kidnappés. Après le retour de cinq d’entre eux, les relations se sont à nouveau dégradées et le Japon n’a plus obtenu les informations qu’il souhaitait avoir.

Les sanctions envisagées ont pu être mises en œuvre grâce à une loi sur le commerce extérieur.

Elles visent les relations commerciales entre les deux pays, en particulier le transport des produits de l’un à l’autre. En mars 2005, le Japon adopte en effet une loi qui met en conformité son droit interne avec le droit international. La réglementation transcrite exige que les navires amarrant dans les ports japonais soient assurés. Les bateaux nord-coréens sont évidemment les premiers frappés. C’est une sanction indirecte.

Ce durcissement progressif va aligner la politique du Japon à l’égard de la Corée du Nord sur celle des États-Unis. À partir du début de l’année 2005, plusieurs déclarations ont en effet été faites par les représentants américains. Condoleezza Rice avait notamment parlé d’« un avant- poste de la tyrannie » pour décrire le régime nord-coréen. Plusieurs discours très fermes avaient par ailleurs été proposés par le Président Bush, notamment devant le Congrès.

Ces discours ont amené la Corée du Nord à déclarer en février 2005 qu’elle se retirait du processus de négociations à 6 parties.

L’alignement progressif de la politique japonaise sur celle des États-Unis est notamment révélé par le fait que les dirigeants des deux pays ont évoqué, notamment dans leurs déclarations du 19 février 2005, la question nord-coréenne, en particulier le problème des kidnappés. En juin 2006, le texte fondant alliance nippo-américaine pour le nouveau siècle est adopté, qui appelle la Corée du Nord à respecter ses engagements de septembre 2005.

Durant quelques mois, un alignement progressif s’est donc opéré. L’apothéose de ce mouvement survient au moment des tirs de missiles de juillet 2006 et de l’essai nucléaire d’octobre 2006. La Chine et la Russie étaient jusque-là opposées à des sanctions. Elles étaient rejointes par la Corée du Sud. Mais le Japon, qui avait évolué d’une position médiane vers un discours prônant une plus grande fermeté, et les États-Unis y étaient favorables. Les différentes positions exprimées par la communauté internationale vont se rapprocher après ces événements. Deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies permettant les sanctions vont ainsi être adoptées en juillet et octobre 2006.

Les sanctions prévues par ces deux textes ne sont pas impératives, la Chine et la Russie ne l’ayant pas souhaité. Mais elles existent. Le Conseil de sécurité a souhaité clairement sanctionner le programme nucléaire nord-coréen, notamment l’essai.

Cette phase est beaucoup plus positive pour la diplomatie japonaise. Le Japon est à cette époque membre non permanent du Conseil de sécurité. Il participe donc au mouvement ayant abouti à l’adoption des résolutions.

Le relatif isolement actuel du Japon

Malgré cette situation relativement favorable, le Japon s’est trouvé progressivement isolé. Les États-Unis ont adopté une position plus modérée. À l’inverse, Tokyo, voyant l’absence d’évolution dans le dossier des kidnappés, est demeuré sur ses positions (même si elles sont plus atténuées aujourd’hui).

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Le Japon a ainsi condamné le plan d’action adopté le 13 février 2007. Ses représentants ont, à cette occasion, affirmé que le pays n’accorderait pas d’aide énergétique dans le cadre de sa mise en application s’il n’y avait pas de progrès sur la question des kidnappés.

Aujourd’hui, le Japon semble se rendre compte qu’il risque l’isolement à insister trop fermement sur ce problème. Lors du sommet de novembre entre le Président Bush et le Premier ministre Fukuda, ce dernier n’a pas insisté pour que le possible retrait de la Corée du Nord de la liste des pays terroristes examiné par les États-Unis soit lié à la résolution de la question des kidnappés.

L’opinion publique nippone a également évolué sur cette question. Il y a quelques mois, elle était majoritairement favorable à la résolution, par priorité, de la question des kidnappés. Mais aujourd’hui, les sondages montrent qu’elle place désormais au premier plan des préoccupations la résolution du dossier nucléaire nord-coréen.

La réalité de la menace nord-coréenne

La menace nord-coréenne est sans doute un peu exagérée dans le débat politique japonais. La situation génère de véritables risques d’instabilité et de dérapages. Mais il existe certainement de la part des leaders politiques japonais la volonté de mettre à profit cette menace perçue avec beaucoup d’acuité par la population à cause des tirs de missiles. Il s’agit de l’utiliser pour faire évoluer la doctrine de défense et, plus généralement, l’opinion sur les questions de défense. On le voit notamment à travers la question des kidnappés.

Un chercheur japonais relativise pourtant la menace en expliquant que la Corée du Nord a toujours eu une manière extrêmement rationnelle de procéder. L’étude historique qu’il propose lui a permis d’examiner la politique de Pyongyang ces cinquante dernières années. Il conclut que la Corée du Nord a toujours su mettre en relation les actes, aussi disproportionnés qu’ils aient pu paraître, avec l’objectif qu’elle souhaitait atteindre. Pour lui, elle a donc manipulé la communauté internationale pour tirer partie des possibilités qu’elle lui offrait.

Par ailleurs, il faut se demander si le problème nucléaire nord-coréen est en voie de normalisation.

Les progrès dans l’application du plan d’action sont lents. La Chine s’interroge sur la volonté véritable de la Corée du Nord d’interrompre son programme. En réalité, ce programme offre à Pyongyang un outil politique appréciable. Même s’il est trop tôt pour faire des prévisions, il est probable que – l’instrument étant trop précieux – le régime continuera de l’utiliser. La logique de ce régime est d’assurer sa survie. L’abandon sera négocié de manière très rude.

1.4 – Inde, Australie : l’alliance pour le containment de la Chine ? Intervenant : Régine Serra, Chargée de mission à Sciences Po

De toute évidence, le mouvement amorcé par le Japon vers le Pacifique et l’océan Indien s’inscrit dans le cadre de la recherche de nouveaux partenaires dans la région. L’environnement géostratégique proche est l’objet de plusieurs inquiétudes pour Tokyo. Il s’agit notamment de la question nord-coréenne, qui concentre une partie de son attention et l’oblige à aller chercher des garanties de sécurité en dehors de l’espace nord-asiatique. Ces garanties peuvent être situées autant dans le Pacifique (Australie) que dans l’océan Indien (Inde).

L’assurance de sécurité des États-Unis n’est toujours pas convaincante pour le Japon. Les mouvements actuels de Washington en direction de la Chine et de la Corée du Nord amènent les autorités politiques japonaises à douter de la fiabilité de l’engagement américain en cas de

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crise majeure. Certains parlent même d’un prochain « choc Nixon ». Pour eux, un retournement majeur de la politique américaine vis-à-vis de Pyongyang est possible. Il rappellerait le mouvement engagé par les États-Unis en direction de la Chine dans les années 1970.

Les relations Japon–Australie et Japon–Inde

Dans ce contexte de doute, Tokyo cherche de nouveaux points d’appui. La relation avec l’Australie est déjà ancienne. Elle a connu des moments dramatiques (notamment lors de la Seconde Guerre mondiale). À partir des années 1970, elle s’est rebâtie. Apaisée, elle lie deux grandes démocraties, notamment grâce à des échanges économiques.

La composante sécuritaire s’est mise en place dès la fin des années 1970. Les liens dans ce domaine se sont renforcés depuis 2001 et l’arrivée au pouvoir du gouvernement Howard. En mars 2007, un pacte de sécurité a été conclu entre les deux pays.

Beaucoup d’encre a coulé le concernant. En réalité, il est relativement modeste. Il ne s’agit pas d’une alliance mais d’un simple accord de sécurité, qui ne vient que formaliser des relations déjà anciennes. Ce pacte a toutefois été signé quelques semaines après l’accord de Pyongyang du 13 février 2007. Il y a donc eu une très grande réactivité du gouvernement japonais.

Inquiet de cet accord, il a accéléré le calendrier du pacte de sécurité.

La relation Inde–Japon est en réalité un partenariat stratégique global (« global strategic partnership »). Elle est matérialisée par un accord qui a été signé en 2005. Celui-ci a été conçu à trois niveaux :

 bilatéral,

Il se concentre essentiellement autour des questions économiques et commerciales.

 régional,

Il s’agit surtout de coopérer ensemble à la sécurité des voies maritimes et, dans une moindre mesure, aériennes. L’Inde et le Japon sont deux pays dépendants sur le plan énergétique du Moyen-Orient. Les voies maritimes sont aussi importantes pour l’un que pour l’autre pour l’ache- minement des ressources énergétiques.

 et global.

Il s’agit de coopérer ensemble sur les questions environnementales, sur le développement du- rable…, sur un certain nombre de questions pour lesquelles les effets immédiats des politiques communes sont en réalité limités.

La volonté d’inscrire ces relations dans un cadre plus large

Le partenariat stratégique avec l’Inde est lié plus largement aux relations que le Japon entretient avec d’autres pays amis. Il peut notamment être rapproché des liens avec les États-Unis.

L’ancien Premier ministre Abe, lors de son court gouvernement (un an), avait l’ambition de mettre en place un accord quadripartite (Australie, États-Unis, Japon et Inde). Cette configuration permet d’unir les grandes puissances démocratiques de la région. Il n’y a dès lors qu’une étape à franchir pour affirmer que cette alliance a pour vocation de s’opposer à d’autres pays de la région, beaucoup moins démocratiques. La Chine et la Corée du Nord sont évidemment concernées.

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Abe n’est pas parvenu à mener ce projet à terme. Il sera compliqué à mettre en œuvre.

Avec la normalisation des relations avec la Chine amorcée au début de son mandat, l’enga- gement du Japon en direction de l’Inde et de l’Australie est donc le principal héritage de politique étrangère de l’ancien Premier ministre. Cette volonté d’Abe d’inscrire ces mouve- ments bilatéraux dans un cadre plus large a toutefois contribué au développement d’une crispation chinoise sur ces pactes de sécurité. Elle a permis à Pékin de nourrir la campagne qui dénonçait la constitution d’un axe visant à contenir le pays.

Cette approche chinoise a d’ailleurs été confortée par les analyses et interprétations de certains experts occidentaux. Je me souviens de la couverture d’un numéro de The Economist publié juste après la signature du pacte avec l’Australie en mars 2007. La revue titrait sur l’alliance pour contenir la Chine. L’interprétation chinoise a donc été relayée par un certain nombre d’analystes occidentaux. Ce phénomène de convergence a contribué à crisper plus encore certains pays de la région autour de ces accords.

L’Inde et l’Australie ne sont d’ailleurs pas innocentes. Les propos de leurs autorités ont perturbé les objectifs de ces pactes de sécurité. Il convient notamment de se rappeler des déclarations du Premier ministre indien Singh lorsqu’il s’était rendu à Tokyo en décembre 2006. Il rappelait que l’Inde et le Japon étaient deux des plus grandes démocraties d’Asie. Il soulignait dans son discours que l’Inde et la Chine n’en étaient que les deux grands pays en dévelop- pement et qu’il y avait suffisamment de place, dans la communauté internationale, pour accueillir les ambitions de chacun. La lecture chinoise a été de penser que l’Inde voulait s’allier au Japon pour contrecarrer ses ambitions.

Par ailleurs, ces événements s’inscrivaient dans un contexte de rapprochement stratégique entre l’Inde et les États-Unis, sur le nucléaire civil notamment. Il a été initié dès juillet 2005.

Enfin, il faut également rappeler que des exercices navals ont été conduits assez rapidement dans le golfe du Bengale associant les forces japonaises, américaines, australiennes, indiennes et singapouriennes. Ces manœuvres visaient essentiellement à s’entraîner à la gestion des catastrophes naturelles et à la lutte contre la piraterie maritime.

Tous ces événements ont pu donner l’impression qu’un axe pour contenir la Chine était en gestation et que la manœuvre pouvait être orchestrée par les États-Unis. Ils auraient ainsi délégué au Japon et à l’Australie, les deux alliés dans la région, la difficile mission de former cet axe quadripartite pour contrer Chine et Corée du Nord.

Les spécificités des deux relations

Ces mouvements s’inscrivent toutefois dans des histoires bilatérales très différentes. Ils corres- pondent par ailleurs à des ambitions stratégiques très distinctes.

L’Australie est un partenaire naturel pour le Japon, pour des raisons politiques mais aussi parce que Canberra est un allié des États-Unis. La coopération militaire est par ailleurs une vieille histoire. Les militaires australiens ont notamment participé aux premières missions des Forces d’Autodéfense japonaises à l’extérieur du territoire national (au Cambodge). Les deux armées ont coopéré très activement au Timor oriental. Elles ont également travaillé ensemble dans le cadre des catastrophes naturelles survenues dans la région (en particulier le tsunami en 2004). Ce sont les forces australiennes qui ont protégé la base japonaise de Samawa en Irak.

Enfin des coopérations dans l’océan Indien ont été organisées pour le soutien des opérations en Afghanistan.

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Les coopérations avec l’Inde sont une découverte plus récente. La relation a été portée initia- lement non pas par des intérêts stratégiques communs mais plutôt par des enjeux économiques.

Le mouvement vers l’Inde a été amorcé à partir de 2004 dès que les hommes d’affaires japonais se sont inquiétés de l’accueil qui leur était réservé en Chine. Une tension antijaponaise s’était développée sur le territoire chinois. Les entreprises nippones ont donc préféré, face à la complexité des relations avec leurs homologues chinoises, se détourner vers la puissance économique montante qu’est l’Inde. Ce mouvement a conduit à renforcer les relations.

Par ailleurs, la nouvelle posture de politique étrangère indienne a également contribué au rapprochement. Le pays est sorti de son traditionnel non-alignement pour se diriger vers une politique étrangère beaucoup plus axée sur la multipolarité. Il y a donc des fenêtres d’opportunité pour que les deux pays travaillent conjointement.

Enfin, l’Inde est mieux intégrée dans l’ensemble asiatique. Cette meilleure intégration doit beaucoup à l’ASEAN et au Sommet de l’Asie orientale11. Le Japon a notamment beaucoup milité pour que l’Inde et l’Australie soient membres de ce dernier.

Il faut également préciser que les objectifs de ces accords ne sont pas les mêmes. Les logiques australienne et indienne ne sont pas celles du containment. Aucun des deux pays n’a intérêt à s’inscrire dans une telle logique vis-à-vis de la Chine.

La Chine est un partenaire économique et commercial de premier plan pour l’Australie et l’Inde. Canberra n’a pas intérêt à construire une alliance avec le Japon qui irait à l’encontre de ses relations économiques avec la Chine. Depuis toujours, il y a en Australie un discours beaucoup plus optimiste sur la Chine que dans le reste de la région. Même sous le gouver- nement Howard, « la Chine comme opportunité » a toujours été le leitmotiv. Le Premier ministre australien, en fin de mandat, avait commencé à dénoncer la politique militaire chinoise. Mais ce discours s’inscrivait dans des stratégies politiques internes de court terme. Il devait se positionner par rapport à son concurrent Kevin Rudd12.

L’Inde est certes opposée à une vision sino-centrée de l’Asie. Mais elle est favorable à une multipolarité dans la région. Il n’y a donc pas d’intérêt majeur pour elle à construire une relation exclusive avec le Japon.

La persistance d’intérêts stratégiques distincts invite à penser que les deux rapprochements stratégiques – vers l’Inde et l’Australie – sont surtout le résultat d’un ajustement et non d’une opposition à la place grandissante de la Chine dans la région. Ces accords préfigurent une nouvelle architecture régionale, dans laquelle les acteurs s’impliqueraient davantage pour assurer sa sécurité (catastrophes naturelles, piraterie, peacekeeping…). Ils traduisent l’activisme dont fait preuve aujourd’hui le Japon pour s’inscrire dans cette nouvelle architecture régionale. Ils sont également les conséquences de sa recherche de nouvelles options diplomatiques dans le contexte d’une inquiétude sur la fiabilité de l’allié américain.

Je pense que les choses risquent de se compliquer pour le Japon, notamment pour sa relation avec l’Australie. Les premiers signaux donnés par Kevin Rudd semblent indiquer qu’il souhaite

11 NDLR – Depuis 2005, le Sommet de l’Asie orientale réunit chaque année des représentants des 10 pays de l’ASEAN et de partenaires invités (Chine, Corée du Sud, Japon, Inde, Nouvelle-Zélande et Australie). Il a pour fonction de promouvoir l’intégration économique régionale, même si manifestement certains États concernés ne font pas partie de l’Asie orientale (Inde, Nouvelle Zélande et Australie).

12 NDLR – Le Parti travailliste a emporté les élections législatives du 24 novembre 2007, portant au pouvoir Kevin Rudd.

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un rééquilibrage de la position australienne en direction de la Chine. Le Japon va devoir lutter pour assurer l’équilibre dans sa relation stratégique avec l’Australie.

1.5 – Débat avec la salle Questions

 Il est surprenant de mettre en parallèle le problème des kidnappés et la menace nucléaire et balistique coréenne. Quelle est l’importance réelle de ce problème ?

 Les termes « repentance » et « réconciliation » ont été utilisés. Est-ce vraiment la même chose pour les Japonais et les Coréens ?

 Concernant la préemption, il faut faire la différence entre ce qui existe dans des documents doctrinaux à usage interne et la reconnaissance du bien-fondé juridique de cette notion dans le droit international. Où en est le débat au Japon dans ce domaine ?

 Le Japon dispose des capacités technologiques pour franchir le seuil nucléaire.

Cette étape représente-t-elle un processus long et compliqué ? Dans le débat politique interne, cette thématique est-elle traitée ?

Réponse de Guibourg Delamotte

Officiellement, les kidnappés sont au nombre de 17. Le gouvernement japonais a en effet identifié 17 personnes ayant disparu dans des conditions similaires, à la même période. Tout laisse à penser qu’elles ont effectivement été kidnappées par la Corée du Nord.

Les cas sont donc peu nombreux. Pourtant, ces enlèvements ont été qualifiés d’actes terroristes.

C’est pour cela qu’ils influent énormément sur la perception de la menace au Japon. Leur existence la nourrit.

Effectivement, la mise en parallèle peut paraître disproportionnée. C’est ce qui m’amène à penser qu’il y a une utilisation politique de cette question. La NHK a effectivement reconnu avoir diffusé un très grand nombre de reportages sur les kidnappés13.

Mais le Japon se rend compte aujourd’hui des inconvénients que cette pratique peut avoir. Il risque de l’isoler, alors que la priorité est actuellement la résolution de la question nucléaire et balistique nord-coréenne.

Pour les Japonais, l’idée de frappes préemptives ne doit pas aboutir à une remise en cause du droit international. Il s’agit au contraire de s’y inscrire, de s’aligner sur les normes.

Il s’agit par ailleurs de faire évoluer de manière plus générale la doctrine de défense. La logique est ainsi de « jeter une pierre » et de voir les effets produits. Mais sur un plan technique, le Japon ne pourrait opérer des frappes préemptives à l’heure actuelle.

Cette possibilité est évoquée dans le débat politique, c’est-à-dire dans les déclarations des élus et des leaders des partis. Ces discours sont publics. Ces acteurs sont en réalité très mal informés sur les capacités militaires réelles du pays. Il s’agit d’une réflexion politique.

Concernant le nucléaire, le phénomène est proche.

13 NDLR – La Nippon Hōsō Kyōkai (NHK) est le plus important groupe audiovisuel public japonais.

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