I
Comme la
plupart
de ses devanciers et de ses après-venants, enqualité de
juriste,
Virgile Rossel a débuté modestement. Malgré les appels pressants de la Muse,il
a su organiser ses études dedroit
sans perte de temps notable, puisque, bachelier en 1876,
il
devenaitdéjà avocat bernois en 1881, après avoir coiffé le bonnet de docteur en
droit
en 1879. Sa thèse sur les traitésd'extradition
de la Suisseest modeste. On sait peu de choses sur son
activité
d'avocat prati-quant à Courtelary, qui n'a duré que deux ans à peine, sinonqu'il était
expéditif et que le développement de son étude s'annonçait bien.Par ses écrits, en revanche, on apprend
qu'il
negoûtait
qu'un plaisirrelatif
à ce genre d'activité.A
l'Université
de Berne,il
enseigne ledroit,
d'abord ledroit
français, puis ledroit civil
suisse. Les renseignements que nous avons pu recueillir auprès de quelques-uns de ses anciens étudiants sont très élogieux. Son enseignementétait
clair, bien construit ; ses défi-nitions étaient précises, et son raisonnement impeccable.Il
exposaitles grandes lignes et ne s'arrêtait pas aux détails. Accessible aux ques-tions de ses étudiants,
il
les examinait et répondait avec une grande bienveillance.Aux
examens, sa bienveillanceétait
également connue.Mais
a-t-il
eu lui-même une grande satisfaction dans son ensei-gnement Nous n'avons pas de réponse exacte sur cepoint
; nous pouvons cependant l'admettre, caril n'aurait
sans cela guère pu pratiquer cette profession pendant près de trente ans.Il
nesuffit
pas, en effet, au professeur de bien préparer ses cours,
il lui faut
encore présenter la matière à
l'étudiant
et l'intéresser à la viejuri-dique du pays et aux grandes lignes du
droit. Il
doit capter son intérêt, carl'étudiant
écoute librement, volontairement, et n'est plus tenu, comme au gymnase, de prendre des notes et de raconter dans une leçon ultérieure cequ'il
a appris pendant la précédente. La liberté d'enseignement et celle d'apprendre Le/w- Zerafrei/tetf »j
comportent des avantages, mais aussi des inconvénients. Pour avoir quelque succès dans l'enseignement du
droit, il faut surtout
aimerl'étudiant
et la jeunesse. Rien ne permet de dire queVirgile
Rossely
ait manqué. Nous nous sommes cependant demandé pourquoiil
n'apas
fait
davantage d'exercices pratiques avec ses étudiants. Lespro-grammes de cours que nous avons consultés révèlent
qu'il
n'a guère pratiqué ce genre d'enseignement ; peut-être celui-cin'était-il
pasencore en vogue à l'époque. Les exercices pratiques entretiennent un contact
étroit
entre le professeur et l'étudiant. Ils fournissent à cedernier l'occasion de résoudre des cas concrets sous la direction du professeur et ainsi de se former mieux à la pratique du barreau ou à l'exercice de la magistrature. En général, les étudiants aiment
ces exercices ; certains, les plus dynamiques, les préfèrent même aux cours. Au sujet des cours en général,
Virgile
Rossel s'est exprimé dansle
Po/itücLej
/rt/wètt-c/t <Yer Atcfge-notj-gMJc/ta/r dans sontravail
surLa
déwtocratî'e et jom éuoLttfo» '.Il
adit
à cet égard : « Peut-être l'enseignement dudroit
à l'uni-versité est-iltrop
sèchementabstrait
ou trop froidementutilitaire».
Il
trouve que disséquer imperturbablement des textes, c'est former« des intelligences serves à la
lettre
et sourdes à la vie ». «Il
manqueà cette jeunesse,
dit-il,
avec le sens aiguisé des réalités de sa tâche, avec la foi généreuse au rôle auguste de la loi, cette sorte d'entraî-nement moral que les universités négligent à l'excès. Ony
fabriquedes légistes. On ne
fait
pas des hommes. »Il
est assez curieux que, dans ses œuvres,il
ne soit pas davantage revenu sur sonactivité
comme professeur de)droit
; mais nous n'avons pas de raison d'admettre qu'elle ne lui convenait pas, au contraire.En second lieu, et parallèlement à son enseignement,
Virgile
Rossel a collaboré très activement à la codification du
droit civil,
d'abord lorsqu'il s'est agi de conférer à la Confédération la compé-tence de légiférer surtout
ledroit civil,
puis lorsqu'ilfallut
mettre sur pied le Codecivil
suisse.Il
a joui de l'immense privilège de collaborer directement avec le rédacteur du Code, le professeur Eugen Huber, de traduire le Code en français, d'assister aux séances des commissions d'experts, de participer à la rédaction del'avant-projet
et duprojet
du Conseil fédéral, puis de présenter le Code au Conseil national en
qualité de rapporteur de langue française pour une très large partie
de la matière. Toutes ces activités l'avaient
initié
complètement audroit
nouveau. A telpoint
que lors de l'entrée en vigueur du Codeen 1912, il avait pu publier, en collaboration avec le professeur Mentha,
de Neuchâtel, son eAoif cfwzY
M««
et sa première éditiondu Code annoté.
Il
estjusqu'ici
le seul Romand a avoir tenté pareille publication.C'est pendant cette période bernoise que sa production
juridique
est la plus intense. Comme on peut le
voir
par la liste des œuvres"HfHques de
Virgile
Rossel, elle comprend plusieurs éditions duMa«/
r/w r/roft ciwlZ etJroft
dej oè/tgatfotw, un ouvrage histo-rique, deux discours de rectorat et quelques collaborations aux prin-cipales revues juridiques suisses. Ses manuels sont conçus selon le1 Op. cit. année 1905, p. 230.
modèle des ouvrages de
droit
français, c'est-à-dire non selon un sys-tème scientifique serré, comme celui des ouvrages de langue allemande, mais en vue de l'analyse des articles du Code tels qu'ils se suiventdans la loi. Virgile Rossel
dit
que son Mawwe/ dedroit
crut/narre,
première édition,n'était
à l'origne « qu'un modeste essai préparé et publié avant l'entrée en vigueur du Code, à un moment où la nou-velle loin'avait
encore suscité aucun commentaire de quelque étendue et oùil
n'existait pas de jurisprudence ». « La deuxième édition,dit
l'auteur, est plus et mieux qu'un essai, sans que d'ailleurs nous nousflattions
den'y
avoir laissé ni imperfections ni lacunes\
» C'est undes premiers manuels de
droit écrit
en Suisse, dans un style facile et dégagé. La penséen'y
est pas aussi concentrée que dans certains commentaires de langue allemande. Le d«.droit
ctutZ r-zarre et celui dudroit
des obligationsfurent
chaque fois bien accueillis dans toute la Suisse. La Suisse alémaniqueétait
heureused'y
recourir, car pendant longtemps elle n'eut pas de manuel. Ces manuels ne remplacent naturellement pas les grands commentaires ; mais ils sont très utiles, notamment aux étudiants et à ceux qui veulent se fami-liariser rapidement avec les principes généraux dudroit civil.
Ils sont encore régulièrement cités dans la bibliographie des thèses de doctorat endroit civil.
Les autres
travaux
juridiques deVirgile
Rossel sont essentiel-lement historiques. Le premier discours de rectorat se rapporte à un juriconsulte bernois duXVIIL
siècle, Sigismond-Louis de Lerber, quifut
aussi professeur àl'Université
de Berne, et également poète.Vir-gile Rossel présente sa biographie et ses œuvres.
Il y fait
quelques discrètes allusions à son propre cas : « C'est un phénomène, nonpoint
unique, mais assez rare que cette persistance du bel esprit etsurtout
du rimeur chez un jurisconsulteérudit
et un moraliste sévère.Il
ne nous appartient évidemment pas de nous en étonner ni de nous en scandaliser. »Et
d'ailleurs : «Il
avait réussi àunir
ensa personne ce que d'autres jugeaient choses inconciliables : le Code et la Muse.
Il
ne semble pas que le Codey ait
rien perdu ; la Musey
atout
gagné. »Son second discours de rectorat a
trait
aux efforts accomplis en Suisse pour tenter la codification dudroit civil
sous le régime de la République helvétique de 1798-1802.Quant au A/an««/ dtz
droit
ciztii de /a Swifte romande,il
est le pendant, pour la Suisse romande, du Syrtem wnd Gerc/tic/tfe der Sc/tzeeiz. Priwafrec/ttr de Huber.Il
contient l'analyse des principalesinstitutions
juridiques, dudroit
des cantons romands,y
compris le Jura bernois, et prépare la codification dudroit civil
suisse.Virgile
Rossel
fut
deux fois rapporteur à la Société suisse des juristes, surdes sujets d'actualité, et ses rapports témoignent de l'estime de la
1 Préface de la Ile édition.
société pour lui. C'est en effet pour un
juriste
un grand honneur, doublé d'une charge detravail
appréciable, que d'être sollicité par cette société—
qui accomplit en Suisse untravail
de pionnier dansle secteur du
droit —
de présenter un rapport à son assemblée géné-raie. Ils sont extrêmement rares ceux qui à deux reprises sevirent
confier pareil mandat. Les autres publications de Virgie Rossel con-cernent des questions spéciales du droit,II
Virgile
Rossel a exercé pendantvingt
ans les fonctions d'unma-gistrat
judiciaire. De 1912 à 1932,il
a servi dans la plus haute magistraturejudiciaire
du pays la cause de la justice. Pour pouvoir résumer en connaissance de cause cetteactivité, il faudrait
avoir été constamment à ses côtés à laIL
Section civile duTribunal
fédéral,dans laquelle
il
siégea sansinterruption.
La vie du magistratjudi-ciaire est dominée par le caractère anonyme de la fonction. Semaine après semaine, le juge fédéral prépare à
l'intention
de ses collèguesses rapports dans les affaires qui lui sont confiées comme rapporteur et, en outre,