I.
ZJmuersaîifé des /abtes.—Lafable est, aveclamaxime et le proverbe une des formes les plus anciennes de la pensée humaine exprimée d'une manière brève et senten-tieuse. L'apologue est, dans un certain sens, avecle
pro-verbe, l'expression de la sagesse des nations. Delà
son universalité.Il
n'est pas de peuple,il
n'est pas delittéra-ture qui
ne possèdent un grand nombre de ces récits à la fois naïfs et piquants, spirituels sans méchanceté. Orien-taux et occidentaux, hommes du Nord et du Midi, aucune nation n'en est privée. Si les peuples à imaginationbril-lante sont plus richement partagés que d'autres,
ils
le doivent tout naturellementàleur
génie plus fécond pmais chez les sauvages insulaires dela
Polynésie ou sous le ciel inclément des Samoyèdes, on trouve aussi des récitsfictifs
destinés à récréer ces simples enfants de la nature après les fatigues dela
chasse et de la pêche. Les nations orientales toutefois, celles del'Inde
brahmanique et des pays mahométans, occupentincontestablementlepremier rang parmi les peuples amateurs de fables. On connaît celles del'hindou
Bidpaï imitées, dit-on, par Esope,plus
par La Fcgitaine. Les auteurs musulmans emploient avec prédilection la forme de l'apologue, et les plus graves écrivains se plaisentà cacher sous une historiette enjouée les sérieuses leçons deleur
philosophie. Plusieurs ou-vrages célèbres, leInfi
IVïbneh ou Contes dit Perroquet, par exemple, ne sont que des collections de nouvelles et d'anecdotes. Bien plus, bon nombre d'ouvrages mystiques sont écrits sur le même modèle. Le A/anficfjftaïr
(Lan-gage des oiseaux) de Farid Uddin
Attar
n'est qu'une Ion-gue allégorie, et le poëme non moins connu de Saadi ou Sadi : le Gwlisfan (Parterre de Roses) ne renferme que des anecdotes en apparence tirées de la viejournalière,
mais dontla
morale est exprimée ensuite dans des vers sententieux d'une grande élévation. Les Hébreux avaient aussi du goût pour l'apologue ; et la plus ancienne fable connue est celle des Arbres vowZanf éZireun roi
racontée aux habitants de Sichern par Jotham,petit-fils
de Gédéon(Juges
IX).
Nous ne saurions étudier
ici
les différences trèsinté-ressantes qui distinguent les contes orientaux, par exem-pie, de ceux de nos fabulistes,
et,
parmi ces derniers, discuter la valeur relative de chacun d'eux. Etablissons seulement la généralité des fables etleur
succès incon-testé chez tous les peuples età toutes les époques deleur littérature.
Nous reviendrons plus tard sur ce sujet à un autrepoint
de vue.II.
Caractère générai dela/able.
—Ce quifait
le charme d'unelittérature,
c'est la variété, et cequi
embellit une œuvre en prose ou en vers ce sont les nuances, ce sont cesmille
petits détails quifont
les délices du lecteurattentif
et délicat, mais qui passent inaperçus pour lelec-teur
superficiel, lequel, ne recherchant que les émotions vives et les coups de théâtre, dédaigne ces intentions lé-gèrement esquissées quiconstituent
précisément l'origi-nalité du style. Pourjouir
entièrement d'une œuvrelitté-raire, il
faut donc pénétrer dans la pensée la plusintime
de l'auj;eur et, pour
y
parvenir, connaître exactement le genre auquel appartient son œuvre. Dans le domaine dela
fiction
sententieuse,il
faut donc nettement distinguertrois
éléments, trois genres très voisins, parfois réunis, mais plus souvent encore séparés :je
veux parler du pro-verbe, de l'apoZogne et de la /abZe.Le proverbe est une courte sentence, ordinairement sous forme d'image, exprimant un
fait
ou unevérité
mo-— 122
—
rale d'une manière piquante etinattendue. Voici quelques proverbes arabes :
« Une
pierre
de la main d'unami,
c'estune orange. »— « Quand le coq a faim,
il
rêvequ'il
est sur le marché aux grains. »—
La montéepouraller
à un ami, c'est une descente. »—
« Celuiqui
veutmanger dumieldoit
savoirsupporter
la piqûre des abeilles. » — « Lanuit
des acci-dents aucun chien de garde n'aboie. » — « Chaquetortue, aux yeux de sa mère, est une gazelle. »—
etc.L'apologue diffère de
la
fable.Il
est, en général, plus courtetserapprochedela sentence; le mot apoZogwe peutse
traduire
assez exactement par celui deparabole ou de simititwdc. Esope et Lessing ont fait, non desfables, mais des apologues. Leurs historiettes sont courtes, sans frais d'éléganceni
de mise en scène : une image, une pensée, voilà tout. — Voici quelques exemples d'apologues :LE SINGE, L'ANE ET LA TAUPE (par Boisard).
be leurs plaintes sans fin, de leurs souhaits sans bornes Le Singe et l'Ane un jour importunaient les dieux :
« Ah je n'ai point de queue » « Ah je n'ai point de cornes »
« Ingrats, reprit la Taupe, et vous avez des yeux » LE HIBOU ET L'AIGLE (par Le Brun).
A son manoir las de borner sa vue Certain Hibou supplia l'Aigle unjour
De lui montrer l'olympique séjour;
L'Aigle enjouant le porte sur la nue Jusqu'au soleil : « Ami, le vois-tu bien »
— * Je vois... Je vois force brouillards et rien, Dit le Hibou. L'Aigle moqueur et leste
Vous rejeta mon aveugleici-bas.
Pour admirer un spectacle céleste
11 faut des yeux: les hiboux n'en ont pas.
Les charmants vers de la FewiiZe, où
Arnault
peint avectant
de grâce l'inconstance dela
fortune, Leiîenard
ettes FaisijiSj te Coq et ta Perte de
la
Fontaine sont aussides apologues. Du reste l'apologue donne souventla main auproverbeou à lasentence :
l'un
neva guèresansl'autre.
Voici, par exemple, un
petit
conte de Sadi (traduction de M. Defrémery, page 265) : « Unjour
dansl'orgueil
de la jeunesse, j'avais marchévite,
et lanuit
venue,j'étais resté épuisé au pied d'une montagne. Un faiblevieillard
arrivaà
la
suite de la caravanne et medit
: « Pourquoi dors-tu?Lève-toi,
ce n'est pasle lieu
de sommeiller. » Je répon-dis : » Comment marcherais-je, puisqueje
n'en ai pas la force? » — N'as-tu pas appris,repartit-il,
quel'on
adit
:ï
Marcher et s'asseoirvalent mieuxquecourir
et être rompu. »Fers. — «
0 toi qui
désire un gîte, ne te hâte pas, suis mon conseil et apprends la patience : le cheval arabe par-court deuxfoisavec promptitude la longueurdela carrière, le chameau marche doucementnuit
etjour.
»La fable, avons-nous