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Quand les élèves ne comprennent pas leur professeur(e) : Traitement de l incompréhension dans l interaction en classe de français langue étrangère

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Academic year: 2022

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Leopold-Franzens-Universität Innsbruck

Philologisch-Kulturwissenschaftliche Fakultät, Institut für Romanistik

Quand les élèves ne comprennent pas leur professeur(e) : Traitement de l’incompréhension dans l’interaction en

classe de français langue étrangère

par

Magdalena Oppitz

sous la direction de

Univ.-Prof. Mag. Dr. Eva Lavric

Univ.-Ass. Mag. Dr. Carmen Konzett-Firth

Mémoire de maîtrise présenté pour l’obtention du grade

« Magistra der Philosophie (Mag.phil.) »

April 2020

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für meinen Opa Othmar

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Remerciements

Die vorliegende Diplomarbeit schließt meinen intensiven Forschungsprozess im Bereich der Konversationsanalyse ab. An dieser Stelle möchte ich folgenden Personen meinen aufrichtigsten Dank aussprechen, da ohne sie die Ausarbeitung und Fertigstellung dieser Diplomarbeit nicht möglich gewesen wäre.

Zunächst möchte ich mich hier an die Hauptbetreuerin meiner Diplomarbeit Frau Univ.-Ass.

Mag. Dr. Carmen Konzett-Firth richten, die mir in zahlreichen persönlichen Gesprächen mit vielen motivierenden Worten, fachlicher Hilfestellung und qualitativer Rückmeldung stets zur Seite gestanden ist. Vielen herzlichen Dank, dass Sie mich in den vielen Phasen der Erarbeitung meiner Diplomarbeit so intensiv begleitet haben und dass Sie mir die Daten aus Ihrem FRAISE- Projekt zur Verfügung gestellt haben.

Weiters gilt mein Dank meiner zweiten Betreuerin Frau Univ.-Prof. Mag. Dr. Eva Lavric, die mich, ob in persönlichem Kontakt in Innsbruck oder auf digitalem Wege aus Wien, durch viele fachliche und praktische Ratschläge unterstützt hat.

Ein aufrichtiges Dankeschön möchte ich auch an meine Mama richten, die immer an mich geglaubt hat und mich in meiner Studienzeit durch viel Zuversicht und aufmunternde Worte unterstützt hat. Danke auch meinem Papa und seiner Frau, für ihre Unterstützung, an meine Innsbrucker Oma, die meinen Weg aus nächster Nähe begleitet hat, an meine Welser Großeltern für das Mitfiebern aus der Ferne und an meine beiden Brüder, die mir immer wieder die notwendige Ablenkung vom Studienalltag ermöglicht haben. Außerdem gilt mein Dank meiner Firmpatin, die mich durch ihre Leidenschaft für den Lehrberuf zu meiner Studienwahl inspiriert hat.

Last but not least, möchte ich mich an dieser Stelle auch bei dir, lieber Michael, bedanken, dass du den Weg durch meine Diplomarbeit mit mir gegangen bist, mir durch unzählige aufmunternde Gespräche und Stunden jenseits des Schreibtisches zur Seite gestanden bist und mich stets motiviert hast, mein Ziel nicht aus den Augen zu verlieren.

Ein herzliches Dankeschön allen genannten und nicht genannten WegbegleiterInnen, die mich während dem Entstehungsprozess dieser Arbeit unterstützt haben !

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Leopold-Franzens-Universität Innsbruck

Eidesstattliche Erklärung

Ich erkläre hiermit an Eides statt durch meine eigenhändige Unterschrift, dass ich die vorliegende Arbeit selbständig verfasst und keine anderen als die angegebenen Quellen und Hilfsmittel verwendet habe. Alle Stellen, die wörtlich oder inhaltlich den angegebenen Quellen entnommen wurden, sind als solche kenntlich gemacht.

Die vorliegende Arbeit wurde bisher in gleicher oder ähnlicher Form noch nicht als Diplomarbeit eingereicht.

____________________________ ____________________________

Datum Unterschrift

(5)

I

Table des matières

1 Introduction ... 1

2 Interaction et compréhension en classe ... 7

2.1 Principes du fonctionnement de l’interaction orale ... 8

2.1.1 Les tours de parole et leur allocation ... 9

2.1.2 La séquentialité ... 15

2.1.2.1 Les paires adjacentes ... 16

2.1.2.2 Les préférences ... 18

2.1.2.3 Les pré-séquences ... 19

2.1.3 La multimodalité ... 21

2.2 Caractéristiques de l’interaction en classe entre professeur.e et élèves ... 23

2.2.1 Organisation générale et cadre institutionnel ... 23

2.2.1.1 Trois propriétés interactionnelles de la communication en classe ... 25

2.2.1.2 L’organisation séquentielle de base ... 27

2.2.1.3 La prise de tours de parole en classe de langue ... 29

2.2.2 La séquence IRF (initiation-réponse-feedback) ... 30

2.2.3 Les réparations et corrections ... 35

2.2.3.1 Les réparations ... 35

2.2.3.1.1 La définition ... 35

2.2.3.1.2 La structure ... 36

2.2.3.1.3 Les types de réparations ... 39

2.2.3.2 Les corrections ... 41

2.3 Comprendre et ne pas comprendre ... 42

2.3.1 Comprendre et ne pas comprendre dans l’interaction ... 44

2.3.2 Ne pas comprendre en classe de langue ... 48

2.3.3 Les explications comme méthode pour résoudre les problèmes de compréhension ... 57

2.3.3.1 La notion d’explication ... 58

2.3.3.2 Organisation des séquences d’explication ... 59

2.3.3.3 Expliquer dans les interactions en classe de langue étrangère ... 61

(6)

II

3 Analyse des séquences de traitement de l’incompréhension ... 63

3.1 Description du corpus ... 63

3.2 Questions de la professeure qui restent sans réponse de la part des élèves ... 65

3.2.1 Re-poser la question de façon identique ... 66

3.2.2 Re-poser la question en la réparant ... 71

3.2.3 Intervention de la part d’un tiers ... 76

3.3 Questions de la professeure suivies d’une réponse exprimant l’incompréhension .. 79

3.3.1 Identifier l’origine de l’incompréhension ... 80

3.3.2 Traiter l’incompréhension ensemble avec les élèves ... 89

3.3.3 Aspects multimodaux de l’incompréhension ... 98

3.4 Synthèse des résultats ... 105

4 Conclusion ... 115

Conventions de transcription ... 119

Bibliographie ... 121

Index des figures ... 130

Index des tableaux ... 131

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1

1 Introduction

Une interaction en classe de français langue étrangère

Stagiaire à la classe et qu'est-ce qui s^paSSe (0,6) dAns les deux dialogues(.) c et e?

Classe (4,5)

Professeure à la stagiaire qu'est-ce qui se passe könnens no net.

(4,5) ... silence de 4,5 secondes

könnens no net ... dialecte tyrolien pour « können sie noch nicht » (Ils ne le connaissent pas encore.)

L’allemand est la langue partagée par tou.te.s les participant.e.s.

Cette transcription d’une interaction en classe de français langue étrangère comporte un moment où les élèves de toute évidence ne comprennent pas leur enseignante, qui est dans ce cas-là la stagiaire. Celle-ci pose une question aux apprenant.e.s dans le but de tester leur compréhension de deux dialogues qu’ils/elles viennent d’écouter. En lisant la transcription ci- dessus, nous remarquons que la question posée par la stagiaire reste sans réponse de la part des apprenant.e.s : aucun d’entre eux/elles ne répond, et il y a un silence de 4,5 secondes. La question initiale déclenche l’attente d’une réponse de la part des élèves, qui devraient dire ce qui se passe dans ces deux dialogues et qui devraient donner une réponse qui correspond à l’attente. Dans la transcription, nous voyons que les apprenant.e.s ne produisent aucune réaction verbale à la question, et cette absence d’une réponse verbale est considérée comme un signe de leur non-compréhension. Cette non-compréhension est ensuite confirmée par la professeure, qui en identifie la source : les apprenant.e.s ne connaissent pas encore la structure qu’est-ce qui se passe. Nous voyons donc que les élèves ne comprennent pas la question initiale et que, par conséquent, ils/elles ne peuvent pas donner une réponse pertinente même si, du point de vue du contenu, ils/elles connaîtraient peut-être la réponse correcte. Notre exemple montre très bien comment fonctionne une séquence d’incompréhension : elle commence par un énoncé qui n’est pas compris, dans la réponse des apprenant.e.s leur incompréhension devient manifeste, et c’est l’enseignante à nouveau qui constate cette incompréhension et qui l’explique (et qui va finalement y remédier).

Dans cette étude, nous analyserons le traitement de l’incompréhension en classe de français langue étrangère dans les interactions entre enseignant.e et étudiant.e.s et nous nous appuierons

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2 sur l’approche de l’analyse conversationnelle pour examiner cet aspect de l’interaction en cours de langue étrangère.

Dans cette étude, nous emploierons souvent les termes interaction, compréhension et incompréhension que nous situerons dans le cadre des études sur l’interaction en classe de langue étrangère. L’interaction se trouve au centre de la vie sociale et elle est à considérer comme une expérience quotidienne de chacun.e. Elle construit les relations interpersonnelles, qui ne concernent pas seulement la vie quotidienne mais aussi celle dans l’enseignement. Ainsi, l’interaction est fondamentale à plusieurs égards et, ce qui est le plus important pour nous, elle est essentielle pour l’apprentissage d’une langue étrangère (voir Traverso 2016, 13). D’un point de vue plus général, l’interaction est une activité qui est accomplie collectivement par ses participant.e.s (voir Berger 2016, 30). Dans une interaction à l’école, nous remarquerons que la relation entre ses participant.e.s (le/la professeur.e et les élèves) est différente d’une interaction quotidienne et que cette différence en fait un type spéciale d’interaction. Nous verrons que la professeure prend la position de l’organisatrice de la conversation qui contrôle la prise de parole, l’organisation séquentielle et qui notamment a le droit, et en principe même le devoir, de corriger, si nécessaire, les énoncés des élèves (voir Gardner 2013, 593). Dans l’interaction en classe comme dans l’interaction quotidienne, les participant.e.s font un effort pour se faire comprendre et pour comprendre leur vis-à-vis, ce qui déclenche des processus visibles dans l’interaction (voir Macbeth 2011, 439). Ainsi, nous nous interrogerons sur la signification de comprendre et de ne pas comprendre non seulement dans tous les contextes, mais spécialement dans l’interaction en cours de langue étrangère. Nous verrons que la compréhension et l’incompréhension, surtout dans une interaction en classe, signifient plus que de simplement confirmer d’avoir ou de ne pas avoir compris une certaine information (voir Nickerson 1985, 215). Du point de vue de l’interaction en classe, il s’y ajoute la spécialité que c’est souvent la professeure qui détermine si les élèves ont compris et ce qu’ils/elles ont compris ou non (voir Koole 2010, 183). Dans ce travail, nous analyserons de quelle manière la compréhension et l’incompréhension prennent une forme spécifique dans l’interaction en cours de langue étrangère.

Ainsi, la question centrale de cette étude est d’explorer l’interaction en classe de français deuxième langue étrangère en mettant l’accent sur le traitement de l’incompréhension de la part des apprenant.e.s, tel qu’il est effectué par la professeure. Nous nous intéresserons aux moments séquentiels où les élèves ne comprennent pas leur professeure et qui déclenchent une séquence de traitement de l’incompréhension. Nous nous pencherons sur plusieurs façons de résoudre les

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3 problèmes de l’incompréhension issus de difficultés différentes. Plus concrètement, nous traiterons les questions suivantes : Comment l’incompréhension se manifeste-t-elle dans l’interaction en classe de langue ? Comment l’incompréhension est-elle traitée par les participant.e.s ? Comment et par qui une séquence de traitement de l’incompréhension est-elle initiée ? Comment les participant.e.s repèrent-ils/elles (les professeures) et signalent-ils/elles (les élèves) l’incompréhension ? Comment les participant.e.s accomplissent-ils/elles une résolution de l’incompréhension et qu’est-ce qui est considéré comme une telle résolution ? Comment les séquences de traitement de l’incompréhension sont-elles terminées ?: comment la compréhension est-elle signalée par les apprenant.e.s et confirmée par la professeure ? Notre corpus est issu du projet FRAISE (=FRAnzösisch in Interaktion in der SchulE) (Konzett- Firth 2017, 103) qui est une étude longitudinale de l’interaction en classe de langue étrangère selon l’approche de l’analyse conversationnelle. Ce projet de recherche existe depuis le semestre d’été 2012 et il est réalisé à l’Institut de Philologie Romane de l’Université d’Innsbruck sous la direction de Carmen Konzett-Firth. Dans le cadre de FRAISE, trois classes d’un lycée autrichien à Innsbruck ont été filmées à intervalles réguliers pendant leurs cours de français. Il en résulte un corpus longitudinal de cours de français enregistrés sur vidéo (voir tableau 1), qui est représentative de la période de six années d’un parcours typique d’apprentissage du français dans un lycée (voir Konzett-Firth 2017, 103). L’analyse des enregistrements longitudinaux permet une comparaison verticale (Zimmerman 1999) des changements observables du comportement interactionnel des participant.e.s. Les projets réellement longitudinaux étant encore peu fréquents dans ce domaine de la recherche, le projet FRAISE y comble une lacune considérable (voir Konzett 2015, 16).

Le corpus du travail présent comporte 93 enregistrements vidéo qui représentent toutes les trois classes dans leur 2e année d’apprentissage du français comme deuxième langue étrangère. Le tableau suivant (tableau 1) donne une vue d’ensemble du corpus FRAISE ; les parties qui ont servi de base à notre étude sont marquées en caractères gras.

(10)

4

Classe A Classe B Classe C

1ère année d’apprentissage 1ère année d’apprentissage

2e année d’apprentissage 2e année d’apprentissage 2e année d’apprentissage 3e année d’apprentissage 3e année d’apprentissage

4e année d’apprentissage 4e année d’apprentissage 5e année d’apprentissage 5e année d’apprentissage 6e année d’apprentissage 6e année d’apprentissage

Tableau 1 : Le corpus du projet FRAISE. Basé sur Konzett (2016, 142).

Les cours ont été enregistrés par deux caméras et un enregistreur audio et la situation d’enregistrement (suivant le principe de l’analyse conversationnelle) était naturelle et non expérimentale, c’est à dire que l’enseignement n’était pas influencé ni dans son déroulement ni dans son contenu (voir Konzett 2016, 141–142; Konzett-Firth 2017, 103). FRAISE s’intéresse surtout aux phénomènes linguistiques et interactionnels, en particulier à l’acquisition de la compétence interactionnelle (Hall / Pekarek Doehler 2011). Vu que l’interaction à l’école est toujours d’une certaine manière influencée par des réflexions didactiques, le projet FRAISE ne peut pas seulement combler une lacune dans le domaine de la recherche de la CA-SLA ou CA- for-SLA (‘Conversation Analysis for Second Language Acquisition’, (Kasper / Wagner 2011)), mais il apporte aussi une contribution importante à la recherche de l’acquisition d’une langue et de la didactique des langues (voir Konzett 2015, 16; Konzett 2016, 142; Konzett-Firth 2017, 103). Ainsi, FRAISE est un projet novateur dans le domaine de la recherche de l’acquisition d’une langue étrangère.

Cette étude se situe dans le cadre du projet FRAISE, dont il approfondit un aspect spécial : c’est le traitement de l’incompréhension en classe de français langue étrangère. Selon l’approche de l’analyse conversationnelle ethnométhodologique nous ne nous intéresserons pas uniquement à la langue ou l’usage de la langue, mais surtout aux actions sociales et à la manière dont elles sont organisées séquentiellement. « Doing conversation analysis » implique ainsi d’analyser des interactions verbales avec « l’enjeu central […] d’étudier les ‘méthodes’ dont se servent les membres d’un groupe pour organiser leurs pratiques » (Pekarek Doehler 2006, 125). L’analyse conversationnelle poursuit ses propres principes méthodologiques ; ce sont entre autres l’observation de données naturelles et non expérimentales (voir la description ci-dessus) et l’analyse séquentielle d’une perspective émique (Firth / Wagner 1997), c’est-à-dire qu’elle est orientée vers les participant.e.s. Cela signifie que les catégories ressortent des actions des participant.e.s à l’interaction et parfois aussi les méthodes d’analyse ; en fait, c’est ce que nous

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5 ferons dans cette étude pour catégoriser les séquences de traitement de l’incompréhension (voir Konzett 2016, 142–143; Konzett-Firth 2017, 104; Pekarek Doehler 2006, 125). Quant aux méthodes d’analyse, l’analyse conversationnelle s’appuie sur le next turn proof procedure (Sacks / Schegloff / Jefferson 1974, 728), qui signifie que les participant.e.s à une interaction se signalent en permanence mutuellement comment les tours des autres ont été compris ; cette ressource est systématiquement exploitée par les analystes.

L’objectif de notre travail est donc d’analyser d’une perspective émique ce que les enseignantes et les élèves se signalent dans le sens d’un next turn proof procedure (Sacks / Schegloff / Jefferson 1974, 728). L’enjeu central sera d’étudier les séquences de traitement de l’incompréhension de la part des élèves qui montrera les particularités interactionnelles de l’interaction en classe de langue étrangère.

Dans la première partie de ce travail (chapitre 2), nous nous intéresserons aux fondements théoriques de l’interaction et de la compréhension en classe. Le premier sous-chapitre (2.1) sera consacré aux principes du fonctionnement de l’interaction orale et sera divisé en trois parties : les tours de parole et leur allocation (2.1.1), la séquentialité (2.1.2) et la multimodalité (2.1.3).

Dans le deuxième sous-chapitre (2.2), nous nous pencherons sur les caractéristiques de l’interaction en classe entre professeur.e et élèves. Pour ce faire, nous étudierons l’organisation générale et le cadre institutionnel (2.2.1), la séquence IRF (initiation-réponse-feedback) (2.2.2) et les réparations et corrections (2.2.3). Enfin, dans le troisième sous-chapitre (2.3), nous nous attaquerons aux notions comprendre et ne pas comprendre. Nous discuterons en trois parties les thématiques suivantes : comprendre et ne pas comprendre dans l’interaction (2.3.1), ne pas comprendre en classe de langue (2.3.2) et les explications comme méthode pour résoudre les problèmes de compréhension (2.3.3).

La deuxième partie de ce travail sera dédiée à l’analyse des séquences de traitement de l’incompréhension (chapitre 3). Après la description du corpus (3.1), nous étudierons la première catégorie de séquences de traitement de l’incompréhension, qui est celle des questions de la professeure qui restent sans réponse de la part des élèves (3.2). Dans cette catégorie, nous discuterons trois types différents de traitement de l’incompréhension : 1) re-poser la question de façon identique (3.2.1), 2) re-poser la question en la réparant (3.2.2) et 3) intervention de la part d’un tiers (3.2.3). La deuxième catégorie de séquences de traitement de l’incompréhension correspond aux questions de la professeure suivies d’une réponse exprimant de l’incompréhension (3.3). Cette catégorie de séquences comporte trois sous-catégories : identifier l’origine de l’incompréhension (3.3.1), traiter l’incompréhension ensemble avec les

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6 élèves (3.3.2) et des aspects multimodaux de l’incompréhension (3.3.3). Finalement, à travers la synthèse des résultats (3.4), nous donnerons une vue d’ensemble de la contribution que cette étude tente d’apporter à la recherche de l’apprentissage d’une langue étrangère, et particulièrement à l’analyse du traitement de l’incompréhension dans l’interaction en classe de français langue étrangère.

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7

2 Interaction et compréhension en classe

Dans les chapitres qui suivent (2.1 – 2.3), nous étudierons l’interaction et la compréhension en classe de langue étrangère comme un système complexe qui diffère de l’interaction quotidienne par plusieurs aspects et qui dispose d’une structure interactionnelle qui ressemble à d’autres formes d’interaction institutionnelle. La différence entre l’interaction institutionnelle et l’interaction non-institutionnelle ou, comme nous venons de l’appeler, l’interaction quotidienne, est liée à l’existence ou non d’un but déterminé. L’interaction institutionnelle est orientée vers un but déterminé qui se modifie selon la situation d’interaction et qui peut consister par exemple à émettre un diagnostic dans une interaction médicale, à déterminer si un candidat convient pour un poste dans un entretien d’embauche, à exposer un programme électoral dans une interview télévisée avec une personnalité politique ou à donner une impression d’une ville, dans une visite guidée. Dans notre travail, nous nous concentrerons sur l’interaction en classe, qui constitue un type d’interaction institutionnelle, qui poursuit le but de l’apprentissage, de l’acquisition de connaissances et du développement de compétences. Ce que tous ces exemples ont en commun, c’est que dans l’interaction institutionnelle, il y a le plus souvent une personne (par exemple le/la médecin, l’enseignant.e ou le/la guide touristique) qui parle à une ou plusieurs autres ou même à tout un groupe. Contrairement à cela, l’interaction non-institutionnelle vise à établir ou à maintenir une relation sociale. Finalement il y aussi des interactions qui peuvent être institutionnelles et non-institutionnelles à la fois. Voyons par exemple l’interaction entre un.e médecin et un.e patient.e. Si elle a la forme d’une consultation dans laquelle le/la médecin émet par exemple un diagnostic, il s’agit d’une interaction institutionnelle. Pourtant, si le docteur et le/la patient.e sont des ami.e.s et s’ils/elles parlent aussi de leur vie privée, l’interaction entre le/la médecin et le/la patient.e devient non- institutionnelle (voir Fasel Lauzon 2014, 16).

Les spécificités conversationnelles en classe diffèrent considérablement d’une conversation informelle, hors de l’école. Dans les interactions plénières professeur.e-élève, qui seront dans notre corpus les formes d’interaction qui dominent, l’enseignant.e détermine pour l’essentiel la structure du discours. Les élèves comme participant.e.s à la conversation ne peuvent pas ou guère prendre part à la structuration de la conversation. Cette particularité organisationnelle de l’interaction à l’école comme un type d’institution publique, ainsi que l’environnement didactique, influencent de prime abord les structures interactionnelles en classe. De plus, les caractéristiques de l’interaction en classe dépendent aussi de la personnalité et du style

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8 d’enseignement de la professeur.e, la composition du groupe des élèves et de leur motivation (voir Konzett-Firth 2017, 106; Lörscher 1986, 18).

Premièrement, nous étudierons comment l’interaction orale fonctionne en général.

2.1 Principes du fonctionnement de l’interaction orale

« L’interaction est au cœur de la vie sociale, elle est une expérience quotidienne de chacun d’entre nous, elle est le berceau des apprentissages langagiers et ce qu’il faut savoir préserver avec l’âge, elle est ce qui permet de construire et d’entretenir les relations interpersonnelles. » (Traverso 2016, 13)

Dans ce paragraphe, Véronique Traverso nous montre de manière presque poétique l’importance de l’interaction qui n’est pas seulement essentielle dans la vie sociale mais aussi, et ne pas moins, dans l’apprentissage d’une langue. Ce dernier s’accomplit en majeure partie par l’interaction. De plus, Traverso renvoie aussi à la complexité de l’interaction ayant un caractère multiforme, multidimensionnel et multifonctionnel, ce qui se montrera au fil de notre analyse des séquences de traitement de l’incompréhension (voir chapitre 3) (voir Traverso 2016, 13).

Il convient donc de s’interroger ici dans un premier temps sur la définition de l’interaction orale.

Interaction signifie habituellement (et désormais dans notre travail) interaction orale. Par ce terme nous entendons une série d’actions (linguistiques) dans lesquelles au moins deux participant.e.s interagissent l’un.e avec l’autre et qui présuppose la présence de tou.te.s les participant.e.s en même temps. L’interaction orale ne se limite pas seulement au niveau verbal mais comporte aussi le niveau non-verbal. (voir Decke-Cornill / Küster 2010, 110–111).

Une interaction est un échange entre au moins deux personnes qui interagissent soit face-à-face, soit par l’intermédiaire d’un outil de communication comme par exemple le téléphone. Par conséquent la production et la réception de la parole se déroulent simultanément, ce qui signifie que le/la locuteur.trice produit la parole en même temps que le/la/les récepteur.trice.s la reçoit/reçoivent. L’interaction est produite pour et avec ceux qui y participent. Elle est donc toujours co-construite par les participant.e.s (voir Sert 2015, 10 ; Traverso 2016, 17).

Toute interaction comme activité sociale est organisée selon des principes fondamentaux qui comportent entre autres l’automatisme d’alterner dans l’ordre. Si nous nous imaginons la queue dans un supermarché, les personnes s’organisent de manière que chacun et chacune attend son tour. La même situation se montre aussi à l’accès à un parking où un.e automobiliste entre après

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9 l’autre. Nos interactions quotidiennes sont organisées de la même manière : les tours de paroles alternent de telle sorte que nous ne produisons ni des moments de silence ni plusieurs participant.e.s parlent en même temps (voir Gülich / Mondada 2008, 37). Les questions qui s’imposent ici sont, entre autres, de savoir comment nous définissons un tour de parole, comment il est organisé et de quelle manière ces principes d’organisation se montrent aussi dans l’interaction en classe. Les chapitres qui suivent (surtout chapitre 2.1.1) en donneront des réponses.

2.1.1 Les tours de parole et leur allocation (légèrement adapté deTraverso 2016, 53) : ANN (Anne) / LIN (Line)

01 ANN on est allé voir un film MAUvais? tout à l’heure

02 LIN quoi?

03 ANN surtout n’y va pas ((rire))

04 LIN qu’est-ce que c’est:?

05 ANN qu’est-ce c’était:?

06 YVO Piano Forte

07 ANN oui (.) de la fille Comencini

L’extrait 1 comporte une conversation familière entre trois personnes qui parlent d’un film. Il va nous servir à illustrer la prise et l’alternance des tours de parole.

Nous avons vu que l’interaction est co-construite par les participant.e.s qui contribuent des tours de parole. Ces derniers représentent une unité de type interactionnel qui est délimitée par la transition de la parole d’un.e participant.e à l’autre (voir Traverso 2016, 39). Les participant.e.s se relayent en parlant, si possible de telle sorte qu’il n’y ait ni chevauchements (éviter que plusieurs participant.e.s parlent en même temps) ni silences entre deux tours. Dans ce cas, une conversation entre deux personnes sera donc structurée de manière A-B-A-B-… (voir Bossuyt 2014, 183–184). L’alternance des tours de parole est à la base de l’organisation conversationnelle et cette mécanique fournit « le dispositif qui instaure et en même temps rend observable l’ordre de l’interaction » (voir Gülich / Mondada 2001, 206). Cet ordre n’est pas déterminé a priori, ce qui signifie que les participant.e.s interagissent et alternent régulièrement leurs tours, synchronisent leurs prises de parole et prennent soin qu’il n’y ait ni des silences (moins d’un.e interlocuteur.trice à la fois) ni des chevauchements (plus d’un.e interlocuteur.trice à la fois), sans accord ni détermination préalable (voir Gülich / Mondada 2001, 206–207 ; Sacks 2004, 40). Il importe de préciser ici qu’un silence signifie un ‘gap’, donc

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10 un ‘between-turn silence’ entre les tours de deux locuteurs.trices différent.e.s, alors qu’une pause signifie un ‘within-turn silence’. Contrairement à un ‘gap’, qui est à éviter, la pause peut être initiée exprès afin d’achever un certain but (voir Sacks 2004, 40).

Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) définissent dans leur article fondateur A Simplest Systematics for the Organization of Turn-Taking for Conversation le système d’alternance de la parole entre les participant.e.s et le déterminent comme un ensemble de procédés dont les participant.e.s disposent pour organiser la prise de parole. Ils indiquent qu’un tour de parole est composé de deux éléments : l’unité de composition du tour ou ‘turn-constructional unit’ (TCU) d’un côté et l’unité d’allocation du tour ou ‘turn-allocation component’ de l’autre (voir Gülich / Mondada 2001, 207; Sacks / Schegloff / Jefferson 1974, 702–703; Traverso 2016, 39).

Un tour se développe comme une chaîne de plusieurs unités de composition du tour et il se caractérise par les actions réalisées, dont par exemple la formulation d’une question, d’une plainte, d’un souhait, etc. La fin d’une unité d’un tour constitue un point/lieu de transition possible ou ‘transition relevance place’ (TRP). Ces derniers marquent les possibilités pour l’alternance des tours et le moment « où le passage du tour à un locuteur suivant pourrait se réaliser » (voir Traverso 2016, 39). Il importe de préciser qu’à chaque place de transition possible les locuteurs.trices doivent s’organiser pour achever la suite : soit ils/elles opèrent un changement de locuteur.trice, soit le/la locuteur.trice actuel.le continue à parler. Les participant.e.s d’une interaction essayent donc de repérer les indicateurs qui signalent que le tour du/de la locuteur.trice actuel.le est fini et que l’interlocuteur.trice a la possibilité de prendre la parole (voir Gülich / Mondada 2008, 39; Traverso 2016, 40). Nous nous apercevons donc que « la forme et les frontières [d’un tour de parole] sont le résultat d’ajustements continus entre les participants » (voir Traverso 2016, 39). Dans l’extrait 1, les frontières d’une unité de composition du tour sont marquées par le symbole  et nous remarquons que les participant.e.s de cette conversation sont conscients de ces frontières du tour de parole de leur interlocuteur.trice : Ils ne commencent pas leur propre tour de parole avant que celui de l’autre soit fini. Les indicateurs pour la fin d’un tour de parole sont très clairs dans cet extrait. Nous voyons par exemple dans les lignes 02, 04 et 05 que le/la locuteur.trice pose une question, que l’intonation monte à la fin du tour (marqué par le ?) et qu’après avoir formulé toute la question, le/la locuteur.trice actuel.le termine son tour de parole. Les autres participant.e.s, à condition qu’ils/elles sachent la réponse correspondante, reçoivent la possibilité de prendre la parole.

La distribution de la parole est arrangée par un ensemble de trois options successives et récurrentes (voir Gülich / Mondada 2001, 207). Au moment d’une place de transition possible

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11 a) le/la locuteur.trice actuel.le peut sélectionner le/la locuteur.trice suivant.e (en l’appelant par son nom, en lui posant une question, en lui jetant un coup d’œil qui signale de prendre la parole ou autre),

b) un.e autre locuteur.trice peut s’auto-sélectionner,

c) le/la locuteur.trice actuel.le peut ou « doit » continuer son tour de parole (voir Gülich / Mondada 2001, 207).

La première possibilité est typique pour l’interaction en classe dans laquelle c’est normalement l’enseignant.e qui choisit un/une élève. Elle peut le faire entre autres par un procédé de nature lexicale (appeler un/e élève par son nom), par un procédé syntaxique (poser une question ou donner une instruction) ou par un procédé corporel ou visuel (regarder le/la participant.e sélectionné.e) (voir Traverso 2016, 52–53). Dans le cas de b c’est possible que plusieurs locuteurs.trices s’auto-sélectionnent en même temps. Si cela se produit, c’est la personne qui a pris la parole en premier et le plus rapidement qui reçoit le tour (voir Gülich / Mondada 2001, 207). Toutes ces règles se répètent au prochain point de transition (voir Traverso 2016, 52).

S’il arrive que plusieurs personnes parlent en même temps, nous avons tendance à considérer cette situation comme un problème de prise de parole. Lerner (2002) indique toutefois qu’il y a des formes de participation dans une conversation qui ne sont pas organisées en ordre continu, ce qui veut dire que les locuteurs.trices n’alignent pas leurs tours mais qu‘ils/elles parlent en même temps. Pour en donner un exemple, des réunions entre ami.e.s commencent avec des salutations collectives et se terminent avec des expressions d’adieu (voir Lerner 2002, 225).

Quant à l’initiation de la co-complétion d’un tour, ce sont la position de l’unité de composition du tour et sa composition (par exemple sa réalisation syntaxique et prosodique) qui « invitent » plusieurs participant.e.s à parler en même temps. Dans la plupart des cas, c’est la partie finale de l’unité de composition du tour, donc l’item final, qui est co-produite – comparable à une chorale (voir Lerner 2002, 229). La co-production chorale peut servir à manifester la compréhension, l’affiliation, l’assentiment et à fournir la participation réciproque dans des activités diverses (voir Lerner 2002, 250).

(très/trop) :

4A_10_05_12_Kf_c1 (20:58-21:24) / 4A_10_05_12_Km (20:50-21:18) PRO (professeure) / HEL (Helena) / PAT (Patrick) / MAX (Max) / TIN (Tina) / CLA (toute la classe)

01 PRO alors pour luI: les=vêtements *sont.

(18)

12 02 pro *tend le bras en haut et 03 remue sa main--- 04 (2,0)*

05 pro ---->*

06 PRO *zU wichtig (0,3) alors zU wichtig (0,5) pour lui, les 07 vêtements helena?

08 pro *geste de la main--- 09 HEL sont tr/e/s=importants.*

10 pro --->*

11 PRO oui, ça c'est=sehr + wichtig eh zU: (0,5) patrick,+

12 pat +lève la main--->+

13 PAT euhm plu- /i/mportants

14 PRO mhmh (0,2) *plus^importants QU/Ə/ * 15 pro *tend son bras à la gauche et retour*

16 (0,4) 17 MAX euhm 18 (1,1)

19 PRO c'est=pas ça: (.) tina 20 TIN euhm tro- importants.

21 PRO vOIlà. (.) toute la classe trop^importants 22 CLA trOp^importants.

23 PRO oui c'est trop^important (0,2) [zU wichtig 24 MAX [trop,^important

L’extrait 2 comporte une interaction en classe de français langue étrangère (désormais FLE), dans laquelle la professeure discute avec les élèves sur des différences entre très et trop. Cet extrait illustre la co-production chorale en classe. Dans la ligne 01 (alors pour luI:

les=vêtements sont.) la professeure demande aux élèves de compléter la phrase et s’attend à ce que quelqu’un réponde en complétant sa phrase. Personne ne répond (mais il y a 2,0 secondes de pause1 (04)), donc par conséquent, dans les lignes 06 et 07, l’enseignante donne la réponse désirée en allemand (zU wichtig (0,3) alors zU wichtig (0,5) pour lui, les vêtements helena?) pour que les élèves puissent la traduire et donner la bonne réponse. Tout de même il leur faut encore plusieurs essais jusqu’à ce que Tina donne la réponse correcte (c.à.d. voulue/attendue par la professeure) dans la ligne 20 : euhm tro- importants.. Ensuite, la professeure initie une séquence de co-production chorale (vOIlà. (.) toute la classe trop^importants (21)) afin de répéter la réponse correcte et d’attirer l’attention de tou.te.s les participant.e.s sur la structure à retenir. Les élèves redisent celle-ci en chœur (trOp^importants. (22)).

1 Dans nos analyses : pause = un silence pendant un même tour ; silence = un silence entre deux tours ;

(19)

13 Ce que nous avons déjà vu dans les extraits 1-2 concernant la construction2 et l’alternance des tours de parole nous mène à nous interroger sur l’existence de règles qui aident à identifier les possibilités de transition de la parole d’un.e participant.e à l’autre. Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) observent les règles suivantes.

a) If the turn-so-far is so constructed as to involve the use of a ‘current speaker selects next’ technique, then the party so selected has the right and is obliged to take next turn to speak; no others have such rights or obligations, and transfer occurs at that place.

b) If the turn-so-far is so constructed as not to involve the use of a ‘current speaker selects next’ technique, then self-selection for next speakership may, but need not, be instituted;

first starter acquires rights to a turn, and transfer occurs at that place.

c) If the turn-so-far is so constructed as not to involve the use of a ‘current-speaker selects next’ technique, then current speaker may, but need not continue, unless another self- selects. (Sacks / Schegloff / Jefferson 1974, 704)

Dans leur article, Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) précisent comment les tours de paroles des participant.e.s sont construits et sous quelle forme ils apparaissent. La manière de transition de la parole d’un.e participant.e à l’autre (voir les règles ci-dessus) change selon la forme et la construction du tour.

De plus, les participant.e.s d’une interaction sont tou.te.s en train de construire et d’organiser leur tour de parole tout en s’adressant à leurs interlocuteurs.trices au fur et à mesure de sa production. Au cours de notre analyse des séquences de traitement de l’incompréhension, nous verrons que c’est ce que la professeure pratique ; elle formule ses tours d’une manière considérée comme adéquate au regard du/de la destinataire projeté.e et elle vérifie ensuite la compréhension de la part des élèves. Puis, si nécessaire, elle adapte, étape par étape, ses tours aux besoins des apprenant.e.s (voir Fasel Lauzon 2014, 224, 237, 273). Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) ont introduit le terme ‘recipient design’ qui désigne un formatage en fonction du/de la récepteur.trice. Cela veut dire qu’un.e locuteur.trice adapte son tour à ses interlocuteurs.trices en prenant en considération leur réaction, leur attitude et leur contribution (voir Traverso 2016, 25, 192). Cette notion est définie comme suit :

« By ‘recipient design’ we refer to a multitude of respects in which the talk by a party in a conversation is constructed or designed in ways which display an orientation and sensitivity

2 Un tour de parole n’est pas prédéfini mais les locuteurs.trices indiquent au cours de sa production si, à la fin d’un TCU, le tour est potentiellement complet ou s’il sera continué (voir Gülich / Mondada 2008, 39).

(20)

14 to the particular other(s) who are the co-participants. » (Sacks / Schegloff / Jefferson 1974, 727)

Finalement, regardons encore une fois l’extrait 1 pour récapituler comment la prise et l’alternance des tours de parole se déroulent.

Extrait 1 (légèrement adapté deTraverso 2016, 53) : ANN (Anne) / LIN (Line)

01 ANN on est allé voir un film MAUvais? tout à l’heure

02 LIN quoi?

03 ANN surtout n’y va pas ((rire))

04 LIN qu’est-ce que c’est:?

05 ANN qu’est-ce c’était:?

06 YVO Piano Forte

07 ANN oui (.) de la fille Comencini

L’extrait 1 commence par un tour de la part d’Anne qui introduit un nouveau thème en initiant une séquence narrative. Elle parle d’un film qu’elle vient de voir et qui ne lui a pas plu ; Anne dit : on est allé voir un film MAUvais? tout à l’heure (01). Ce tour sollicite une réaction de la part d’une autre participante (ici Line) et ne peut pas rester sans commentaire ; l’absence d’une telle réaction constaterait une perturbation de l’interaction. Le tour d’Anne est complet d’un point de vue syntaxique mais il requiert une réaction pour que l’interaction puisse progresser. Puis, Line s’auto-sélectionne comme prochaine locutrice et formule la question quoi? (02), ce qui exerce d’Anne de donner des précisions par rapport au film qu’elle a vu.

Nous supposons que Line veut en premier lieu apprendre le nom pour pouvoir vérifier si elle l’a peut-être déjà vu ou si elle, au moins, en a déjà entendu parler. Nous voyons donc ici que Line sélectionne la locutrice suivante (dans cet extrait Anne) par un procédé de nature syntaxique ; Line produit une question qui demande une réponse de la part d’Anne. Puis, dans la ligne 03, Anne souligne que c’est vraiment un mauvais film qui ne vaut pas la peine d’être vu et elle dit : surtout n’y va pas ((rire)) (03). La locutrice ne donne donc pas de réponse explicite à la question de Line mais elle se met à préciser son attitude envers le film. Ensuite, Line pose de nouveau une question (qu’est-ce que c’est:? (04)) en accentuant la fin de la question (allongement : c’est: (04)). Nous considérons cette question et la manière dont elle est posée comme expression de ce qu’elle veuille apprendre le nom du film. Line sélectionne Anne comme prochaine locutrice, qui, de sa part, produit une autre question et demande : qu’est-ce c’était:?(05). Dans cette ligne, elle attribue le tour à Yvon qui dit ensuite Piano Forte (06) et donne enfin le nom du film en question. Puis, Anne s’auto-sélectionne et réagit à l’énoncé

(21)

15 d’Yvon. Elle le confirme par oui (07) et donne des informations supplémentaires quant à la réalisatrice (de la fille de Comencini (07)).

2.1.2 La séquentialité

(légèrement adapté de Gülich / Mondada 2008, 50) : KAR (Karin) / LUI (Luis)

01 KAR ça va?

02 LUI bien et toi karin

03 KAR bIEn tu- (.) j’t’ai réveillé?

04 LUI non non j’viens d’rentrer des commissions,

Nous voyons dans l’extrait 3 que le premier tour de Karin ça va ? (01) crée une forte attente pour ce qui suit. Luis signale dans la ligne 02 bien et toi karin qu’il a reconnu cet attente et dans la deuxième partie de son tour toi karin (02) il projette de nouveau une certain attente pour une suite appropriée. Karin, dans la ligne 04 (non non j’viens d’rentrer des commissions,), satisfait l’attente de Luis. Cet extrait illustre qu’une interaction se caractérise par des attentes normatives que les locuteurs.trices exercent l’un sur l’autre par l’organisation de leurs tours de paroles.

Nous appelons cette qualité d’une interaction la séquentialité (Schegloff 2007b).

La notion de la séquentialité renvoie à une qualité fondamentale de toutes conversations et elle est essentielle afin de se rendre compte de leur organisation. La conversation dispose d’une structure émergente et temporelle qui est établie par les participant.e.s, qui de leur côté gèrent le déroulement de la conversation tour à tour. Cet ordre séquentiel est donc la base sur laquelle les locuteurs.trices arrangent leurs tours de paroles et sur laquelle ils/elles comprennent ceux de leurs interlocuteurs.trices (voir Gülich / Mondada 2001, 211; Gülich / Mondada 2008, 49). Pour l’instant, nous pouvons conclure cela comme suivant: « Whatever is said will be said in some sequential context […] » (Atkinson / Heritage 1984, 6).

Cette constatation résulte de l’observation que les participant.e.s d’une conversation semblent se demander toujours ce qui va suivre (« what’s next ? », Schegloff / Sacks 1973) et quelle signification ou fonction un tour remplit à un certain moment de la conversation (« why that now ? », « pourquoi cela maintenant ? », Schegloff / Sacks 1973). Dans ce contexte, nous décrirons un principe séquentiel très important, celui de la cohérence locale. Cette dernière veut dire que normalement un tour se réfère à ce qui le précède immédiatement dans la conversation.

Si un tour paraît ne pas adhérer à ce principe à un certain moment de la conversation, c’est à dire qu’un tour ne peut pas être compris conformément à la suite temporelle-linéaire, les

(22)

16 participant.e.s disposent de certains procédés pour indiquer la discontinuité séquentielle. Ils recourent à des expressions comme d’ailleurs, à propos, justement ou pour en revenir à ce dont nous parlions (voir Gülich / Mondada 2008, 49).

Nous avons tendance à supposer que cette structure temporelle peut être considérée comme une simple suite linéaire de tours mais la séquentialité s’épanouit de façon complexe, aussi bien dans une dimension prospective que dans une dimension rétrospective. Cela veut dire que d’une part, chaque tour se joint d’une certaine manière au(x) tour(s) précédent(s) et indique rétrospectivement comment le(s) tour(s) précédent(s) ont été compris, interprétés et traités par les participant.e.s. D’autre part chaque tour influence prospectivement sur le ou les tour(s) qui va/vont suivre en créant des contraintes normatives et des conditions pour une suite appropriée (voir Gülich / Mondada 2001, 211; Gülich / Mondada 2008, 50).

Il y a des conversations dans lesquelles cet enchaînement de tours ne se déroule pas de manière adéquate par rapport aux attentes ou dans lesquelles un malentendu se déclenche. Dans ce cas- là, le/la premier.ière participant.e, donc celui/celle dont le tour n’était pas bien compris ou interprété, dispose de la possibilité de se servir du procédé de la réparation afin de rétablir l’intercompréhension. De même, la « deuxième » personne peut initier une réparation si elle a des doutes quant à l’interprétation du premier tour (voir Gülich / Mondada 2001, 211). Ce dernier est utilisé très souvent dans l’interaction en classe, c’est pourquoi nous allons y dédier un chapitre entier de notre travail (voir chapitre 2.2.3, p. 35).

Dans les chapitres qui suivent, nous nous pencherons sur quelques aspects fondamentaux qui concernent la séquentialité. Ce sont les paires adjacentes (2.1.2.1), les préférences (2.1.2.2) et les pré-séquences (2.1.2.3).

2.1.2.1 Les paires adjacentes

(légèrement adapté de Traverso 2016, 71) : KAR (Karin) / LUI (Luis)

01 KAR bonjour 02 LUI bonjour

(légèrement adapté de Traverso 2016, 71) : KAR (Karin) / LUI (Luis)

01 KAR quelle heure est-il?

02 LUI 10 heures

(23)

17 Le terme de paire adjacente (« Paarsequenz » (Gülich / Mondada 2008), ‘adjacency pair’

(Schegloff / Sacks 1973)) désigne une unité de deux tours de parole qui forment une paire et qui sont en relation de dépendance ou d’implication. La notion de paire adjacente est fondamentale en analyse conversationnelle et constitue le prototype de l’interaction (voir Bange 1992b, 40; Gülich / Mondada 2001, 213; Traverso 2016, 71).

Une paire adjacente est donc composée de deux tours qui normalement se succèdent directement, qui sont produites par des locuteurs.trices différent.e.s et construite de façon

« qu’il existe un élément reconnaissable comme le premier (‘first pair part’) et un autre reconnaissable comme le second (‘second pair part’) » (Bange 1992b, 40). La première partie étant produite, la deuxième doit y correspondre (voyons les extraits 4 et 5). Une attente normative se dégage donc du premier tour qui exerce une contrainte sur le deuxième (voir Gülich / Mondada 2001, 213; Seedhouse 2004, 17). La formation d’une paire adjacente se déroule comme suivant : le/la locuteur.trice actuel.le produit son tour de parole (bonjour 01.6 ; quelle heure est-il? 01.7) qui est reconnaissable comme la première partie d’une paire adjacente. Puis, il/elle cesse son tour au premier point de complétude et à ce moment-là le/la locuteur.trice suivant.e prend la parole et produit une seconde partie possible dans le contexte de cette paire adjacente (bonjour 02.6 ; 10 heures 02.7) (voir Bange 1992b, 40). De cette manière se déroulent les paires adjacentes comme par exemple question/réponse, invitation/acceptation ou refus, salutation/salutation ou complément/rejet ou acceptation. Nous voyons ici qu’il y a souvent plusieurs types de secondes parties qui seraient appropriées (voir Bange 1992b, 40; Gülich / Mondada 2001, 213).

Le fonctionnement d’une paire adjacente repose sur l’implication séquentielle, appelée aussi la pertinence conditionnelle. Cela veut dire que le premier tour ou la première action d’une paire adjacente est orienté(e) vers un tour ou une action suivant(e) et rend la seconde partie pertinente.

Celle-ci est donc impliquée par la première partie ; nous pouvons aussi dire qu’elle est attendue.

Par conséquent, l’ordre des tours dans une paire adjacente n’est pas seulement temporel mais séquentiel (voir Traverso 2016, 72). Schegloff (1968) résume cela de la manière suivante:

« By conditional relevance of one item on another we mean: given the first, the second is expectable […]. » (Schegloff 1968, 1083)

(24)

18 2.1.2.2 Les préférences

(légèrement adapté de de Fornel 1988, 113) : FEM (une femme) / JUL (Julia)

01 FEM dis-moi tu penses à moi demain pour les documents?

02 JUL oui oui oui

(légèrement adapté de de Fornel 1988, 113) : JUL (Julia) / ANN (Anna)

01 JUL euh:: ouais je voulais savoir euh. on fait quelque 02 chose euh c^t après m- euh tu peux sortir ou pas?

03 ANN euh c^t après m- j’ai:: je dois rejoindre déjà des 04 copains et puis ce soir je pense que je vais chez 05 véronique parce que ((souffle)) oh elle fait un 06 dîner très très restreint tu vois juste avec des 07 amis intimes ((souffle)) voilà

Il y a des paires adjacentes qui offrent deux options alternatives quant à la deuxième partie. Si nous prenons l’exemple d’une invitation ou d’une proposition, nous remarquons qu’elles peuvent être acceptées ou rejetées. Cela s’applique aussi à une demande qui peut être satisfaite ou refusée. La deuxième partie d’une telle paire adjacente comporte très souvent une alternative mais il importe de préciser que les deux possibilités ne sont pas équivalentes et n’ont pas la même valeur ; elles sont donc asymétriques. Sous cette dissymétrie nous entendons la différenciation entre une réponse dite « neutre », souvent courte, « non-marquée » et qui termine la séquence (voir extrait 6) et une réponse plus longue, « marquée » et qui déclenche souvent une expansion de la séquence (voir extrait 7). Dans la plupart des cas, les locuteurs.trices choisissent la réponse neutre, dite « préférée » et ne pas la réponse marquée dite

« non-préférée ». Nous avons tendance à supposer qu’il s’agit ici d’une préférence psychologique mais elle doit être comprise dans un sens structurel (voir Gülich / Mondada 2001, 213; Gülich / Mondada 2008, 52). Seedhouse (2005, 167) constate que « preference is not related to the notion of liking or wanting to do something ».

Dans ce sens structurel, nous reconnaissons un certain comportement communicatif : le choix préféré ou préférentiel est non-marqué, généralement bref, simple, comporte des éléments préfabriqués et s’enchaîne directement au tour qui le précède. La forme non-préférée ou non- préférentielle, par contre, est plus longue, plus complexe et marquée par des pauses, des hésitations, des justifications, des préfaces, des retardements, des raisons, des excuses ou autres.

Nous devons remarquer ici que la forme préférentielle n’est pas toujours l’acceptation ou

(25)

19 l’accord, donc la réponse que nous pourrions juger comme « positive ». Concernant les compliments, par exemple, c’est le rejet qui représente la préférence (voir Gülich / Mondada 2001, 213f.; Gülich / Mondada 2008, 52f.).

Dans l’extrait 6 nous voyons que la réponse préférée oui oui oui (02) est donnée immédiatement et clairement au début du tour. En contraste avec cela, dans l’extrait 7 la dispréférence se montre de manière retardée euh c^t après m- j’ai:: (03) et la locutrice Anna donne des explications je dois rejoindre déjà des copains (03-04) et et puis ce soir je pense que je vais chez véronique parce que ((souffle)) (04-05) sans formuler explicitement le refus de l’invitation. La participante qui produit la réponse non-préférée a l’air de tourner autour du pot et de ne pas oser refuser l’invitation directement et sans circonlocutions. Cela se renforce aussi par le soufflement d’Anna dans les lignes 05 et 07.

2.1.2.3 Les pré-séquences

Une paire adjacente est souvent précédée d’une autre paire de tours de parole qui a la fonction d’un préliminaire et qui sert à assurer qu’une action projetée soit accomplie de manière satisfaisante. Les préliminaires, aussi appelés pré-séquences, « préparent un autre échange, dont la réalisation dépendra de la réponse obtenue à l’échange préliminaire » (Traverso 2016, 89).

En produisant une telle pré-séquence, un.e locuteur.trice dispose de la possibilité d’éviter prospectivement de formuler une invitation, une question ou autres, si les conditions n’existent pas pour que la réponse préférée soit donnée. Il s’avère une structure globale qui comporte deux échanges successifs (voir Gülich / Mondada 2001, 214; Traverso 2016, 89f.) (voir figure 1).

Figure 1 : L’échange préliminaire (1) prépare l’échange suivant (2). Basé sur Traverso (2016, 90).

(26)

20 Les pré-séquences sont utilisées par exemple comme des pré-invitations, des pré-requêtes, des pré-annonces ou des pré-récits. L’extrait 8 exemplifie une succession de plusieurs échanges préliminaires (voir Traverso 2016, 90f.).

(légèrement adapté de Traverso 2016, 91) : EMI (Emilia) / PIE (Pierre)

01 EMI demain tu termines le boulot à dix^sept heures 02 (0.9)

03 PIE eu:hm:: (2.4) eu:hm demain ouais.

04 (0.9)

05 EMI donc t-es là vers euh::: di:x^sept heures trente 06 dix^huit heures?

07 PIE =mouais::

08 (0.5)

09 EMI donc j-peux compter sur toi à: dix^huit heures?

10 PIE ouais:. pour faire quoi?

11 (0.5)

12 EMI ben en fait euh:: j’ai b-soin que tu m’aides euh: à 13 déplacer la table et tout? parce que d-main j-veux 14 filmer le r-pas en fait.

Préalablement à l’information principale, à ce qu’elle veut dire véritablement, Emilia produit trois pré-séquences qui servent à garantir que Pierre sera libre le lendemain, qu’il peut l’aider et qu’il donnera la réponse préférée au moment de la production de la deuxième partie de la paire adjacente (l’acception de la demande). Les trois échanges préliminaires se trouvent dans les lignes 01 à 03, 05 à 07 et 09 (ils sont marqués en caractères gras). L‘élément central de cet extrait se trouve dans les lignes 12 à 13 : j’ai b-soin que tu m’aides euh: à déplacer la table et tout? (voir Traverso 2016, 91).

Schegloff (2007b) précise qu’il y a des échanges dans lesquels plusieurs préliminaires se succèdent, ce qu’il appelle des ‚preliminaries to preliminaries‘, abrégé comme des ‚pre-pres‘

ou en français des préliminaires de préliminaires (voir Schegloff 2007b, 44). Dans ces cas-là, la pré-séquence est produite sous forme d’un énoncé métadiscursif (comme par exemple « j’ai une question » ou « je voulais savoir si »), mais le préliminaire n’est pas suivi immédiatement (ou parfois pas du tout) par ce qu’il annonce. Ce procédé s’utilise typiquement en début de conversation afin d’expliquer par exemple la raison pour un appel téléphonique (voir Gülich / Mondada 2001, 214; Gülich / Mondada 2008, 57).

(27)

21 2.1.3 La multimodalité

Dans l’organisation de l’interaction sociale, les participant.e.s recourent à un grand nombre de ressources différentes sans qu’ils/elles fassent à priori une hiérarchie entre elles. Même si les éléments linguistiques sont généralement jugés comme les plus conventionnalisés, il y a aussi des ressources vocales et multimodales qui sont utilisées. La notion ressource multimodale renvoie donc de la même façon aux formes linguistiques (phonétiques, prosodiques, lexicales, syntaxiques, discursives) qu’aux gestes, aux mimiques, aux postures, aux regards, à la position et au mouvement dans l’espace et à l’utilisation des objets. Les locuteurs.trices disposent de la totalité de ces ressources qu’ils/elles utilisent, ajustent, transforment et réinventent afin de parvenir à leurs fins interactionnelles. La combinaison de plusieurs ressources dépend du contexte et de l’environnement séquentiel (voir Gülich / Mondada 2008, 116; Traverso 2016, 143). Traverso (2016, 143) précise que « les analyses interactionnelles multimodales s’attachent à saisir ce que les locuteurs font de ces ressources […] et comment ils rendent intelligible pour autrui ce qu’ils font ».

Quant aux dimensions de la multimodalité, nous faisons la différence entre celles qui sont relatives à la voix comportant les bruits, les sons et la prosodie, et les gestes au sens large qui contiennent aussi les gestes, les mimiques et les regards. Les études du premier groupe, les modalités vocales, portent encore sur plusieurs domaines, qui sont : le domaine de la prosodie, celui de la production des sons de la langue et celui des productions vocales non-lexicalisées et non conventionnalisées. Ces derniers comportent les rires, les pleurs, les prises de souffles (.h) et les clics (tsk) en début d’un tour de parole. Nous pouvons les regrouper sous le terme de bruits et sons. Ces phénomènes ne sont jamais examinés isolement mais en prenant compte de la séquentialité, de l’alternance des tours, de la syntaxe, du lexique, des formes qui concernent le corps, des gestes, des regards et d’autres. Quant au deuxième groupe, celui des gestes, mimiques et regards, nous commençons avec les déictiques qui appartiennent aux gestes co- verbaux et qui sont élémentaires pour construire des référents (voir Traverso 2016, 146, 153).

Ils sont définis comme suit :

« Ils [les déictiques] sont réalisés par des gestes de pointage du doigt ou de la main, mais aussi du bras, de la tête ou du buste, et fonctionnent accompagnés ou non de déictiques verbaux. » (Traverso 2016, 153–154)

Les gestes de pointage, qui peuvent être stables ou mobiles, sont utilisés par différentes pratiques (localiser un objet, marquer une place ou relier deux objets) avec différentes trajectoires temporelles et spatiales pour différentes actions (attirer l’attention, mettre en relief

(28)

22 un(e) certain(e) structure, concept ou relation grammaticale, instruire, suivre l’instruction, indiquer la compréhension et autres) à travers des gestes explicables (voir Majlesi 2014, 40, 48). De plus, le groupe des gestes comporte aussi les battements qui correspondent à des gestes répétitifs et réguliers scandant la parole et les gestes iconiques et métaphoriques qui appuient la parole des locuteurs.trices en montrant ce qu’il ou elle est en train de dire (par exemple le geste de couper avec la main pour « couper un espace ») (voir Traverso 2016, 154, 156). Une interaction peut aussi être influencée par les regards et les mimiques faciales des participant.e.s.

Nous avons déjà vu qu’une interaction est toujours co-construite par les locuteurs.trices qui y participent et ce sont les regards qui sont fondamentaux pour la co-construction de l’interaction, surtout pour l’organisation des prises de parole. Si le/la locuteur.trice actuel.le produit un tour destiné à un.e certain.e autre participant.e de la conversation, le/la locuteur.trice qui parle ouvre ses yeux en direction de la personne à laquelle le tour s’adresse. Un.e locuteur.rice a donc la possibilité de désigner ses interlocuteurs.rices de manière successive par ses regards. Dès que ce contact visuel a été établi, le/la locuteur.trice prochain.e (qui « doit » continuer à parler) est élu.e. Quant à la composante affectivo-émotionnelle dans l’interaction, les mimiques faciales sont très importantes et jouent aussi un grand rôle communicatif. Elles donnent aux locuteurs.trices la possibilité de signaler des émotions (comme par exemple plaisir, déplaisir, tristesse, joie etc.) (voir Traverso 2016, 158–161).

Pour les ressources multimodales dans l’interaction en classe, une forme qui est très souvent employée, c’est le pointage. Les élèves pointent fréquemment des choses dans leurs cahiers et font de cette manière de leur espace propre un espace commun et dirigent l’attention des autres (voir Mondada 2004, 282). Majlesi (2014) a créé pour cette activité la notion dialogue du doigt (‘finger dialogue’) ce qui veut dire que les points d’intérêt, par exemple sur une fiche de travail, sont accompagnés par le pointage du doigt. Par ces actions de corps, les participant.e.s - ici les élèves - ne font pas seulement un lien entre les objets visiblement écrits sur le papier, mais par exemple entre eux et les commentaires grammaticaux qui y correspondent (voir Majlesi 2014, 36). De cette manière, l’interaction en classe regroupe les paroles, les gestes et l’orientation vers un certain mot ou phrase. Le pointage du doigt donne la possibilité de transposer l’abstraction aux objets tangibles et visibles sur le papier - ils sont donc saisis physiquement. Il s’ensuit ce que Majlesi (2014) appelle « moment-by-moment sense-making » et ce qui aide à comprendre des phrases grammaticales et de transformer l’organisation de savoir (voir Majlesi 2014, 35-36, 46).

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23 Finalement, les gestes de pointage sont aussi utilisés pour ouvrir et clore un tour de parole. Au moment où un.e locuteur.trice commence à pointer, il/elle manifeste qu’il/elle assume la posture du/de la locuteur.trice émergent.e, l’incipient speaker (Mondada 2004, 275) A ce moment de la conversation, il/elle manifeste la portée de son tour et cela ne vaut pas « seulement dans les limites de sa durée mais plus largement par rapport à la séquence qu’il initie » (voir Mondada 2004, 285). Donc, il/elle assume la responsabilité de la séquence qu’il/elle a initiée et qu’il/elle continue à diriger. Les autres co-participant.e.s sont ainsi positionné.e.s en concurrence avec l’incipient speaker. Si ce/cette dernier.ière cesse de pointer, il/elle se retire de l’espace commun, il/elle signale qu’il/elle a abandonné ses droits et obligations et ainsi donne la possibilité de prendre la parole aux autres locuteurs.trices potentiel.le.s (voir Mondada 2004, 275-276, 282).

2.2 Caractéristiques de l’interaction en classe entre professeur.e et élèves

Dans ce chapitre, nous nous proposerons de caractériser l’interaction en classe entre professeur.e et élèves. Nous nous intéresserons ici en particulier à la question suivante : Comment l’interaction en classe de langue étrangère (désormais LE) est-elle organisée ? Certaines études ont postulé que, analogique de l’interaction quotidienne, l’interaction en classe présente un certain ordre sous-jacent (voir Mondada 2004, 272; Seedhouse 2009, 12; Siegel / Seedhouse 2019, 1). C’est le fondateur de l’analyse conversationnelle, Harvey Sacks, qui a postulé que dans toute interaction il y a de l’ordre à tous les points (voir Sacks 1984, 22).

Seedhouse en a ajouté les aspects de l’interaction en classe de langue étrangère, et il a reformulé l’idée de Sacks comme suit : il y a aussi de l’ordre à tous les points de l’interaction en classe de langue étrangère (voir Seedhouse 2013, 1).

Nous étudierons dans un premier temps l’organisation générale de l’interaction en classe de LE ainsi que son intégration dans le cadre institutionnel.

2.2.1 Organisation générale et cadre institutionnel

Avant de nous pencher sur les caractéristiques de l’interaction en classe de LE en détail, nous expliquerons de quelle manière l’organisation de l’interaction en classe est liée à l’objectif institutionnel et comment elle diffère de la conversation ordinaire. Il y a d’abord cinq caractéristiques par rapport auxquelles l’interaction institutionnelle se distingue de l’interaction ordinaire et qui nous servent donc à examiner à quel degré une conversation est institutionnelle ou non. Ce sont : le choix lexical, la conception d’un tour, l’organisation de l’alternance des tours de parole, l’organisation séquentielle, l’ensemble de l’organisation structurelle de

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