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BAYEZID I" ET LA CAPITULATION DES MOINES
DES METEORES
Par Nicoarä Beldiceanu et Petre §. Nästurel
En 859 H. (22 dec. 1454-10 dec. 1455) Mehmed II fit proceder au recen¬
sement de la Thessalie. Un ft-agment de registre de recensement (Istanbul)
fijurnit des informations sur cette province, entre autres, sur la situation
des moines des Meteoros'. En regard du nom du village d'Istägös (Stagoi)
le recenseur precise: «le renomme Qalabaqqaya». Qalabaqqaya, aujourd'¬
hui la petite ville episcopale de Stagoi ou Kala(m)baka, peut se traduire par
«le rocher des cuculles», i. e. des bonnets de moines. KoukoulUon designe la
calotte monacale byzantine (du latin „cucidlus"). La carte des Meteores
dressee par Heuzey et Daumont en 1864 coimait le Mont Koukoula.
L'usage local designait done ainsi ce site. De nos jours encore Koukoula est
le nom de la hauteur meme oü se dresse le Grand Meteore ou monastere de
la Transfiguration^ fonde par saint Athanase (| 1383). Manifestement les
Turcs traduisirent cette appellation, non attestee dans les sourees byzanti¬
nes. Le terme se rencontre ailleurs aussi dans la toponymie grecque: ainsi,
ä Smyrne, une paroisse dite de Koukoulos (ou Koukoulfes). Au XIIP siecle,
dans l'empire de Nicee, on releve le nom du due de Neokastra Michel
Kalampakes et celui du «tatas» (precepteur princier) Theodore Kalampa-
kes'. Etymologiquement, Kalampakes est un patronyme turc de meme
famille: la Caramanie comptait nombre de tribus turques christianisees.
Selon le registre de recensement, les moines de Qalabaqqaya jouissaient
de franchises depuis «I'epoque du defunt souverain Bäyezid». Vu la date du
recensement, il ne peut s'agir que du sultan Bäyezid I". Ces franchises
s'appliquaient aux biens possedes par les caloyers - animaux (moutons),
moulin, tenures, vignes — sis ä Istägös, Vardangi, Zavlanda (Zavlantia) et
Qastirö (Kastrakia). Les moines etaient au nombre de 44, en 1454/55, et
leur revenus s'elevaient ä 4500 aspres (125 florins). Tous ces biens etaient
leur pleine propriete (mülk).
Si les caloyers des Meteoros obtinrent des privileges de Bäyezid F', c'est
qu'ils s'etaient soumis au conquerant: le recenseur precise qu'ils dete-
naient de lui un privilege. Plus tard, en 1423/24, ce sera le tour des moines
du Mont Athos de capituler devant le sultan Muräd II"*. Quelques decen-
' Pour plus de details et pour la bibliographie: N. Beldiceanu et P. §. Nästu¬
rel: La Thessalie entre 1454/55 et 1506. In Byzantion, t. 53/1, Bruxelles, p. 143- 147).
^ Thöotecni [religieuse Mitsicosta] : M6t6ores. La foret des rochers de la Grece. Ed.
du couvent de St. Etienne, Äthanes, 1977, p. 57.
' HfiLÖNE Ahrweiler: L'histoire et la geographie de la region de Smyme. In: Tra¬
vaux et Memoires, t. 1. Paris 1965, p. 61, 139 n. 89, p. 185.
■* P. Schreiner: Die byzantinischen Kleinchroniken, t. 1. Vienne 1975, p. 473 et commentaire: op. cit., t. II, 1977, p. 422-423; N. Oikonomidäs: Monasteres et moi¬
nes lors de la conquete ottomane. In: Südost-Forschungen, t. XXXV, Muiüch, 1976, p. 10.
152 N. Beldiceanu, P. Nasturel, Bäyezid V et la capitulation
nies apres, les religieuses de la Theotokos, au Peloponese, procederont
pareillement devant Mehmed II.
La soumission des Meteores doit remonter ä 1393/94. Elle se produisit
dans la foulee de la conquete ottomane de la Thessalie. Le successeur de
saint Athanase ä la tete de sa fondation fut son fils spirituel, le moine Joa¬
saph, l'ex-empereur serbo-byzantin de Thessalie Jean Uroä Paleologue.
L'approche des Turcs en 1393 l'obligea ä se refugier au Mont Athos: sa pre¬
sence y est attestee ä Vatopedi en octobre 1394. En janvier 1400 un docu¬
ment athonite declare qu'il etait de retour en «Basse-Valachie» (Thessalie)
depuis dejä quatre ans. L'empereur-moine aura decide de reintegrer sa
communaute ä la suite de la capitulation devant le sultan qui avait octroye
un privilege aux moines.
Le recensement de 145/55 atteste egalement que les moines de Qala
baqqaya detenaient des actes octroyes par Mehmed II et ses predeces¬
seurs: au debut de chaque regne il etait de regle que les beneficiaires de
franchises se les fissent reconnaitre et confirmer par le nouveau souverain.
Bäyezid P*^ aura enterine des privileges accordes par des princes serbes ou
byzantins.
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A PROPOS DE LA VERSION ARABE DE QUELQUES
TEXTES APOCRYPHES ATTRIBUES A GREGOIRE
DE NAZIANZE (Resume)
Par Jacques Grand'Henry
En recueillant des donnees codicologiques sur un grand nombre de
manuscrits arabes contenant des textes apocryphes attribues ä Gregoire de
Nazianze, il semble possible de donner des indications sur la genese et le
developpement de certains textes, notamment en se basant sur les titres,
incipit et desinit de ceux-ci. On en examinera ici quelques-uns de ce point de
vue.
1. Discours sur le caractere passager du monde et la separation de l'äme du
corps
On peut distinguer trois groupes de manuscrits:
- un groupe ancien ou groupe du Sinai;
- un groupe plus recent remontant au XVIe s. oü certains elements nou¬
veaux apparaissent dans le titre et Vincipit;
- un groupe plus recent encore (XVIIe-XIXe s.): le titre est plus long et
comporte des indications liturgiques. Le vocabulaire est en partie renou¬
vele.
2. Apocalypse du pseudo-Gregoire
Le regroupement chronologique des mss. permet de distinguer 4 groupes:
- des mss. du XlVe s. qui presentent un texte fragmentaire;
- un ms. du XVIe s. oü apparait dans le titre le mot ^1^- ou Ascension de
Gregoire;
- des mss. de la periode XVle-XVIIIe s. oü l'Apocalypse est designee soit
par le mot i^, «recit, aventure», soit par le mot ,_jLl::S'l «vision»
- des mss. de la meme periode oü l'Apocalypse est designee soit par le mot
^Li::?'! «vision», soit par le mot ^JLkü;-! «enlevement»;
3. Vision de Gregoire sur la creation et la chute des Anges, inseree dans I 'Hexa- meron du pseudo-Epiphane
Quatre manuscrits, echelonnes entre le XVe et le XVIIe s., paraissent etre,
sinon directement dependants les uns des autres, au moins apparentes.
Certaines expressions tjrpiques reviennent dans les titres (-ül irL^' o-t^ U
p.ex.) et on voit apparaitre dans les incipit des substitutions caracteristi¬
ques de termes (jLL;^ pour jU>_; p.ex.).
4. Dans le Physiologus arabe, on observe aussi, dans des manuscrits allant
du Xlle s. au XVIIIe s., unc evolution typique dans l'emploi de certains
vocables ou expressions: a <i,LJ.I L-i^^l «les choses creees» et oU^LJ-l («jU»
«les caracteristiques naturelles de animaux» des ms. anciens, sont substi-
tues *Ul ö-U «la creation de Dieu» et jl^J-l ._-.L=^ «les merveilles des animaux»
dans les mss. plus recents. Dans les incipil, on observe d'une fa9on tres
nette que les mss. recents ont revise l'orthographe du moyen arabe dans un
sens neo-classique. Cependant la morphologie continue ä reveler des traits
de moyen arabe.