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«Une solidarité professionnelle impliquant des apprentissages mutuels»

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Sergio Ferrari*

Entretien avec PrOliva Pagani, Directrice du Centre de Sénologie de la Suisse Italienne, Responsable de l’Unité Spécialisée en Tumeurs du Sein, Institut Oncologique de la Suisse Italienne (IOSI), Bellinzona

*Traduction de l’espagnol, Hans-Peter Renk

Q: Cela signifie-t-il qu’aujourd’hui le diagnostic n’est pas vraiment prioritaire?

OP: Les patientes disposant de ressources économiques pouvaient envoyer leurs échantillons à Moscou ou Almati.

Les autres n’étaient pas diagnostiquées correctement. Avec comme principale conséquence qu’une chimiothérapie est administrée à presque toutes les femmes, même si elle ne s’avère pas nécessaire ou utile. Alors nous avons, premiè-rement, mis à disposition des instruments et des réactifs pour un diagnostic complet et correct. En assurant aussi que le responsable technique et pathologique de Locarno et un pathologiste de Milan spécialisé dans le cancer du sein se rendent au Kirghizistan pour enseigner l’emploi de ces outils. Ensuite, deux pathologistes kirghizes sont

Taalaigul Sabyrbekova, directrice de l'ERGENE, et Olivia Pagani, directrice du Centre de sénologie de la Suisse italienne, devant le Centre de sénologie à Bichkek.

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venus à Locarno et à Milan pour se former. Nous pouvons dire qu’ils sont maintenant en mesure d’élaborer un dia-gnostic correct.

Formation et médicaments accessibles Q: Et dans la sphère de la radiologie?

OP: Ce fut un autre point-clé: la formation des radiolo-gues qui effectuaient les mammographies. Il ne suffit pas d’avoir un instrument adéquat, encore faut-il savoir l’uti-liser. Maintenant, le radiologue et les techniciens peuvent faire un contrôle de qualité. Il importe cependant de chan-ger également la mentalité et la prise de conscience de la société, d’expliquer aux femmes comment examiner leurs seins et les convaincre de consulter à temps un médecin.

Pour ce qui est du traitement, on se conforme actuelle-ment aux normes russes, qui ne sont pas pleineactuelle-ment appli-cables au Kirghizistan, parce qu’en Russie, comme dans nos pays, le concept est beaucoup plus avancé et basé sur un diagnostic précoce. Pour prendre un exemple, ils dis-posent actuellement pour la radiothérapie d’une vieille machine au cobalt. Ils pourront prochainement compter sur un bon cobalt, sur un accélérateur linéaire. Quant à nous, nous nous chargerons de former au mieux tout le personnel à son utilisation.

Q: Et quant aux prochaines étapes?

OP: Le prochain étape fondamentale est celle des médi-caments employés dans les cas de cancer du sein pour des récepteurs HER2 positifs. Il faut dire que les spé-cialistes suisses et italiens enseignent aux pathologistes locaux comment faire le test correspondant. Les médica-ments constituent actuellement un grand problème. Les patientes doivent les payer elles-mêmes et, souvent, elles n’ont les moyens de payer que la moitié d’un traitement, qu’elles doivent ensuite interrompre. D’autres ne peuvent même pas le commencer. Les médicaments, notamment ceux qui sont utilisés en cas d’atteinte HER2 positive, ont des coûts extrêmement élevés dans la réalité kirghize.

Nous tentons de proposer un concept, adapté à d’autres pays – par exemple africains. Cette proposition est claire:

on ne peut avoir une Mercedes Benz sans avancer aupara-vant par étapes. C’est-à-dire commencer avec une bicy-clette, continuer avec une Vespa, passer ensuite à la moto pour finir ensuite par l’automobile. Il est évident que cette proposition relative aux traitements doit être acceptée par le gouvernement kirghize et se faire en collaboration avec les entreprises pharmaceutiques qui produisent et distri-buent ces médicaments.

Q: Selon vos propos, le projet implique que l’Etat défi-nisse des politiques. Quelles ont été jusqu’ici vos rela-tions avec les professionnels et les autorités nationales?

Centre national de lutte contre le cancer à Bichkek, capitale du Kirghizistan.

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OP: Notre voyage, en septembre 2017, s’est traduit par une avancée, par un pas en avant. Nous avons vu que les médecins-chirurgiens, radiothérapeutes et oncologues avec lesquels nous communiquions étaient plus ouverts à un échange et à une collaboration que lors de voyages antérieurs. Ils ont accepté de réfléchir à des propositions non-théoriques mais potentiellement acceptables pour ga-rantir à toutes les femmes une thérapie minimum efficace.

Je dois relever aussi l’appui du gouvernement suisse, pour qui le Kirghizistan est un pays prioritaire, puisqu’il fait partie de ceux que la Suisse doit représenter à la Banque mondiale. Et aussi l’appui et l’articulation que nous avons développés pour ce projet avec l’organisation de la société civile kirghize ERGENE, membre d’Europa Donna, qui développe un travail essentiel de lobbying politique et de sensibilisation sur le thème du cancer des femmes.

Débloquer les résistances, gagner la confiance

Q: Cela signifie-t-il qu’il y a eu des résistances de la part de certains professionnels au projet que vous développiez? Pour des raisons culturelles ou financières?

OP: Certains médecins se comportent comme des pa-triarches. Nous nous trouvons dans une réalité retarda-taire, en matière de cancer du sein, d’au moins 30 ans par rapport aux pays européens, la Russie comprise. D’autre part, cette nouvelle vision du diagnostic précoce implique des changements culturels dans une société particulière où ces thèmes sont considérés comme tabous. En général, les femmes ont peur de se confronter à la possibilité d’avoir un cancer du sein, parce qu’elles courent le risque d’être abandonnées ou répudiées par leur mari. Nous avons eu connaissance de situations dramatiques. Dans certaines fa-milles, les enfants vont travailler en Russie avec l’objectif principal de réunir l’argent permettant de payer le traite-ment de leur mère.

Q: Pour éviter ces résistances, votre projet doit se construire principalement sur une base de confiance, celle des partenaires locaux envers vos propositions…

OP: Effectivement, cette confiance est essentielle. Il faut rappeler que ces pays se sont trouvés confrontés, en cer-taines occasions, à des modalités de «coopération» très particulières, verticales, à court terme, avec des transferts de fonds ou de ressources sans l’assurance d’une continui-té. Nous parlons d’une coopération différente, modeste, avec des ressources qui ne sont pas multimillionnaires.

Mais une coopération basée sur une vision solidaire, avec la conviction que nous allons assurer une continuité. Nous voulons construire ces propositions avec les acteurs locaux, avec respect, en adaptant chaque décision aux dynamiques locales. Mais avec une vision de pas à pas et par étapes.

Nous avons senti que certains de nos interlocuteurs expri-maient des résistances, parce qu’ils pensaient, au début, qu’il fallait, d’un jour à l’autre, assurer aux femmes des soins de grande classe, à «l’européenne».

Q: Je voudrais terminer par une question, qu’il aurait peut-être fallu vous poser au début de cet entretien, mais qui peut maintenant avoir beaucoup plus de sens… Quelle est la motivation profonde de professionnels, suisses et italiens, pour promouvoir un tel projet plein de défis?

OP: Nous sommes mus par la conviction qu’il est néces-saire de globaliser solidairement la lutte contre le cancer du sein. Promouvoir et développer un modèle qui puisse ensuite être appliqué au traitement d’autres tumeurs. Et qui puisse aussi être multiplié, avec les ajustements néces-saires, dans d’autres pays. Une proposition très concrète et non abstraite. Où le développement communautaire soit le cadre au sein duquel divers acteurs (autorités, poli-tiques, professionnels, coopération internationale) mettent en commun leurs potentialités et agissent en synergie.

Q: Un défi réellement impressionnant?

OP: Sans aucun doute. Nous n’allons pas là-bas pour y imposer notre vision. Nous échangeons, nous essayons de comprendre la réalité locale, nous présentons des pro-positions dont nous croyons qu’elles peuvent donner des résultats positifs. J’insiste beaucoup sur le fait que cela implique pour nous un apprentissage mutuel: nous appor-tons et nous apprenons. Nous voyons la grande motivation de nos partenaires malgré leur manque de ressources et de moyens. Et nous revenons en Suisse avec d’autres perspec-tives. Cela nous permet de prendre conscience de la situa-tion privilégiée que nous vivons ici, tant comme patients que comme professionnels. Nous travaillons ici dans des conditions faciles qui nous permettent de tout faire et de tout essayer. Nous revenons donc en comprenant mieux la frustration que peut représenter, pour un collègue kir-ghize, le travail dans une réalité où il sait qu’il devrait agir d’une certaine manière, mais où il doit adapter ses pra-tiques au manque de moyens. Sans doute, tout cet échange nous amène-t-il à être plus modeste dans notre quotidien helvétique…

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Correspondance:

Sergio Ferrari Journaliste RP

sergioechanger@yahoo.fr

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