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L’émergence d’une nouvelle forme de protestation citoyenne

Im Dokument Vers un renouveau de la démocratie ? (Seite 16-19)

2. La crise du politique

2.2. Les défis démocratiques contemporains

2.2.1. L’émergence d’une nouvelle forme de protestation citoyenne

Comme son origine étymologique l’indique la démocratie en tant que « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »78 se base fondamentalement sur la notion du 'demos'. « Mais au cours des siècles […] la définition et la composition de [ce dernier] ainsi que les modalités de son expression »79 évoluent.

Ainsi, Weiler propose une vision supranationale de 'demoi' ce qui - en dépassant la logique de l’État-nation et en reconnaissant l’identité multiple des individus - peuvent être de caractère national, régional ainsi que local et en somme forment le 'demos européen'80. Par extrapolation, « le rapport entre représentants et représentés »81 en termes qualitatif et quantitatif constitue l’enjeu principal de la démocratie représentative.

Dans A Systems Analysis of Political Life, Easton examine le lien entre citoyens et système politique en distinguant notamment le soutien accordé à la communauté politique, au régime et aux autorités82. Par conséquent, un déclin de ce dernier est complexe et se passe dans le cadre européen aux niveaux local, national ainsi que supranational. En reposant sur l’approche du politologue canadien, l’étude Critical citizens. Global support for democratic governance de Norris met en évidence que le soutien au système politique comprend cinq éléments clés83 : le premier porte sur le sentiment des citoyens d’appartenir à une communauté ce qui s’exprime par le biais d’une identité commune ou du patriotisme. L’adhérence à certains principes fondamentaux du système politique tels que des valeurs démocratiques constitue un deuxième facteur. Ces derniers peuvent être sapés quand l’opinion publique juge que le gouvernement n’accomplirait pas son travail de manière satisfaisante. Les citoyens sont en mesure d’évaluer le régime selon des critères directeurs de transparence, d’'accountability', d’efficacité ainsi que de justice sociale et de participation84. Il en résulte que la performance de la gouvernance démocratique détermine également le soutien au système politique. Enfin, la confiance que les citoyens accordent aux institutions, notamment 








76 Jacqueline COSTA-LASCOUX / Lucien JAUME, « La démocratie et le déclin de la confiance, une rupture dans la culture politique » , op.cit., p. 77.

77 Roland CAYROL, Directeur général délégué de l’institut CSA, in Pascal PERRINEAU, Crise et renouveau du politique : Quelle contribution des associations ?, op. cit.

78Abraham LINCOLN in « Démocratie » , Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie (Page consultée le 10 octobre 2011).

79 Yves MÉNY, Problèmes et défis de la démocratie dans un monde global, op. cit., p. 1.

80 Cf. Joseph H. H. WEILER, The Constitution of Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 344.

81 Yves MÉNY / Yves SUREL, Politique comparée. Les démocraties : Allemagne, États-Unis, France, Grande Bretagne, Italie, op. cit., p. 22.

82 Cf. Pippa NORRIS, « Introduction: The Growth of Critical Citizens? », op. cit., p. 1.

83 Cf. Pippa NORRIS, « Chapter 1: Democratic hopes and fears » , op. cit., p. 5.

84 Ibid., p. 9.

au parlement et au gouvernement, ainsi qu’aux intermédiaires politiques tels que les partis et les médias, constitue un facteur primordial. Ainsi, elle n’a pas seulement un impact sur la relation entre société et État, mais affecte également les rapports entre les citoyens et « la structuration du temps politique »85. Afin de savoir transférer la confiance aux institutions qui constituent des objets abstraits, les individus doivent avoir fait des expériences interpersonnelles de cette dernière en amont. Par conséquent, « un certain type de socialisation et d’éducation à la démocratie »86 s’avère indispensable. De même, le système parlementaire dépend essentiellement d’une avance de confiance attribuée par des électeurs aux députés au moment de l’élection. Souvent les objectifs annoncés lors de la campagne électorale ne sont que partiellement réalisés par les élus pendant leur mandat qui n’est pas impératif mais laisse une marge de manœuvre à l’action politique. Ainsi, les citoyens « posent une attente de résultats dont le bilan ne pourra être donné que dans l’avenir »87.

D’une part, une érosion de confiance dans les institutions nationales ainsi qu’européennes telle que révélée par les enquêtes Eurobaromètre de 201188 peut aboutir à une contestation du fonctionnement du système politique à travers des voies protestataires. D’autre part, le taux d’abstention lors des élections recense un retrait des citoyens européens de la sphère politique. Dans ce contexte, Perrineau en distingue deux types:

l’abstentionnisme d’indifférence et celui de protestation89. En restant stable le premier phénomène relève d’une « fracture civique »90 qui atteste une distance socioculturelle entre les citoyens et le monde politique souvent perçu comme abstrait et éloigné du quotidien des individus. Ces derniers se trouvent 'hors système' et ne font confiance ni aux partis de gauche ni de droite. A contrario, les citoyens européens qui s’abstiennent afin de démontrer leur discrédit à l’égard des candidats proposés sont bien informés et s’intéressent à la politique. Ils ont une préférence pour le champ gauche ou droit, pourtant ils doutent de l’aptitude des partis à gouverner. « Pour eux, l’abstention est devenue une arme utilisée, comme le vote protestataire [par le biais des suffrages nuls ou blancs], pour dire son désarroi et condamner l’offre politique »91.

« Derrière de ce rapport à la démocratie représentative où se lit beaucoup de défiance, de retrait, de protestation et de crise des loyautés durables, on devine l’émergence d’un nouveau type de citoyen de plus en plus critique »92 ou 'cynique' selon les termes de Norris93. Le 'citoyen moderne' s’éloigne du modèle de participation démocratique classique. Au lieu de voter ou d’adhérer à un parti politique, il choisit la voie protestataire afin d’attirer l’attention sur des injustices sociales. Ainsi, le répertoire de l’action collective s’étend du recours à la manifestation à l’emploi de « la violence politique »94. Compte tenu que ce constat ne peut pas être généralisé pour l’ensemble de l’UE, cette dernière concurrence la loi commune et peut aboutir à des affrontements entre jeunes et police, ce qu’on a pu observer par exemple en août 2011 à Londres ou précédemment dans les banlieues parisiennes. « S’installe ainsi dans nombre de nos démocraties un hiatus entre un idéal démocratique et une réalité marquée davantage par le 'cynisme' et le désenchantement »95. La figure de l’'angry white male' a été découverte aux États-Unis en 199496. Ce dernier est récemment réapparu au sein des plusieurs États membres par exemple en Allemagne où les manifestations contre le projet de gare 'Stuttgart 21' ont donné naissance au néologisme de « Wutbürger »97 (citoyen en colère). En l’occurrence, un grand nombre des citoyens majoritairement d’âge moyen, conservateurs et issus d’un milieu aisé se sont mobilisés afin de protester contre des décisions prises par 








85 Jacqueline COSTA-LASCOUX / Lucien JAUME, « La démocratie et le déclin de la confiance, une rupture dans la culture politique » , op. cit., p. 69.

86 Ibid., p. 70.

87 Ibid., p. 69.

88 Cf. Chapitre 2.1. Contextualisation d’un phénomène récent, pp. 9-14.

89 Pascal PERRINEAU, Crise et renouveau du politique : Quelle contribution des associations ?, op. cit.

90 Pascal PERRINEAU, Le désenchantement démocratique, op. cit., p. 5.

91 Pascal PERRINEAU, Crise et renouveau du politique : Quelle contribution des associations ?, op. cit.

92 Pascal PERRINEAU, Le désenchantement démocratique, op. cit., p. 7.

93 Cf. Pippa NORRIS, « Introduction: The Growth of Critical Citizens? » , op. cit., p. 1.

94 Cf. Yves MÉNY / Yves SUREL, Politique comparé. Les démocraties : Allemagne, États-Unis, France, Grande Bretagne, Italie, op. cit., p. 27.

95 Pascal PERRINEAU, Le désenchantement démocratique, op. cit., p. 7.

96 Pippa NORRIS, « Introduction: The Growth of Critical Citizens? », op. cit., p. 3.

97 Dirk KURBJUWEIT, « Der Wutbürger » , Spiegel Online, 11.10.10, [En ligne].

http://www.spiegel.de/spiegel/print/d-74184564.html (Page consultée le 14 octobre 2011).

les autorités politiques qu’ils avaient essentiellement soutenues auparavant. Aujourd’hui le « professionnel de l’indignation »98 est de retour et parcourt le monde soit au nom du mouvement des 'indignés', soit sous la devise d’'Occupy Wall Street'. « C’est un phénomène extrêmement prometteur, qui vise à renouveler profondément une forme d’intervention des citoyens dans la politique. Puisque les citoyens ne veulent plus déléguer à des hommes politiques ou des partis, ils veulent peser, chacun à sa place »99.

Pourtant cela induit, a contrario, que « les engagements traditionnels [tels que l’action dans le cadre des partis] s’atomisent et se privatisent »100. Lors de la mondialisation on constate une tendance à l’individualisation au sein des États occidentaux qui est renforcée entre autres par une personnalisation croissante des informations disponibles sur Internet. La complexité et l’hétérogénéité des sociétés européennes multiplient les sources de conflits ce qui entraîne « une croissance exponentielle du phénomène revendicatif »101. En poursuivant l’accomplissement de soi, il devient plus difficile de s’accorder sur l’intérêt général et les liens de solidarité semblent s’assouplir. Les individus se mobilisent ad hoc « sur des objectifs spécifiques et limités pour une durée déterminée, privilégiant l’action directe et l’efficacité immédiate même restreinte »102. Afin de faire entendre leur voix dans l’espace public, les citoyens européens font recours à un « 'nouveau répertoire de l’action politique' de plus en plus éclectique et bricolé »103. Au-delà des scrutins, l’éventail de ce dernier comprend des manifestations dans la rue ainsi que l’action virtuelle sur Internet sous forme de blogs, des forums ou du 'journalisme participatif'104. Associé à une remise en cause des institutions en tant qu’autorités légitimes, ce système de participation politique diversifié donne naissance à un nouveau modèle de citoyenneté. « Ce citoyen moins respectueux des pouvoirs institués et des élites, moins fidèle aux grandes organisations verticales et passant avec célérité d’un mode de participation à l’autre, n’hésitant pas à explorer les voies de l’engagement protestataire, ne sera pas le citoyen serein et paisible d’une démocratie libérale pacifiée, mais le citoyen inquiet et imprévisible d’une démocratie toujours conflictuelle »105.

Si on considère que le « désamour pour les institutions »106 démocratiques est en lien direct avec le changement générationnel, cela indiquerait un processus qui est difficile à renverser107. Pourtant, la démocratie est un concept dynamique qui vit d’approfondissement et de renouveau de ces dispositifs.

« Criticism does not necessarily imply disengagement » 108, mais peut générer des réformes qui finalement renforcent la démocratisation de la société. Ainsi, le déclin des modes de représentation hiérarchique est assorti de l’émergence des nouvelles formes de l’action publique. 'L’éveil' du demos et sa '(re)découverte' par le monde politique ne remettent pas en cause la démocratie représentative en tant que telle. « Il y a […]

un signe d’institutionnalisation et de routinisation des modes d’action protestataire »109 en Europe qui s’ajoute aux canaux de participation traditionnels tels que l’acte de vote. Dans cette optique, la démocratie européenne semble subir « une évolution comparable à celle de la morale, de la modernité ou du matérialisme »110 ce qui aboutirait à une 'post-politique' dont les paramètres sont en train de se définir. Par










98 RIEFFEL in Pascal PERRINEAU, « Les renouveaux de l'action politique » , op. cit., p. 113.

99 Thomas COUTROT, Co-président du mouvement Attac, in « De New York à Zurich, les Indignés du monde entier se mobilisent » , Le Temps, 15.10.11, [En ligne]. http://www.letemps.ch/Page/Uuid/bc1149e4-f716-11e0-89e6-58201b4eddc2/De_New_York_%C3%A0_Zurich_les_Indign%C3%A9s_du_monde_entier_se_mobilisent (Page consultée le 16 octobre 2011).

100 Pascal PERRINEAU, « Les renouveaux de l'action politique » , op. cit., p. 116.

101 Guy GROUX, « Crise de la médiation et mouvements sociaux : vers une démocratie de l’entre-deux ? » , op. cit., p.

235.

102 Jacques ION in Pascal PERRINEAU, « Les renouveaux de l'action politique » , op. cit., p. 116.

103 Ibid.

104 Cf. Loïc BLONDIAUX, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, op. cit., p. 6.

105 Pascal PERRINEAU, « Les renouveaux de l'action politique » , op. cit., p. 117.

106 Jacqueline COSTA-LASCOUX / Lucien JAUME, « La démocratie et le déclin de la confiance, une rupture dans la culture politique » , op. cit., p. 69.

107 Cf. Pippa NORRIS, « Introduction: The Growth of Critical Citizens? » , op. cit., p. 15.

108 Ibid., p. 16.

109 Pascal PERRINEAU, Le désenchantement démocratique, op. cit., p. 10.

110 Pascal PERRINEAU, « Les renouveaux de l'action politique » , op. cit., p. 116.

conséquent, la 'crise du politique' peut être interprétée en tant que « crise de mutation : de vieilles modalités d’engagement meurent et de nouvelles cherchent à naître »111.

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